dimanche 30 avril 2017

Dans l'eau d'un étang

... Les livres adressés au vulgaire doivent être suffisamment intelligibles s'ils sont lus comme le vulgaire a coutume de lire, autrement dit, leur substance doit se dévoiler à une lecture très inattentive et négligente. En d'autres termes, dans les ouvrages vulgaires écrits à des fins d'instruction, l'enseignement le plus fondamental doit être écrit en grosses lettres à chaque page, ou il doit être l'enseignement le plus clair qui soit, mais il n'en est pas de même pour les livres philosophiques. Spinoza soutenait que l'on peut parfaitement comprendre des livres intelligibles sans que le lecteur sache à qui ils sont adressés. En soulignant le fait que le Traité est adressé à un petit nombre d'hommes, il nous donne la première clé pour la difficulté spécifique de l'ouvrage. Il dit que l'ouvrage est spécialement destiné à ceux qui « pratiqueraient la philosophie plus librement si une unique chose ne s'y opposait, savoir leur opinion que la raison doit être la servante de la théologie ».
Ceux qui pensent que la raison ou la philosophie ou la science doivent être au service de la théologie, Spinoza les caractérise comme des sceptiques, ou comme des hommes qui refusent la certitude de la raison, et le vrai philosophe ne peut pas être un sceptique ".


Léo Strauss
La persécution et l'art d'écrire 




– Racontez-moi ce qui vous vient à l'esprit, cher Daemon.

Depuis que le doute s'est installé dans l'esprit de Daemon et malgré l'éclairage donné par l'Homme à la pipe, pour lui les temps se mélangent. Il ne sait plus quelle forme prendre ni à quel saint se vouer. Il laisse à chacun le soin de le reconnaître et se met à raconter:

"Dans l'eau noir d'un étang, quelques rides circulaires s'éloignent de ce qui pourrait être le centre d'un monde englouti ou son contraire un monde qui serait émergent. Au premier plan quelques taches floues distraient le regard. Au centre de celui-ci, se déplaçant mais demeurant au cœur de l'image, un animal  nage que l'on ne reconnait point ce pourrait être la tête d'un serpent, un crocodile, un alligator ou un castor. C'est un castor. Au premier plan les feuilles d'un arbre dont on ne voit pas le tronc. Le film est brusquement interrompu et dans la fumée de sa cigarette apparait le visage d'un homme assis dans son atelier. Plantés dans des pots, divers pinceaux suggèrent une possible activité artistique. Les volutes de fumée animent l'immobilité de la lecture. Les premiers mots fusent qui nous mettent sur la voie. La voix n'est pas celle de l'artiste mais celle du récitant. Elle parle de l'auteur encore muet que l'on peut voir. On comprend alors qu'il ne lit plus et on s'attend à quelque chose. Un événement. Il se tourne vers nous, écrase sa cigarette et se lève. Non, il se rassied de manière à se mettre bien en face de la caméra. La cigarette à demi éteinte laisse planer une sorte de doute et l'homme rallume une autre cigarette. Nous comprenons que l'espace et le temps sont suggérés par le mouvement de ces volutes. Le commentateur enfin pose une question plus ou moins directement à l'auteur. On voit sur l'écran la couverture du livre, puis on revient sur le plan élargi dans lequel l'homme, l'écrivain sans doute, s'est installé. Il attend. Un peu contraint, un peu impatient, un peu perdu face à la mise en scène dont il est le centre. Ou du moins le devrait. Il écoute, l'air perplexe, le commentateur réciter son commentaire dont il ne sait manifestement pas quoi faire et pour se donner une contenance il se saisit de son paquet de cigarettes et en allume encore une. Le discours peut commencer. Répondant à la question concernant le titre de l'ouvrage il explique en insistant sur la notion d'incertitude et l'on se met à penser avec orgueil que l'on pourrait renommer le livre qui passerait du classique: Le plaisir de la lecture" à "L’incertitude du plaisir"."



samedi 29 avril 2017

Qu'est-ce que l'humanité?

"L'enfance, ce grand territoire où chacun est sorti. D'où suis-je? Je suis de mon enfance comme d'un pays."*
 
– Comme chacun le sait, pour certains l'histoire va trop vite... et naturellement pour d'autres c'est l'inverse. Tout dépend du point de vue où l'on se trouve et de la position sociale que l'on occupe...
.... ou que l'on désire occuper.
– Là, nous sommes d'accord.
– C'est un début. 
– Il en faudrait beaucoup plus... 
– Cela ne dépend que de vous... 




– Qu'est-ce que l'humanité?

Daemon et l'Homme à la pipe discutent dans le salon de ce dernier, mais quiconque, selon ce qu'il entendrait de leur conversation, pourrait y voir des scènes surprenantes.

– Peu m'importe l'humanité... si seulement nous pouvions y croire, ne serait-ce qu'un peu...
– Je vous trouve bien dubitatif, quelque peu nostalgique et presque agressif...
– Pas du tout...
– Pourquoi n'aimez-vous pas les hommes?
– Je n'ai pas dit que je n'aimais pas les homme... c'est l'humanité qui me dérange...
– Pourquoi cela?
– Déjà, je ne sais pas ce que c'est que l'humanité... Et si je connais quelques hommes,  oh pas beaucoup, ils ne représentent pas pas plus l'humanité que je ne représente "l'ânité"...
– Certes, c'est proche de vanité mais cela n'existe pas...
– C'est bien ce que je vous disais.
– Tout de même si j'en crois notre maître et que je considère votre propre parcours il me semble que vous et moi, nous cherchons à lui ressembler. Ne serait-ce que l'exemple de notre discussion qui est bien loin d'une relation entre un chien et un âne... N'y-a-t'il pas là une légère tendance à la schizophrénie?
– Comme vous y allez de bon cœur... Ce que vous appelez schizophrénie n'est rien d'autre que... et je vais être désolé de vous décevoir : vous connaissez le fabuliste** ?
– euh...lequel ?
– Oh, il n'y en a qu'un, Le Fabuliste : la chauve-souris...
À ces mots Platon le Petit reprit l'air inspiré, digne "d'un bedonnant et caricatural psychanalyste".


