mercredi 31 mai 2017

Huis clos

"Et ce pourquoi
Vous aviez cru être venu est seulement
La coquille, la cosse d'un sens
Dont le propos ne se dégage qu'une fois qu'il est accompli
Si toutefois il l'est" *



Damon et Platon le Petit peinent à trouver leur équilibre et plus encore à rejoindre le cube qui leur échappe.

 – Rassurez-vous, la folie n'est pas toujours l'opposé de la raison.
– Comment cela?
– De bévue en bévue le chemin est long... et il se pourrait que la folie soit une part active de cette raison que vous semblez vénérer. 
– Facile à dire...
– L’œuvre est loin d'être finie. Si nul ne peut se douter du rôle qu'il est amené à jouer, chacun gère au mieux, mais il n'est pas simple de vouloir se passer de la complexité... tout est affaire de réaction...
Il faudrait souligner à quel point ce travail de compréhension devrait être pour nous "l’occasion de réfléchir, dans le contexte critique de menace et de désespoir de l’époque. De cette réflexion, devrait naître notre propre philosophie et surtout notre pensée poétique – contre le désespoir, absolument"**.





*  Little Gidding, in Quatre Quatuors, T.S. Eliot

 ** Librement adapté de:
https://palimpsestes.revues.org/106

 

Corps et âme dans le brasier?

 


Face au feu, l'enfant prisonnier des liens qui l'entravent et du bandeau qui l'aveugle ne sait s'il ose douter... Jusque-ici, il a été éduqué à dire oui... à ne pas répondre... surtout qu'il sait que le moindre mot de travers fait de l'ombre à son père qui à son tour, devient ombrageux... Il sait aussi que les limites qui sont les siennes n'ont aucune communes mesures avec celles de son père. Pourtant, il le sait non dénué de qualités. Toute discussion à ce propos ne serait qu'insolent défi intellectuel de la part d'un enfant qui prétend savoir. Mais... de là à se jeter corps et âme dans ce brasier... il n'y a plus qu'un pas...

On me rapporte que le doute s'est emparé de ton esprit, mais ne t’en fais pas. Je puis te rassurer, si, pour toi, le but est encore fort éloigné, d'autres que toi se sont trouvés dans la même situation. Il est temps pour toi de devenir un homme comme moi. Un vrai, celui qui doit rejoindre l'Ordre du monde. Le Vrai, l'Unique. Notre Ordre. Fais-moi confiance! Crois-en ma longue expérience. Croyez en moi et nous serons là à vos côtés chaque fois que tu en auras besoin et nous serons alors fier de vous avoir éduqué.

Les passages du je au nous puis au vous eussent dû éveiller quelque soupçon dans la tête du jeune Platon, de même que cette notion de croyance, un peu bizarre quand même...  mais justement, il était bien trop jeune... et le feu qu'il ressentait à l'intérieur ne ressemblait nullement à celui auquel il lui fallait croire.
Le père de Platon l'Ancien, Gabar Pontifex, ne fait pas seulement construire des ponts plus ou moins instables, mais aussi et surtout, comme vous pouvez le constater s'acharne sans ménagement à devenir un grand Illuminé. De plus, avec la plus pure abnégation, il consent, par bienveillance et fraternité, à ce que l'on devienne à son image. Sur la voie de la connaissance il lui arrive de plus en plus souvent de se se prendre pour Prométhée. 
 
L'enfant a bouche close. Le bandeau qui jusque-là lui couvrait les yeux sur sa bouche aussi s'est répandu. Il ânonne une réponse qui forcément, au vu de la situation, est mal comprise... La réponse ne se fait pas attendre dans la bouche de notre illuminé:

Faux, répond-il, toujours avec bienveillance, mais avec virilité, enfin... ce qu'il considère être la virilité des origines... sans la dégénérescence et surtout la décadence d'un présent indigne d'un Porteur de Lumière. Depuis la nuit des temps, riche pauvre ou puissant, le charbonnier n'est-il maître chez soi... et puis, je t'en parle au regard mes trente-cinq ans d'expérience de ma vie d'Initié, vous apprendrez, jeune homme qui doit mourir, qu'il vaut mieux être reconnu par notre cénacle que par les «autres»: ceux qui vivent dans l'ombre. Ceux en qui la haine, l'erreur, l'obstination n'ont jamais cédé malgré notre incessante et bienveillante activité.

Emporté et littéralement "assoiffé" par cet élan qui crée l'unanimité et la transe parmi les siens:

– Regardez, vous tous qui "croyez en moi, com­bien les Lumières plu­tôt que d’éclairer peu­vent pro­je­ter des incen­dies qui s’avérèrent jus­ti­fiés". Que le feu et la lumière sur notre peuple, que dis-je... sur notre famille... notre peuple est notre famille... projette ce qui doit renaître à l'intérieur de nous-même...



Ses joues sont rouges, il se souvient, un peu confus, mais point contrit, que le pas n'est pas encore franchi. La porte est encore fermée. Rien n'est encore acquis. Il se reprend. Essoufflée, sa voix se fissure :

– "Au siècle des siècles, faites mieux que mieux, ce que je n'ai cessé de faire... "

L'enfant, on le comprend, n'y comprend rien.







mardi 30 mai 2017

Piège sans fin ou porte des possibles




 – Pourriez-vous me dire, cher Damon, ce que sont ces ponts que Gabar Pontifex fait surgir comme s'ils étaient l'effet de sa volonté?
– Ils ne sont pas l'effet de sa volonté...
– Alors... que sont-ils?
– Ils sont un désir. Le désir qu'il a et qui se mélange à ses fantasmes...
Les images seraient, selon les spécialistes, à la fois une mise en abyme et un medium entre parole et silence. Elle renvoient à un récit sous-jacent. Un récit souterrain se développe  comme un chemin visible du dehors et non signalé dans le récit lui-même. S'il vise à dépasser le langage verbal par le biais du silence, ce silence n'en est pas vraiment un...
– Que voulez-vous dire?
– Que le langage visuel , tout le langage écrit se prononce... certes dans le silence de la pensée, mais il se prononce. L'image se décrit tout autant qu'elle est décryptée...
– Sinon?
– Sinon elle n'existe tout simplement pas.
– C'est-à-dire?
– On ne la perçoit pas. On passe à côté sans la voir. Celui qui voit une image déroule une parole dans le secret de sa pensée... et construit un récit qui n'existe que là ou qui rejoint un récit déjà bien implanté.
– Et dans notre cas, ces images sont-elles réelles?
– La réalité est une image dans laquelle toutes les images se rejoignent, mais curieusement, pour répondre à votre question aussi simplement que possible, oui. Ce sont de purs fantasmes, certes, mais l'enfant Platon l'Ancien, par sa capacité enfantine, rejoint le fantasme de celui qui nous est présenté comme son père...
– Vous voulez dire que...
 – Je veux dire que le point de départ de point de départ, qui nous permet de mettre en lumière toutes choses, ne nous est pas connu... Et si l’on prend en considération cette mystérieuse incertitude alors va s'ouvrir l'immensité des possibles.
– Ou le piège sans fin du nihilisme... ou le chagrin des démons... mais revenons au début: vous disiez que ce n'était pas sa volonté mais ses désirs qui faisaient apparaître ces ponts.
– C'est cela.
– Mais quelles serait la différence selon vous?
– La différence est essentiellement dans le fait que ses désirs ne viennent pas de lui même et que c'est pourtant cela que voudrait sa volonté. 
– Comment voulez-vous que je comprenne cela?
– Plus simplement , ses désirs sont apparus sans qu'en cela il ne prenne de part active. Les désirs son là et l'homme sans volonté cède à ses désirs...
– Pourquoi?
– Simplement parce qu'ils sont là.
– Et la volonté?
Elle exige de bien difficiles acquisitions...

