jeudi 30 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (43)


À peine nous remîmes nous à bouger que ce fut celle dont nous nous étions le plus approché qui s'immobilisa. Un léger chant émanait de sa lumière. Je ne pus réprimer un frisson quand Fidèle me décrivit à sa manière le visage de ce monstre. Les cicatrices aux coins de la bouche, celle à la base du cou, ce sourire énorme, pas de doute : Le Souriant nous avait suivi jusqu'ici...

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Parcere subjectis et debellare superbos"*

*Virgile, Énéode, liv. VI

La très véridique histoire du colonel Ortho (42)


Nous eûmes rapidement l'explication de cet étrange phénomène. À mesure qu'elles approchaient, les lunes se dévoilaient pour ce qu'elles étaient... Ce qui fit que nous nous figeâmes à nouveau dans la même position que l'instant précédent...

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Quaerens quem devoret"

La très véridique histoire du colonel Ortho (41)


Lorsque nous ressortîmes de la montagne ridée, à peine le rideau se fut refermé que la lumière disparu aussitôt. C'est alors qu'apparu un ensemble de lunes flottantes et mouvantes... Fidèle et moi étions restés figés lors du brusque changement de luminosité et de la soudaine disparition du rideau. Lentement nous nous remîmes en marche, à nouveau surpris par la tournure que prenait notre histoire. La lune est changeante, c'est bien connu, mais celles-ci changeaient tout le temps et ne se déplaçaient pas selon un ordre prévisible...

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Lucidus ordo"

mercredi 29 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (40)


J'étais là, devant moi... Tel que, un plus tôt, je dansais avec Fidèle. Nous éprouvions un plaisir sans égal de nous mouvoir avec la légèreté d'un poisson dans l'eau. Mais le plus surprenant était que l'ombre que nous dessinions et que nous regardions comme un spectacle en soi, ne respectait pas le même rythme. Nos ombres vivaient leur propre danse... Elles faisaient ce qu'elles pouvaient...

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Motu proprio"

La très véridique histoire du colonel Ortho (39)


À peine avais-je fait un pas à l'intérieur que la lumière était passée à l'extérieur. Le rideau s'était refermé et la nuit des profondeurs se reformait autour de moi. Ce que je crus voir à l'intérieur me stupéfia et me fit perdre la tête... Là, devant moi...

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "O altitudo !"

La très véridique histoire du colonel Ortho (38)


Au centre de ce cirque surgissaient à nouveau de petits monticules rouges qui, à leurs tours, se mirent à grandir...
Leur surface plissée attirait irrésistiblement la caresse de mes mains. Je fus surpris de constater que la roche n'en était pas et que ce que mes mains rencontrèrent était un tissu épais, moelleux et velouté. De plus ces immenses rideaux dégageaient un parfum si enivrant qu'il était difficile de ne pas céder à la tentation de les ouvrir. Ce que je fis. La lumière qui jaillit alors acheva de m'aveugler...

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Oculos habentes, et non videbunt"

mardi 28 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (37)


Il régnait dans ces profondeurs bleutées, une clarté à la fois douce et tranchante dans laquelle des masses de brumes inégales tantôt brillantes, tantôt matte se mouvaient, se mélangeaient en un maelström imposant mais discret. Tant que l'image était floue le regard était libre et se promenait d'une entité à une autre en ayant l'impression que tout participait de tout. Mais sitôt l'image devenue nette, il devenait difficile d'échapper à son emprise. Le corps entier était happé sans qu'il fut possible d'en réchapper. C'est ainsi que j'entrais sans résistance dans une de ces entités en forme de rideau de théâtre que j'avais vu apparaître, venues du néant, et qui avaient grandi démesurément, simplement nourries de mon regard. Au début ce n'étaient que de petites montagnes rouges assemblées en une figure circulaire. Peu à peu l'espace se contactait, les montagnes semblaient grandir et peu à peu je fus enfermé au milieu d'un cirque de montagnes infranchissable. Au centre de ce cirque surgissaient à nouveau de petits monticules rouges...

