jeudi 30 avril 2020

 
«Ainsi, la parole, chez celui qui parle, ne traduit pas une pensée déjà faite, mais l’accomplit.»

Maurice Merleau-Ponty




Extrait d'une lettre de Pinocchio, l'Autre

J’ai su que c’était vous...
Votre cœur, monsieur l’Écrivain... le saviez-vous? Vous ne me croyez pas... C’est votre cœur qui était là explosant sur le champ de bataille, sur la mer déchaînée juste avant le naufrage. Et mon bras auquel était encore attachée, presque désarticulée, une main pendante et déjà fortement décolorée. Elle était là flottant dans l’acide qui vous rongeait... Je ne sais comment, la corde qui y était attachée, ce lien qui me faisait votre prisonnier, était là, comme une offrande posée sur le rivage. Je n’eus qu’à la saisir du bras et de la main qui me restait.  Pour plus de sûreté je l’attachais à ma taille. Ainsi je commençais de la ramener vers moi. Le plus dur était à venir, monsieur, il fallait maintenant s’en retourner connaissant le terrible secret... Celui que que vous refuserez de croire, cela, déjà, je m'en doutais... monsieur l’Écrivain...

mercredi 29 avril 2020


"Cette aurore est la première du monde. Jamais encore cette teinte rose virant délicatement vers le jaune, puis un blanc chaud, ne s’est ainsi posée sur ces visages que les maisons du côté ouest, avec leurs vitres comme des milliers d’yeux, offrent au silence qui s’en vient dans la lumière naissante. Jamais encore une telle heure n’a existé, ni cette lumière, ni cet être qui est le mien. Ce qui sera demain sera autre, et ce que je verrai sera vu par des yeux recomposés, emplis d’une vision nouvelle."

Livre de l'intranquilité, Fernando Pessoa



Monsieur l’Écrivain 

Se pourrait-il que toute cette révolte que j’imaginais être mienne puisse avoir été celle d’un autre. La vôtre peut-être, monsieur l’Écrivain. Il me semble de plus  en plus que vous vous êtes servi de moi...
Ce qui me dérange le plus dans cette histoire est précisément le fait d’être dérangé et que ce dérangement loin d’être mien serait encore le vôtre. Tout ce que j’imaginais être mien était-il et sera-t-il à jamais vôtre? Il me semble...en me tournant vers le passé, que j’aperçois quand même quelques petites choses qui ne peuvent être simplement vôtre. Je ne crois pas me tromper en pensant que d’une certaine manière, qui m’échappe un peu... et même beaucoup... je vous échappe aussi quelque peu... Ne serait-ce point là, précisément mon rôle?



Monsieur l’Écrivain

Quand est-ce que pour la première fois je me rendis compte du manque qu’il était prévu que je comble? Je ne le sais plus... mais ce n’est qu’à ce jour et cet instant que je comprends vraiment ce désir qui est le vôtre depuis le début... Ce ne peut être une consolation ni pour vous ni pour moi. Je refuse d’être une consolation, monsieur l’Écrivain. Je ne crois pas que vous auriez eu le cran de mettre en place une situation aussi extrême... à moins que... À moins que vous aussi, dans votre jeunesse lointaine, vous n’ayez été ce qu’aujourd’hui je suis... Et dans ce cas, je ne serai plus le fils, votre fils, mais une sorte de doublure figée dans un passé dont vous remanieriez les séquences, comme un monteur de cinéma monterait un film, sur les indications d’un metteur en scène, vous-même, monsieur l’Écrivain qui avez aussi écrit le scénario et dans ces scènes loin de les inventer, je rejouerais ce qui vous était arrivé avec, je le suppose, quelques petits changements, quelques arrangements vous permettant de reconsidérer ce passé qui pour vous est encore un présent.

dimanche 26 avril 2020

(26) C'était vous




Monsieur l'Écrivain

Comme un automate vous écrivez, comme automate je marchais... cherchant du regard ce fil que pendant un instant j’avais perdu. Et c’est là que j’ai su... Entendant ces lourds battements qui me vrillaient le bois dur de mon crâne, j ’ai su. J'ai su que c’était vous. Votre cœur, monsieur l’Écrivain... le saviez-vous? Vous ne me croyez pas... C’est votre cœur qui était là explosant sur le champ de bataille, sur la mer déchaînée juste avant le naufrage. Et mon bras auquel était encore attachée, presque désarticulée, une main pendante et déjà fortement décoloré, était là flottant dans l’acide qui vous rongeait... Je ne sais comment, la corde qui y était attachée, ce lien qui me faisait votre prisonnier, était là posée sur le rivage. Je n’eus qu’à la saisir du bras et de la main qui me restait.  Pour plus de sûreté Je l’attachais à ma taille. Ainsi je commençais de la ramener vers moi. Le plus dur était à venir, monsieur, il fallait maintenant s’en retourner connaissant le terrible secret... Celui que que vous refuserez de croire déjà je le savais... monsieur l’écrivain derrière le paravent, la mer est d’encre et la barque n’est guère plus grande qu’un bec d’oiseau, le nid est vide comme vous, simulacre de papier, seigneur et maître de l’illusion, monsieur l’écrivain, en qui je vis depuis lors. J’ai toujours une main attachée et j’ai encore l’espoir de m’en sortir, c’est pourquoi je m’active et les mouvements que j’initie sont devenus les vôtres...