 

lundi 29 mai 2017

Tout

«Tout ce qui se dépose en nous, année après année,
sans que l’on s’en aperçoive:
des visages qu’on pensait oubliés,
des sensations, des idées que l’on était sûr d’avoir fixées durablement, puis qui disparaissent, reviennent, disparaissent à nouveau,
signe qu’au-delà de la conscience
quelque chose vit en nous
qui nous échappe mais nous transforme,
tout ce qui bouge là,
avance obscurément,
année après année, souverainement,
jusqu’à remonter un jour
et nous saisir d’effroi presque,
parce qu’il devient évident
que le temps a passé et qu’on ne sait pas
s’il sera possible de vivre avec tous ces mots,
toutes ces scènes vécues, éprouvées,
qui finissent par vous charger
comme on le dirait d’un navire.
Peut-être est-ce cela que l’on nomme sagesse…»*


 



 * Écoutez nos défaites, Laurent Gaudé


 

Scrupule

"Les anthropologues ont acquis une grande maitrise au cours du dernier siècle pour faire parler les plantes, les animaux, les rivières et les bois à travers les humains de toutes sortes qu'ils étudient, Partout dans les sociétés dites «traditionnelles» - et même parfois chez les modernes -, des gens disent qu'ils communiquent avec des non-humains dans les rêves , dans les rites ou dans leur for intérieur, que les tapirs, les caribous ou les loutres se voient comme des humains et que ces espèces s'imaginent donc vivre dans des sociétés avec des règles analogues aux leurs, ou que les tigres et les jaguars, compétiteurs des hommes, peuvent aussi parfois passer contrat avec eux. Autrement dit, c'est la chose la plus commune que de voir le monde naturel comme peuplé d'êtres  et de phénomènes qui se comportent comme des humains. En décrivant ce genre de situation, les anthropologues ont longtemps assumés que les idées que les humains se forgeaient des plantes et des animaux étaient la simple projection sur les non-humains des normes et des conventions qu'ils avaient développé pour se gouverner eux-mêmes. Les règles de la parenté auxquelles les toucans obéissent en Amazonie sont les mêmes que celles des peuples avec lesquels ils cohabitent, du moins c'est ce disent ces derniers: les villages d'hiver des rennes de Sibérie sont organisés de la même façon que ceux des gens qui les chassent, du moins c'est ce que ceux-ci prétendent. On aurait donc eu scrupule à ne pas suivre les interprétations que les peuples concernés fournissaient spontanément." *


... Tout comme vous devriez avoir scrupule à ne pas croire simplement que les gens de la sorte de Damon puisse être en tous points semblables à ceux de la sorte de Platon le Petit chien ou encore à Platon l'Ancien... ce qui semble un évidence...

... et pourtant...


* Comment pensent les forêts, Eduardo Kohn, Zone Sensible


dimanche 28 mai 2017

Invisible dans le brouillard

“Ce n’est pas tant l’intervention  de nos amis qui nous aide  mais le  fait de savoir que nous pourrons toujours compter sur eux.”*



Il est certaines idées qui deviennent incompréhensibles non par ce qu'elles sont mais à cause du brouillard qui les enveloppe. Certes, ces "choses" ne sont pas toujours entièrement responsable de cette opacité, mais elles peinent à les combattre "par temps clair ou par beau temps". **




Ainsi en était-il du cube sur lequel avait été emmené Platon l'Ancien par son père Gabar Pontifex. Sur son sommet invisible, il y avait un entrelacs fait de brouillards, de bric et de broc, de légendes, de discours, certains accidentels et bien d'autres correspondant à une liturgie dépassée. En tous cas à quelque chose de parfaitement inaccessible pour un enfant de l'âge de Platon qui ne s'appelait pas encore "l'Ancien", comme on peut s'en douter. 




Le tintamarre qui s'y ajoutait était lui aussi impénétrable. Il fallut bien du temps à l'enfant pour enfin discerner... qu'il n'était pas au bout de ses peines. Il n'y avait au sommet du cube, une fois mis à part ce qui a été dit et qui peine à se dissiper, qu'un grand trou duquel sortaient les même flammes qui illuminaient la mer quelques instant auparavant.


* Épicure, Lettre à Ménécée

** Le temps clair ou le beau temps est une particularité affirmée d'une masse de gens pour qui la beauté serait un ciel dégagé un ciel où le soleil ou les étoiles sont visibles sans que rien ne les voile... si l'on prend en comptes que le beau temps peut s'établir la nuit aussi.




samedi 27 mai 2017

Hors du temps

L’origine de tout travail artistique repose sur une question d’apparence naïve:
– Que perçoit-on quand l’on regarde, voit ou entend quelque chose?
Quel est le sens de la réalité qui nous serait ainsi donnée?


La scène de cette histoire n’est pas situable sur la scène du monde, ou plutôt elle se confond avec d’innombrables décors, forts différents les uns des autres mais qui,  « de même qu’à la distance voulue, plusieurs lignes de montagnes séparées ne sont qu’un seul horizon»*, ne forment ensemble, comme hors du temps, qu’une seule et unique mise en scène inapprochable comme le point de fuite d’une perspective…




 C'est dans cette perspective ou cet ordre très provisoire, que Platon l'Ancien encore enfant aperçu pour la première fois cet être gigantesque dont, bien des années plus tôt, il avait entendu conter les exploits.



