samedi 31 août 2019

(31) Dedans ou dehors






Les Mémoires de Candide
Réunies hors limites des hasards d'où il tente de sortir 
 
Obscur et violent sourire. L’éclat du dehors dissimule l’âpre obscurité du dedans. Encore faut-il savoir ce qui et du dedans ou du dehors.

(31) Rationnellement impossible


« Comparée avec la dendrochronologie, la datation au carbone est une invention récente, ne remontant qu'aux années 1940. Dans les premiers temps, sa procédures nécessitait d'importantes quantités de matériel organique. Puis dans les années 1970, on a adapté à la datation  au carbone la technique de la spectrométrie de masse, si bien qu'il suffit maintenant d'une infime quantité de matériel organique. La datation archéologique en a été révolutionnée. L'exemple le plus célèbre est celui du Suaire de Turin. Comme cet illustre morceau de tissu semble porter, imprimé sur lui, la marque d'un homme barbu crucifié, beaucoup de gens espéraient qu'il remontât au temps de Jésus. Il est apparu dans les archives historiques au milieu du quatorzième siècle en France, et personne n sait où il était auparavant. Conservé à Turin depuis 1578, il est sous la garde du Vatican depuis 1983. Quand la spectrométrie de masse a permis de dater un tout petit échantillon du suaire, au lieu de la grande quantité qui aurait été nécessaire auparavant, le Vatican a autorisé qu'on y prélève une bandelette. Celle-ci fut divisée en trois parties qui furent envoyées à trois grands laboratoires spécialisées dans la datation carbone, à Oxford, dans l'Arizona et à Zurich. Travaillant dans des conditions d'indépendance scrupuleuse –sans comparer leurs notes–, ces trois laboratoires se prononcèrent sur la date de la mort du lin dans lequel avait été tissée la pièce. Oxford disait 1200 ans après Jésus-Christ, l'Arizona 1304, et Zurich 1274. Ces dates sont toutes –à l'intérieur de marge d'erreur normales– compatibles entre elles et avec la date à laquelle des années 1350 où le suaire est cité pour la première dans l'histoire.»

Richard Dawkins, Le plus grand spectacle du monde, éditions Pluriel


– Sont-ce là les nouveau élèves de notre maître?
– Il parait.
– Est-ce là qu'ils les élèvent?
– Ça m'en a tout l'air.
– Est-ce Candide?
– Je le crois.
– Que fait-il là lui aussi?
– Il accompli sa tâche.
– C'est curieux.
– À quoi faites-vous allusion?
– N'est-ce point un peu prématuré?
– Quoi donc?
– De dire qu'il accompli sa première tâche.
– Pas du tout.
– Désolé, je ne vois pas une suite logique dans ce que vous me racontez de la vie de Candide.
– C'est normal. Je vous l'ai dit, si Candide vit dans des temps différents...
– C'est impossible! Rationnellement impossible! Un vrai délire!
– Je comprends votre point de vue. Mais du mien, si vous me laissez le temps de l'expliquer, je pourrai peut-être vous amener à le partager si n'est dans son entier, du moins en quelque part. 



vendredi 30 août 2019

(30) Juxtaposition



Les Mémoires de Candide
Réunies hors limites des hasards d'où il tente de sortir 

L'image que je donnais n'était pas celle que je me donnais... Pour moi, rien n'avait changé. Je ne me souvenais pas du temps passé mais cela ne me gênait pas. Une toute petite partie de moi, grandissante quand même, s’était mise en branle qui allait œuvrer dans le sens d’une sorte de construction en alignant plus ou moins de minuscules détails, mots, phrases ou objets inconnus, presque insignifiants en soi, mais le devenant par cette juxtaposition hasardeuse jusqu’à ce que l’ensemble, au-delà de tout espoir, leur redonne une sorte de réalité parfaitement comparable avec celle de leur origine.

(30) Une sorte de vide


« La vie n'aurait guère de valeur si elle n'était point transcendée par le devoir. À un ordre nouveau s'adjoindra souvent, dans l'histoire, la mise en valeur d'un temps nouveau.»



