mercredi 31 mai 2023

Logique

 
 

 
 
– Tout se tient dans notre histoire...
– J’entends bien... mais est-ce logique?
– Tout est fonction de logique…
– Je ne la vois pas…
– Il existe de nombreuses sortes de logique, mimétique ou autre,  chacune est bonne à prendre. Le principe est que le mouvement naît de la confrontation…
– Ça vous pouvez le dire... mais n'est-ce point quelque peu tiré par les plumes... et dans ce cas on pourrait aisément en déduire que n'importe quelle rencontre…
– Quelque accident ou incident qu'elle provoque?
– Quelque soit cette rencontre, elle servira de combustible au mouvement... En ce sens, quelle que soit cette logique, qu’elle en soit ou non la cause ou la conséquence, peu importe…
– Qu’est-ce qui importe alors?
– Ce qui importe c'est la vie.
 

 



Plus tard, beaucoup plus tard, tel un scribe inspiré… du moins l'espère-t'il, Candide s'est mis à coucher ses visions sur le papier.
– Ce que je fus, je ne le suis plus, mais j'essaie encore de comprendre. Cela va peut-être m'aider à mettre quelque peu d’ordre dans cet imbroglio. Et par la même occasion, suivant de secrets indices, je pourrais me séparer de ces mots qui font partie d'une autre histoire et qui me poursuivent.
– «...D'ici-bas il m'a semblé que ses yeux étaient deux pleines lunes...»*
 

Il s’ensuit que Candide se met à chanter, une longue litanie…:
... Je ne sais pas pourquoi
La roue ne revient pas
Le temps ne finit pas
Où va le temps des roses
Qui n’ont plus de chagrin...

Puis il se remet à écrire. L'homme, d'instinct, sait que jamais il ne pourra devenir maître de lui-même sans devoir renoncer, en partie en tous cas, à sa nature sauvage, devenant ainsi l'image même de celui qu'il lui arrive d'abhorrer...

*Le roi Lear

mardi 30 mai 2023

Alors…

 « Il lisait énormément, très vite et très mal. (...)

Lisant comme il faisait, même un manuel d'arithmétique, ou du François Coppée, devenait une nébuleuse. Et s'il se mettait à lire lentement, voulant retenir: néant! C'était comme s'il regardait des pages blanches. Mais il pouvait très bien relire, du moment que ce fût vite. On conçoit cela aisément. Il formait ainsi une nouvelle, une autre nébuleuse. Et la sympathie venant du souvenir agréable le soutenait aussitôt.»

Henri Michaux, Portrait de A.



– Quand craquèlera le vernis de la raison il sera trop tard. Dans les méandres lents des profondeur, le travail de sape sera déjà bien avancé et le cerveau en son centre, fuyant les souvenirs embusqués, par nuée et fin bruissement vers le ciel s’envolera. Alors... on sait.
– Que sait-on?
– On sait que l'on va mourir...

C’est cela

 

« J'essaye d'entrer dans un texte, non pas en ayant une vue de surplomb, mais en me disant "je ne sais rien", et en essayant de comprendre le texte instant après instant.»
                              
Alain Françon



– Ah mais je ne suis point un être humain et ne tend point à cela!
– C’est nouveau! Il me semble que vous êtes bien jeune pour penser comme cela...
– C’est cela... c’est nouveau. 
– Pourtant vous parlez comme un être humain!

– C’est bien pour cela
– C’est bien pour cela que quoi? 
– Que je ne tends point à devenir comme eux. Je suis ce que je suis... et cela me suffit.



lundi 29 mai 2023

Dans la forme d’un autre

 

« Rien de plus inélégant et de plus inefficace qu'un art conçu dans la forme d'un autre.»

Robert Bresson, Notes sur le cinématographe, Gallimard



De très légers changements en très légers tremblements, la voix de mon maître, celle qui, au début, en quelque sorte, fut aussi un peu la mienne, celle que je m'étais efforcé de reproduire, s’était transformée. Ce n'était pas une évidence pour tout le monde... Pour moi, oui. C’était encore ses mots que je répétais, mais pour moi, et pour moi seulement, je le savais, ce n’était plus sa voix.