 



Inspiré est vraiment le mot juste, car malgré et au-delà de l'image un peu macaronique, celui se montre plein d'esprit...  Par hasard, il venait de voir un film* duquel il répétait les répliques tout en essayant d'imiter la débonnaire attitude de l'homme suçotant langoureusement "la queue de sa pipe" tout en déclamant...
– ... car il vaut mieux en sourire que d'en pleurer...
Or, si chacun croit le savoir, Dieu seul sait vraiment où le hasard laisse tomber ses fruits.





Comme d'habitude, les temps se télescopent. Ceux qui croient être là n'y sont plus et ce qui ne semble pas être présent s'invite à l'office du jour. Ce qui, curieusement n'empêche pas le dialogue de continuer.

– Et puis à quoi sert l'humanité telle que vous la définissez. Quels seraient ces hauts-faits dont elle pourrait s’enorgueillir?
Pour tout vous dire, la seule cause en laquelle j'ai quelque croyance, c'est l'anarchie...
– Sans vouloir être ni sembler pédant, je me demande si vous auriez subi, lors de votre petite enfance, un choc mental ou un accident de grande importance qui serait cause d'un tel état assorti d'une telle croyance?
– Comment échapper à de tels simplismes et de telles vanités serait la première des questions qui devrait vous venir à l'esprit... Vous ne faites réellement que répéter sans savoir. Il me semble que cela est le vrai signe qui puisse vous faire avancer sur le premier des échelons de ce que vous appelez l'Humanité. Et cette marche a pour nom: conformité. À ce stade, je vous l'assure, tous vos espoirs risquent fort d'être réalisés...
– Il me semble percevoir quelque ironie...
– Sans aucun doute...



* Antoine de Saint Exupéry,
Pilote de Guerre

** cette partie du dialogue a été empruntée à la fin du film de Pierre Carles, " Enfin pris?" 
https://www.youtube.com/watch?v=PAR53jbbKIA






vendredi 28 avril 2017

"Par la magie des mots"

« Le maximum, en effet, auquel ne s’oppose pas le Minimum, est nécessairement la mesure la plus adéquate de toutes choses, ni trop grande parce que Minimum, ni trop petite parce que Maximum. Or tout ce qui est mesurable tombe entre le maximum et le minimum. Donc, l’essence infinie est la mesure la plus précise et la plus adéquate de toutes les essences. »

Nicolas de Cues, De la docte ignorance

De vieilles questions remontent à la surface, lesquelles étaient pourtant déjà discutées dès l’Antiquité : comment pouvons-nous connaître ce qui est inconnaissable? Comment pouvons-nous parler de ce qui est ineffable ?
L’homme à la pipe et Daemon se sont, pour quelques instants, perdus littéralement dans leurs mémoires respectives. Cependant, si l’on procède avec attention, il est possible de voir que leurs mondes, de plusieurs manières se croisent et peut-être plus encore.





Petite à l'attention du lecteur*:

L'homme à la pipe parle avec Daemon. Si l'on s'en tient à la nature du daemon, c'est une sorte d'esprit. Il est invisible...



Dès le moment où Daemon parle, il apparait "par la magie des mots". Chaque mot est un germe infini, sans cesse renaissant qui cherche la lumière.



La forme de Daemon dépend du nom qui va lui être attribué... ou qu'il s'attribue... L'Homme à la pipe voit ce que les mots de Daemon lui donnent à voir.



Mais il arrive que les mots des uns prennent la place des autres...
L'observateur attentif verra que, dans l'image que suscite Daemon, un petite part se matérialise dans la main de l'Homme à la pipe. Est-ce la réalité... ou une réalité... qui se manifesterait dans deux mondes différents: le monde de Daemon et le monde de l'Homme à la pipe. Ce qui voudrait dire qu'une part de ces deux mondes est un monde commun...


– Comment voulez-vous parler de ce que vous ne pouvez connaître?
– … ou de ce qui serait ineffable…
– Je vois que, quand vous ne vous perdez point dans vos diverses apparences, « au minimum » vous progressez…
– « Au maximum », autant pour vous, cher « Monsieur à la pipe ».
– Alors, saurons-nous aujourd’hui, manier de manière adéquate ce langage qui semble ne vouloir qu’une chose: nous échapper.
– Ce serait alors une quête de liberté assez semblable à la nôtre…
– Mmmmm… c’est bien parti. Il nous semble acquis que le langage soit, au-delà des difficultés de l’entreprise, soumis à nos étranges distorsions. Peu semble lui importer que nous fassions selon nos désirs… Mais, et cela reste le plus troublant, il peut sans aucun regret dire une chose ou son contraire sans avoir l’air d’en souffrir. Ce que je me… nous demande c’est: pourrions-nous faire pareil?
– Le risque est grand que nous soyons déjà sorti du sujet…
– Vous avez raison. Reprenons. Il me semble qu’il y a un ou deux jours à peine, je vous disais combien votre nom était à l’origine de ce que vous seriez…
– …ou le contraire: combien ce que je suis: mon essence, en quelque sorte, serait à l’origine de mon nom…
– Vous progressez vraiment, cher Damon. Savez-vous ce que c’est qu’un daemon?
– D’une certaine manière je sais ce que je suis sans savoir vraiment le dire… quand à être ce que… enfin, si j’étais cet être bizarre qui correspond à ce que les grecs...
– Ce que les grecs… continuez, je vous prie.
– Croyez-vous vraiment que le nom que je porte agisse sur moi d’une telle manière que je sois devenu ce qui me nomme?
– Ou alors, vous l’avez dit vous-même, vous auriez été nommé par le fait de l’être…
– Ce n’est pas la même chose du tout!
– Je vous l’accorde. Mais, « toute inégalité est composée d’égalité et d’un excédent ». C’est peut-être de cet excédent qu’il faudrait s’approcher.


Après une courte pause, durant laquelle il suce goulûment sa pipe, admire, l’œil dans le vague, se disperser les volute de fumée en continuelles variations, l'Homme reprend:

– Alors approchons-nous, mais lentement. Comblons peu à peu ces espaces infinis qui prennent si grande place dans nos conversations. Je vous disais il y a peu qu’il serait fort possible, cher Damon, que vous ne soyez guère visible autrement que par les mots que vous employez…


Damon, après avoir été choqué par ce qu’il commençait à entendre commence à s’habituer à l’idée qu’essaie, « tant bien que mal », de lui faire découvrir l’Homme à la pipe.