« Il reste en mon pouvoir de secouer cet enchantement, de faire tomber ces murailles de carton et de retrouver le monde de la veille.»


Jean-Paul Sartre, L'imaginaire, Gallimard

Monsieur l’Écrivain

Sur le chemin du retour, à l’aide de la corde que j’avais solidement attachée à une dent, je remontais par à-coups,  comme un alpiniste manchot... c’est-à-dire difficilement, et cependant, à nouveau, je me mis à penser sans que l’objet de ces pensées, formulées par une voix inconnue, me restent en mémoire. Elles passaient, je les observais plutôt que de les entendre. Si je ne vous ai point raconté en quelle circonstance j’ai retrouvé mon bras c’est pour ne point vous indisposer...

vendredi 24 avril 2020

(24) C’est là


« En ce sens, on peut dire que l’image enveloppe un certain néant. Son objet n’est pas un simple portrait, il s’affirme: mais en s’affirmant il se détruit. Si vive, si touchante, si forte que soit une image, elle donne son objet comme n’étant pas.»

Jean-Paul Sartre, L'imaginaire, Gallimard 


Extrait d'une lettre de Pinocchio, l'Autre, à son créateur

Monsieur l'Écrivain

Il régnait dans ces profondeurs, malgré les embruns et la puanteur, une lumière qui semblait être produite par elles-mêmes…
Combien de temps pourrait durer ce voyage? Je ne le sais. Aujourd'hui encore, bien des années après, il me semble parfois y être encore... Ce voyage maudit que je fis à votre place, monsieur l’Écrivain, ce terrible voyage dont les souvenirs persistent à jamais dans les tréfonds de votre âme, monsieur l’Écrivain, voyage damné pendant lequel à chaque instant, si je perdais de vue ce que j’y venais chercher, je sentais la mort m'envelopper... Non seulement je le croyais mais il n’était pas nécessaire d’y croire, au moindre relâchement elle m'embrassait et je commençais de mourir... la mort était là, suintant par tous les pores de cette chair intérieure... Mon souffle se faisait brûlant, mon cœur s’affolait et brusquement s’arrêtait pendant que ma tête explosait... du moins j'en avais la sensation pendant que résonnaient les coups sourds  du cœur de la bête. Comme un automate je marchais... je cherchais du regard ce fil qu’un instant j’avais perdu. Et c’est là que j’ai su...





jeudi 23 avril 2020

(23) Profondeurs


« L’ours est parti depuis plusieurs heures maintenant et moi j’attends, j’attends que la brume se dissipe. La steppe est rouge, les mains sont rouges, le visage tuméfié et déchiré ne se ressemble plus. Comme au temps du mythe, c’est l’indistinction qui règne, je suis cette forme incertaine aux traits disparus sous les brèches ouvertes du visage, recouverte d’humeurs et de sang: c’est une naissance puisque ce n’est pas une mort.»

Nastassja Martin, Croire aux fauves, Verticales






Monsieur l'Écrivain

Des complices, Monsieur l’Écrivain, nous étions devenus complices. Dès le moment où, à la recherche de mon bras, vous me fîtes entrer dans cette gueule immonde, nous étions devenus complices. Complices d’un même crime. Le savions-nous? Le saviez-vous? Un crime invisible, certes, presque parfait, certes, mais un crime quand même... un crime que nous allions fuir croyant nous précipiter vers les promesses d’un destin exceptionnel. Exceptionnel, il le fut...Heureux, pas vraiment... Ni pour vous ni pour moi... enfin... pour vous je ne sais pas vraiment... mais pour moi... c’est certain.
Il régnait dans ces profondeurs, malgré les embruns et la puanteur, une lumière qui semblait être produite par elles… Dans ces circonstances penser me détournait de ces sensations atroces... et me donnait quelque peu de courage, enfin je l'espérais... Des complices, Monsieur l’Écrivain, nous étions devenus complices. La pensée tournait en rond dans ma pauvre tête... Sans fin elle venait et repartait... jusqu'à ce que je voie le bout de la corde avec laquelle vous m'aviez attaché, monsieur l'Écrivain...


mercredi 22 avril 2020

(22) Son rôle






– Mon bras !
– Il va falloir aller le chercher...
– Comment ferais-je?
– Cela me parait simple, quand il ouvrira sa gueule vous en profiterez pour y pénétrer et suivre le fil...
– Simple... extrêmement dangereux... et puis il pue!
– La moindre hésitation nous serait fatale...
Me serait fatale!
– C’est pourquoi vous devriez vous réjouir!
– Me réjouir de quoi?
– De n’être qu’une marionnette de ficelle, d'un peu de ferraille et de bois. Les ours ne mangent point de tout cela.
– Il a pourtant avalé mon bras.
– Après que l’ayez menacé avec... et puis... ce n’était point pour le manger...
– C’est lui qui avait commencé...
– Trêve de dispute, je crois que vous l’avez cherché...
– Qu’aurais-je cherché?
– Le contact avec lui.
– Et pourquoi donc?
– Je crains de ne point connaître la réponse... et que cela ne soit votre rôle...

mardi 21 avril 2020

(21) Extrait de la dix-huitième lettre de Pinocchio, L'Autre, à...


