samedi 30 novembre 2019

(30) Supposition





– Ils ressentent notre présence... je le suppose... mais je ne crois pas qu'ils nous voient...

(30) Une certaine vague


"La vague du cœur ne s'élèverait pas si magnifiquement en écume et ne deviendrait esprit si le vieux rocher du destin ne lui barrait la route."

Friedrich Hölderlin



– Nous voient-ils?
– De qui parlez-vous?
– Je vous parle de ceux avec qui nous partageons l'image...




vendredi 29 novembre 2019

(29) Insatiable


«(...) Le visage était détendu, dans la quiétude aveugle du grand sommeil. Il regardait son visage et il pensait que la mort l’avait rajeuni. Peut-être était-ce à cause des yeux fermés. Peut-être était-ce parce que la mort avait voilé ce regard insatiable qu’il avait eu vivant.»

Jorge Semprun, La deuxième mort de Ramón Mercader, Gallimard






mercredi 27 novembre 2019

(27) À haute ou à voix basse..




– J'entends ce que vous dites...
– Mais...
– Mais, à cause de cet inconnu 
– Quel inconnu?
– Celui qui flotte dans le sens des mots...
– Vous parlez des mots qui sont dans le livre?
– Quel livre?
– Celui sur dans lequel nous vivons.
– Y-en-aurait-t'il d'autres?
– C'est possible, mais c'est bien des mots de celui-là qu'il s'agit.
– Je comprends. Alors?
– Alors je ne sais si je comprends ce que vous aimeriez dire... et...
– Et?
– Et je me demande si vous vous n'en dites pas plus que vous aimeriez...
– Comment cela?
– Eh bien, vous le savez, les mots ne sont rien tant qu'ils ne sont point prononcés...
– À haute voix?
– À haute ou à voix basse... peu importe...

mardi 26 novembre 2019

(26) Beaucoup d'inconnu


«Ainsi, la parole, chez celui qui parle, ne traduit pas une pensée déjà faite, mais l’accomplit».

Maurice Merleau-Ponty



– Vous ici?
– Vous aussi?
– Qu'y faisons-nous?
– Ce que nous y tentons dépend du sens que nous y donnons.
– Cela fait déjà beaucoup d'inconnu pour si peu de mots...


vendredi 22 novembre 2019

(22) Ressemblance




– La raison est un savoir consensuel et conservateur qui fuit l’interrogation.
– D’où vous viennent ce genre de pensées... enfin... je devrais dire ces mots qui ressemblent à une pensée...
– Je n'en sais rien.
– C'est bien ce qui me semblait.
– Qu'est-ce qui vous semblait?
– Malgré tout ce qui s'est passé... vous ne faites qu'obéir à votre nature. 

mardi 19 novembre 2019

(19) Impossible





 – Pourquoi ne pourrions-nous pas participer à deux événements dans le même temps?
– Que voulez-vous dire par deux événements?
– Eh bien, nous pourrions être tranquillement installés sur une branche...
– Comme maintenant!
– C'est cela.
– Et?
– Et, dans le même temps, nous pourrions participer à une réunion...
– Quelle réunion?






lundi 18 novembre 2019

(18) Le va-et-vient des possibles



– C’est entendu, nous ne sommes point des choses… mais alors que sommes-nous?
– Nous sommes entièrement dans ce qui se donne, mais ce qui se donne n’est pas ce qui se transporte, il est le geste... ou il est dans le geste qui le transporte.
– Il y a dans le va-et-vient des possibles quelque chose d’impossible…

dimanche 17 novembre 2019

(17) Ce qui se voit





– Ce que vous croyez que je suis n’est point ce que je vois…
– Vous avez raison: Nous ne sommes point ce qui se voit…
– Ce n’était pas ainsi que je l’entendais
– C’est ainsi que je vois les choses.
– Nous ne sommes point des choses, il me semble... et ce qui se voit n'est pas toujours ce qui se donne à voir.
– À ces choses-là je n’y entends rien...