– Je ne serais donc que pur esprit!

Éberlué, l’Homme à la pipe n’en revient pas et ne dit rien. Il essaie de faire refluer ce qui, il ne le sait que trop, en la circonstance ne devrait pas être dit… Il est un temps pour tout.

Le choc doit être intense pour cet être qui était persuadé d’être incarné… se dit-il dans le secret de son âme.


* Pour faire suite à la demande de l'un d'entre eux...


 

28/4/2017/De mémoire en mémoire

Où l'on voit que la mémoire des uns stimule celles des autres. Il peut alors être mis en évidence certaines coïncidences qui, dans certains cas, s’avèrent troublantes...


L'homme à la pipe loin de s'en tenir à ce qu'il entend, a depuis quelques instants ouvert la porte à ce qui n'aurait dû, selon lui, pas paraître. Encore faudrait-il qu'il en soit conscient...


L'enchevêtrement était déjà largement conséquent lorsque, d'un brusque sursaut, il se reprend.

– Se pourrait-il que nous soyons... 

À sont tour les mots se taisent. Pour lui aussi quelque chose se passe qu'il peine à assumer. Il a laissé sa phrase en suspend , ce qui est largement suffisant pour Daemon reprenne du poil de la bête.

jeudi 27 avril 2017

Ce qui demeure ne peut venir du changement

– Vous le savez bien, cher Daemon, ce qui demeure ne peut venir du changement... mais, écoutez bien l'infime différence, de ce qui est demeuré peut venir un changement...

Sur sa demande, l'homme à la pipe qui, sous ses airs bourrus, théâtralement grandiloquace, comme dira plus tard Daemon dans ses mémoires: "non dénué d'un certain orgueil dont je me suis longtemps demandé s'il était proche de l'arrogance" interroge subtilement Daemon. Celui-ci ne s'attendait pas à devoir répondre à des questions qui, littéralement, "le mettent en cause"...




– Voudriez-vous me dire pourquoi, selon vous, vous portez le nom de Daemon?
– Je n'en sais rien...
– N'en avez-vous pas une petite idée?
Les questions se suivent et Daemon commence à mal se sentir. Une énergie négative monte du fond de ses entrailles qui lui fait retrouver sa forme animale. Il se laisserait volontiers aller mais curieusement, son corps de chien ne répond plus. Alors, au lieu de grogner c'est sa voix de daemon qui reprend le dessus.

– Je porte le nom que l'on m'a donné...

En disant cela il sait qu'il s'engage vers un horizon qu'il n'aime pas c'est pourquoi sa réponse est aussi vague... et la question suivante, comme la vague sur la plage, ne tarde guère.

– Vous le portez... Voilà qui est intéressant. Diriez-vous que vous la portez comment... comme un joli costume, ou... comme un fardeau?
Il fait une courte pause puis reprend:
– Et d'abord, qui vous l'a donné ce nom que vous portez?

Daemon hésite, il sait ce qu'implique la question. Il connait la réponse à la deuxième question mais voudrait ne pas la prononcer. De fait, il ne peut la prononcer. Face à ce dilemme, c'est tout naturellement que l'image de son maître apparait dans son esprit.

L'homme à la pipe ne peut cacher son plaisir:
– Nous y voilà!
– Je n'ai rien dit!
– Vous avez fait mieux que cela.
– Quoi donc?
– Quoi de plus explicite qu'une image?
– Cela dépend lesquelles...

27/4/2017

L'homme à la pipe analyse. Il aime analyser. Conseiller aussi. Et cultiver un certain art de l'élipse qui peut irriter... un peu... sans que cela lui fasse perdre son sourire.


 – ... nous ferions mieux de revenir à mes désirs... Eh bien, justement, que savez-vous de mes désirs?
– Très exactement ce que vous m'en avez dit...
– N'est-ce pas un peu léger et surtout facile comme réponse?
–Moins que vous le croyez...
– Expliquez-moi!


– Cher Daemon, vous vous agitez en tous sens, vous gravissez inutilement ce que vous croyez être des sommets... C'est assez plaisant à voir, je l'admet... mais je crois, et j'en suis de plus en plus certain, que vous ne vous posez pas les "bonnes" questions. Et je vous prie de croire que quand je dis "bonnes" questions, ce n'est pas de morale qu'il s'agit... Je parle essentiellement de ce qui serait "bon" pour vous...
– Et qu'est-ce qui serait "bon" pour moi, selon vous?
– Vous le savez certainement mieux que moi!
– Si je vous ai bien écouté, ce n'est pourtant pas ce que vous venez de dire...
– C'est juste mais il est aussi juste, et vous le savez, que je ne puis pas parler pour vous...
– Alors?
– Alors c'est assez simple. Si je vous dit que, dans une certaine mesure, vous vous méprenez sur votre nature... à quoi penseriez-vous?
– Je n'en sais rien!
– Comme vous ne jouez pas vraiment le jeu, nous allons changer de direction. Voudriez-vous me dire pourquoi, selon vous, vous portez le nom de Daemon?

mercredi 26 avril 2017

Ce qui ne se voit pas

Daemon, pour la première fois de sa vie et bien malgré lui, a quitté sa condition de chien. Il ne sait pas pas encore ce ou qui il est, mais s'aperçoit avec stupeur que cela ne se voit pas... Cela fait des heures qu'il parle avec l'homme à la pipe et celui-ci ne semble pas avoir constaté le moindre changement dans son apparence.

– Il y a pour toutes pensées une infinité de variantes qui sont toutes l'origine de nouvelles pensées. Ainsi, l'application rigoureuse de la raison nous pousse à constater que toutes ces pensées pourraient avoir une même origine...



 – ... nous ferions mieux de revenir à mes désirs... Eh bien, justement, que savez-vous de mes désirs?
– Très exactement ce que vous m'en avez dit...
– N'est-ce pas un peu léger et surtout facile comme réponse?
–Moins que vous le croyez...
– Expliquez-moi!

26/4/2017

"A travers la tranquillité du paysage [...] l'homme contemple quelque chose d'aussi magnifique que sa propre nature" *

Dans le paysage de l'esprit, les entrelacs du temps, les images et les mots se marient... et se confondent pour le meilleur et pour le pire...
Daemon se découvre et change en permanence... 
S'il pouvait se voir la surprise serait grande, sinon totale.