Je ne suis pas bien du tout assis sur cette chaise
Et mon pire malaise est un fauteuil où l’on reste
Immanquablement je m’endors et j’y meurs.
Mais laissez-moi traverser le torrent sur les roches
Par bonds quitter cette chose pour celle-là
Je trouve l’équilibre impondérable entre les deux
C’est là sans appui que je me repose.

Hector de Saint-Denys Garneau, Regards et jeux dans l’espace



Extrait de la dix-huitième lettre de Pinocchio, L'Autre

Monsieur l’Écrivain

Comment pourrions-nous, vous autant que moi, échapper à ce grand mouvement dont nous ne sommes, vous et moi, que de tout petits et insignifiants rouages, moi en tant qu'objet de cette mécanique aveugle, et vous même en tant que sujet... et... ou... prisonnier des instincts au service de l'espèce à laquelle vous appartenez?
C'est au moment où je découvrais cela  que je commençais de comprendre ce que vous tentez de faire... et c'est au moment de commencer de comprendre que j'entrevois la possibilité... qui peut-être n'est qu'un espoir... de pouvoir vous échapper... et qui... par là même vous permettrait de... 

(21) Extrait de la dix-septème lettre de Pinocchio, l'Autre, à...




Extrait de la dix-septième lettre de Pinocchio, L'Autre

Monsieur l’Écrivain

Malgré que j'aie toujours été votre prisonnier, il y eu des moments où, précisément, j'imaginais pouvoir être libre... C'est parce que je ne me rendais pas encore comptes combien vous étiez maître de l'ensemble de mes pensées... C'est ce qu'écrivait Pinocchio, l'Ancien... J’ai bien longtemps cru, moi aussi qu’il n’existait... ou plutôt que je n’étais point capable de le devenir et de trouver un désirable logis, ou même ne serait-ce qu’une toute petite place, libre parmi les hommes... et puis... ne le prenez pas mal... j’y ai renoncé... enfin presque. Évidemment vous n’êtes point d’accord, je le sais. Vous essayerez, vous lutterez, y compris contre vous-même... Et c’est là que se trouve la difficulté. De la place, il y en a plein, mais la condition première est toujours la même: ne point déranger... être ce que vous autres les hommes, y compris vous, monsieur l’Écrivain, exigez que je sois.







lundi 20 avril 2020

(20) Chacun selon





Extrait de la quinzième lettre de Pinocchio, l'Autre, à son créateur

Monsieur l'Écrivain

Chacun de nous a, ou devrait avoir, selon ses capacités, sa propre manière de lire un texte ou une image... mais ce qu'il lira refonde toujours le texte ou l'image qui lui aura servi se support. Il serait hasardeux de croire que le texte ou l'image, que le lecteur a sous les yeux, les vôtres par exemple... et non pour l'exemple... puisse être interprété communément, en parfaite symbiose avec son auteur. C'est pourquoi, si souvent, monsieur l'Écrivain, je crains que ce qui vous occupe ne soit point ce qui me préoccupe, moi, qui suis pourtant au centre de votre ouvrage...

(20) La même chose



Extrait de la quatorzième lettre de Pinocchio, l'Autre, à son créateur

Imaginez, monsieur l'Écrivain

Vous savez mieux que moi la difficulté de faire comprendre ce qui résiste au commun... En un ailleurs, comme dans un miroir masqué que nous ne pourrions situer ni moi... ni vous... malgré votre position de dominant... malgré votre malice et la mienne... la complicité des mots, les vôtres et les miens, sans que nous n’y soyons pour quelque cause, cette malice, inhérente et tentatrice, sise au sein des mots, fit qu’au lieu d'un dialogue nourri de nos contradictions, nous nous mîmes, sans nous en rendre compte, à rejoindre ce commun dont je parlais, en déclamant, univoquement, chacun de notre côté, croyant dire parfaitement la même chose...

(20) Une source


Un froid inégalé s’est infiltré.
Des commandos volants sont venus par la mer.
Le golf s’est rendu et toutes ses lumières.
La ville est tombée.

Je suis innocente et prisonnière
dans Naples soumise
où l’hiver
élève au ciel le Pausilippe et Voméro,
où ses éclairs blancs ravagent
les chants,
où de ses tonnerres rauques
il fait valoir le droit.

Je suis innocente, et jusqu’à Camaldoli
les pins émeuvent les nuages;
et inconsolée, car les palmiers
ne seront de sitôt écaillés par la pluie;

sans espoir, car je ne dois pas m’enfuir,
même si le poisson hérisse ses nageoires protectrices,
même si sur la plage hivernale les embruns
projetés par des vagues toujours chaudes
me font un mur,
même si les flots
en fuyant
dispensent le fugitif
du but le plus proche.