– Puis-je vous faire part de ce que je viens d'entendre?
– Qui vous l'a dit?
– Je ne le sais point.
– Allez-y, j'écoute!
– La vie n'aurait guère de valeur si elle n'était point transcendée par le devoir. À un ordre nouveau s'adjoindra souvent, dans l'histoire, la mise en valeur d'un temps nouveau.
 – Dites-moi, est-ce là...
– Ce que je viens d'entendre?
– Non, je voulais parler de ce que nous avons sous les yeux!
– Il arrive que ce que nous avons sous les yeux se mêle fort heureusement avec ce que nous entendons, même si les deux ne proviennent pas du même monde..
– Oui...
– Est-ce là le petit Candide?
– C'est cela je viens de vous le dire.
– Ce n'est pas croyable. Comme il a changé! Comment se fait-il que nous n'ayons pas assisté...
– Candide ne le sait point, mais il existe, comment dire... dans sa mémoire une importante trouée... Une sorte de vide...
– Se pourrait-il que nous aussi...
– Nous ne sommes guère différents des autres, mais l'une des différences essentielle est notre dépendance.
– De quelle dépendance parlez-vous?
– Nous dépendons de notre auteur... je ne cesse de vous le dire...
– Et quel est le rapport entre cette dépendance et le vide de la mémoire de Candide? 
– Il est plein de phénomènes qui sont difficiles à expliquer...
– Et d'autres dont il vaut mieux ne point parler... 




jeudi 29 août 2019

(29) Ni plus ni moins



Les Mémoires de Candide
Réunies aux hasards dans le chaos des limites
 

Il avait suffi de quelques mots pour faire craquer tous les liens qui me reliaient à mon passé:
Deviens un homme et n’ambitionne rien de plus. Il n’y a au-delà de lui que pur néant. 
Et j’y ai cru. Ni plus ni moins... Comment cela a pu se produire est très vite devenu une sorte de moteur en même temps qu’un garde-fou, au sens strict.

(29) Tout étant pareil à lui-même



« La source de toutes les passions est la sensibilité, l’imagination détermine leur pente [...] Ce sont les erreurs de l’imagination qui transforment en vices les passions de tous les êtres bornés, même des anges s’ils en ont...»
Jean-Jacques Rousseau, Émile




– Le passé éclaire le présent et l’explicite au vu de causes antérieures.
– Voulez-vous me le redire, je vous prie... C'est si beau!
– Revenons, je vous prie à mon tour, à ce que pense Candide!
– Eh bien voyez-vous, il pense que la même scène, le même décor, les mêmes acteurs avec leurs costumes et leurs énoncés représentés dans un théâtre, devant un public, eut sûrement déclenché cette sorte de gêne ou d’ennui qui mène inexorablement, pour qui ne se serait pas endormi, au rire, ou, pire... au fou rire.
Devant une telle faille, l’homme, pour ne pas devenir fou se met à rire.

– Et c’est alors qu’il passe pour fou!
– Tout ce qui ne se comprend pas fait triple volte-face et finit par incarner tel ou tel symbole. Tout étant symbole, tout se confond avec lui-même.
– Tout disparaissant en lui-même apparaît tel qu’en lui-même...
– Tout étant pareil à lui-même jamais ne disparaît ni n’apparaît.

– C'est beau... quand même...
– De quoi parlez-vous?
– De la façon dont vous en parlez.
– Ce n'est pas moi...
 

(29) Au sens strict




Les Mémoires de Candide
Réunies dans les limites pas très naturelles

du hasard et de ses nombreux avatars

Obscur et violent sourire. L’éclat du dehors dissimule l’âpre obscurité du dedans.

 Il avait suffi de quelques mots pour faire craquer tous les liens qui me reliaient à mon passé:
« Deviens un homme et n’ambitionne rien de plus. Il n’y a au-delà que pur néant.»
Et j’y ai cru. Ni plus ni moins... Comment cela a pu se produire est très vite devenu une sorte de moteur en même temps qu’un garde-fou, au sens strict.



(29) Aura





Les Mémoires de Candide
Réunies dans les limites naturelles du hasard et de ses avatars


 Ce qu’ils me demandaient était de leur confirmer que je pensais comme eux. Je ne m'en rendrais compte qu'après, mais déjà, alors que je n'avais pas encore fait trois pas dans l'ordre, je le ressentis dans les limites de mes faibles moyens. Enfin... je le croyais honnêtement... Dans le fond tous pensaient de la même manière… Une sorte de pensée informe, faiblement et superficiellement développée en un classique trois points: thèse, hypothèse synthèse... Recettes éprouvées, lieux communs, annihilation, polissage et gommage, copies de copies... équilibre et humilité, ou, au mieux, comme ils aimaient à le dire et le pensaient, sans violence croyaient-ils..: obéissance et respect dû aux fondateurs, "ces maîtres anciens" auxquels, au delà des siècles, ils s'identifiaient. Tout était là entre les mains d’une petite oligarchie dont les membres refusaient le nom mais non les honneurs. Gare à celui qui aurait des idées... tout était affaire d’avis... Sous prétexte d'égalité tout se vaut et, dans ces circonstances: bouillie devient gastronomie. Ils ne se rendaient point compte que de cette manière ils mettaient de côté une infinité de pensées raisonnables et utiles... Telles une petite partie de celles que je commençais à avoir. Pendant le débat qui eut lieu après mon passage sous le bandeau et pour un certain temps je fus considéré potentiellement comme un danger par le Vénéré Prince Libre Penseur venu du Plat Pays... Puis, bien après, mais en privé seulement, il apprit à me connaître et changea d'attitude... reconnut ses torts tout en préservant son aura publique.


mercredi 28 août 2019

(28) Quelqu'un


Qu’est-ce donc que cette pâleur mouvante parmi les sombres flots?