* Le Soulier de satin, Paul Claudel 



Témoin

« Tous les hommes qui ont des yeux ont été quelque jour témoin. »*

"Au centre d'un trou noir se trouve une région dans laquelle la courbure de l'espace-temps tend vers l'infini, car toute la masse y converge. La description de cette «singularité» est un vrai casse-tête théorique, encore non-résolu, car elle doit tenir compte d'effets quantiques non inclus dans la relativité générale. Néanmoins, comme cette singularité ne saurait influencer l'espace-temps extérieur à l'horizon, notre incapacité à la décrire correctement ne remet pas en cause l'aspect du trou noir considéré depuis notre côté de l'horizon. Il y a juste une zone obscure, du point de vue théorique, au cœur du trou noir."*



Au centre de Platon se trouve une région dans laquelle il serait impensable de vouloir se projeter. Elle tend vers l'infini et Platon, dans son entier, y converge... L'opposition que nous considérons, probablement à tort  comme inconciliable, entre la nature matérielle et la nature spirituelle est la source du conflit qui lie Platon au reste, presque.., et pour quantité d'autres raisons, de l'humanité.

– Tout le problème réside dans la difficulté à relier les deux...



* Maurice Merleau-Ponty, L’œil et l’esprit, Gallimard


 ** Les idées noires de la physique, Vincent Bontems & Roland Lehoucq


 




vendredi 26 mai 2017

Invisible présent

– Le flux constant des souvenirs submergerait-il presque permanence ce qui est là: plus de la moitié du monde ?



Platon n'en est pas à un paradoxe près. À peine ses pieds prennent-ils leur envol que sa tête danse... Ce qui immanquablement met en éveil une part de ce qui y dort..

– Plus de la moitié de ce qui est là ou que nous croyons être là sous nos yeux ne sont que des souvenirs qui habillent de passé un invisible présent...

Maigre moisson

Le choix d'un texte, si brillant soit-il, n'est guère que la maigre moisson d'un marcheur, instable par définition, traçant entre les lignes un chemin sans lendemain. Tout est là qui le regarde. Il y tend la main, pose son regard sur ce qu'il peut sans que rien n'ait rien à craindre. Ses pieds n'en font qu'à leurs têtes sans jamais s'enraciner. Bientôt, tout comme le bouquet, il sera fané et ne rendra compte du long et complexe parcours, des pieds à la tête, comme un impossible récit suivi à l'oreille par un sociologue amateur ou distingué, qui n'aurait jamais cessé de s'intéresser à ce qu'il croyait être la réalité sociale.



 – Combien chaque chose ne cesse de se dénaturer  à mesure que s'y ajoute les adjectifs. 


 «La pauvreté, la corruption et le despotisme sont le lot quotidien, non seulement du tiers ou de l'autre monde...





... mais du monde entier, dans ses moindres détails et en particulier celui de chacun...»

Platon l'Ancien nous dit:
– Je me suis toujours intéressé à ce problème. L'an dernier encore, j'ai engagé une correspondance avec un général qui fit partie de mes connaissances, ancien directeur du musée à son nom. Il m'a confirmé que la garde de cette époque était assurée...

jeudi 25 mai 2017

Epreuve du feu

Rien ne nous prépare vraiment aux spectacles grandioses qui nous attendent... Enfin, c'est ainsi que cela se dit... c'est ainsi que disent les hommes... et c'est ainsi que cela prend place dans l'esprit devenu malléable de l'enfant obéissant. Or tous les enfants ne le deviennent pas... Ainsi en avait-il été pour Platon devenu l'Ancien. Bien des années plus tard, le voilà devant le cube qu'il connait sans le connaître avec le souvenir de ceux qui disaient le connaître...




– Tout cela ne vaut pas le feu qui le consume...


Retrouver le chemin n'est pas une mince affaire. Excepté peut-être pour celui qui sait reconnaitre les détours, les chausse-trappes et l'illusion.


mercredi 24 mai 2017

Se parer de l'aura du doute

Comment se parer du vrai et faux, du feu et de l'eau?
Platon comme chacun est double. Rien à redire à cela... C'est banal. En douter serait la vraie question... Mais douter est tout aussi banal... 



Comme chaque jour, Platon l'Ancien, rédige.

"Aujourd'hui, dans l'inconfort et l'apaisement le plus parfait qui puisse être, tous ces discours flamboyants aux mots innombrables, comme l'étaient ces plumets de feu sortis des profondeurs accompagnés de leurs innombrables gardiens d'écume, gardiens des lumières au-dessus des ténèbres, fumets de vœux pieux, cortège de souhaits enrobés de bienveillance, plantés et planant dans la sauce de l'oubli ou dans l’atmosphère pesante et sucrée des liturgies, me paraissent comme autant de fumerolles dans la main d'un imposteur ou d'une imposture...
Les choses vont de soi...
Les choses doivent aller de soi...
Qui a jamais compris ce que veut dire cette expression: «Aller de soi»? 
Quand et comment a-t-il été décidé que réfléchir, raconter, chercher ou étudier était à considérer comme "non conforme" aux intérêts généraux? Pour quelles raisons mystérieuses l’ont-t-ils fait... et continuent-ils de le faire?

De bien trop vastes questions, sans doute, d'autant plus qu'il n'est rien d'aussi infidèle qu'un récit ou une image. Mais y a-t-il d'autres moyens pour accéder, ne serait-ce qu'un tout petit peu à cette entité étrange nommée vérité?"



mardi 23 mai 2017

Un lecteur averti en vaut deux

Il avait de l'esprit sans le savoir et quand il lui arrivait de le savoir celui-ci immédiatement le fuyait... S'il amuse c'est tant mieux, s'il dérange c'est encore mieux...




Platon, au fond de lui, est reconnaissant; vous lui avez souri. S'il ne le montre pas, c'est qu'il aime la discrétion.
Que doit-il à «ses» lecteurs que pourtant il ne possède pas et à qui, surtout, il n'appartient pas...
Quel sorte de temps lui ont-ils consacré et pareillement pour lui...
Quels sont ces moyens dont nous usons habituellement pour établir des connaissances fiables afin de cerner cette différence essentielle qui déterminerait ce qui est la réalité de ce qui ne l'est pas?
Et beaucoup d'autres questions dont il ne connaît pas l'origine...


Sagesse populaire:

Les aléas de la vie sont ce qu'ils sont... on ne peut en douter... Questionner sans cesse ou l'inverse... il serait peut-être... et aurait meilleur temps de n'en rien faire.