Démesure

 



Pendant la nuit, tout peut se faire, cela va sans dire. Tout se raconte et se déroule. À rebours du temps, quand l’empreinte et le pied se séparent, tout y est affaire de démesure. Du creux de l’homme la voix se confond avec les voix et celles-ci dans le vent se dispersent avant que l'on puisse les rattacher à leurs sources. Elles jouissent du malin plaisir que procure la liberté ultime... hors l'ordre suprême... hors du chaos primordial... Vouloir la mesurer avec le commun des doctrines est raisonnablement impossible…

dimanche 28 mai 2023

Dans l’un comme dans l’autre

 "Ce qui est vécu sans être dit n'est qu'à demi vécu." 

Georges Haldas


Extrait des cahiers de Pinocchio, l'Autre

Combien de fois m’est-il arrivé de dialoguer avec moi-même en ayant la certitude d’être moi-même dans l’un comme dans l’autre… Dans la réalité, nous croyons que l’œil et le cerveau choisissent ce qu'il veulent voir... mais ce qui se cache derrière tout cela est bien plus influent encore... Ce en quoi nous croyons... nous fait croire en lui... Il est des rapports secrets qui s'établissent entre certains êtres entre eux ou avec certains phénomènes. On ne sait pas toujours pourquoi et surtout comment. Puis vient le temps des infidélités... Puis celui de la trahison... Toujours. Il suffit d'attendre.
– Moi non plus, quand j'y pense, jamais je ne réfléchis vraiment... enfin c'est rare. Cela m'arrive quand je ne comprends pas ce que j'ai sous les yeux... ou ce que j'entends et que cela me perturbe... ce qui n'est pas toujours le cas. C'est comme si tous les éléments d'une image étaient là, posés n'importe comment, de manière irréaliste et incohérente.
– Il se peut que cela soit pareil pour vous. On peut s'interroger: que seraient les images sans les mots qui les décrivent? Encore une fois que seraient les images si les mots en étaient parfaitement absents? 

Simplement acteur

 « Selon Ricœur (1983), mimésis et récit renvoient aux constructions des subjectivités pour réduire le caractère chaotique et discordant des expériences vécues. Selon Jacques Rancière, en outre, la chronique renvoie à la passivité des êtres humains, soumis à l’emprise sans surprise des vies quotidiennes. La fiction renvoie, elle, à l’activité des êtres humains dotés d’une capacité de projection associée à un temps qualifié de libre, soit une possibilité de penser et de se ressaisir de manière autonome des conditions d’une vie. La fiction permet éventuellement de créer ce temps égalitaire d’une coexistence entre des événements aux temporalités déchirées.»


Nathalie Blanc, Chronotopies ou temps unique?



Extrait des cahiers de Pinocchio, l'Autre

Hors de toute instrumentalisation idéologique ou simplement du divertissement, il est des images dans lesquelles nous apparaissons, en divers endroits et en même temps qu'un certain ordre des choses, hors de toute mesure, dans lequel nous ne serions, ni sans raison... ni vendeur ni acheteur, simplement acteur.

samedi 27 mai 2023

Dans une nuit profonde

 « Je ne me souviens pas de mon enfance; je fus probablement malheureux comme tous les ânons, joli, gracieux comme nous le sommes tous; très certainement je fus plein d’esprit, puisque, tout vieux que je suis, j’en ai encore plus que mes camarades. J’ai attrapé plus d’une fois mes pauvres maîtres, qui n’étaient que des hommes, et qui, par conséquent, ne pouvaient pas avoirl’intelligence d’un âne.»


Mme la Comtesse de Ségur, Mémoires d'un âne 



Récit curieux, en désordre, et mémoires furieuses d'un Assagi, ou le Grand Gribouilli, page 2 


 Ce que fait cet homme est étrange, me disais-je avec excès...
– Nous te surveillons... nous sommes les deux surveillants, cesse de penser jusqu'à ce que tu sois capable de te surveiller toi-même!
Il n'était plus seul. Il me l'avait dit. Je sentais maintenant leurs présence à ma gauche et à ma droite, et naturellement celles de leurs bâtons… Comment eussé-je pu faire autrement? 
J'étais dans un désert habité de souffle et de présences invisibles. Là dans cette une nuit profonde, je distinguais vaguement, dans le coin de mon œil un petit espace de lumière dans lequel je croyais voir des sortes de présences fantomatiques. Je me réveillais. J'avais rêvé. J'avais mal à mes côtés et leurs voix me poursuivaient. 