– Quand je vous ai demandé comment vous me voyiez, vous ne m'avez pas vraiment répondu...
– Il se pourrait que je vous aie répondu très exactement de la manière que vous souhaitiez...
– C'est-à-dire...
– C'est-à-dire de telle manière que vous pourriez manipuler ce que je dis afin de, finalement, correspondre à l'image que vous vous faites de vous-même sans que cela puisse être contesté.
– La forme étant une liberté de l'esprit tout autant qu'une soumission aux lois de la physique, vous êtes-vous déjà demandé si, à votre tour, l'image que vous donnez de vous-même ne correspondrait pas exactement à celle que vous désirez profondément qu'elle soit.
– Comprenez-moi, cher ami, quand je parlais de votre image, ce n'est pas de celle que vous avez en tête, mais de celle qui est profondément la vôtre... celle que, sûrement, vous ne connaîtriez pas... en tous cas pas entièrement. Et quand à mon image, cela n'a pas tellement d'importance... et de plus, pardonnez ma franchise, je ne crois pas vous avoir rien demandé à ce sujet et nous ferions mieux de revenir à vos désirs...


* Emerson



mardi 25 avril 2017

25/4/2017

Pendant que le monde suit son cours, en son plein milieu, entre la chose et lui, Daemon écrit à son tour ce qui un jour a été...

Ce dont je peux me souvenir n'est de loin pas une réalité, du moins au sens que l'on attribue à ce mot et si je suis né dans un monde que tout le monde connaît, il n'est pourtant pas sûr que ce soir le vôtre... Mille détails, "à première vue" insignifiants, sont là qui ne peuvent être vus, n'ont rien de ce qui caractérise une image et qui pourtant, mis ensemble, "forment" une image.


Face à cet étrange personnage à qui il a été "confié" il peine à "se" confier. Tout naturellement la question de l'image occupe le devant de la scène... et peut-être même la scène tout entière.


– Puis-je vous demander comment vous me voyez...
– Oulahhhh! Mais comme tout le monde, mon cher ami, avec les yeux...
– Je ne suis pas sûr d'être d'accord avec vous et tout m'incline à penser que...
– Dites-moi...
– Qu'en réalité vous ne me voyez pas...
– Et qu'est-ce qui vous fait penser cela?  

lundi 24 avril 2017

24/4/2017/Vulgarité

« Que j'ai toujours haï les pensers du vulgaire !

Qu'il me semble profane, injuste, et téméraire,


Mettant de faux milieux entre la chose et lui,


Et mesurant par soi ce qu'il voit en autrui ! » *



Quand le temps des montres sera révolu, alors, en un certain point, visible uniquement dans la nuit, une sorte de petit mouvement se fera jour.
Pourquoi fait-il nuit, à peu près, pour moitié de la durée de notre existence? Voilà une belle question à se poser.
C'est précisément celle que Platon, en complète simplicité et presque totale cécité, se pose et qui est, il en est presque sûr, la résultante de ce petit mouvement qu'il a perçu dans la nuit : l'ultime et céleste hululement de l'instant sacré. 

– Que se passe-t'il dans la part obscure de cette maison? Que recèle la conscience? Tout comme l'athée et le croyant tour à tour, celui qui prétend le savoir sera traité de fou.

Pendant que le monde suit son cours, en son plein milieu, entre la chose et lui, Platon écrit ce qui à son tour sera traité...



* La Fontaine




dimanche 23 avril 2017

23 /4/2017/ Une belle cohérence

 Daemon ne peut se résoudre à sa "disparition... ou du moins à la relativité de sa présence. Il a décidé de consulter... enfin... il ne l'a pas vraiment décidé... Il serait plus juste de dire qu'il y a consenti...





 – Cher Daemon, c'est une belle cohérence dans l'inexactitude...
Laissez-vous aller et dites-moi... Que répondre à l'insensé qui fourmille jusque dans nos jambes? La marche sincère ne se moque-t'elle point du vent et de la tempête... quand le roc ardent tend vers le ciel sa pointe fièrement dressée au couchant.

samedi 22 avril 2017

22/4/2017 Écouter n'est pas entendre

Quelque soit l'angle par rapport auquel on envisage le récit, celui-ci ne surgit entièrement que dans l'esprit de celui qui en est à l'écoute.


– Or l'écoute n'est pas l'entendement...


 – Récapitulons en essayant de ne rien oublier:

- Platon l'Ancien est, selon ses propres dires, un homme comme les autre: pris dans les pièges sociaux innombrables auxquels il est presque impossible d’échapper. Se compagnons, peut-être sa famille, ou plus simplement le groupe auquel il fait partie est composé, de manière intermittente de Platon le Petit, chien de sexe indéterminé amis que l'on suppose mâle, de Daemon, qui ressemble comme deux gouttes d'eau à Platon le Petit et qui pourtant est d'une toute autre nature car il n'est pas un chien. Il en a la forme, mais c'est un daimon, au sens où l’entendaient les anciens grecs. Lui aussi est de sexe indéterminé.

Font partie de cet ensemble:

- Bathazard, âne de sexe mâle, animal rétif dont la singularité se manifeste par un refus très net de l'humanité, une forte propension à côtoyer la mort et un côté terre à terre presque jamais pris en défaut, pourtant, si on l'étudie de près, il est en quelque sorte en opposition avec lui-même puisque ni la réflexion ni les mots ne lui manquent

- Platon le Jeune, qui n'est autre que Platon lui-même, mais dont le temps se situe dans le présent au lieu d'être dans le passé

- Platon le très Vieux, dont le présent se situe dans un au-delà proche et insaisissable

- La Mort qui a pris la forme et surtout l'habillement de Platon. Habillement qui ne change guère dans les différentes époques de sa vie, ce qui ne permet pas de situer avec précision, mais au contraire de semer la confusion dans les esprits trop enclin à un ordre qui n'est pas aussi naturel que ce qu'il prétend être...

– Rien que cela? Et vous pensez que je pourrais m'y retrouver ?

