Auguste, perroquet de son état, depuis qu'il a découvert
le secret du questionnement ne rêve plus que d'une seule chose...
Mais les questions incessantes de Justin sont un obstacle qu'il peine à éviter.
– Nous faut-il des religions pour être heureux?
– Nous faut-il construire des temples?
– La vérité réside-t-elle dans l’ombre de ces temples que,
à l'instar de nos maîtres, nous fréquentons?
Ou serait-ce sur cette ile où vous avez,
il me semble, retrouvé le vôtre?
"À ce qui fut et à ce qui sera,
Vous
savez, cher Joachim, combien je suis attaché à la bienséance, à l'ordre
et à la politesse, au point que tout cela puisse être considéré comme
excessif. Cela fut le cas lors nombreux événements, je le comprends
d'autant mieux que je commence à penser que cette sorte de critique
n'est pas dénuée de sens et me donne, aujourd'hui, l'occasion de revoir
différemment ce en quoi j'ai toujours cru. Au fur et à mesure de mon
ascension sociale, alors que je gagnais la confiance d'un large public
et qu'il reconnaissait la valeur des idées que je défendais naissait
dans les soubassements que nous avions malheureusement délaissés,
jusqu'à ce qu'ils deviennent inaccessibles, un autre public qui se mit à
œuvrer dans l'ombre sans que nous ne puissions y faire face. Du haut de
nos idéaux et de notre cité jamais nous ne sommes arrivés à mettre un
visage sur cette frange marginale qui vivait, aujourd'hui je le sais,
exactement comme je dois vivre aujourd'hui. Il se peut qu'ils n'en aient
pas eu plus le choix que moi. Ainsi je me retrouve sans rien, et dans
ce rien se développent d'autres idées. Suis-je en train de devenir le
paria que nous pourchassions vainement autrefois? Je l'espère. Cependant
je ne crois pas que ma situation soit véritablement inconnue de mes
successeurs. Si j'en crois les nombreux indices que je recueille, ils me
surveillent. Certes ils ne peuvent accéder à mes pensées, du moins je l'espère secrètement, mais ne puis en être sûr. Il se pourrait que tout cela ne soit
qu'une mise en scène. Une scène sur laquelle je serais l'unique acteur,
mais au travers duquel ils pourraient comprendre ceux qu'ils ne peuvent
atteindre. Cela ne vous dit rien? Joachim. C'est exactement ce que je
préconisais, à quelques exceptions près dans mon dernier rapport. Celui
que je vous ai envoyé, Joachim. Celui pour lequel je vous envoyais
quérir... et que je n'ai envoyé à personne d'autre. Vous me suivez
Joachim, si j'ose dire... Rassurez-vous,
si toutefois vous vous inquiétiez, je vais assez bien et j'ajouterai
que physiquement la vie au grand air me fait du bien. Le vent s'est calmé
et je me surprends, quelquefois, à jouer comme un enfant.
La
voile qui recouvrait le matériel caché dans l'abri du pêcheur fait une
bonne cape. Les vagues semblent apprécier sa vitalité. Tout cela est de
bon augure... pour moi. Je ne vous dirais pas ce que j'envisage de faire
ces prochains jours. Il se peut que vous le découvriez vous-même. Je
n'en serais guère surpris. Il me semble, Joachim, que ce sera
certainement la dernière lettre que je vous enverrais. Pour de plus
amples renseignements vous devrez faire votre travail par vous-même... Vous le comprenez maintenant, en ce qui me concerne le grand air fait du bon travail."