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Parturient montes"

La très véridique histoire du colonel Ortho (36)


... J'avais perdu la vue mais il suffisait que je ferme les yeux pour que les images se forment... Au début ce n'étaient que des mouvements colorés qui vibraient comme s'ils contenaient leur propre lumière. Puis lentement cette lumière se répandait à l'extérieur dévoilant peu à peu les formes qui la contenait. C'était nouveau pour moi. Ce ne l'était pas pour Fidèle...

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Ibi deficit orbis"

La très véridique histoire du colonel Ortho (35)


Après un long vol plané et un atterrissage tout en douceur nous nous assîmes Fidèle et moi sur le fond désertique où reposaient les deux colonnes. Ma tête bouillonnait, la moindre de mes veines voulait éclater, mon coeur battait violemment tel un oiseau enfermé cherchant vainement à se sauver. Mon crâne résistait encore vaillamment au naufrage plus que probable. Les questions, comme des vagues furieuses, fusaient de toutes part. Ce fut Fidèle qui me sauva. Peu à peu, sous l'effet de ses paroles, le calme se rétablit.
- Oublie tout ce que tu fus à cet instant même.
Le tremblement de mon corps cessa au moment même où ma mémoire cessa de résister. Je sentis descendre en moi un flux nouveau. J'étirais mon corps, mon souffle revint. Malgré moi. Je n'avais plu besoin de respirer. L'air entrait en moi par tous les pores de ma peau.

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "De profundis"

lundi 27 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (35)


L'ivresse de la chute qui s'ensuivit me fit perdre la tête. J'avais l'impression d'être un oiseau déplacé pas la tempête et qui ne trouve plus ses repères. Tout était nouveau. J'étais quasiment devenu aveugle sur la terre ferme. Ici je voyais à nouveau. Un monde de couleurs mouvantes et changeantes que j'avais l'impression d'entendre.

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Vanitas vanitatum"

La très véridique histoire du colonel Ortho (34)


À mon grand étonnement, juste après les deux colonnes de bois, la dernière planche recouvrait deux autres marches que nous nous mîmes à descendre. Arrivé sur la troisième j'hésitais...
- Suis-moi sans hésiter, me dit Fidèle qui joignant le geste à la parole s'élança sans la moindre hésitation.

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Vae soli"

La très véridique histoire du colonel Ortho (33)


Fidèle est un être rassurant, malgré sa douceur il sait faire preuve d'autorité. C'est sans détour qu'il me dit :
- Mon très cher et vénérable Maître, oublie le Souriant et cesse de t'apitoyer sur toi-même. Cela ne te mènera nul part. Viens avec moi, je t'emmène ailleurs...
Curieusement, il me fut impossible de résister et mon corps se mit à trembler quand il se mit à avancer vers l'extrémité du ponton. Des souvenirs diffus bourdonnaient dans mes oreilles. C'est là que j'envoyais mes prisonniers par le fond. Je n'allais tout de même pas subir le même sort !

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Ultimum moriens"

dimanche 26 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (32)


Le Colonel entend sa propre mort lentement le rattraper. Il a trouvé un confident fidèle en la personne de son chien. Il peut enfin faire entendre les inquiétudes qui le rongent de l'intérieur.
- Je ne reconnais plus le Souriant que je considérais pourtant comme la chaire de ma chair. C'est moi qui l'ai conçu entièrement, mais ce qu'il dit m'est incompréhensible. Lui qui n'était qu'un nain peut devenir si grand que lorsqu'il me parle j'en perds tous mes moyens. Mon masque se dissout, ma casquette s'envole et à la place de mes yeux se creusent deux trous béants dans lesquels je me perds...