La manière…

 


– Il va falloir trouver votre équilibre jeune Candide. Le chemin est long jusqu'à l'homme... que vous désirez être... N'est-ce point ce que vous désirez? Pour cela, un peu de tenue, beaucoup de discipline, de raison et d'équilibre vous seront nécessaire... la manière, et surtout la prestance vaut plus que tout le reste...

Dichotomie

 « Le rapport de l'homme au monde qui interroge toute philosophie renvoie à une dichotomie entre le sujet et les objets. Les substances extérieures étant closes sur elles-mêmes, l'identité des corps a été érigée en un principe logique. A partir de ce principe, Descartes a pu proposer à la réflexion qui nous caractérise de se centrer sur elle-même et de mettre le monde entre parenthèses. Fermer les yeux, ne pas suivre le message des sensations si varié et subtil puisse-t-il être, enfin s'appliquer à un doute méthodique total et intransigeant de manière à trouver, ne serait-ce qu'une certitude non mensongère car rationnelle, permettrait de saisir des lois de la Nature utiles à l'homme.»


Béatrice Déglise-Coste, Représentations du monde et symbolique élémentaire 





Récit curieux, en désordre, et mémoires furieuses d'un Assagi, ou le Grand Gribouilli 

Voici sans doute la plus belle... et tragique aventure à laquelle j'aie pu jamais participer. Les véritables histoires réservent quelques surprises. Dans celle-ci il y en eut, sans que pour cela elle ne mérite la moindre considération du point de vue de l'Histoire... Il ne reste de tout cela que quelques mots, ceux que le lecteur imprudent, un peu perdu, je l'espère, aura... a sous les yeux. Je défendais alors l'honneur de ceux qui sans aucun grade étaient considérés comme des moins que rien. La moindre parcelle de savoir que nous arrachions ne pouvait être trouvée ailleurs que parmi ce qui n'intéressait personne. Il ne se faisait rien de si glorieux pour nous qu’à cette heure où nous recevions quelque savoir. Le titre de curieux, sous lequel nous courrions jusqu’ici toute la terre, ne devait nous empêcher que l'on ne nous accordât la grâce d'une leçon... Seul, peut-être, parmi tant d'autres, j’eus cette chance. La leçon, même si elle ne ressemblait en rien à ce que je pouvais imaginer, je l'ai eue... Comment et pourquoi je l'ignore. Ma mémoire a pris le relais et maintenant, peut-être depuis toujours, se joue de moi. Je ne sais pas vraiment quand ni comment cela a commencé. D'ailleurs au point où j'en suis de ce récit, rien encore n'a vraiment commencé. Nous n'en étions qu'à de simples exercices, comme ils disaient... Il était question de porte basse... Je me penchais et avançais du mieux que je pouvais, mais j'avais perdu l'aisance de mes mouvement d'antan. Déjà j'étais devenu quelqu'un d'autre. À peine avais-je eu le sentiment, mais aussi la fierté, d'avoir grandi qu'il me fallut me faire tout petit... Tout cela avait l'air d'un jeu, mais, pour ma part, le bâton, se prenant pour un sceptre, de mon point de vue, n'en faisait point partie et c'est pourtant lui qui semblait donner la mesure...

vendredi 26 mai 2023

Le morcellement de l’étendue

 « Il n’y a plus pour moi de question des origines, ni de limites, ni de séries d’événements allant vers cause première, mais un seul éclatement d’Être qui est à jamais.»


Maurice Merleau-Ponty



– Les œufs peuvent tout entendre, ne comprennent rien, mais à la fin leur coquille se brise...
– C'est pareil pour moi! 
– À quelle distance du toucher est l'horizon le plus proche?
– Il est des formes très diverses de l’imagination des hommes. Il en est ainsi des distances!
– Peut-on concevoir une de ces formes (d'imagination) qui ne soit pas humaine?
– Pas du point de vue des hommes... en tous cas de la plupart d'entre eux... mais, si vous le désirez, je vais essayer de vous décrire quelques  formes actives en certaines circonstances.
– Je veux bien.
– Par des moyens fort peu conventionnels, nous tenterons de rendre crédibles ces comparaisons, nous nous efforcerons  d'en présenter  la nature mouvante, et certaines de leurs raisons d'être ainsi.
– Je m'en réjouis.
– Le morcellement de l’étendue est l’une des caractéristiques de la façon de penser des êtres humains. Cette manière de penser s’oppose aux croyances innombrables, je parle bien des croyances humaines, qui peuplent les esprits fort crédules. Les hommes ont une nette tendance à vouloir généraliser leur façon de voir le monde et se battre contre quiconque ne la partagerait point.