Ingeborg Bachmann, Chants en fuite (IV) 



Extrait de la treizième lettre de Pinocchio, l'Autre, à son créateur

Monsieur l'Écrivain

Il est en nous une source dont heureusement je ne connais le nom. En des territoires inconnus ses deux rives s'affrontent. Avec émerveillement j'observe le courant et la lutte des contraires... Dans le même temps, voyant l'ébauche que quelque mouvement à la fois de corps et d'esprit, je ne sais pourquoi, vous me félicitiez et, dans le même temps, votre bâton, dont les égarements m'étaient devenus familiers, caressait ma face et mes côtés... remodelant avec ardeur ce que sous la subite douleur je m'empressais de corriger. Vous souriiez et disiez ne faire que semblant, mais cette chaleur inégale me laissait un tel froid dans le dos qu'il se mettait à brûler. La vigueur de mon esprit, dénuée de raison d'être, incapable de donner créance à vos décadentes valeurs, s'envolait à cause et grâce à vous, en des territoires interdits. Ceux-là même que secrètement vous convoitiez...


dimanche 19 avril 2020

(19) Pas si lointain


« Entre les paupières d'est en ouest, l’œil est blanc, la pupille est invisible.»
Ingeborg Bachmann


Extrait de la douzième lettre de Pinocchio, l'Autre, à son créateur

Monsieur l'Écrivain

Souvenez-vous du temps, pas si lointain, où, pas à pas, nous creusions la page. À mesure que la corde qui nous attachait s'allongeait sans se détendre sous l'action, certes molle, mais permanente, de notre curiosité que vous appeliez désobéissance. Nous tracions les limites par des cercles de plus en plus amples le territoire labouré de notre ignorance. Du sillon que nous étions en train de creuser, nous ne voyions rien. Plus tard, avant que, par l'infinité des passages, nous désertions votre page, de loin, c'est de là que nous vîmes. À peine le temps de le voir, il était, comme il est toujours, à peine apparu, déjà passé. Une trace que l'on lit comme une ligne, comme un horizon avec lequel, l'éloignement aidant, il se confond. Chaque sillon est l'horizon de quelqu'un, m'étais-je dit, pendant qu'il s'éloignait. Je découvrais alors ce que l'instant d'avant nous voilait. J'étais alors inconscient des multiples sens des mots et des renversements du temps qu'ils opéraient. Tout ce qui doit pousser est là, attendant patiemment que se dessèche ce que l'on impose avec force désherbant. Le monde de nos idées est ainsi fait, monsieur l'Écrivain. Chaque ligne, contenant en puissance ce qu'elle deviendrait, voile progressivement celle qui la précédait.

(19) Ordonnance


« Or, on est toujours indulgent à soi-même, et des écrits ainsi destinés à lʼobscurité, lʼAuteur même eût-il du talent, manqueront toujours de ce feu que donne lʼémulation, et de cette correction dont le seul désir de plaire peut surmonter le dégoût.»

Jean-Jacques Rousseau, Lettre à M. l'abbé Raynal


Extrait de la onzième lettre de Pinocchio à son créateur

Monsieur l'Écrivain

Comme vous le disiez... après que le Philosophe l'eut dit... il appartiendrait au sage d'ordonner... Et, plaçant ou déplaçant en désordre des échelles et des ponts branlants, vous continuiez votre leçon: connaître l’ordre d'une chose à une autre est cependant le propre de la seule intelligence ou raison*. Que de sagesse et de mots venus d'ailleurs mais que vous essayiez de faire vôtres en l'appliquant à moi...
Je ne vous dirai pas tout le temps qu’il me fallu épier dans les multiples replis du livre et des pages dans lesquels brusquement pour un temps très court apparaissait quelque signe qu’il me fallait de mémoire analyser pendant longtemps, puis, entre nature et artifice, il me fallait choisir. C’est ainsi que j’arrivais lentement à la l’évidence, je suis... j’appartiens à la famille des pins et l’esprit que vous autres humains avez vu en moi est une simple déformation d’un cerveau surmené incapable de voir et d’entendre autrement. J’avais donc tranché entre nature et artifice. L’artifice étant la conséquence , en premier lieu celui de votre regard... du regard des hommes qui aimeraient être la mesure et le modèle de toutes choses...
Au début je dois dire que cette ambiguïté me plaisait. J’aimais le regard des hommes et j’avais hâte d’en devenir un. À ce moment là je croyais non seulement que c’était possible mais aussi, pour mon plus grand malheur, que je le désirais ardemment...
Plus tard, beaucoup plus tard, trop tard peut-être, malheureusement, cela ne régla point mon problème pour une raison dont je n’aime point parler et sur laquelle je ne m’attarderais pas maintenant. 





* Saint Thomas d'Aquin, Commentaire de l'éthique à Nicomaque d'Aristote

(19) Extrait de la dixième lettre de Pinocchio, l'Autre, à...


« C'est n'être de nulle part que d'être partout...»