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Fronti nulla fides"

La très véridique histoire du colonel Ortho (31)


Si le Colonel avait pu connaître l'avenir, il se serait vu sur le ponton désert de son palais. Il aurait pu entendre les conversations qui commencèrent ce jour-là avec son chien. Il était loin de se douter qu'il vivrait là compteraient parmi les plus belles heures de son existence.
Le chien :
- On m'a dit que tu voulais redonner vie et espoir à humanité, quitte à te sacrer roi toi-même : comment pouvais-tu être assez fou pour oser de telles pensées?
Le Colonel :
- On a dit, on t'a dit, tu crois donc, toi, à ce qu'on dit ? N'étais-je pas plus que roi, ou dictateur, ou empereur ! Que m'importait le nom puisque j'avais la chose. Tout cela a déjà été dit. Le malheur est venu de ce que je n'ai pu m'en souvenir. Il eut fallu que je m'exprime plus clairement à propos de ce que j'attendais que l'on m'offrit : mon peuple me l'aurait accordé, et mes ennemis auraient fait des efforts impuissants pour m'abattre...
Le chien :
- Faisons silence, si l'heure est grave, mon maître, il n'est jamais trop tard pour bien faire. Abstenons-nous de toute parole indigne et mettons-nous en marche...
Curieusement, si le Colonel n'était guère surpris d'entendre son chien parler, il était stupéfait de la justesse de ses propos. Il se demandait comment un chien qui commence à peine de parler peut formuler sa pensée de façon aussi claire. Il en déduisit pour la première fois que quelque chose lui échappait dans l'ordonnance de son monde...

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Ore favete omnes"

jeudi 23 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (30)


Du temps où l'avenir lui souriait, le Colonel se souvient avec émotion des lectures de sa jeunesse :
"Marat :
- On m'a dit que tu voulais redonner un roi à la France, ou te faire roi toi-même : tu devais être sûr d'échouer dans ce projet.
Robespierre :
- On a dit, on a dit, tu crois donc, toi, à ce qu'on dit ? N'étais-je pas plus que roi, ou dictateur, ou empereur ! Que m'importait le nom puisque j'avais la chose. Le malheur est venu de ce que je n'ai pu la consolider. Il fallait demander ce que j'attendais que l'on m'offrit : le peuple me l'aurait accordé, et mes ennemis auraient fait des efforts impuissants pour m'abattre..."*

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Tempus edax, homo edacior !"

*Dialogue entre Marat et Robespierre
Édité en l'an deux de la République française

mercredi 22 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (29)


Le Colonel porte son masque depuis si longtemps qu'il en est arrivé à douter de lui. "Qui y a t'il" derrière cette façade?
Pour répondre il se prend délicatement la tête entre ses mains et, faisant face à soi-même, les yeux dans les yeux il se parle d'homme à homme.
- Souviens-toi, "homme", des lourdes chaînes de tous qui t'ont précédés et qui sont tombés dans l'oubli. Ne laisse pas les temps te corrompre: "Tête qui roule n'amasse pas mousse !"
- Souviens de l'esprit de tes maîtres dont aucune trace ne survit. Souviens-toi de celui qui fut le plus grand et le plus vertueux: "Maximilien Robe de pierre", homme intègre s'il en fut, injustement accablé de tous les méfaits imaginables. Devant l'adversité, le mensonge, la bassesse et l'ignominie des hommes fais face avec vaillance et fais revivre le "Culte de l'Être suprême". Le Colonel aimait parler et il aimait tout autant s'écouter. C'était un homme complet... Ses bonnes paroles avaient le don de le faire sortir du doute. Dans ces moments là il était heureux.

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Dura lex, sed lex !"

mardi 21 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (28)


Le plaisir de cette nouvelle activité occupait de plus en plus de place dans son esprit. Il passait son temps à attendre l'instant béni de cette projection. Naturellement elle ne se produisait pleinement qu'une seule fois par mois. Ce qui, très vite, lui procura une frustration au moins égale au plaisir qu'il en tirait. De plus, il était à la merci des éléments. Un simple nuage pouvait tout remettre en cause. Il lui fallut étudier la course et les chemins mystérieux qu'empruntait cette lumière. Il changea souvent de point de vue, multiplia les expériences et les constructions.
- Cette planète n'est pas ce qu'elle montre. La lumière dans laquelle elle baigne n'est pas la sienne. La matière subtile ne lui appartient pas. Elle n'est que matière inerte à laquelle la "distillation lumineuse" a enlevé l'esprit.