– Je n'ai pas fini... il en manque encore... Mais rassurez-vous, au dire de notre maître dont je me suis fait le porte-parole, tout cela pourrait ne manque pas de cohérence...
ou, c'est moi qui ajoute:
tout cela pourrait ne pas manquer de cohérence... encore faudrait-il pour cela que ce fut démontré...

vendredi 21 avril 2017

21/4/2017/ Comme tout un chacun

« J’entends par cause de soi ce dont l’essence enveloppe l’existence, ou ce dont la nature ne peut être conçue que comme existante. Une chose est dite finie en son genre quand elle peut être bornée par une autre chose de même nature. Par exemple, un corps est dit chose finie, parce que nous concevons toujours un corps plus grand ; de même, une pensée est bornée par une autre pensée ; mais le corps n’est pas borné par la pensée, ni la pensée par le corps. » *



Quand Platon l'Enfant vient au monde, comme tout un chacun, il ne sait pas où il met les pieds... et, certes il la comprend, mais il ne sait pas ce que veut dire exactement l'expression comme tout un chacun... et comme tout un chacun il ne s'en soucie guère...





* Spinoza


jeudi 20 avril 2017

20/4/2017/ Au départ, le temps

"Au départ, c’est une petite cohorte qui a tout porté sur son dos et qui a réussi à passer par un chemin de crête avant de déboucher sur la vallée".




Platon le Petit ne fait guère attention au discours plein de condescendance de son maître. Son esprit est tout occupé de ce qu'il vient de vivre. Il est toujours à la poursuite de Daemon, qui, après la petite bagarre qui leur fit perdre chacun la fine extrémité de leurs queues respectives. Platon le Petit, interrompu dans son élan, sans en êtes certain, considère comme vraisemblable l'existence de Daemon. Mais le sentiment qu'il éprouve pour lui le pousse à considérer comme vrai ce que la raison eut du le pousser à rejeter: le temps, tel que nous prétendons le connaître n'existe pas... Pas plus que l'existence de Daemon ne peut être prouvée... Cependant, sachant l'esprit humain capable de tout, ou presque, il se dit :

– Ainsi le temps ne peut nous être compté... et pourtant...

C'est une affirmation dangereuse, Platon le Petit, animal de son état, mais bientôt étranger en ce territoire, sans s'y attarder et mobilisant tous ses talents, anciens et nouveaux, le sait mieux encore que beaucoup, et la pensée qu'il allait bientôt penser comme eux se rapprochait à grand pas. C'est alors, peut-être sous l'effet du hasard, que lui vint l'image du reflet...

– Si l'image est un reflet, de quoi sera fait l'image du reflet dans l'image...

mercredi 19 avril 2017

19/4/2017 Platon triste image à faire

« Il faut se rendre compte que parmi nos désirs les uns sont naturels, les autres vains, et que, parmi les désirs naturels, les uns sont nécessaires et les autres naturels seulement. Parmi les désirs nécessaires, les uns sont nécessaires pour le bonheur, les autres pour la tranquillité du corps, les autres pour la vie même. » *


image de Platon triste


Platon délire. Il ne ressent plus la moindre sensation physique et il lui manque cette fraicheur de l'esprit que lui apportait Daemon.


* Épicure, Lettres à Ménécée

mardi 18 avril 2017

18/4/2017 Bien vivre à rédiger

« Quant à ceux qui conseillent aux jeunes gens de bien vivre et aux vieillards de bien finir, leur conseil est dépourvu de sens, non seulement parce que la vie a du bon même pour le vieillard, mais parce que le soin de bien vivre et celui de bien mourir ne font qu’un. » *













* Épicure,  Lettre à Ménécée

lundi 17 avril 2017

17/4/2017/Comme un miroir

« Prends l’habitude de penser que la mort n’est rien pour nous. Car tout bien et tout mal résident dans la sensation : or la mort est privation de toute sensibilité. Par conséquent, la connaissance de cette vérité que la mort n’est rien pour nous,nous rend capables de jouir de cette vie mortelle, non pas en y ajoutant la perspective d’une durée infinie, mais en nous enlevant le désir de l’immortalité. » *


Comme un miroir peut nous donner une certaine idée de la simplicité du monde, l'image qu'il reflète dit le contraire.


– Ce que nous voyons n'est plus ce qui a été mais ce qui maintenant...

Traversé par le désir de rendre l'admiration qu'il portait, Platon le Petit grandit. Non pas que son cœur et son corps se mettent à prendre de la place, bien au contraire...

– Prendre le moins de place possible et ne faire en sorte que de refléter..

– Comme un miroir?

– C'est cela même... 

– Si le ciel en nous se contemple, se pourrait-il que nous aussi... Mais peut-être est-ce trop demander ? 

– Point du tout, nous sommes, qui que nous soyons, une sorte de miroir dans lequel ce que nous appelons l'éternité, pour un bref instant, aura jeté un œil.

– Ma question n'était peut-être pas aussi idiote que je ne l'avais pensé?

– Qui vous dit que cette pensée était de votre propre volonté?

– J'ai, malgré vous et malgré moi, quelque espoir d'avoir un jour...

Avant  d'avoir fini sa phrase Platon le Petit s'était tu brusquement et son regard dans le ciel, tristement, comme sous de funestes auspices, s'était perdu.
Il lui arrivait de voir, comme un longue route, heureux auspice, de longs nuages violets s'étirer langoureusement dans un ciel qu'il se figurait abandonné. Il se souvenait avec nostalgie, dévorant à pleine dent, jeune et fou avant qu'en un instant sans transition il ne se retrouve "en attente" comme l'animal du sacrifice... 


 * Épicure, Lettre à Ménécée




dimanche 16 avril 2017

16/4/2017/ De notre temps

«Et sans doute notre temps... préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être... Ce qui est sacré pour lui, ce n’est que l’illusion, mais ce qui est profane, c’est la vérité. Mieux, le sacré grandit à ses yeux à mesure que décroît la vérité et que l’illusion croît, si bien que le comble de l’illusion est aussi pour lui le comble du sacré.»*



 Incarner le théorique, telle la seule volonté Platon le Petit.

– Une vie ne vaut que par le fait d'être vécu...

Platon le Petit est un être raisonnable qui vit "avant" toutes choses.  Peu lui importe celles qui se nomment ou celles que l'on nomment, et peu lui importe lesquelles ne sont que des idées. Partout il est à l'aise et ne montre de lui que ce qui ne peut être caché, c'est-à-dire: tout.