Les Mémoires de Candide
Réunies dans les limites naturelles du hasard et de ses avatars


Je les voyais, ou plutôt je les entendais, pétris de bons sentiments, s’efforçant de détruire le mur qui nous séparait sans qu’un seul instant ils n’aient la moindre sensation qu’ils se trompaient de mur... J’avais la terrible sensation que celui sur lequel ils s’acharnaient avec la meilleure volonté du monde n’était pas le mien, mais le leur... Leur mur qu’ils détruisent le jour et reconstruisent à leur insu pendant la nuit, quelquefois l’inverse, et qu’ils affublent de la pompeuse appellation de temple...
Pas un seul instant, obnubilés par leurs désirs, peut-être aussi leurs préjugés, même si, pour une grande part, ils en étaient inconscients, ils ne se rendirent pas vraiment compte de ce que j’étais, malgré les apparences et encore moins de ce qui, en moi, désirait...
C’est ainsi qu’ils en vinrent à formuler clairement ce qui allait se produire. Je me souviens de tout maintenant, très longtemps après, alors même que sur le moment j’étais incapable de me souvenir du moindre mot. D'ailleurs je dois à la vérité de dire que ce dont j’avais mémoire étaient des sensations et non des mots. Dans le mouvement confus des obsessions de ceux qui allaient se prétendre mes guide se confrontaient, dans un désordre extrême, espoirs, espérance, illusions. Mais, dès le départ, on eut dit qu’ils savaient  pertinemment ce qu’ils voulaient de moi: sous prétexte d’égalité, faire de moi, dans cette pénombre poussiéreuse que l’on eut dit endormie, "quelque un" comme eux.







(28) Pour de vrai?



– Il ne le savait pas vraiment. Cela était dû surtout au fait qu’il ne savait vraiment pas lire ni écrire et...
– Et?
– Et... non seulement les mots lui étaient étranges mais surtout qu’il était incapable de les prononcer.
– Pour quelles raisons ?
– Évidentes... les raisons...
– Ah...
– Ah... Âne... c’était un âne... l'âne ahane, quelquefois, dans le meilleur des cas il anone, mais, surtout... les ânes ne parlent ni ne prononce!
 – Et surtout? Pourquoi ce surtout?
– Physiologiquement ils en sont pas incapables!
– Qu’espère t’il alors?
– Une transformation...
– Une transformation? De quelle genre?
Radicale la transformation!
– Comment cela?
– Il va devoir mourir à sa condition d’âne.
– Il vont le tuer... Le sacrifier?
– Avec son accord!
– Le sait-il?
– Il s'en doute plus ou moins.
– Tout cela pour accéder au verbe!
– Nous aussi nous voulions accéder au verbe!
– Mais nous n'avons pas dû pour cela subir cette affreuse boucherie qui se prépare.
– Modérez votre propos, une partie de tout cela n'est que pur hasard et...
– Encore!
– Tout cela pourrait n'être que du symbolisme...
– Qu'est-ce là?
– Il faudrait que je demande à mon maître ou qu'il me le suggère...
– Sait-il ce qu’il fait?
– Mon maître n’en est pas sûr, mais de toute manière c’est la tradition.
– Quelle tradition?
– Celle des Souriants. Ils commencent tous par... mourir.
Pour de vrai?
– Il y a du vrai...


(28) Dubitatif et remué


« Tel est l’art du récit que rien n’est innocent.»
Joseph Conrad



– Savez-vous ce qu'a dit ou pensé Candide juste après qu’il fut passé sous le bandeau ?
– D’après mon maître il était à la fois très dubitatif et profondément remué.
– Pourquoi ?
– Lui-même ne le savait pas. Une sorte de mélange un peu indigeste dirait-on.

– Qui le dirait?
– Moi, par exemple.
– Ainsi vous parlez pour votre compte?
– Cela m'arrive... presque malgré moi...
– Il était plein de sentiments contradictoires, mais était-il content ?
– Il était plutôt impatient.... enfin... en attente...
– Qu’attendait-il?
– Selon mon maître, il ne le savait pas vraiment.

– Et selon vous?
– Cela était dû surtout au fait qu’il ne savait vraiment pas lire ni écrire et...