Parfaitemnet imprévisible

 


– Si, comme vous l’avez dit, notre réalité, certes hors de certaines limites étroites, univoques et finies, n’a rien à envier à celle des autres… alors dites-moi quelle est-elle… ce qui se passe et qui sont tous ces êtres qui sont là?
– Il y a en nous comme un immense paysage qui lentement se déroule et dans lequel se jouent l'une après l'autre... ou l'une dans l'autre comme le plein et vide passent l’un dans l’autre ou encore dans un ordre parfaitement imprévisible ce qui dans un ordre parfait n'eut pu exister...

jeudi 25 mai 2023

Haut parleur

 


– L'inconscient n’est pas le non-dit...
– Il impense...
– Cela ne se dit pas… Tout au plus est-il figure de l’impensé...
– L’impensé?
– L’inconnu... mais actif...
– Peut-être... mais connais pas...
– Il y a le mystère de la chose...

– Comme en chaque chose!
– Et c'est ce mystère qui est la chose… en elle-même.
– Tout cela peut-il être surmonté… enfin maîtrisé?
– Candide l’a fait!

– Vous connaissez Candide?
– Un peu... 
– Comment l'avez-vous connu?
– Cela serait un peu long... vous disiez? 
– À combien se montait le prix de sa transformation?
– Au prix qu’on lui demandé, il se décida. Et il l'a fait.

– Et qu'est-il devenu?
– Il est devenu le haut parleur.
– Et son discours est vérité.
– Je n’en suis pas certain.
– Il l’est…


À mi-chemin

 À mi-chemin


" C'est à cette chair que les Toscans s'arrêtent et non pas à son destin. Il n'y a pas de peintures prophétiques. Et ce n'est pas dans les musées qu’il faut chercher des raisons d’espérer.
L'immortalité de l'âme, il est vrai, préoccupe beaucoup de bons esprits. Mais c’est qu’ils refusent, avant d'en avoir épuisé la sève, la seule vérité qui leur soit donnée et qui est le corps. Car le corps ne leur pose pas de problèmes ou, du moins, ils connaissent l'unique solution qu’il propose : c'est une vérité qui doit pourrir et qui revêt par là une amertume et une noblesse qu’ils n’osent pas regarder en face. Les bons esprits lui préfèrent la poésie, car elle est affaire d'âme. On sent bien que je joue sur les mots. Mais on comprend aussi que par vérité je veux seulement consacrer une poésie plus haute: la flamme noire que de Cimabué à Francesca les peintres italiens ont élevée parmi les paysages toscans comme la protestation lucide de l'homme jeté sur une terre dont la splendeur et la lumière lui parlent sans relâche d'un Dieu qui n'existe pas.
À force d'indifférence et d’insensibilité, il arrive qu’un visage rejoigne la grandeur minérale d’un paysage. Comme certains paysans d’Espagne arrivent à ressembler aux oliviers de leurs terres, ainsi les visages de Giotto, dépouillés des ombres dérisoires où l'âme se manifeste, finissent par rejoindre la Toscane elle-même dans la seule leçon dont elle est prodigue : un exercice de la passion au détriment de l’émotion, un mélange d'ascèse et de jouissances, une résonance commune à la terre et à l’homme, par quoi l'homme comme la terre, se définit à mi-chemin entre la misère et l’amour. Il n'y a pas tellement de vérités dont le cœur soit assuré. Et je savais bien l'évidence de celle-ci, certain soir où l’ombre commençait à noyer les vignes et les oliviers de la campagne de Florence d'une grande tristesse muette. Mais la tristesse dans ce pays n'est jamais qu’un commentaire de la beauté. Et dans le train qui filait à travers le soir, je sentais quelque chose se dénouer en moi. Puis-je douter aujourd’hui qu’avec le visage de la tristesse, cela s'appelait cependant du bonheur?"