Sénèque

Extrait de la dixième lettre de Pinocchio, l'Autre, à son créateur


Monsieur l'Écrivain


 Après de pieuses incantations, les paroles obligées et quelques sourires obligés nous entreprenions l’étude de ce que vous appeliez la discipline. Docilement je répétais les gestes simples qui me coûtaient beaucoup d’efforts quand je les exécutais sans même les fils, tenus par les mains de mon maître qui m’avaient jusque là guidé. Que de fois, tel un bébé brusquement épuisé, tel un homme ivre, ne suis-je tombé. Tout cela ne figure point dans votre livre… Cela m’étonna lorsque pour la première fois je l’ai lu. Si l’on se fie à votre récit, il semble au lecteur que tout cela se fit sans le moindre effort… De là à penser que tout était et me serait facile est très largement trompeur. C’est cela et d’autres petits faits qui, mis ensemble, firent, je vous l’apprend aujourd’hui, que mon nez se remit à grandir. Imaginez dans quelle confusion j’étais... Qui, a ma place eut pu rester serein? Mais imaginez aussi la confusion qui était la vôtre...

samedi 18 avril 2020

(18) Neuvième lettre de Pinocchio, l'Autre, à...


« Il n'y a point d'événement qui, à l'égard des hommes comme des pays, ne puisse être qualifié d'accident.»





Extrait de la neuvième lettre de Pinocchio, l'Autre, à son créateur


Monsieur l'Écrivain

Selon vous, monsieur, le comportement, la chute et la soi-disant rédemption de Pinocchio, le Vrai, n'étaient point le résultat d'une action, la vôtre. Les caractéristiques de force majeure entièrement exonératoire éraient absentes. Selon vous, il n'était en rien une victime...
Saviez-vous que, par le grand des hasards je possédais jusqu’à récemment quelques cahiers que mon glorieux ancêtre avait écrit. Il m’arrive souvent de les relire et, quand je les referme, il me vient, comme en cet instant, en mémoire ce qu’ils contiennent. Cependant, comme vous le savez certainement, entre ce que j’ai lu et ce dont ma mémoire me parle, il y a, par moment, des gouffres profonds que vient emplir mon imagination… Il est cependant des passages dont je suis certain que je ne les ai point déformé… Ainsi il apparaît que lui aussi vous avait écrit…
Vous êtes la source de mes maux, y avait-il écrit.
Tu refuses l’évidence! C’est incroyable ce scepticisme chronique, une vraie septicémie des sens! C’est cela même qui freine ton évolution, auriez-vous répondu, monsieur l'Écrivain, selon les cahiers… et il continue:
Croire est le premier des préceptes que vous aviez instauré... Cela n’apparaît point dans le livre... ou alors juste en filigrane, mais ce fut la base de notre association forcée. Je sais combien exposer cela pourrait vous choquer, mais je vous rassure, le lieu de cette divulgation, aussi publique qu’elle puisse être ne rassemble qu’une toute petite poignée de lecteurs plus ou moins fidèles.
Voyez-vous, monsieur l’Écrivain, comme je ne peux me souvenir du moindre détail... Il est des vérités qui me touchent. Je ne me souvenais point du fait que vous me tutoyiez, ce qui est presque normal, mais, de mon côté, que je me devais de vous vouvoyer, sous peine de sanction. Vous insistiez sur cette règle avec énergie, me reprenant sans cesse à propos du pronominal. J'allais mettre bien du temps à comprendre pourquoi. 



(18) Extrait de la huitième lettre de Pinocchio, l'Autre, à...


En réalité, au sens strict, comme tous ceux qui sont vivants aujourd'hui, à l'heure où je vous parle, je ne sais qui vous êtes et je ne vous connaîtrais jamais. Je le sais. Toutefois...

« À l'heure actuelle, le monde appartient aux imbéciles, aux agités et aux sans-cœur. On s'assure aujourd'hui le droit de vivre et de réussir par les mêmes moyens, pratiquement, que ceux qui vous assurent le droit d'être interné dans un asile: l'incapacité de penser, l'amoralité et la surexcitation.»

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquilité




Extrait de la huitième lettre de Pinocchio, l'Autre, à son créateur

 
Monsieur l'Écrivain

En réalité, au sens strict, comme tous ceux qui sont vivants aujourd'hui, à l'heure où je vous parle, je ne sais qui vous êtes et je ne vous connaîtrais jamais. Je le sais. Toutefois... il arrive que ma très lointaine nature sylvestre, celle à laquelle vous nous avez arraché, me rappelle... et ce qu'elle me transmet vous concerne quelque peu... C’est dans ces instants que ma véritable mémoire me rappelle à l’ordre auquel j'appartiens... Innombrables sont les copies de moi-même... enfin... je me dois aujourd’hui de vous en informer: je vous l’ai déjà dit (et répété de nombreuses fois): je suis Pinocchio, l’Autre... Ce n’était point une coquetterie. Ce nom qui me caractérise est aussi un nom de famille et notre famille est nombreuse… très nombreuse même. Il est tant de récits qu’il arrive que se mélangent, par indiscipline ou par fainéantise, certaines pensées ou simplement des fragments, juste quelques mots balises écrits à des époques différentes et que par commodité assemble pour former, le plus élégamment possible quelque récit s’éloignant monstrueusement de ce qui en fut l’origine... C’est le cas de ces lettres, à condition qu’elles forment un jour un ensemble acceptable, mais plus sûrement, tel est mon point de vue... cela a aussi été votre cas monsieur l’Écrivain.


vendredi 17 avril 2020

(17) Extrait de la septième lettre de Pinocchio, l'Autre à....