Platon essaie de prendre son temps et patiemment rédige son journal: 

"Il est bon néanmoins d'avertir le lecteur que ces aventures-ci sont réellement vraies pour le fond. Ce n'est même que la crainte que l'on ne reconnaisse pas les acteurs qui nous a fait supprimer le nom du théâtre où se sont passées les scènes les plus intéressantes. Depuis que les romanciers ont si bien su dépayser le lecteur, qu'il se donnerait au diable que leurs ouvrages sont des histoires, depuis que les historiens se sont tellement attachés au merveilleux, et depuis que le lecteur ne démordrait plus pour un empire de l'opinion qu'il a, que tout ce qu'il est n'est que roman; ni l'un ni l'autre, romancier ou écrivain, de ces deux métiers ne vaut la moisson. Ainsi on pensera ce qu'on voudra de mon ouvrage; s'il amuse*, c'est mon but."


*... ou, au pire, s'il s'amuse...




lundi 22 mai 2017









dimanche 21 mai 2017

Pontifex Maximus

"Le pire n'est pas toujours sûr."*

En ce temps-là... il y a longtemps, loin de tout... et bien après que, alors qu'il n'était encore qu'un enfant de trois ans, Platon l'Ancien se soit perdu dans les bords déchiquetés de la mer et que son père l'ait longuement cherché et retrouvé, il subsistait toujours en Platon un petit monde en miniature. Une petite part de lui-même qui, en général, est nommé souvenir. Certes, un souvenir n'est qu'un récit qui dépend des circonstances, mais qu'y-a-t'il d'autre que les récits?



Ainsi, dans son souvenir, il y a moins longtemps, le père de Platon l'Ancien: Gabar le très Ancien, du fait de sa connaissance des passages se faisait appeler le Pontissime... puis plus tard, en sautant: le Pontifex Maximus...



 Dans l'histoire qui nous occupe, ayant emmené son fils, Platon l'Ancien, après l'avoir fait quitter la terre en l’emmenant sur l'eau, au grand péril des airs de la mer et traverser le feu pour accéder au pont qu'il connaissait. Tout cela avec grande facilité.



Il en allait tout autrement pour le fils supposé du Pontifex Maximus... Si ce dernier, par la grâce des artifices parfaitement maîtrisés, pouvait aisément se mouvoir dans ces décors, le fils, lui, aveuglé autant par les fumerolles que par l'enchevêtrement chaotique des éléments disposés savamment sur son passage, c'est-à-dire au hasard, ne parvenait, comme on peut s'en douter, à reconnaître le vrai du faux.

– Pourquoi dites-vous: le fils "supposé"?
– Eh bien comme chacun peut savoir les histoires de famille ne sont jamais aussi simple qu'elles paraissent et la paternité est certainement la certitude la plus improbable qui puisse être... et les résultats du passé n'indiquent en rien ce que sera l'avenir...
– Vous êtes bien énigmatiques! Mais voyez comme moi aussi, même si je ne vois rien, je le sens... je vais accéder au sommet du cube! Il y a comme une force invisible qui me soutient...


* Le Soulier de satin, Paul Claudel

samedi 20 mai 2017

De la multitude à l'unique

« Le Dieu inconnaissable se montre de façon connaissable par le monde, dans le miroir ou en énigme.»*

Damon, subitement a disparu. Conformément au fait qu'il est un daemon et à sa nature de pur esprit, si sa voix se fait toujours entendre, sa présence se fait nettement sentir, aucun doute n'est possible, cependant Platon le Petit ne peut se résoudre à parler avec cette absence...


– Imaginez, cher Damon, que penserait quelqu'un qui me verrait dans cette inconfortable situation?

– Il penserait certainement que vous êtes en train de parler avec vous-même et ce ne serait pas bien grave. Vous n'imaginez peut-être pas combien cela est fréquent...

– Il se peut que vous avez un peu raison, mais revenons à mon père et au père de notre maître. Comme vous le comprendrez, il existe de nombreuses similitudes entre eux et nous, mais on peut aussi dire que les différences étaient bien plus nombreuses encore..

– Dites-moi lesquelles... 

– Pour commencer, la plus grande des différences entre eux et nous, c'est que le père de Platon l'Ancien, aussi... confus et brouillon et autoritaire qu'il fut la plupart du temps, connaissait le passage pour accéder au grand cube.

– Vous lui reconnaitriez donc certaines qualités...

– Assurément...

– Vous dites "assurément", mais vous laissez planez trois ponts de suspension...

– Trois ponts de suspension... Joli lapsus...Tout, constamment reste en suspension... Tout comme la fumée reste en suspension, pendant un certain temps, bien après que le feu ait disparu, et continue son voyage en restant visible de loin en loin, quelquefois bien au-delà des lieux où la lumière du feu ne fut visible.



Ainsi le père de Platon l'Ancien: Gabar le très Ancien, du fait de sa connaissance des passages se faisait appeler le Pontissime... puis plus tard: le très Pontissimable, puis encore, l'Éminentissime Pontife, mais c'est une autre histoire. Dans l'histoire qui nous occupe, ayant emmené son fils, Platon l'Ancien, après l'avoir fait quitter la terre en l’emmenant sur l'eau, au grand péril des airs de la mer et traverser le feu pour accéder au pont qu'il connaissait. Tout cela avec grande facilité. Comme vous pouvez vous en douter, il en alla tout autrement pour son fils...



* Nicolas de Cues, "Trialogus de possest" 



 

vendredi 19 mai 2017

Disparition

La psyché sans doute altérée par l'exil, Damon est passé de la multitude à l'unique. Platon le Petit, s'il ne peut en croire ses yeux, et pour cause... mais aussi  ne peut en croire ses oreilles...
– Comment cela, expliquez-moi le mystère du passage de la multitude à l'unique!



Damon, subitement a disparu du monde visible, mais sa voix se fait toujours entendre.

– Voyez-vous cher Platon le Petit, ces flammes qui s'allient aux vagues? On dirait qu'elles veulent  monter à l'assaut du rocher...
– C'est vous que je ne vois pas... cher Damon. Par quelle sorte de magie...
– Si la magie jouait un rôle, ce serait dans le fait que vous ayez pu me voir... jusque là!
– Serait-ce encore quelque jeu auquel vous vous livrez? Ne voyez-vous donc pas que notre situation est périlleuse?
Tout peut être dangereux. Tout comme est dangereux le jeu des mots, exception faite quand on peut en tirer avantage... Mais continuez-donc votre récit concernant votre père et celui de notre maître Platon l'Ancien! Il me semble qu'ils étaient plus ou moins dans la même situation que nous en ce moment même...