– Peu m'importe les images. Bien avant de voir, je ne perçois l'existence que de ce qui se peut renifler et toucher. Il n'est nul lieu, « ni des temps fabuleux enfin la moindre trace qui pût me présenter l'image de ces lieux ?» **


* Feuerbach
Préface à la deuxième édition de L’Essence du christianisme

** La Fontaine

samedi 15 avril 2017

Dans l'attente d'un réveil

Pour revenir au fait, et ne point trop s'étendre... Platon, sans plus se soucier de rien, fait preuve d'audace. Et cette audace consiste à imaginer ce qui n'eut pu avoir lieu sans elle...
L'enfant qui ne sait pas ose tout... Il ne peut voir ce qui ailleurs, sans plus la barrière du temps, est pourtant bien présent.




Platon l'Enfant, nouveau venu dans l'attente d'un réveil, vit dans un monde inconnu. Il ne le sait pas. De ce monde inattendu il n'en sait rien et ne s'en soucie guère, loin de considérer comme impossible un dialogue dont il ne peut avoir conscience...

– La réalité est d'une complexité infinie et c'est là toute sa beauté...

15/4/2017/ J'imagine donc je suis

« La connaissance et l'habileté stratégiques sont redoutés des pouvoirs autoritaires et répressifs, qui voudraient maintenir un monopole absolu. Fort heureusement, le savoir stratégique porte en lui-même la capacité de d'échapper à tout contrôle: par nature, il ne se laisse pas emprisonner par les idéologies, ni par les religions ou les pouvoirs politiques. Son essence l'immunise contre de telles contagions. La fidélité à la connaissance stratégique rend infidèle à toute orthodoxie. » *



Pendant que dans la pénombre, côté cour, s'affrontent Daemon et Platon le Petit, le temps, s'il existe, fait son office. Côté jardin, il est des rapprochement qui ne peuvent s'éviter. Platon l'Ancien, ayant perdu son âme et privé de Platon le Petit, est presque devenu aveugle. Il raconte d'autant mieux.

– La mémoire serait la seule chose que je puisse avoir devant les yeux s'il n'y avait l'imagination. 

Platon sait pertinemment que les souvenirs sont des objets curieux qui disparaissent au gré d'un mouvement qui lui échappe. Le soleil ne luit plus. Dans la triste rosée, sa tête dans son dos retombée, n'écoutant personne, la main sur le cœur et les yeux mi-clos, évoquant les absences, c'est de lui à lui qu'il parle.

– J'imagine donc je suis... La relation de confiance qui s'établit entre l'âge et la mort viendrait du fait que plus on est âgé plus la mort se rapproche... Et ce serait ce rapprochement qui serait la cause d'une certaine forme d'audace... celle qui serait nécessaire pour que tombent enfin les vieilles frontières...



* Chevaucher son tigre, Giorgio Nardone , Seuil

vendredi 14 avril 2017

Une minute affranchie de l'ordre du temps

" Une minute affranchie de l'ordre du temps a recrée en nous pour la sentir l'homme affranchi de l'ordre du temps"

Marcel Proust



 
" Comme nous nous sommes attachés à démêler parmi le chaos des matières & l’illusion, des figures & des mots, le véritable plan de l'Ouvrage, à le suivre depuis la racine jusque dans les branches, il a fallu l'analyser & le réfuter tout entier. Laisser quelque partie su système, sans la monter, & la combattre, c'eût été une omission déplacée & un défaut réel." *


Or, voilà qu'apparait, comme brusquement sorti de l'ombre, à priori affranchi de l'ordre de notre histoire, un nouveau personnage destiné à mettre un peu d'ordre dans le foisonnement chaotique des idées de Platon. Nous ne le présenterons pas, il saura, par lui même, "au fur et à mesure", faire de telle sorte que l'oubli de lui-même rende possible la destruction de certaines frontières ...


À faible voix.

– Mon rôle n'est pas de me mettre en avant, mais de vous faire dire, en quelque sorte... que... sans vous je ne suis rien...

Il faut dire que sa faculté d'adaptation n'a apparemment, pour autant que l'on puisse en juger, pas de limite... 



– ... si ce n'est le temps et l'argent...


* Abbé Gauchat
Lettres critiques ou analyse et réfutation de divers écrits modernes contre la Religion
Préface tome douzième



 


Soyez raisonnable!/14/4/2017

"Il n'est pas plus possible à l'homme en colère d'arrêter sa fureur qu'au plongeur qui s'est élancé du rocher de stopper son élan et de ne pas atteindre l'eau. " * 

 Daemon n'a pas admis d'apprendre que sa présence n'est due qu'à une sorte de manœuvre  démagogique, par ailleurs empruntée à Socrate...



 Platon le Petit s'est mis à sa recherche avec un certain succès. Mais pour le moment pas question de le ramener au bercail. Daemon s'y refuse obstinément. 

– Soyez raisonnable!

L'injonction répétée n'y fera rien.

– Je sais que notre maître s'est fourvoyé et se fourvoie encore... Je sais que de nous nous il ne sait faire la différence. D'ailleurs si j'en crois ce qu'il dit vous ne seriez guère autre chose qu'une chimère...

Le mot est trop fort. Le lien se rompt. Les temps se séparent que de vains honneurs ne peuvent réparer.  La confrontation dégénère, la bataille n'est plus évitable... et le sang, s'il se trouve, va couler.


* Pascal Quignard, Terrasse à Rome, Gallimard

jeudi 13 avril 2017

13 avril 2017

" Cervantès fait donc de la contradiction l'un des grands thèmes de son roman : si la satire contre les romans de chevalerie sonne comme une invitation à la lucidité, on trouve également dans le Don Quichotte une célébration de l'illusion qui, en suscitant un attachement passionné à ces idéaux, parvient à donner un sens à l'existence." *


Ayant perdu une grande part, si ce n'est la totalité de ses illusion et dépouillé de sa part de réel Daemon est fâché et se cache. Platon le  Petit le poursuit et l'a surpris dans l'arbre où il se cachait. Une bataille s'engage où l'illusion n'a pas le beau rôle...