Camus, Noces 



L’enfant Lune sent se dénouer en lui quelque chose qu’il ne reconnaît point mais qu’il se sent le courage d’affronter. Pinocchio, lui aussi, mais à sa manière... et surtout à sa mesure, est un être audacieux. Insolent? Aussi... mais dans les mêmes proportions que les montagnes qu'il tente de gravir et qui ne sont, au mieux, il le sait, que des tas de gravats en lesquels peuvent se dire ou se lire, pour qui sait le faire, les sommets auxquels ils appartinrent autrefois.


mercredi 24 mai 2023

Naturellement…

 


– C’est étrange…

– Quoi donc?

– Croyez-vous que ce que nous demande notre maître soit naturel?

– C’est une étrange question… en effet… Et… de fait qu’attend-il de nous?

– Je crois… ou plutôt je ne crois pas que…

– C’est un peu confus…

– Vous avez raison, il se pourrait que dès le début il nous ait fait croire qu’il nous est naturel… ou normal, en tant que perroquets, de répéter…

– Rien pourtant ne l’autorisait à penser cela… enfin… je veux dire… je me demande qu’est-ce qui l’a amené à le penser…

– Peut-être le fait qu’il soit un être humain et…

– Et?

– … et les êtres humains ont tendance à considérer que les autres êtres sont à leur service…

– Vous êtes en train de dire que nous sommes…

– … ce que nous sommes pour son intérêt personnel?

– C’est une évidence…




À l’envers

 

« Voir ce n’est pas seulement regarder avec les yeux, c’est projeter dans le même temps sur le monde tout un maillage de connaissances préalables qui oriente notre vision.»

Pierre Bayard, La vérité sur « Dix petits nègres », Minuit 


 

Commentaire de l'enfant Lune

Extrait du grand Cahier Rouge

Je me demande qui pourrait être prêt à croire qu’il existe de pareils endroits à l’envers desquels une sorte de temps parallèle serait mis en œuvre par d’habiles  mains de telle manière que tout puisse arriver et que son action annule littéralement son modèle tout en le révélant tel qu’il est vraiment avec la froide et mensongère précision du miroir.

mardi 23 mai 2023

Mythe familial


L’enfant risque de devenir le contenant de l’histoire parentale à défaut d’en être l’héritier. Les auteurs parlent d’une «identification endocryptique». La transmission psychique entre les générations est une des préoccupations majeures de Serge Lebovici. Il désigne «l’arbre de vie» d’un enfant dans le cadre de la transmission intergénérationnelle, soit pour construire sa place, que lui attribuent ses parents, soit «pour leur permettre de (ou les obliger à) revivre leurs propres conflits infantiles avec les grands parents de l’enfant», soit «pour saisir l’origine des fantômes qui, à partir des secrets de famille, hantent la chambre des enfants»(1998, p. 69); soit pour exprimer un mythe familial dans un contexte familial particulier.

Marion Feldman, La transmission du trauma d’une mère à son bébé

in Le sujet face au réel, p. 445, In




Quatre-cents-soixante-treizième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Noir


 Quelle sorte de parole pourrait-elle être instaurée de telle manière qu’elle puisse être comprise par l’ensemble des participants du récit... y compris le, la ou les lecteurs potentiels?

Grains

 

Deux gouttes d'eau conversent. Rien ne les différencie hormis les reflets qu'elles contiennent et qui les habillent.



– Voyez vous tous ces grains de sable et combien ils captent bien la lumière?

– Je les vois… et alors?

– Alors, quand je ferme les yeux, le sable retrouve sa lumière pailletée, suspendue dans un temps lointain qu’elle dissémine pour toujours. Elle éclaire dans nos regards ce qui ressemble à des enfants sur la plage...

 " Le monde des brumes et du brouhaha"


lundi 22 mai 2023

Au cœur du réel

 


Quatre-cents-soixante-quinzième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Noir


Levant la tête, Don Carotte pense, sortant en cela des inerties de l'habitude, dans une sorte de grâce, à ce qu'il appelle “la vraie terre... 
– Je me disais donc... quand nous écrivons une histoire dans le projet de la dire, puisant pour cela “au cœur du réel dans le répertoire infini de nos souvenirs, comme l'enfant Lune “inventait” le temps qu’il  faisait, aussi éloigné du vrai que l'image l'est de l'objet qu'elle figure ou comme il croyait s’en souvenir, ou comme il croyait qu’il aurait dû être à ce moment-là dans la multiplicité de ses formes, elles-même tributaires de ses ascendances, nous inventons, j'inventais malgré moi ce dont je ne pouvais douter qu'il fut notre passé.