(28) Floraison


– En paraphrasant Habiba Jemmali-Fellah, on peut dire de notre maître qu'il est le narrateur de cette histoire...
– En êtes-vous sûr?
– Sûr de quoi? Je n'ai encore rien dit!
– Êtes-vous sûr que notre maître soit le narrateur de cette histoire?
– En tous cas c'est ce qu'il dit.
– Cela je le sais, mais est-ce vrai ou... l'a-t'il vraiment dit ou...est-ce vous qui l'avez déduit...
– Ou?
– Ou bien est-il lui-même un personnage d'une histoire dont il ne connait point le narrateur réel?
– En tous cas, à travers les pérégrinations de ses personnages, il arrive que le narrateur essaye, avant de la partager ou en la partageant… de connaitre son histoire en tentant d’exprimer sa conscience.
– Ou la conscience de son créateur...
– Dès lors, son créateur s’emploie à l’éloigner du spectre du désespoir et à se détourner des tribulations de la vie quotidienne, en semant les graines d’un réenchantement indubitablement long à se construire mais qui parvient tout de même à fleurir timidement au fil des pages.*



 
*Habiba Jemmali-Fellah
Présentation de thèse:
Les oeuvres d’Amhmadou Kourouma et de Patrick Chamoiseau:
Entre désaveu et ébranlement

(28) Mise en œuvre



Les Mémoires de Candide
Réunies hors limites des hasards où il tente d'entrer
 

Fallait-il que je continue...
Les temps se mélangeaient. Je ne savais plus si j'étais encore assis sur une chaise au milieu du théâtre des voix ou si j'étais dans la rue sans savoir où...
Je savais que désormais tout dépendait de leur décision... mais avais-je encore le loisir de dire non par moi-même? Aujourd’hui j’en doute... Mis à part l'espoir d'une révélation, n'étais-je pas sur le point de devenir cet être surpuissant qui se nomme homme? N’étais-je point déjà atteint par cet état qui se nomme l’orgueil? L’orgueil et le désir d’appartenance de celui qui se verrait flatté d’être accepté, malgré le sacrifice de lui-même, parmi dans ce qu'il espère être une élite. Certes rien, hormis une certaine qualité de silence, une bienséance certaine et une politesse un peu guindée, ne méritait qu’on la qualifiât d’élite. Certainement pas la qualité des questions... surtout quand la forme interrogative masquait mal la forme affirmative peu discrète. Ces questions avaient eu quand même assez de qualités pour me faire sortir du temps ordinaire... où était ce dû à la mise en situation, peut-être devrais-je dire  mise en condition, qui faisait planer une certaine aura de mystère... qui suscitait à son tour le désir de découvrir. Il se peut aussi, le temps ayant fait son œuvre, que tout cela, cet état, ces pensées, ces émotions aient été surtout les miennes et que la construction, efficace pour le commun des mortels, ait fini par m’apparaître grossière. Je parle de sa mise en œuvre, de sa forme et non du fond...



mardi 27 août 2019

(27) Des mots



Les Mémoires de Candide
Réunies hors limites des hasards desquels il s'approche


Je mis bien du temps avant de retrouver mon chemin et mes esprits et je me demandais comment il se faisait que tant de questions se posaient d'elle-même dans ce no man's land qu'était mon intérieur. Je m'obligeais à poursuivre le dialogue qui avait commencé avec le maître des Cérémonies et je fis fonctionner ma mémoire. C'est alors pour la première fois que les sons que j'entendais dans la bouche des êtres humains devinrent des mots... Je remontais le temps de quelques heures heures. Je fixais mon attention essayant de contrôler le moindre trait de mon visage de mes mains et le tremblement de mon corps tout entier, dont j’espérais qu’il soit invisible... En vain naturellement... J’essayais tout aussi vainement de me concentrer sur des objets inertes qui eussent pu servir de réceptacle à mes pensées et calmer les élans du corps qui trahiraient les émotions que je ne voulais point communiquer et surtout ne pas vivre... mais rien n’apparaissait dans ma tête totalement occupée à de vaines tentatives visant à capter le moindre signe qui me permettrait de me faire une idée de ce qui m’entourait. Pourtant, brusquement, je me relâchais, fis une petite pause et le vide dans mon esprit. 

(27) Tangage


Les Mémoires de Candide
Réunies hors limites des hasards où il tente d'entrer
 

 Lorsque le très souriant et sympathique maître des Cérémonies, sans ses décors, m’eût raccompagné et entretenu quelques instants, de quoi obtenir quelques sensations à chaud, je me retrouvais seul et fort désorienté. J’étais un peu comme un enfant qui sort d’un carrousel où il serait resté trop longtemps. Le monde tanguait quelque peu. Je mis bien du temps avant de retrouver mon chemin et mes esprits et je me demandais comment il se faisait que je portais moi aussi des gants blancs... 