– Vous avez raison, il existe de nombreuses similitudes entre eux et nous, mais on peut aussi dire que les différences étaient bien plus nombreuses encore...

jeudi 18 mai 2017

Le feu

« J'ai appliqué mon cœur à connaître la sagesse, et à connaître la sottise et la folie; j'ai compris que cela aussi c'est la poursuite du vent.»*



Platon le Petit et Damon dialoguent sur la plage. Damon a appris que son incarnation était, au mieux, d'un point de vue physique, une pure hypothèse, au pire, une illusion. L'illusion de l'esprit qu'il est censé être. et qui le pousse au questionnement:


 – Dites-moi, selon vous qu'est-ce qu'une âme?
– Les âmes n'existent pas...
– Pourquoi dites-vous cela?
– C'est juste une façon de penser...
– Ce que vous dites n'a pas de sens...
– Je veux dire que parler de l'âme c'est un juste moyen de se donner de l'importance...
– C'est méchant...
– Non, pas du tout. Peut-être est-ce aussi le seul moyen que certains trouvent pour dire adieu quand, pour eux, de dieu il n'est pas question...
– Vous jouez sur les mots. Tout le monde sait que les êtres ont une âme...
– Ce sont eux ou lui qui jouent.
– Qui ça «il »?
– Le monde...
– Et à quoi jouent-ils?
– Ils jouent à avoir une âme.
– Et, selon vous, qu'espèrent-ils gagner?
– Une âme... ou ce qu'ils croient être une âme et puis il se peut que que cela soit «plus facile de vivre avec cette pensée»**... 
– Je ne vous suis pas...
– Revenons à ce que je vous racontais lorsque je vous faisais le récit que me fit mon père et qui concernait Platon l'Ancien, mon maître, alors qu'il n'était encore qu'un enfant et que moi-même je n'étais pas encore né.  Vous-souvenez-vous de ce que je vous racontais?
– Parfaitement, le père Gabar avait emmené son fils Platon sur sa barque légère et ils s'approchaient, excusez-moi,"fastidieusement" du grand et fort mystérieux cube rouge... était-ce par la façon dont vous menez votre récit ou lui sa barque... mais l'ennui me guette un peu.
– Rassurez-vous et pardonnez-moi par avance. Ne le prenez pas de façon personnelle. Rien de ce que je vous raconte ne concerne personne en particulier... Les effets du hasard sont source de ressemblances quelques fois frappantes mais, vous le savez, le hasard est parfaitement impénétrable et s'il n'est pas facile de s'approcher de ce que représente le cube rouge, on n'y parvient qu'au moment ou l'impatience a pris fin et ce n'est pas donné à tout le monde... patience... Platon l'Ancien et son père laissent les vagues les emporter à l'assaut de la falaise rouge. Sous les assauts répétés d'un vent violent et capricieux, ils s’approchent et s’éloignent, montent et descendent... et voilà qu'un nouveau danger les guette. 



– Le feu!


* Ecclésiaste 1:17 

** « Un seul Dieu tu adoreras»  Krzysztof Kieślowski




mercredi 17 mai 2017

La vie est un songe

« Eh bien ! puisque voilà mes illusions tombées, et puisque je suis désormais convaincu que le désir n’est chez l’homme qu’une flamme brillante qui convertit en cendres tout ce qu’elle a touché, — poussière légère qui se dissipe au moindre vent, — ne pensons donc qu’à ce qui est éternel, et à cette gloire durable où le bonheur et la grandeur n’ont ni fin, ni repos, ni sommeil…»*
 


 
Platon l'Ancien, alors qu'il était un enfant a été "sauvé" d'un noyade presque certaine par son père. Il était l'heure de la marée, l'eau montait et l'enfant ne se doutait pas du danger qui venait de la mer. Mais il est, sans que son père n'en sache rien, arraché à la vision d'un miroir de pierre. Depuis il n'ose s'éloigner et ne peut rejoindre le territoire interdit qui pourtant l'appelle. Pour se consoler il joue avec ce qu'il trouve sur la plage et qui sous la magie du regard se transforme presque à volonté...Le moindre bout de bois devient un vaisseau et l'horizon est à portée de main...

« Si nous rêvions toutes les nuits la même chose elle nous affecterait autant que les objets que nous voyons tous les jours. Et si un artisan était sûr de rêver toutes les nuits douze heures durant qu’il est roi, je crois qu’il serait presque aussi heureux qu’un roi qui rêverait toutes les nuits douze heures durant qu’il serait artisan.
Si nous rêvions toutes les nuits que nous sommes poursuivis par des ennemis et agités par ces fantômes pénibles, et qu’on passât tous les jours en diverses occupations comme quand on fait voyage on souffrirait presque autant que si cela était véritable et on appréhenderait le dormir comme on appréhende le réveil, quand on craint d’entrer dans de tels malheurs en effet. Et en effet il ferait à peu près les mêmes maux que la réalité.
Mais parce que les songes sont tous différents et que l’un même se diversifie, ce qu’on y voit affecte bien moins que ce qu’on voit en veillant, à cause de la continuité qui n’est pourtant pas si continue et égale qu’elle ne change aussi, mais moins brusquement, si ce n’est rarement comme quand on voyage et alors on dit : il me semble que je rêve ; car la vie est un songe un peu moins inconstant. »**






**  Pascal, Pensées, n°803

*  Calderon, La vie est un songe


mardi 16 mai 2017

Face-à-face

 Platon l’Ancien, alors âgé de trois ans, a été retrouvé par son père, le Bienveillant Gabar,  qui pense que l'enfant s'est perdu dans les rochers au bout de la plage. Sans intention malveillante, il le ramène de force. La force de l'amour est indispensable, dit-il sans ménagement.

Mais l'enfant emporte avec lui un trésor... Un face-à-face que ni la bêtise ni l'inconscience de ses maître ne pourront effacer.



 – Il m'était difficile de distinguer ce qui d'un côté ou de l'autre agissait sur ce qui ne pouvait normalement être que contraire et qui me semblait, à l'inverse, s'assembler... 

Platon l'Ancien sait depuis toujours que, par force, l'un ou l'autre des côtés cède. C'est l'un ou l'autre. C'est noir ou c'est blanc... et c'est ainsi que l'humanité vogue de catastrophes en catastrophes Platon l'Ancien face au cube sait qu'il existe deux mondes dont l'un doit disparaître au profit de l'autre. C'est la loi des hommes et celle de son père. Dès ce moment, subitement, Platon se trouve précipité dans une expérience existentielle à laquelle rien ne l'avait préparé. Quelque soit son âge et son apparence, un autre homme en lui est venu au monde dont le père n'est plus celui d'aujourd'hui et n'est autre que lui -même.