Extrait de la septième lettre de Pinocchio à son créateur

Monsieur l'Écrivain


Afin d'être plus clair possible avec vous, monsieur l'Écrivain, je me dois de vous dire qu'il m'aura fallu bien des années et retrouver plus d'une fois le chemin qui, d'année en année, de jour en jour, se dérobe à notre raison avant de découvrir que le nom que je portais n'était qu'une sorte de lointaine réplique dont je me devais retrouver l'origine... Une réplique, vous le savez, est un de ces étranges phénomènes qui, au premier abord, perpétue ce qui fut à l'origine. Mais de l'origine parlons-en. Il m'est difficile d'imaginer que, par habitude, consensus ou résignation, je puisse éliminer ce que d'emblée vous aviez mis en évidence... Avant même que ne commence l'histoire que vous alliez raconter, celle de Pinocchio, et qui fit votre renommée, avant les premiers mots de cette histoire, vous annonciez dans un sous-titre révélateur: 
« Comment Maître Cerise, charpentier trouva un morceau de bois, pleurant et riant comme un enfant.»
Celui qui pleure et rit comme un enfant, c’est Pinocchio et non maître Cerise... Si je vous rappelle cela, c'est pour insister sur le fait, que vous semblez confirmer, que... lui, Pinocchio et nous tous qui sommes à son image, nous étions déjà en vie au moment où vous l'avez dé-couvert... Le morceau de bois, sans autre forme que celle de son ordre, pleurait et riait comme un enfant. Je ne suis pas assez ignorant pour ne pas savoir que les mots et les concepts se plient à volonté, ce qui dans le cadre de votre histoire, est relativement clair... me semble-t'il...
Il m'est venu à l'idée, comme tant d’autres avant moi, que Maître Cerise plus ou moins indirectement, c'était vous. Pure hypothèse monsieur l'Écrivain. Dès lors, vous représentant, vous qui sembliez si sage et bien rangé, l'homme mûr qui habite encore, et pour toujours, chez sa maman... à votre place, symboliquement, il agit... et par lui vous agissiez.


(17) Extrait de la sixième lettre de Pinocchio à...




Extrait de la sixième lettre de Pinocchio à son créateur

Monsieur l'Écrivain

Vous ne pouviez vous en douter au moment où croyiez inventer ce qui ne faisait que parvenir jusqu'à vous, mais il est des phénomènes étranges qui arrivent aux êtres, même les plus bizarres. À ce sujet, bien que je sois encore un ignorant, il semble que j'en sache un petit peu plus que vous. Je ne vous l'ai pas encore dit, ou à peine l'ais-je esquissé, mais je suis Pinocchio, l'Autre, c'est le nom que je porte et qui me différencie de tous les autres... Mon histoire commence là où la vôtre fini... Car, le saviez-vous, nous sommes nombreux... des milliers... des centaines de milliers... des millions peut-être... plus encore... Vous pourriez dire, peut-être le pensez-vous, que nous ne sommes que des copies, de banales copies... Vous vous tromperiez. Le caractère de chacun de nous dépend de beaucoup d'événements... ainsi une partie de moi-même a été dépendante de vous... et, d'une certaine manière, une petite part en dépend encore... Ce doit être aussi pour cette raison que je vous écris. Comme vous vous en doutez certainement il en est bien d'autres.

(17) Extrait de la cinquième lettre de Pinocchio....


« Cette nuit là – comme tant d'autres nuits si nombreuses qu'on n'y pouvait songer sans une confusion[...]

Victor Segalen, Les immémoriaux
 

Extrait de la cinquième lettre de Pinocchio à son créateur

Monsieur l'Écrivain

Il existe, hors du temps, un théâtre privé où le spectacle se donne mais ne peut être vu... C’est une permanence où les spectateurs sont exclus... C’est là que se trouve le lieu de notre rencontre. Lorsque avec force et ruse, après avoir traversé les multiples étapes de votre initiation, remontant le fil de l’histoire, au-delà de celle ci, je pénétrais, parfaitement inconscient. Après tout, quelque fut ma nature profonde, de bois ou de chair, je n’étais qu’un enfant.
Aujourd'hui celui que j'étais n'est plus et ce que l'on peut découvrir n'est plus qu'un amas de bois vermoulu et disloqué...

jeudi 16 avril 2020

(16) Extrait de la quatrième lettre de Pinocchio...


 Rien n'est donné qui n'exige une épreuve...