(27) Un mur


« Quand on commence à voir réellement, la première chose est que tout ce qu'on voit par les yeux possède un sens plus profond, une plus grande signification que ce que l'on percevait auparavant. Chaque mouvement que fait une personne, chaque geste, sa forme, ses traits, sa voix, ses mots, son expression, son atmosphère, tout commence à raconter la nature et le caractère de la personne.»


Les Mémoires de Candide
Réunies hors limites des hasards d'où il tente de sortir


Je les voyais s’efforçant de détruire le mur qui nous séparait sans qu’un seul instant ils n’aient la moindre sensation du fait qu’ils se trompaient de mur... Celui sur lequel ils s’acharnaient correspondait au leur ... pas au mien... Leur mur qu’ils détruisent le jour et reconstruisent à leur insu pendant la nuit.
Pas un seul instant, obnubilés par leurs désirs, ils ne se rendirent compte vraiment de ce que j’étais et encore moins de ce que je désirais....



lundi 26 août 2019

(26) De l'autre côté


« L’espace fantastique a longtemps été abordé à l’aune du décor gothique, effrayant dans ses moindres recoins, ses catacombes, ses chambres mortuaires, celles de Poe notamment, ses donjons d’un autre âge, ses châteaux perdus en haut des falaises. Cette atmosphère gothique  perdure chez certains auteurs du vingtième siècle, notamment dans les villes abandonnées, les îles  perdues au milieu de l’océan ou les ruines donnant accès aux monstres venus d’ailleurs, chez Lovecraft par exemple, mais l’énigme tend à se déplacer du côté des points de contact entre les mondes, des frontières troubles laissant passer les créatures les plus étranges. Les fameux espaces intercalaires de Jean Ray en sont un bon exemple: le dédale ne s’y trouve pas seulement thématisé, il affecte également la topographie ainsi que la narration, obligeant du même coup le lecteur à se perdre en cours de route. Dans ce type de textes, la difficulté d’identifier les lieux, la nature même des lieux, qui transgressent bien souvent l’ordre établi, l’aspect labyrinthique du récit, sont à l’origine de l’effet fantastique ressenti lors de la lecture.»


– Vous ne m'avez point dit qui vous citiez.
– Je ne le sais pas toujours... Je ne fais que répéter ce que me dit mon maître...
– Encore maintenant? Il me semblait que vous ne le voyiez plus.
– Je ne le vois plus mais je l'entends.
– Comment est-ce possible?
– C'est très simple.
– Expliquez-moi!
–  Il est là, juste de l'autre côté.
– De l'autre côté de quoi?
– Là où nous sommes quand nous pensons.
– Et à quoi pense-t'il?
– Entre autre... à nous... heureusement.
– Pourquoi heureusement?
– Parce que sinon... nous disparaissons...
– Comme vous y allez!


(26) Habitude




 – Quelle est l'influence de l'habitude sur notre façon de penser?
– À qui posez-vous la question?
– À vous pardi! À qui voudriez-vous que je la pose?
– Vous savez bien que ce type de question dépasse notre niveau de compétence!
– Et alors? cela devrait nous empêcher de la poser?
– Ce n'est pas ce que je voulais dire... Je voulais attirer votre attention sur le fait que nous ne pouvons développer ce sujet sans l'aide de quelqu'un...
– Et vous pensiez à votre maître?
– Non, je pensais à ce qu'un jour il avait cité...
– Et dont vous vous souvenez?
– J'ai en mémoire la presque totalité de ce qu'il m'a dit.
– Alors! L'habitude?
«En notant les informations que je faisais pour moi-même, je cherchais alors surtout à m'entendre avec ma propre pensée; il me semblait n'écrire que pour moi seul».
– Vous savez écrire?
– Je cite, s'il vous plaît! 

 

(26) Par habitude



« Comme il y a des gens qui ont la vue courte et d'autres qui ont une vue longue, de même il y a des gens qui voient les choses à une grande distance avec les yeux du mental, mais ne peuvent pas voir ce qui est près d'eux. Ils ont la vision longue. Et puis il y en d'autres qui ont une vision courte; ils voient tout ce qui est près d'eux mais ne peuvent pas voir plus loin.»
– D'où sortent ces pensées?
– Je répète ce que j'ai entendu.
– Vous en êtes encore là!
– Simplement... par habitude je suppose...




dimanche 25 août 2019

(25) Ce jour-là


« L’homme de la survie, c’est l’homme émietté dans les mécanismes du pouvoir hiérarchisé, dans une combinaison d’interférences, dans un chaos de techniques oppressives qui n’attend pour s’ordonner que la patiente programmation des penseurs programmés.»