L'enfant, dans un temps que l'adulte ne connait presque plus:

– Rien de ce qui jusque là m'avait été servi en guise d'éducation ne me semblait plus avoir de cohérence. Comment faire pour détourner l'inévitable «il faut aller de l'avant»?

Sempiternellement la sentence est claironnée sur tous les tons, avec ou sans nuances... 

D'honorables causes (à la sentence sus-citée) sont avancées: l'attachement pour la liberté, l'émancipation de l'individu, l'égalité des chances, la nécessité de l'État, la croyance en l'état et, cerise sur le gâteau: la liberté... La nécessité de s'entre-aider, autrement et vite dit: la fraternité... En complément, ou subséquemment, nous serions tous issus d'un même moule avec le même adn...
Vaste programme qui se résume au vœu pieux: 
«La réussite heureuse»

Naturellement cette réussite est censée être celle de l'ensemble  –l'unification avant tout– et non celle de l'individu qui est forcément un égoïste et donc un danger... surtout quand il ose mettre en cause ce qui prétend être l'ordre et qui pourrait n'être, selon lui, plus encore que "bon sens": dogme, croyance et illusion.

Le résultat ce programme sera celui de toujours, l'ensemble sera soumis à l'aisance et l'arrogance de celui (ou ceux) qui aura su étendre son réseau, qui aura su parler, manipuler tractage et tractations, compétences et auras, idées et clichés, tam-tam, ramdam, tohu-bohu, brillance et humilité, et, surtout, saura prendre en mains en faisant croire qu'en toute humilité et bienveillance ceux qui auront la bonté, la beauté et la clairvoyance de croire en lui et de l'inviter à les guider avec enthousiasme. Alors, c'est promis, il les prendra dans ses bras et, mêlant le particulier et le général, dira, un léger trémolo dans la voix, mais sans l'ombre d'un doute:

– Frères, nous avons survécu!

L'illusion est dans l'illusion: Elle n'est jamais aussi parfaite que quand elle nous fait croire que c'est une illusion...

"Vous m'avez investi du pouvoir qui maintenant est le mien, je ferai votre bien en faisant le mien..."

Ingrat, instable, bancal et ombrageux sera celui qui osera avancer la moindre des critiques. Le malentendu est de rigueur et le discours de taille et d'estoc. Et si, par surplus, celui qui se lève sans avoir levé la main est "nécessiteux", le pouvoir,  quel qu'il soit, sûr de sa force, se "gausse et laisse persiffler".  En définitive, il aura raison. Et puis l'enfance passe, dans quelque temps lui aussi aura raison et la maladie du pouvoir, insidieuse et subtile aura raison de lui. Sa veste, usée naturellement, saura montrer sa brillante doublure. Il lui faudrait tant de patience pour supporter tant de bêtise... d'autant plus que l'oubli, l'absence d'analyse, le manque de conscience, le passage du temps, la cicatrisation, la croyance et l'espoir forment un ensemble qui s'assemble si bien à la maladie et permettre de d'annoncer avec emphase, honneur, cœur et réaction:

 «Il faut tout changer pour que rien ne change»*...

 
* Giuseppe Tomasi di Lampedusa , Le Guépard









 




Qui il voulait être

«C'était une icône en forme de mirage.»

Lourde sera la déception de Platon l'Ancien quand il commencera à comprendre... On se tromperait lourdement en pensant que le père de Platon l'Ancien était tout entier fait de sombres ruminations de (méta)physiciens neurasthéniques. Platon le Petit (chien) poursuit son récit.


Mon maître, à cette époque n'était point avare de mot. Quand il se mettait à raconter cela durait durait facilement des heures et des heures. On eut dit que sa mémoire, loin de se tarir, se déroulait aux rythmes des geste de mon maître et au contact des élément, la terre, le feu, l'eau, l'air qui nous entouraient  et sur lesquelles, à leur merci, nous étions juchés et puis sa mémoire s'enroulait sur elle-même jusqu'à ce que, comme la vague s'écrase sur le rocher, s'éloigne, chassée par les courants contraires, puis, reprenant force, courage et beauté,  elle revient caresser la roche et s'écrase à nouveau. Il me mis en garde contre l'apparente facilité avec laquelle nous nous étions approché du cube.

– C'est une pure illusion! Rien ne peut nous donner l'image exacte de sa grandeur!

Je ne savais pas alors qu'il était en train de devenir le grand Timonier de ce vaisseau. C'est ainsi qu'il le nommait, entre autre appellations...  et c'est vrai que de certains points de vue c'était l'image qu'il pouvait donner.  La devise de mon père, à l'inspiration de saint François de Sales, était "L’amour est ma force, puisse la sagesse en préserver la beauté". C'est précisément à ce moment là qu'il la déclama devant moi pour la première et dernière fois et poursuivit:

– Si l'approche est aisée c'est pour mieux te mettre sur tes gardes.
Sur le moment, je ne sus pas à quoi il faisait allusion - à cette beauté qu'il venait de déclamer et qui ne manquait point de grandeur - ou à ce cube dont nous ne cessions de nous approcher et de nous éloigner. Mais qu'elle s'applique à l'une ou l'autre de ces hypothèses, le sens de cette formule m'avait toujours échappé jusqu'au jour où je compris mieux ce que mon père était... ou plutôt ce qu'il était... et plus encore qui il voulait être.

lundi 15 mai 2017

L'approche

"Que notre chœur chante à son tour
La louange du prince Gabriel;


Il est l'un des sept qui se tiennent

devant le Seigneur Prêts à exécuter ses ordres.

Messager du Ciel, ambassadeur d'en-Haut,

Gabriel quitte les hauteurs,
Et partout d'heureux augure,
Il dévoile au monde les secrets du Tout-Puissant.


Annoncez-nous, ô Gabriel, nous vous en prions,
Le don extraordinaire de la paix éternelle,
Par lequel un jour, pleins d'allégresse,
Nous aurons accès dans la céleste demeure."*





 Platon le Petit et Damon envisage d'accéder au cube devant lequel, à distance respectable, ils naviguent. Platon le Petit raconte à Damon un souvenir d'enfance que Platon l'Ancien, le maître de son père, lui avait raconté. Le père de Platon l'Ancien, prénommé Gabriel n'était pas un personnage ordinaire, loin s'en faut. Un jour, me racontait mon maître, il décida, par respect pour les racines de son nom, qu'il fallait l'appeler Gabar**. Il était doté d'une chevelure quasi léonine, avait le sourcil ombrageux, et, le plus souvent à cette époque-là, portait une immense barbe qui la complétait «virilement». Et s'il visait à en donner l'impression c'était, disait-il, «dans l'ordre naturel des choses: par pure humilité».