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Caput mortuum"

lundi 20 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (27)


En se déplaçant sur les petites îles de son territoire, le Colonel se rend compte que le rapport entre sa grandeur et celle de la lune est variable. C'est ainsi que ses mains, et par extension lui-même dans sa presque totalité, peuvent, sous certaines conditions, disparaître complètement de la vision d'un spectateur. Il se met à réfléchir longuement.
- Si la lune lune suit fidèlement la trajectoire qui la lie à la terre, je pourrais en me déplaçant constamment, pouvoir imprimer continuellement une image visible sur sa surface. Le problème est qu'elle n'est pas stable. De plus, elle est changeante... Il faudrait pouvoir la stabiliser, voir même en créer une nouvelle, plus belle et moins changeante !
C'est ainsi que se mit en mouvement, dans la tête du Colonel, l'irrésistible et irrémédiable ascension d'une lune nouvelle.

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Similia similibus"

La très véridique histoire du colonel Ortho (26)


Le Colonel se prend au jeu. Ses mains se délient et se mettent à raconter. Elles font apparaître ce qu'il croyait avoir oublié. Il doit faire face à son passé.
- Si l'âme universelle donne la vie et le mouvement au monde, mes mains doivent en faire autant.
Sans le savoir, il se fait l'écho de Virgile : « L'âme universelle du monde est comme un grand océan de lumière, nos esprits sont comme de petits ruisseaux qui en sortent et y retournent pour s'y perdre. »

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Mens agitat molem"

dimanche 19 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (25)


Le Colonel eut une "bouffée d'émotion" quand il vit ses propres mains "prendre vie" sur la surface lumineuse de la lune. Tout de suite son esprit "éveillé" comprit le parti qu'il pourrait en tirer.
- Volez oiseaux à pleines mains, que j'en couvre cette lumière, et que d'ici je prodigue l'ombre de ces ces offrandes légères et ces vains honneurs à ceux qui sont comme mes enfants !

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Manus habent et non palpabunt"

La très véridique histoire du colonel Ortho (24)


Un petit matin, tout-à-fait par hasard, le Colonel s'adonnant à l'un de ses jeux favoris* découvrit le reflet de ses dix doigts s'agiter dans la lumière blafarde de la lune.

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Ab nihilo"

*"Saute-mouton": jeu à la fois sportif et enfantin qui consiste à chevaucher élégamment une vague après l'autre. Lorsque le Colonel chevauche la dernière dernière vague, celle -ci se relève et saute à son tour le Colonel, en continuant par toutes les vagues qui l'ont précédées et ainsi de suite. Le nombre de vagues n'est pas fixé. Le jeu se poursuit jusqu'à l'épuisement des acteurs et que le calme plat se soit installé.

vendredi 17 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (24)


Le palais du Colonel a été conçu à l'image des lois et de la raison divine. Il est construit sur une lagune très éloignée. Sans cesse soumise aux variations climatiques, aux rythmes des marées, des astres et de la lune.
- Il se dresse fièrement, enveloppé et caressé par la mer, pénétrant le ciel de toute sa vigueur virile, il domine tout comme l'être humain dans toute sa beauté et sa complexité ! Il n'est possible à nul autre qu'à moi-même d'en percevoir la totalité.

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Vae soli"

La très véridique histoire du colonel Ortho (23)


Quand le colonel Ortho veut "travailler" tranquillement avec ses disciples, il prend ses quartiers dans un ancien phare attenant au palais qu'il a luxueusement aménagé sur une lagune. Bien à l'abri des regards, il œuvre.
- Tout l'art consiste à être subtil et discret. Au-delà de tout, le sujet doit continuer à rêver. Ici, nul ne peut nous déranger... Mes oiseaux veillent...Heureuse faute, qui a mérité un si grand rédempteur ! La vérité existe mais nous ne la percevons que de manière inadéquate et fortuite.
Selon le Colonel, "l'esprit des lois est la raison divine et la loi suprême est l'amour universel du genre humain."*

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Felix qui potuit..."