Raoul Vaneigem, Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations



Les Mémoires de Candide
Réunies hors limites des hasards où il tente de survivre


Si, par chance, j'avais pu voir le ciel ce jour-là, j'eus pu dire: il faisait gris ce jour-là. Je parle du jour du passage sous le bandeau. Mais rien dans le ciel, aujourd’hui je le sais, n’eut permis de s’appuyer sur le moindre repère. Les voix tournaient littéralement autour de moi tout comme le sens de leurs questions dont je ne comprenais malgré tout pas le sens qu’ils y mettaient. Je comprenais le sens profond qu’ils exprimaient par le ton mais pas le sens des mots. Les mots mêmes je ne savais ce que c’était... Comment en suis-je arrivé à lier deux souvenirs bien distincts qui ne peuvent se confondre... Je ne le sais... peut-être une similitude de conditionnement... Le premier de ces souvenirs, je viens d'en parler et le second a trait à mon éducation... ou mon dressage... où l'être que je suppose être mon père m'enseignait par le geste la technique dite du "bâton"...
De même que sur la surface de l’eau vive s’animent des images qui sans elle seraient immobiles... s’animent des mots par des voix qui, sans elles, ne seraient que des amas inertes de lettres mortes.
Personne ne pourrait dire en quoi consiste ces tons... Ils sont là... c’est tout...




(25) Limites


« La réalité a ses limites, trop l’exposer risque de la changer en fiction. » 

Augustine Bessa-Luís, L’âme des riches, Métailié





(25) Sauf un


« La réponse à cette question implique un aveu qui me semble trop intime. Je pense que je vous ai évité par une sorte de crainte de rencontrer mon double.»


– Intarissable, vous êtes intarissable...
– Moi aussi je pressens qu’il y a derrière ce que vous dites... ou plutôt devant, comme un rideau.
– Un rideau de théâtre, cher ami. Je vous le rappelle, nous sommes des acteurs.
– Qu’est ce donc que cela?
– Les acteurs sont les représentants des auteurs.
– Et les auteurs?
– Ce sont ceux qui écrivent les histoires.
– Je croyais qu’il n’y en avait qu’une.
– C’est normal, je vous l’ai dit et redit, à la fin il n’y a plus qu’une seule histoire...
– ... mais... je pressens que vous allez dire mais...




– Le mais... viendra plus tard. En ce moment-ci observez combien et surtout comment Candide explore le monde...
– Lui aussi est un acteur?
– Nous sommes tous des acteurs...
– Sauf...


samedi 24 août 2019

(24) Allant vers


« Le fantastique […] ne dure que le temps d’une hésitation: hésitation commune au lecteur et au personnage qui doivent décider si ce qu’ils perçoivent relève ou non de la réalité, telle qu’elle existe pour l’opinion commune.»

Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Seuil


Neuf-cent-cinquante-troisième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Rouge


Longtemps, dans mes cahiers, à l’origine lointaine et relative, j’ai essayé de présenter des faits concrets avec constance et idéalisme, pourtant l’ensemble n'a jamais eu, au sens classique, la prétention de raconter une histoire. Ceci dit, cela n'en empêche nullement la possibilité d'autant que, c'est bien connu, l'histoire vient en dernier... bien après que les fils se soient déroulés. Il se peut que cela se voie, que vous le voyiez ainsi, qu'il n'y paraisse rien ou que vous ne pouviez le voir...
Je sais qu'en quelque chose qui s'approche d'un commencement, j'étais une sorte d'humaniste qui, à contre-courant, ne visait aucun consensus. Pour reprendre les termes de Sartre : je ne  ne vivais plus les aventures d’un «homme à l’endroit, transporté dans un monde à l’envers», mais celles d’un homme «à l’envers, dans un monde à l’envers».
Mais, visiblement, ma tête, malgré de grands efforts, était ailleurs tant pour moi la situation sociale des êtres humains est débilitante, asservissante, marquée par la croyance en la puissance et surtout au travail fondée sur la cupidité. J’ajouterai à cela que, j'en ai le profond sentiment, depuis le début de leur existence, les êtres humains sont tributaires des croyances dans lesquelles ils baignent littéralement et pour lesquelles ils sont formés!
Il m'arrive d'énoncer et souvent, quand la dose est largement dépassée, je diagnostique et dénonce ce que j'entends. Sans restriction ni faiblesse. Dans cette très masculine association je racontais, sans mépris, au plus près de ma conscience, les bêtises que j'entendais. Dieu sait combien et à quelle dose!