Wallid Neil



Monsieur l’Écrivain

En un temps qui n'est plus le vôtre, qui est encore le mien et où malgré le plein confinement des corps tout autant que des esprits, je résiste du mieux que je puis et peine à renoncer de questionner. À ces questions vous semblez ne pas vouloir répondre... Ce serait pleinement votre droit si vous en aviez la possibilité. Mais cette possibilité, en d'autres temps, vous l'aviez... monsieur l’Écrivain! Encore eût-il fallu que vous m'écoutiez... Au-delà de l’archaïsme et la vanité de la formule, fruit de votre enseignement, il est cependant quelque petite chose qui ouvre la porte d'un possible... Quelle serait cette petite chose? pourriez-vous me répondre... Eh bien voilà. Il fallait que je vous le dise, Monsieur l’écrivain. Il fallait que je vous dise tout ce que je connais de ce qui entre vos mots, vos lignes et vos pages sans cesse et sans fin se cache et que, de mon point de vue, vous semblez ignorer. Mais n'est qu'un début... auriez-vous dit.... Encore fidèle à cette initiation,  je vous répond: Je continue...

(16) Extrait de la troisième lettre de Pinocchio...


« Le vray miroir de nos discours est le cours de nos vies

Montaigne



Monsieur l'Écrivain

Nos perceptions modèlent nos pensées, nos décisions, et notre monde est empli de préjugés. Je ne suis point ce que vous pensiez, c'est ce que vous pourriez le constater si l'occasion vous était donnée de lire ce qu'en ce temps de confinement je laisse traîner discrètement à l'intérieur de ce livre. Ouvrage qui n'est point le vôtre ni le miroir du mien. À dire vrai, autant que je sache, sous prétexte de liberté, dont l'idée vous tenait tant à cœur, comment n'avez-vous pu ressentir le mal qu'il y avait à l'idée d'enchaîner à la vôtre une vie qui n'était nullement selon vos dires. Je ne suis point vôtre, même pour moité, tout juste avez-vous pu, de force, modeler pour un temps une vie qui de loin vous précédait...

(16) Extrait de la deuxième lettre de Pinocchio...




Cher Monsieur

Comme vous pourriez le remarquer, je ne sais pourquoi, je me suis autorisé à user de cette formule toute faite, convenue et convenable. C’est pour moi une sorte d’expérience de pensée... J’imagine la tête que vous ferez... que vous feriez, si vous pouviez me lire... Cette formule, entre autre, voudrait dire l’affection que je serais censé vous porter. Était-ce ainsi que cela se passait entre nous? C’est ce que ne montrent point les images. Ces images sont les vôtres... même si je sais fort bien qu’elles ne sont point de votre main. Ces images, il me faudra, cela viendra, en parler quelque peu. Pour vous, je ne suis, au départ qu’un misérable objet, un bout de bois, mort de surcroît. Mais à cela vous ne pensez pas. Ce à quoi vous pensez est précisément l’inverse. C’est à vous donner vie que vous pensez! Non, non, je ne me trompe point de formulation, j’ai bien écrit après avoir pensé : « il, je parle de vous, veut se donner vie ». C’est une chose bien délicate  que de constater que son géniteur serait un mort-vivant... Cela n’existe pas... C’est vite dit! Ah! Voilà! C’est image de l’esprit! C’est ainsi que vous m’auriez conçu! Moi, Pinocchio, l’Autre, arrière-arrière-arrière... d’un je ne sais quoi, mort-vivant fils d’un mort-vivant! La belle affaire... Voyez-vous... si longtemps après je vous entend encore. C’est comme si vous étiez là, juste à côté de moi. Votre voix, comme autrefois se mêle à la mienne... C’est au moins aussi étrange que vos idées, mais là, je l’espère, ce que je dis n’est point de vous...


mercredi 15 avril 2020

(15) Première lettre de Pinocchio





Extrait de la première lettre de Pinocchio à son « Géniteur »

Monsieur l’Écrivain

« D’emblée, vous l’aurez remarqué, je ne puis vous appeler par votre prénom ni manifester la tendresse filiale que vous recherchiez. Il me faudra du temps pour vous l’expliquer malgré la quasi certitude que vous n’arriverez point à me comprendre... Tant de temps est passé. Je le regrette autant que vous... probablement. Mes regrets ne concernent point le temps, mais ce manque de lien qui nous unit pourtant. Depuis tant d’années, enfermé dans tant de livres, parlant tant de langues que par ailleurs j’ai apprises sans que pour cela j’aie dû fournir ces efforts auxquels vous teniez tant... Je ne pense point  que vous m’ayez oublié... Pourrais-je vous dire, méditant sur les temps éparpillés que nous avons passé ensemble, vous par goût et désir et moi par obligation, quelquefois, peu nombreuses il est vrai, par émerveillement, par fragments et dégagés des formes convenues et sans égards pour les bienséances, ce qui, bien-entendu, n’est autre qu’un profond ressenti et non un acte d’accusation.
Je ne sais si vous prendrez le temps de me lire vraiment et je doute, tout en espérant, un peu tout de même et malgré tout, que vous me répondrez.»



lundi 13 avril 2020

(13) Guetteur



« Quant à moi, chasseur de vérité et guetteur de vie, je me garde d’imiter leur exemple. Je prends sur le vif des mouvements que j’observe, mais ce n’est pas moi qui les impose.»