* Nuccio Ordine, L'utile inutilité de la littérature, Les Belles Lettres



mercredi 12 avril 2017

Icare


« Je sens que mon corps se vide et que

C’est le ciel qui me monte à la tête
Grand ciel intérieur
Traversé/de mauvais sang
Nuage mauve oblique dans le ciel de craie
Le ciel met du vin dans son soir. » 

Martin Rueff, Icare crie dans un ciel de craie, Belin







12/4 Daïmon

"L'un des paradoxes les plus célèbres de la philosophie occidentale est celui qui a suscité un tournant fondamental dans l'histoire de la pensée. Socrate, l'inventeur de la méthode dialogique, dut recourir à un artifice rhétorique pour être psis en considération par ses concitoyens d'Athènes. Ses intuitions, déclara-t-il, lui venaient d'un daïmon qui lui apparaissait en songe, pendant la nuit. Il utilisa ainsi la croyance populaire dans les oracles pour introduire des idée qui, venant d'un simple être humain, auraient été rejetées à priori. Ainsi, c'est à partir de l'irrationnel que commence la raison." *


– Daemon, reviens!


Ayant entendu ce qui précède, Daemon saisit immédiatement que son nom le relie au daïmon de Socrate. Il comprend aussi qu'il serait possible que l'imposture dont il serait la figure, l'emblème vivant perdure dans le nom qu'il porte et dont il ne saurait se défaire facilement.

– Je ne suis que le porteur d'un nom dont le cavalier est fantôme et le royaume une utopie. Pis que cela une imposture...

Invisiblement perturbé il a disparu dans la nuit... Platon l'Ancien, lui aussi est perturbé par cette absence. Il se méprend sur l'identité du disparu. Il confond Daemon et Platon le Petit.

– C'est comme si une part de moi-même avait disparu. Plus que cela... c'est toute mon âme qui me manque.

Cédant à la pression qui monte de ses entrailles, lui revient alors en mémoire, non sans une certaine grandiloquence, quelques vers de La Fontaine qu'il adresse à celui qu'il dit être son âme disparue:

"Je suis, dit-il, le Dieu qui commande à cette onde ;
Soyez-en la Déesse, et regnez avec moy :
Peu de Fleuves pourroient dans leur grotte profonde
Partager avec vous un aussi digne employ
."





*  Chevaucher son tigre, Gorgio Nardone, Seuil



La fin est un début

" Arrière, hors d’ici, peuple de l’ombre,

Allez-vous-en. Je n’ai supplanté personne,

Je n’ai usurpé le pain de personne,

Nul n’est mort à ma place. Personne.

Retournez à votre brouillard.

Ce n’est pas ma faute si je vis et respire,

Si je mange et je bois, je dors et suis vêtu. " *





Retracer scrupuleusement l'itinéraire d'un être humain, quel qu’il soit, est absolument impossible. À chaque lettre, à chaque mot, à chaque phrase,  quelque chose de nouveau apparait qui n'appartient pas à l'histoire... et pourtant dès le moment ou cette lettre, ce mot, cette phrase se pose sur la page, l'histoire s'en trouve prolongée de telle manière qu'il sera impossible d'écrire le mot fin sans que celle-ci soit immédiatement transformée en un début...





 

* "Une heure incertaine" Primo Levi

12 avril 2017

" Du bout de l'horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon; le roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts " *



– "D'où vient donc cette odeur de souffre
qui précède les sombres cortèges?"
 
– En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, tout, ou presque change...
 – Tout ?
 – J'ai dit tout ou presque... mais il se trouve que pour quelques détails infimes tout change réellement...
– Notre perception de l'univers est une chose bien étrange...
– Comment cela?
– En fait je devrai dire que notre interprétation de ce que nous percevons de l'univers est faussée...
– Et par quoi est-elle faussée?
– Par tout ce que l'on nous oblige à croire, de gré ou de force...



* La Fontaine, Le chêne et le roseau

mardi 11 avril 2017

Ils ont le beau rôle...

Le beau rôle est le plus souvent coûteux.
Platon l'Ancien a le beau rôle... enfin c'est ce qui se dit... Indépendamment du rédacteur, aimerait souligner que: durant le temps qu'il consacre à l'expression de ce qui depuis longtemps "il porte en lui": ces quelques lignes, sans doute perdues dans un océan sans fin qui prend de l'ampleur chaque jour, il espère que l'un ou l'autre de ses rares lecteurs pourrait, en ne se bornant pas à écouter ce qu'il prononce par lui-même, mais de penser avec lui  pour manifester ensemble une pensée, même si elle devait se révéler contradictoire. Curieusement c'est ainsi que prend naissance, par un obscur chemin qui se fait en lui-même, cette contradiction.





– C'est plus fort que moi...

 Seul et sans repères, Platon a presque tous les pouvoirs... mais que peut-il faire ? Son compagnonnage avec Balthazard est, en soi, une chose bizarre, en tous cas exceptionnelle... et Balthazard ne l'est pas moins. Le dialogue qui a lieu entre eux est du même ordre que celui qui s'est établi entre Platon l'Ancien et Platon le Petit, chien de son état. Cependant il existe une différence de taille qui correspond littéralement à leurs existences physiques, certes, mais aussi et surtout sur un autre plan. La puissance de Balthazard est en tous points supérieure à celle de Platon le Petit... encore qu'il faille faire attention: il n'est pas question d'une supériorité de caste, de jugement au sens habituel, mais de jugement au sens premier... celui qui exclu la condamnation...

– Nous n'appartenons nullement à cette bande de sauvages que l'on dit civilisés...

– Cher Balthazard, bien que vos cordes vocales ne puissent porter à vos lèvres le son des mots qui parviennent à mes oreilles, je les entend former cette opinion à propos de laquelle s'est formé en mon cerveau cette question: est-ce que vous parlez des hommes?

– En tous cas c'est ainsi que vous les nommez... 

– J’entends, plus dans le ton que vous employez, comme un léger regret... ou alors un doute...



Comment séparer? / 11 avril

– Comment font les hommes pour séparer tous ces empilements d’images qui transparaissent plus ou moins les unes dans les autres.

– C'est selon leurs besoin...


– Mais n'y-a-t'il pas risque de confusion?

– Il n'y a aucun risque... dès le moment où, tout, dès le départ, est déjà ce que vous appelez confusion... Chaque homme fait un choix dans l'empilent ou l’enchevêtrement des actions qu'il transforme en image. L'image se forme en permanence chez chacun...

– Ainsi, il n'y aurait, selon vous, pas d'images plus réalistes que d'autres?

– La réalité est bien plus complexe que le simplisme dont elle est le nom. Cela  dit cela simplifie la vie de ceux qui y croient...