(24) Épargné





– Saviez-vous que notre maître avait de nouveaux élèves?
– Comment le savez-vous?
– Je m'en doutais depuis un certain temps déjà...
– Vous l'a-t'il suggéré?
– Non, pour la plus simple des raisons...
– Laquelle?
– Nous n'avons plus aucun contact.
– Et cela ne vous manque pas?
– Pas le moins du monde.
– Êtes-vous fâché?
– Pas le moins du monde.
– Alors comment l'avez-vous su?
– En réalité quand je vous disais que nous n'avions plus aucun contact, ce n'était pas exactement cela.
– Vous m'avez menti!
– Non, je vous ai épargné...
– Expliquez moi!
– Vous l'aurez voulu...
– Ou alors c'est vous qui le vouliez et qui avez fait de telle sorte que je le dise... Vous ressemblez de plus en plus à votre maître!


(24) Vrai


« Railleurs,
pardonnez au bateleur
arquebouté sur sa rame
étroite
aussi
longtemps
qu’il fut.


Ici, commence sans fin la course.
Au sommet le plus pur de sa source
Où rien n’en concilie les ébats
Ni rayon, ni courant, ni vent de face ;
La main s’allonge, s’agite et se ferme
Et ouvre plein champ
le sombre chantier de la honte
et les impures sillons de la caste.»




Neuf-cent-cinquante-troisième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Rouge


Je rêvais de vrais dialogues, pas d'histoire, pas de quête, pas de finalité, pas de hiérarchisation, pas de valeurs positives, pas de morale... De quoi rêvais-je alors?... de vérité... et, en vérité, je n'y allais pas de main morte! Certes, la dénonciation de la Piste et des Acrobates de l’Esprit et du Mot peut paraître féroce et ne correspondait pas toujours, en apparence du moins, aux principes en vigueur... mais l'attitude des membres du Mouvement, elle aussi, en de nombreuses circonstances, ne correspondait pas du tout aux valeurs qu'elle était censée promouvoir! Loin d'exagérer... qui pourrait deviner ou simplement croire que, pendant bien longtemps, j'ai été plus qu'indulgent...

(24) Vaines interrogations





Les Mémoires de Candide
Réunies hors limites des hasards où il tente de vivre

Il est des lignes que l’on trace avec le pinceau ou le crayon et d’autre, comme une goutte de pluie glissant sur la fenêtre fermée, sur la roche polie d’une montagne ou la ligne sinueuse d’une rivière que la nature trace par elle-même.
Ils, ces hommes qui m’entourent, voient tout de moi. Comme la pluie tombant du toit sait tout de ce sur quoi elle ne fait que glisser. Peut elle se douter de ce qui s’abrite en dessous? Ils ne savent que ce qui peut se voir de l’extérieur. Mais qu’en est-il de ce que je pense et qui, dans une faible mesure, donne corps à mon apparence? C’est bien pour cela qu’ils m’interrogent... Mais sont-ils capable de déchiffrer le genre de réponse que malgré les barrières qui nous séparent, je leur donne? Il est des interrogations qui sont vaines...


vendredi 23 août 2019

(23) Une certaine richesse



Les Mémoires de Candide
Réunies hors limites des hasards où il vit

Que de contrastes entre la richesse feutrée de l’imagination et l’âpreté presque rugueuse de la réalité. Entre la douceur de certains rêves et la déchirure violente du présent il y aurait toute une gamme de banalités qui me rendait presque indifférent au désir. Dire cela et surtout le lire ne peut pas vraiment rendre compte de ce que fut ce moment là pour la raison simple qu’à cette époque là je n’avais point accès au dire... Je sais combien il est difficile d’imaginer le monde sans les mots qui nous constituent.


(23) Cela était


« L’homme n’est pas un pur esprit, l’homme n’est pas une machine à construire du savoir et surtout pas à avaler et stocker du savoir, le problème est bien là : pour l’épanouissement, pour ce que Nietzsche désigne comme le bonheur, qui suppose une manière de coller au présent, d’épouser le présent, il faut avoir un minimum de liberté, de légèreté, ne pas être écrasé par le poids du souvenir… C’est l’une des directions qui permettent de commencer à comprendre pourquoi Nietzsche valorise l’oubli. Nietzsche fait un rapport au modèle animal qui est très parlant : l’animal ne connaît pas les angoisses, les crises d’identité qui sont devenues le lot commun de l’homme contemporain et Nietzsche l’attribue notamment au fait que l’animal ne souffre pas de cette hypertrophie de la mémoire qui surcharge, paralyse les régulations vitales fondamentales… L’animal vit dans l’instant.»
  Patrick Wotling