*Le Colonel lit aussi. Il a bonne mémoire et fait feu de tout bois. Adepte de Cicéron, il a fait sienne une partie de ses idées.

jeudi 16 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (22)


Blondine sait consoler. Elle a pris le Souriant dans ses bras. Elle exerce sur lui de subtiles caresses. Le Souriant, de plus en plus béat et insouciant, rêve de ne jamais se réveiller. Son corps, lentement, se réchauffe et s'allonge...
- Si seulement cela pouvait ne jamais s'arrêter !
Sous les mains expertes, le nain se transforme en géant.
Le Colonel, dans l'ombre de Blondine, très ému, tente vainement de réprimer son émotion.

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "O felix culpa"

mercredi 15 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (21)


Le monde du Colonel et du Souriant se rejoigne. Et pourtant rien ne peut être aussi différent. Les apparences sont trompeuses. Ce que l'un voit et fait en profondeur ne ressemble en rien à ce que ressent l'autre. Ainsi le Souriant, qui sourit enfin de son vrai sourire a l'impression de renaître à la vie, sauvé par son maître... La femme qu'il aime est là, dans l'ombre et complice de son mari. Son doux visage d'ange est au service du Colonel. Celui-ci est , l'espace d'un instant, touché par l'expression béate du mourant qu'il tient entre ses bras et par la tendre complicité qui commence à s'établir entre sa femme et son disciple. Mais très vite il reprend ses esprits.
- Surtout, ne pas se laisser submerger par des émotions. Quelles qu'elles soient ! De la rigueur et de la droiture, toujours et encore. Cet homme est bientôt mûr pour la grande tâche que je lui ai assigné. Le temps n'épargne pas ce que l'on fait sans lui. Il faut, sans tarder, vider et ranimer ce voyageur fatigué...

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Festina lente"

mardi 14 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (20)


À l'autre bout de la corde le Colonel Ortho se concentre. Il compte soigneusement le nombre de bulles qui remontent à la surface. C'est un exercice difficile. Il en va du succès de l'entreprise. Lorsque la dernière bulle éclate, compte tenu de la profondeur, il peut, dans un mouvement lent et régulier, commencer la remontée du sujet. Surtout ne pas faire d'accoups qui pourraient signaler la présence de la corde.
- Il faut que le sujet se perde et oublie où il se trouve. Tous ses repères doivent disparaître pour que l'homme puisse renaître pur et sans mémoire...

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Action, récompense et sanction"

lundi 13 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (19)


Le souffle s'éloigne aussi, la boule monte de l'estomac, le corps descend, la bouche s'ouvre. La tête résonne. Qu'est-ce qui bat si fort contre les parois ? Le corps n'a pas soif n'a pas soif mais prend l'eau, toute l'eau. La tête se brouille. Elle se met à flotter. Le souffle s'inverse. À ce point précis le corps entier flotte, libéré. Les images reviennent. Blondine est là qui émerge... Il lui parle... Elle m'appelle ! Son talon touche le fond. Aspiré vers la lumière son corps libéré ondule.

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Souffle, profondeur et mascarade"

dimanche 12 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (18)


Et puis l'image se fait floue et s'en va comme une étoile filant dans le ciel de la nuit. Une dernière fois le Souriant se raccroche à la proue de ce qui fut son bateau et à ses souvenirs. Blondine n'est plus qu'un souvenir sans image. Un ange sans visage.
- Je me souviens du moment crucial de notre premier rendez-vous. Je venais de lui prendre la main. Je suis sûr qu'elle voulait être désirée. Elle n'a pas retiré sa main. Je sentais qu'elle voulait être estimée, respectée, admirée. Ainsi elle me résista longtemps. Elle ne voulait pas être corps pour autrui. Elle me donna sa main presque par distraction, inerte comme un petit objet, un élément séparable d’elle... Et puis, sans que je puisse rien faire, comme un ange elle se mit à fuir comme aujourd'hui cette étoile filante.