– Et vous n'y croyez pas...

– La question n'est pas d'y croire ou de ne pas y croire...

lundi 10 avril 2017

Mémoire

Platon aime se souvenir et fouiller dans ce que nous nommons "mémoire". On pourrait croire qu'il serait une sorte de nostalgique romantique. C'est pourtant, selon lui, loin d'être le cas. Ce qu'il recherche, avant tout, c'est un endroit de paix...

– Pendant que vous lisiez ces quelques lignes, un nombre infini d'événements se sont produits. La plupart de ceux-ci vous resteront totalement inconnus, et cela n'a aucune importance. Pas plus d'importance que ce que vous aurez lu pendant ce petit instant. 

Platon, lui même s'étonne beaucoup de ce temps qu'il peut, entre autres, consacrer à sa propre vie.


 – Comment se fait-il que nous puissions "passer du temps" à nous occuper de notre propre vie.., alors même qu'il se passe tant de choses dans ce monde?

– Si je puis me permettre, puis-je vous demander si ce que nous nommons, non sans quelques enflures, la "solitude de l'artiste" est une nécessité?

– C'est une évidence pour certains, mais elle ne va pas de soi...

– C'est trop peu dire pour je puisse comprendre...


– Écoutez, au fond c'est d'une grande simplicité. Chaque jour chacun de nous traverse la nuit parfaitement seul. Notre seul travail consiste à choisir entre ce qu'il faut et ce qu'il ne faut pas choisir...

Intériorité du regard 10 avril




– Chez les hommes,
on parle volontiers
de l'intériorité
du regard...

– Eh alors...

– Et bien, je me demande comment il pourrait en être autrement.

– Comment cela?

– Eh bien, si le regard est l'action d'ouvrir une fenêtre pour qu'agisse sur nous, en nous, les modulations infinies nées du jeu entre le temps, la matière et la lumière. Ce que l'on appelle le regard en est le résultat et cela se passe dans le cerveau...

– Sans le cerveau point d'images?

– C'est exactement cela.

– Alors rien ne se passe hors du regard?

– Ce n'est pas ce que je dis. Il peut se passer u nombre infini de phénomènes qui, si personne ne les ressent et ne les interprètent en tant que telles, ne sont pas des images.

– Que sont-elles alors?

– Des phénomènes, des actions, des jeux, en gros des relations...

dimanche 9 avril 2017

survol de l'île en feu 9 avril

"Ouvre sur moi tes yeux si tristes et si tendres,
Miroirs de mon étoile, asiles éclairés,
Tes yeux plus solennels de se voir adorés,
Temples où le silence est le secret d’entendre.
Quelle île nous conçut des strophes de la mer ?
Onde où l’onde s’enroule à la houle d’une onde,
Les vagues de nos soirs expirent sur le monde
Et regonflent en nous leurs eaux couleur de chair." *


De multiples fois nous sommes repassés dans l'espoir d'apercevoir quelque chose qui puisse nous mettre sur la piste de ce qui dans ces profondeurs agit de telle manière... Sans succès jusqu’à maintenant...



– Enfin, nous ne le savions pas , mais c'est précisément cet incapacité de voir qui fit que la piste nous apparut.



* Pierre Louÿs

samedi 8 avril 2017

L'œuvre du fou

" Décidément ce quartier de la vierge je ne l'aurais jamais vraiment quitté. Depuis le temps il a pourtant bien changé. C'est sa misère qui doit nous poursuivre. Il y avait trop de coup de couteau les soirs de paye. Trop d'ivrognes par désespoir aussi. Trop de crèves-la-faim, de hurlements derrière les baraques  au moment où les épidémies s’abattaient. Tout ce monde, une fois qu'on l'a connu, il est difficile de le déloger. Il reste." *



– Le pauvre cherche à exister, quand il affirme être croyant c'est par nécessité, mais il se trompe... Une vie qui incarnerait un esprit, même si ce n'était là qu'une pensée, ne serait que l’œuvre d'un flou dont le moindre fou serait bien aise de se débarrasser.

– Êtes-vous bien sûr que vous ne devriez pas inverser l'ordre dans lequel vous exposez votre pensée?


  – Ce n'est plus possible... 

– Et pourquoi donc?

– Parce que cela fait déjà bien longtemps que nous sommes passé au-delà de tout ordre... et que l'agonie des étoiles s'étale en un panorama gigantesque sur lequel nous nous projetons nous-même: éclat défunt d'une lumière pour elle même invisible...

– Pourquoi me dites-vous cela?

– Pour répondre à votre question...

– Ce sont tout de même de drôles de mots...

– ... aux antipodes du bon sens et  contrairement aux idées reçues, il arrive que la langue soit pauvre... elle aussi.




* Armand Gatti




le jeu des différences 8 avril





– Regardez, mon cher Platon le Petit, comment notre cerveau est capable de ne pas voir ce qui manifestement est devant nos yeux et dans le même ce qu'il est capable de voir ce qui n'est manifestement pas devant nos yeux..

– Cependant...

– Cependant?

– Cependant en prenant l'exemple que vous me proposez, il me semble qu'il y a un certain je ne sais quoi qui me fait penser que les deux images et les notables libertés que prend la seconde n'est pas sans commune mesures avec la première... Il n'en reste pas moins qu'un certin mystère, aussi, persiste...

– Lequel?

– Qui sont donc ces deux personnages?

 

vendredi 7 avril 2017

À dessein





 "Si les hommes étaient capables de gouverner toute la conduite de leur vie par un dessein réglé, si la fortune leur était toujours favorable, leur âme serait libre de toute superstition. Mais comme  ils sont souvent placés dans un si fâcheux état qu’ils ne peuvent prendre aucune résolution raisonnable, comme ils flottent presque toujours misérablement entre l’espérance et la crainte,  pour  des  biens incertains  qu’ils ne  savent  pas désirer  avec  mesure, leur  esprit s’ouvre alors à la plus extrême crédulité;  il chancelle  dans l’incertitude; la  moindre  impulsion le jette en mille sens divers, et les agitations de l’espérance et de la crainte ajoutent encore à son  inconstance. Du reste, observez-le en d’autres rencontres, vous le trouverez confiant dans l’avenir, plein de jactance et d’orgueil."*





* Traité Théologico-Politique, Spinoza