Les événements et les choses

 



– Croyez-vous que nous puissions continuer notre… comment dire…
– Notre apprentissage!
– C’est cela… notre apprentissage sans notre maître?
– Pourquoi devrions-nous nous passer de son aide?
– Cela me semble évident…
– Ce ne l’est pas pour moi?
–  Je crois vous l’avoir déjà dit…  parce qu’il y a une grande différence entre répétition et représentation.
– Rappellez-moi!
– La répétition est censée être copie… conforme à l’original…
– Tandis que la représentation?
– La représentation est un événement… non une chose…
– Ce qui veut dire?
– On pourrait dire que l’évènement est dans le présent… et la chose qui se répète est dans le passé 
– Que cherchez-vous à dire?
– Que le monde est fait d’évènements et non de choses…

dimanche 21 mai 2023

Le seul à entendre

 



Quatre-cents-soixante-dix-septième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Noir

– C’est précisément de cela qu’il s’agit, pensait l'enfant Lune. Une suite improbable de jours et de nuits n’ayant rien à voir avec la rotation de la terre et où les temps se croisent, se superposent, se pénètrent, se séparent et se croient différents. C’est tout cela que je vois et que j’entends. Si seulement je pouvais oublier ce sentiment qui provoque de telles trouées dans mon histoire et qui me fait oublier celui, si large et si complexe... mais... que, sans lui et ce qu'il me fait croire... je serais le seul à entendre.

 

 

Certaines nuances

 


Dans un étrange face-à-face, Pinocchio, l’Autre, et deux perroquets dialoguent…

– Certes, je vous en ai déjà parlé, il saisissait...
– Qui ça?
– Mon maître saisissait les nuances de ma voix... qui étaient absentes de la sienne.
– C'est extraordinaire!
– Quoi donc?
– Nous aussi!
– ... mais... par un curieux effet...
– Je parie qu'il s'agit d'une sorte d'effet tel que l'on trouve dans un miroir!
– C'est cela! Il s’en attribuait tout le mérite et les considérait comme sa propre création. Tout comme il me considérait, moi aussi, dans mon entier, comme sa créature...
– C'est exactement comme nous!
– Voyez-vous comment se passe cette sorte de transformation?
– Elle est double... 
– Comme dans le miroir!
– C'est vrai. Mais je vous parle de ma transformation et de la sienne.... qui sont deux choses bien séparées et qui pourtant forment un ensemble dont nous ne sommes...
– ... paradoxalement...
– ... ni lui ou moi...
– Ni nous!
–  Dont nous ne sommes ni responsables, ni victimes... 
 


samedi 20 mai 2023

Gloire archaïque

 

« C’est dans la préhistoire que l’être humain prend pied, c’est là qu’il a ses racines, et non dans sa masure de paysan ni à l’école de son village. Jamais, en réalité, l’homme n’a quitté ce seuil de l’Histoire où la réflexion a fait ses premiers pas, repoussant inexorablement les joies primitives, comme la cohabitation avec des bêtes sauvages à la fois apprivoisées et chassées, utiles et condamnées. Un mélange, en somme, d'os, de peaux malodorantes, de liberté sexuelle et de domination cruelle, d'agressions, de viols et de torture, tout ce qui constitue la gloire archaïque de l'homme.»

Augustina Bessa-Luís, L’Âme des riches,  Métailié




Huit-cent-douzième rapport de Don Carotte
Extrait du Petit Cahier Noir Doré sur Tranche


 Le rideau à nouveau s'est ouvert. Le premier homme, de concert et sous la surveillance inquiète du second, a repris ses esprits et joue avec ardeur et fidélité ce que le rôle lui demande... Entre les deux, l'enfant Candide, l'air de rien, en de si brefs instants grandit démesurément. Ce qui lui vaut estime et admiration. Il ne condamne ni n'excuse ces mœurs qu'il observe avec réserve et, déjà, de lui-même, garde le silence. Sans le savoir, il joue, loin des attentes d'un quelconque bonheur, "ce qu'il croit être" bien loin des passions de l'âme et de tout ce qu’elle couvre, comme il l'écrira plus tard dans ses propres carnets.



Nuances

 


– Soyez patient…
– Écoutez-moi…
–Je vous en ai déjà parlé, il s'agit de saisir les nuances de ma voix...
– Vous voulez parler des nuances de notre voix…