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Transcendance et mauvaise foi"

samedi 11 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (17)


Le naufrage est inévitable. S'il ne veut être consommé par ce feu qu'il a lui-même allumé, le Souriant doit se jeter à l'eau.
- Que ce feu consume tout ce que j'ai été... Dès ce moment je suis mort à moi-même.
Le Souriant ne croit pas si bien dire. La mer se forme. De profondes vagues montent à des hauteurs qui lui donnent le vertige. Au loin le bateau a cessé de brûler et s'éloigne. Vide.
- C'est à l'image de ma vie, se gargarise le Souriant.
Dans sa mémoire, une seule image flotte à laquelle il se raccroche, celle de Blondine...sa mauvaise foi...
-..." je sais bien que je suis lâche et paresseux, mais pas tant que ça ni exclusivement ni une fois pour toutes quand même…"

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Lettres et nez en l'air"

*L'Être et le Néant
J-P Sartre

vendredi 10 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (16)


Cette colère noire et fumante ne pouvait rester longtemps sans conséquence. Le couvre-chef jeté à terre, la tête du Souriant fut mise à nu. Incapable de réagir à cette nudité si soudaine, il lui fut impossible d'appréhender l'ampleur du désastre. Il ne lui restait plus, par force, de se voir sourire et pleurer devant le sulfureux destin qui se joue devant lui.
- "...je suis condamné à être libre. Cela signifie qu'on ne saurait trouver à ma liberté d'autres limites qu'elle-même ou, si l'on préfère, que nous ne sommes pas libres de cesser d'être libres."


La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Sulfure, luxure et naufragés"

*L'Être et le Néant
J-P Sartre

jeudi 9 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (15)


Malgré sa petite taille, Le Souriant possédait une vigueur surprenante. Certaines de ses colères explosaient pour des motifs qu'il avait peine à comprendre. Ainsi le jour où il entendit ces mots:
"Si l'homme est ce qu'il est, la mauvaise foi est à tout jamais impossible et la franchise cesse d'être son idéal pour devenir son être; mais l'homme est-il ce qu'il est et, d'une manière générale, comment peut-on être ce qu'on est, lorsqu'on est comme conscience d'être ? Si la franchise ou sincérité est une valeur universelle, il va de soi que sa maxime «il faut être ce qu'on est» ne sert pas uniquement de principe régulateur pour les jugements et les concepts par lesquels j'exprime ce que je suis. Elle pose non pas simplement un idéal du connaître mais un idéal d'être, elle nous propose une adéquation absolue de l'être avec lui-même comme prototype d'être. En ce sens il faut nous faire être ce que nous sommes. Mais que sommes-nous donc si nous avons l'obligation constante de nous faire être ce que nous sommes, si nous sommes sur le mode d'être du devoir être ce que nous sommes ?"*
Ce qui le mettait dans cette colère noire et fumante n'était pas qu'il ne comprenait rien à cette obscure quête de liberté, mais le fait que même dans cette interrogation extrême il paraissait sourire et jouer...


La très véridique histoire du colonel Ortho
« Si le problème a une solution, il ne sert à rien de s'inquiéter. Mais s'il n'en a pas, alors s'inquiéter ne change rien.»
Aux éditions "Sulfure, luxe et mots couverts"

*L'Être et le Néant
J-P Sartre

mercredi 8 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (14)


Chaque soir, quand la nuit tombe, le Souriant ne lutte plus. Il prend tendrement d'assaut les nuits invisibles, joue et se vautre avec les ombres nues. Il se sent protégé par l'obscurité et les ivres compagnons. Il se donne à coeur joie et à minuit, pas encore rassasié, refait le monde.
- Mutins ! Marins ! Putains ! Quels bonheurs ! Que dis-je ? Quelle horreur que de rendre lame à ces fugitives naissances qui ne brilleront qu'un instant.
- Que les hommes jettent leurs masques ! Qu'on ne puisse savoir ce qu'ils sont !