Les Mémoires de Candide
Réunies hors limites des hasards où il vit

 
C'était une période bizarre. Elle ne dura pas très longtemps. La seule chose qui me venait à l’esprit, en dehors des questions qui tournoyaient assidument autour de moi, était une réponse... Une toute petite réponse informelle. Elle était là tout autour de moi... C’était une sorte de certitude... non... la certitude implique la disparition du doute... plutôt une sorte de savoir... qui n’a que faire de cette lutte entre l’ombre et la lumière, entre le vrai et le faux... Comme les pièces d'un puzzle dont certaines pièces pouvaient se mettre à la place de certaines autres, cela était possible, c’est tout. Et ce qui était, justement... je ne voulus point l’apprendre... sur le moment... Je finis par l’apprendre pourtant... beaucoup plus tard...


(23) Par paquets entiers





Les Mémoires de Candide
Réunies hors limites des hasards où il vit

Le temps fait son œuvre. Il élimine ou transforme, un par un, quand ce n'est par paquets entiers, les souvenirs qui encombrent son passage.

jeudi 22 août 2019

(22) Faute de...


« Tout alors était si étrange et... tant qu'il n'y eut personne qui sache poser la vraie question, celle qui précisément ouvre la pensée et pouvait faire que le naufrage annoncé puisse être évité. Peine perdu, il a eu lieu. Ce ne fut certes point faute de délibérations, de résolutions ou de négociations, non, ce fut faute de savoir exprimer, partager et surtout d'accepter la diversité des points de vue. La mémoire des uns n'égale point la mémoire des autres... du moins à courte échéance. Pour ce qui est de l'oubli, c'est plus simple, il suffit d'attendre...»




Les Mémoires de Candide
Réunies hors limites des hasards où il vit

Je ne sais ce qu’ils pensaient, pour mon compte...

(22) Hors piste


« Dans les brouillards épais de l'esprit, chaque argument laissait place à son contraire et le panache des uns rejoignait le panache des autres. Tels des pirates à l'assaut de leur propre bateau si bien que l'on entendit plus que l'on ne vit alors l'impensable: les canons de tribord furent retournés vers bâbord et les canons à l’opposé furent retourné vers tribord. Seule cette valse ne fut point sans une sorte de grâce. Les sales gueules des canons se faisaient face. Il est facile d'imaginer ce que la moindre étincelle, qui ne manqua point, était capable de faire. Mille éléments insaisissable ou inconnus firent mieux que le meilleur des romans et toutes les perplexités d’une situation plus que jamais compromise ressemblaient à s'y méprendre, du côté des ambassadeurs, directeurs, officiers, glaives et marteaux, plumes et gants, maillets et planches, ballets et parquets cirés, miroirs et accoudoirs, glissades et colonnades, décorations et mascarades, à la prise de la Bastille. Sans aucune noblesse, un feu d'artifice de haut rang il y eut, de peuple, il n'y eut pas. Chacun, du plus grand au plus petit, était devenu roi et savant... Créant le monde à son image, chacun était devenu prisonnier de son dessein et l'autre crétin, malandrin. Sans la conscience, la resplendissante dissonance des volontés, vague reflet de tout ce qu'ensemble ils avaient patiemment construit, masquait à peine une mielleuse cacophonie flottante sans que personne ne veuille se rendre compte à quel point l'égarement était grand. Au gré des humeurs, au hasard des incidents, le brouhaha de la fête et l'oscillation perpétuelle du pendule entre la paix et la guerre ponctue, presque en silence, l’histoire mouvementées des hommes. Longtemps encore, envers et contre tout, splendides et interdites messes basses hésitent entre la caresse et le meurtre. Sans aucun doute, on en reparlera...»



Les Mémoires de Candide
Réunies hors limites des hasards où il vit

Je ne sais ce qu’ils pensaient, jamais je ne le leur ai demandé. Peut-être eussent ai-je dû, je ne le sais. Déjà j'entendais, tapis derrière les oripeaux, ce qu'ils désiraient ne pas voir et entendre... Pourtant... cela eût permis d’éviter certains événements désagréables qui eurent lieu beaucoup plus tard. Qui sait ? Un jour ou l’autre tout finit par se savoir... Mais qui et quand peut-on savoir vraiment ?
Quant à moi, en ce moment-là, comme l’histoire prend place sur la page et la page en un livre, j’avais en quelque sorte quitté la piste, ses décors en lambeaux et traversé un lieu que je ne reconnu point mais dont pourtant certains aspects me parurent familiers. Les lucioles, comme si elles faisaient corps avec moi, m’avaient accompagné. Loin d’illuminer la moindre scène elles se contentaient de former des ensembles que sur le moment je ne distinguais point.