– Un jour, comme celui d'aujourd'hui, nous étions juché sur une même barque que celle sur laquelle nous sommes, Platon, l'Ancien, me racontait un souvenir qui lui était venu à l'esprit par la grâce des similitudes de notre situation avec celles de son enfance.

Platon le Petit raconte un souvenir que lui a raconté son maître Platon l'Ancien:

– Il se souvenait avec un mélange de nostalgie et de rébellion de ce jour où il eut l'occasion de monter sur le cube avec son père et d'y faire une expérience tout-à-fait nouvelle pour lui. Ce faisant il ne se rendait pas compte qu'il accomplissait avec moi, exactement les mêmes gestes que son père vingt ans plus tôt. Ce n'est un secret pour personne que les mêmes gestes dans les mêmes circonstances produisent les mêmes effets et qu'il ne sert à rien de contrecarrer les voies impénétrables du destin... enfin ce sont les mots qu'il prononça alors et même si je ne suis pas vraiment pleinement d'accord avec lui je dois admettre qu'en cette circonstance cela fut le cas. 


* Hymne aux vêpres (liturgie franciscaine)

** De l'hébreu:
Prévaloir, avoir de la force, être fort, puissant, grand
Rendre fort, fortifier
Confirmer (une alliance)
Se montrer puissant







Un écho dans le monde infini

«Nous pensons avoir une image exacte de tant de gens, avoir une idée de ce qu'ils recherchent, de ce qui les motivent dans 'existence. Combien de personnes envisageons-nous? Nous pourrions les compter. Mais quand nous commençons à réfléchir au nombre de gens dont nous croyons qu'ils ont, à leur tour, une image exacte de nous, les choses s'écroulent. Qui a une image exacte de nous? Nos parents? Quand je grandissais, les miens en avaient peut-être une. Pendant mon adolescence et même pendant mes études universitaires, ils avaient un commentaire détaillé du quotidien, mais je me rend compte aujourd'hui qu'ils suivaient en fait mon évolution. Ils veillaient sur la croissance  et les besoins temporels du petit enfant  jusqu'à sa maturité, lorsque la créature devient autonome, de manière identique aux autres primates. Quelques part, en chemin, imperceptiblement, comme passant le le milieu d'un tunnel, j'entrai dans l'âge adulte et l'indépendance et m’aperçus que mes parents s'étaient éloignés de ma vie, retournant à  la leur.»*




– Il existe d’innombrables merveille mais cette pierre ne peut ressembler qu’à elle-même.

Il ne sait si ces mots ils les a prononcé à haute voix ou si ce ne fut qu’un écho dans le monde infini de ses pensées, mais, une curieuse écriture pouvait se voir sur la surface polie du miroir en même temps qu’il pouvait l’entendre, vu son âge, mais non la lire:

« Elle te ressemble aussi toi qui en moi a su se voir…»

Naturellement l’enfant ne sut que faire que cet événement et brusquement fut arraché à la contemplation par les bras puissants de son père. Celui-ci était en colère.


 
On peut le comprendre, cela devait faire plusieurs heures qu’il était à sa recherche. Il n’y eu pas moyen de parler du trésor que l’enfant pensait avait trouvé. Pas plus qu'il n’y eu plus moyen, les jours et les années suivantes de retrouver ce qui ne se rencontre que très rarement. Bientôt l’enfant Platon ne s’en souvint plus que comme un rêve.

* À la  lumière de ce que nous savons
Zia Haider Rahman 



 

dimanche 14 mai 2017

Royaumes asymptotiques

«Une estimation (heuristique) du nombre des valeurs propres de frobenius dans la cohomologie évanescente qui sont des unités p-adiques.»*



L'étude des divers groupes censés former l'humanité est bien loin d'être parfaitement connue. Il existe de par le monde quantité de territoires quasi secrets dont la masse est connue sans que leurs réalités profondes n'aient été réellement mises à jour. La plupart de ces mondes sont imaginaires, ce sont des univers parallèles avec leurs propres histoires connues seulement par une poignée d'initiés.  Même si un certain nombre portés par quelques illuminés ont réussi à prendre réellement place sur la terre parmi les hommes, ce sont des utopies dont la croyance reste l'unique fondement. Beaucoup de ces entités parlent leurs propres langues et ils ont, pour la plupart des symboles inventés de toutes pièces ou dénichés et récupérés d'histoires anciennes qui les valorisent.
Sur les traces de quelques-uns de ces royaumes asymptotiques**, comme il aime à se les représenter, Platon, de son monde à lui, souvent ne sait s'il doit rire ou bien pleurer devant ces réalités qui de loin lui paraissaient si belles dans leurs rigoureuses droitures... Au début, comme tout le monde et comme tout lecteur enthousiaste, il y croyait. Tout ce qu'il croyait confortait ce qu'il avait lu. Et puis, quand, de plus près...
Avant cela, prenons quelque distance  et remontons un peu dans le temps, quand Platon l'Ancien avait découvert le cube rouge, il n'était encore qu'un enfant. Un très jeune enfant. Par le plus grand des hasards, il jouait sur la plage et s'était aventuré sur les rochers désertés. Dans une petite grotte à sa mesure, comme il y en a tant, il avait subitement ressenti une émotion face à cette surface si bien polie. Une émotion qui devint très vite une fascination. Ce n'était pas comme les galets ovales ou bien ronds noirs ou blancs qu'il collectionnait. Non, le cube qui s'était présenté à lui ressemblait à un miroir dont les éclats étaient d'autant plus aveuglants qu'ils provenaient du fond obscur de la grotte dans laquelle il avançait. 