La très véridique histoire du colonel Ortho
« Sois heureux un instant. Cet instant est ta vie. »*
Aux éditions "Faux, Chemins, lutins et petit marins"

*Omar Khayyâm

La très véridique histoire du colonel Ortho (13)


Chaque jour au plus profond de la nuit le Souriant lutte. Il part à l'assaut des jours invisibles aux abords des petits matins mutins.
- Mutins! Quels bonheurs ! que dis-je ? Quels honneurs ! que de rendre lame à la lumière sanglante d'une naissance qui chantera mon quotidien. "Que les hommes mettent leurs masques ! Que l'on puisse savoir qui ils sont !"*

La très véridique histoire du colonel Ortho
« A coeur saillant, rien d’impossible. »
Aux éditions "Feux, Chimères, mutins et petit matins"

* "L'homme cesse d'être lui-même dès qu'il parle pour son propre compte. Donnez-lui un masque et il vous dira la vérité." Oscar Wilde

mardi 7 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (12)


Le Souriant sait parfaitement faire passer sa petite taille. Personne n'en parle jamais. Il faut dire qu'il manie la dague aussi bien que les boules !

La très véridique histoire du colonel Ortho
" Coeur qui soupire n'a pas ce qu'il désire."
Aux éditions "Royaumes et gémissements"

La très véridique histoire du colonel Ortho (11)


Le Souriant est fort habile de ses dix doigts. Il manipule fort adroitement. La corde et les noeuds qui se tendent n'ont plus de secrets pour lui. Le Capitaine au long cou plaît beaucoup à ses dames. Il en possède un certain nombre...
- Je leur dois la vie. Sans elles je serais mort depuis longtemps. Je ne calcule jamais mais tout ce qu'elles font est raisonné.

La très véridique histoire du colonel Ortho
" Souriant mais alarmant"
Aux éditions "Charme & Soupirs"

lundi 6 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (10)


Le Souriant est marin. Capitaine au long cou. Il est un des rares survivants qui ait connu la Grande époque du Colonel.
- Je lui dois la vie. Sans lui je serais mort depuis longtemps. Il ne calcule jamais mais tout ce qu'il fait est raisonné. C'est aussi lui qui m'a appris à sourire... Jamais plus je ne serais ce que j'étais. Je ne dis pas que ce fut sans douleur, mais au moins c'est durable...

La très véridique histoire du colonel Ortho
"Sérieux mais souriant"
Aux éditions "Larme & Sourire"

dimanche 5 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (9)


- Derrière ma face joyeuse se dissimule un penseur dont la modestie, la diversité et la richesse égalent la profondeur. J'ai fait un rêve, mes amis. Un rêve que vous ne pouvez voir... Dans ce rêve la réalité m'est apparue de façon si lumineuse que n'hésiterais plus à vous en faire part. Cela vous évitera bien des tourments. Vous n'aurez plus à spéculer sur ce que sera votre avenir...
La voix du colonel savait se faire très douce. Il aimait à se promener dans la nature sauvage de son jardin secret. Il parle aux arbres, aux oiseaux et à son chien.

La très véridique histoire du colonel Ortho
"L'image rend visage"
Aux éditions "Logique & Sagesse"

samedi 4 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (8)


Chaque jour le colonel Ortho parcourt la jetée qui le mène jusqu'à l'horizon. Seul, il fait face à la mer et marche longuement.
- Le peu que je perçois de la lumière m'aide à m'orienter. J'aime le contact avec la réalité. Certains croient que je délire, il n'en est rien. Je suis un être rationnel. Je suis parfaitement conscient de ce que je fais et des raisons qui me poussent à le faire...

La très véridique histoire du colonel Ortho
"Le fou rend sage"
Aux éditions "Tremblements & Mystères"

vendredi 3 novembre 2006

La très véridique histoire du colonel Ortho (7)


Le colonel Ortho est presque aveugle. Cela ne l'empêche nullement de se déplacer avec aisance.
- Ce sont mes oreilles et ma peau qui me guident... Je ressens la lutte de l'ombre et de la lumière. Je peux voir ceux qui y vivent et que les voyants ne savent pas voir. J'ai toujours l'impression de me déplacer dans un monde qui n'existe pas. Je voyage dans les images que j'ai gardé en mémoire. La lumière me porte et quelques fois j'ai l'impression de voler...

La très véridique histoire du colonel Ortho
"Le sage rend fou"
Aux éditions "Ombres & Lumières"