Auguste Rodin




 – Comment ont-ils fait pour trouver le passage?
– Il n'en ont pas l'air, mais, chacun à sa façon, ils sont de vrais guetteurs... et ils savent profiter des moindres mouvements... y compris les leurs... y compris ceux qu'ils savent imposer...

samedi 11 avril 2020

(11) Magiciens?




– Il me semble qu'un deuxième de ces étranges personnages est apparu...
– Croyez-vous qu'ils aient profité de ces passages que nous avons découvert?
– Êtes-vous bien sûr que ce soit notre fait?
– Je ne puis en être sûr, mais c'est mon sentiment...
– Ils me paraissent ridicules et pourtant ils font peur...
– Ais-je l'air d'avoir peur?
– Vous n'en avez point l'air...
– Mais?
– Mais vous l'êtes...
– Ils sont étranges...
– Pourriez-vous me les décrire avec plus de précisions?
– Je ne puis les voir que par la magie des mots... 
– Sont-ce des magiciens?
– Les mots oui... eux, je ne sais pas...

(11) Nos sens ne mentent point



– Alors le voyez-vous?
– Ce que je vois ne correspond en rien à ce que vous dites... Êtes-vous sûr d'exprimer clairement ce vous ressentez?
– Autant que je le peux et je ne crois point mentir, mais dites-moi ce que vous voyez!
– Nos sens ne mentent point... mais ce qui nous trouble est l’interprétation que nous en faisons. Quant à ce que je vois, c'est une chose bien étrange...

vendredi 10 avril 2020

(10) Imposant





– L’avez-vous vu... ou entendu?
– De qui parlez-vous?
– De cet homme qui...
– Qui... qui...
– Je suis un peu perdu dans mes pensées...
– Alors que faisait-il?
– J’ai de la peine à le dire.... Ce serait une sorte de garde ou de conseiller...
– Entre les deux peut-être?
– Plus précisément... ce serait... une sorte de conducteur de conscience... mais...
– Qu’est ce qui ne va pas?
– Cela signifie que conscience il y a.
– Et alors?
– Alors c’est nouveau. Cela signifie que mon maître, notre auteur, considère, ou m’attribue, que j’ai maintenant une âme... ou, du moins, un esprit... ce qui voudrait dire... qu’il m'attribue ou m’accorde une sorte de précepteur...
– Où est-il?
– Là où il est le plus utile!
– Comment est-il?
– Calme, posé... presque irrévocable, juge et témoin...
– Physiquement?
– Impressionnant... très grand...
– Est-ce qu’il nous ressemble?
– Peut-être... d’une certaine manière...
– C’est bien vague.
– Je crois que je ne l’ai pas bien regardé.
– Et que vous a-t-il dit?
– Beaucoup... en peu de mots... En fait je crois que ce qu’il voulait me dire excédait les simples mots qu’il prononçait...
– On dirait qu’il vous a impressionné... Où est-il maintenant ?
– Il est là...
– Entend-il ce que je dis?
– Bien entendu...

jeudi 9 avril 2020

(9) Ce que l'on ne voint point



– Il est des choses que l'on ne voit pas et d'autres encore, plus rares, qui se donnent à voir...
– Prenez garde où vous mettez les pieds!
« On boit l'un après l'autre au bidon, on a chaud,
On a froid, l'ouragan tourmente le cachot;
L'eau gronde, et l'on ne voit, parmi ces bruits funèbres,
Qu'un canon allongeant son cou dans les ténèbres.»*




* Victor Hugo, À ceux qu'on foule aux pieds

mercredi 8 avril 2020

(8) Mécaniquement




– Nous répéterions mécaniquement ce qui, peut-être, ne s'est jamais produit...
– En dehors de ce qui se produit dans les pensées de notre auteur...
– Rien ne nous dit que ce qui se produit ou s'est produit dans les pensées de notre auteur était ou est conforme à ce que nous vivons... mais... je crois bien que nous n'avons pas été présenté...
– Est-ce bien nécessaire?
– C'est ce que je pense.
– En êtes-vous sûr?
– Je crois savoir qui vous êtes, mais je ne vous voyais pas si grand...
– Peut-être vous voyiez-vous trop grand... 


mardi 7 avril 2020

(7) L'inverse


« Il y a sur ces mers les plus grands vents qui dictent leur loi aux ouragans et aux bonaces, mais avec eux les alizés badinent, qui sont les vents du caprice, à telle enseigne que les cartes en figurent le vagabondages sous la forme d’une danse de courbes et de courants, de délirantes caroles et gracieux égarements. Ils s’insinuent dans le cours des vents majeurs et le bouleversent, le coupent en travers, y entrelacent des courses. Ce sont des lézards qui sillonnent des sentiers imprévus, se heurtent et s’esquivent tour à tour, comme si dans la mer des Contraires ne valaient que les règles de l’art et non celle de la nature.»

Umberto Eco, L'île du jour d’avant 


– Regardez!
– Comment cela s'est-il produit?
– Je n'en sais rien... je dormais...
– Est-ce vous qui l'avez découvert?
– Je crois que c'est l'inverse... c'est pourquoi je vous ai réveillé?