* Alexander Grothendieck
Cristaux:
Torsion en cohomologie cristalline 

** asymptotique: 
Qui a rapport à l’asymptote. Il signifie couramment qu'une tendance tend vers une droite (un maximal théorique) en s'en rapprochant de plus en plus sans jamais l'atteindre. Du grec ancien ἀσύμπτωτος, asúmptôtos (« qui ne s’affaisse pas », « qui ne s’écroule pas », « qui ne coïncide pas »).





samedi 13 mai 2017

Pierre cubique

«Je pense parfois que les bons lecteurs sont des oiseaux rares encore plus ténébreux et singuliers que les bons auteurs.»*


 Damon et Platon observent avec un intérêt croissant un étrange cube dont la particularité est que, selon le point de vue où l'on se place, sa taille est plutôt changeante. Ce qui est étrange, c'est que malgré ces changements, dont ni Platon ni Damon ne semblent conscients, il demeure impressionnant, domine le paysage environnant et semble être bien plus grand que toutes les îles qui les entourent.
Damon voudrait bien en savoir un peu plus:

 – Qu'est-ce que c'est que ce cube? Au fond, il me semble que vous ne m'en avez rien dit et il me semble aussi que vous vous avez l'air de le connaître...
– C'est cela... enfin... ce n'est pas tout-à-fait cela...
– Expliquez-moi...
– Pour commencer prenez garde de ne pas vouloir tout simplifier... L'accès à ce cube n'est pas chose aisée.
– Pourtant...
– Croyez-moi, ce n'est pas ce que vous croyez.
– Vous avez quand même l'air de la connaître.
– Je vous l'ai dit... pas tout-à-fait... Il se trouve qu'il y a bien longtemps, effectivement, dans des circonstances bien particulières, j'y suis allé. C'était avec mon père... et lui même accompagnait son maître...



* Jorge Luis Borges, 27 mai 1935
Histoire universelle de l'Infamie 


 

Soleil et pierre cubique




– Aussi loin que je m'en souvienne, je n'ai jamais vu cette sorte de boule là dans le ciel. Savez-vous ce que c'est?
– Mais... c'est le soleil!
– Tiens, je ne l'avais jamais remarqué jusqu'à présent...

Platon le Petit, sous le coup de la surprise, ne sait ce qu'il doit répondre. Il se demande si la question cache un piège tant la réponse lui semble évidente. Si la philosophie sert à mieux penser, penser pourrait ne servir à rien... tout le monde peut le faire... tout le monde le fait... pour quel résultat? Alors? Il sait fort bien que Damon, sur sa lancée, va certainement lui faire un discours. Ce qu'il craint. Il le craint non pas parce qu'il n'aime pas cela ou parce qu'il ne comprend pas. Cela il le sait, mais il ne sait pas pourquoi il n'aime pas... ou quelque chose en lui, qu'il ne connait pas, n'est pas l'aise avec les mots... Mieux vaut laisser faire, laisser dire, essayer d'oublier et aller de l'avant... Un peu perdu dans un sujet un peu trop vague il se souvient soudain et fait montre d'une belle disponibilité:

– Vous me parliez de la formidable pierre de forme cubique et aviez promis d'y revenir. Si nous y allions ensemble.
– Allons, retournons-y et cherchons. Mais si le moment semble favorable, il faut tenir compte du fait qu'on ne peut trouver que ce que l'on cherche... et on ne le trouve pas toujours... Je vous raconterai ce que m'a raconté Platon l'Ancien lorsque, il y a de cela quelques années je fis sa découverte avec lui. Je vous préviens cependant: le voyage est ardu et il se peut que nous devions nous y prendre à plusieurs reprises.

vendredi 12 mai 2017

Utopie et intelligence


Damon et Platon le Petit, juché sur un énorme rocher de forme cubique que l'on eut pu, nonobstant l'isolement sauvage et radical de leur situation, croire taillé de main d'homme. C'était, selon l'humeur, une sorte de  ruine archéologique, vague reste d'une utopie ou vestige d'un temps parfaitement dépassé.


– Pourquoi serait-ce un vestige utopique?
– D'une part parce que ce serait plutôt utopique qu'il y ait un vestige de cette sorte puisque l'utopie, par définition, n'a jamais eu lieu et donc il ne peut y avoir de vestige, et d'autre part, parce qu'il est impossible d'imaginer un cube de cette grandeur qui puisse avoir été déplacé jusqu'ici.
– Pourquoi dites-vous cela? Les roches alentours n'ont-elles pas la même apparence?
 –La forme n'est pas le fond, n'est-il point? Or si  pour la couleur vous avez raison, il n'en est rien pour le fond, je veux parler de la matière. Avez-vous ressenti combien la roche de ce cube était dure?
Aujourd'hui même avec tous les moyens que nous avons à disposition, nous ne pourrions le tailler sans grandes difficultés, que dis-je, d'énormes difficulté. Il faudrait pour cela et pour commencer que cette construction soit désirée, puis que l'on réunisse quantité de moyens tant physique qu'intellectuels, et ceci sans compter que cette roche roche ne correspond à aucun site connu...

– De là à dire que cette roche viendrait de...
– Je vous remercie de me donner l'occasion de couper court et vous prie de ne pas entrer dans cette sorte d'argument, voir même de sottise... quoique...

Platon le Petit voit bien que la suspension du discours de Damon n'était pas dû au manque d'argument ou de lucidité, mais préservait la possibilité de lui faire part quelque arguments tout-à-fait contraires à ceux qu'il exposait, mais, il le sentait bien, ce n'était pas le moment. Il décide de l'aider et revient à la question qui le turlupine.

Tous les faits qui retiennent notre attention sont des sources qui nous mènent au cœur de nos préoccupations. 

Platon le Petit est assez fier de sa formule, mais il sait que sa mémoire le dépasse souvent. Il se reprend et enchaîne.

– Est-ce que l'intelligence peut être collective?
– C'est une bien grande question qui nous réserve bien des surprises.
– Alors... surprenez nous!
– Je vais d'emblée vous répondre oui.
– Ah, voilà qui est surprenant. Une telle rapidité... sans les méandres habituels!
– Patientez un peu. Je vous ai dit que vous seriez surpris, mais il se pourrait que vous le soyez encore.
– Encore les mystères de la pensée... Chassez le naturel et il revient au galop!
– C'est cela, mais là c'est vous qui nous éloignez du sujet. Revenons à l'intelligence que vous avez qualifié de collective.
– Oui.
– Je vous ai répondu oui d'emblée pour une seule raison.
– Laquelle?
– Parce que l'intelligence ne peut pas être autre chose que collective...
– Voilà qui promet!
– Je compte sur votre bienveillante attention, mais patientez un peu, j'y reviendrai. 

Ce qui se dit

La mouette et la muette
Sans un mot ricanent
Glaçant le sang de toutes arcanes,
Délibérément, infiniment, désuètes.
Elles parcourent tant l’air,
De fragments en fragments,
De sourires en éclats,
La lente barque si claire,
Qu’elles traversent en ces états.
Eaux, regards dormants,
Hormis rêves et dures remous,
Forment depuis si longtemps
Ce qui est nulle part et partout.


– Rien de ce que dit l'écrit ne peut être vrai sans un lecteur.
– Et sans l'esprit qui le gouverne...