vendredi 15 novembre 2019

(15) En sommeil


« Ceux qui ont du mal à s’endormir (trouble banal, bien qu’irritant, que nous connaissons tous), prennent d’habitude  des mesures essentiellement semblables et aussi stériles, pour résoudre leur difficulté. L’erreur la plus répandue chez les insomniaques consiste à se forcer à dormir par un acte de volonté – pour découvrir en fin de compte qu’ils restent complètement éveillés. De par sa nature, le sommeil est un phénomène qui survient spontanément, mais ne peut plus être spontané quand il est voulu. Pourtant c’est ce que fait l’insomniaque dont le désespoir s’accroît avec le tic tac du réveil, et le traitement qu’il s’inflige en arrive à devenir sa maladie. »

Changements, Paul Watzlawick, John Weakland, Richard Fisch


– Où étiez-vous?
– J'étais en sommeil... et...
– Et?
– Pendant ce sommeil, une question m'est venue...
– Dites-moi!
– Que sommes-nous?
– Vous le savez bien!
– Ce que nous savons n’est point ce que nous croyons... vous le savez...

mardi 5 novembre 2019

(5) Mesure






Extrait d'un cahier de Candide 

A ce moment là de mon histoire, il n'y a presque aucun doute dans mon esprit que j'allais céder à la tentation... Elle est trop forte et mon imagination en fait une montagne... Pourtant à bien y réfléchir, rétroactivement bien sûr, tous les voyants, ou presque, étaient au rouge. Ce n'était même pas que je ne les voyais pas, mais je ne voulais pas en tenir compte. J'avais une sorte de confiance en mon destin, je sais c'est une idée curieuse..., non pas en eux, mais en ce que j'espérais qu'ils pouvaient être... et puis, je dois le dire bien que cela puisse paraître étrange, je commençais à me voir tel que je serais un peu plus tard. Il se produisait une sorte de mélange des temps que je n’arrivais point à comprendre mais qui se passait là, non pas devant moi, mais en un ensemble qui me comprenait... et dont je commençais à peine à prendre la mesure.

(5) Avant tout


« Sur le mot; Dieu. Nous sommes loin d’être un mystique: le sentiment religieux jamais n’a voulu de nous. Mais personne ne peut nous interdire, par principe, de suivre une expérience quelle qu’elle soit, lorsqu’un homme la rend poignante: nous obliger d’abolir un mot, sans souci du drame auquel il participe. Nous n’avons pu rompu toutes les attaches pour nous permettre à présent de harnacher le réel, de lui donner la forme étriquée de nos jugements à priori, de déterminer et classer, par abus de pouvoir, le nombre ou la qualité des aventures possibles. Certaines expériences humaines se renouvellent périodiquement, angoissantes, sous le même signe: le rejeter ce serait peine perdue : la seule obligation qui puisse nous échoir, c’est d’en renouveler le contenu. 

Benjamin Fondane, Un philosophe tragique: Léon Chestov


Extrait d'un cahier de Candide 

« Ce n'est qu'un rêve qui obéit à sa nature, à sa part d’irréel et, avant tout, à ce qui le génère...»

 J'avais accepté, pour me laisser le temps de la réflexion, de participer à quelques activités. Selon les dires de ceux qui se faisaient, avec amabilité d'ailleurs, appelés "Les surveillants", ces activités, qu'ils organisaient avec bienveillance, étaient de nature à nous préparer à la grandiose transformation qui nous attendait...et devait réhabiliter l'organe presque manquant qui, selon les points de vue, nous caractériserait.

lundi 4 novembre 2019

(4) Mots, signes...


« La conscience n’est jamais conscience de soi, mais conscience d’un moi par rapport au soi qui, lui, n’est pas conscient. Elle n’est pas conscience du maître, mais conscience de l’esclave par rapport à un maître qui n’a pas à être conscient. « La conscience n’apparaît d’habitude que lorsqu’un tout veut se subordonner à un tout supérieur… La conscience naît par rapport à un être dont nous pourrions être...»

Gilles Deleuze




Extrait du journal de Candide

Pinocchio, l'Autre, accompagné lui aussi de son lumignon, nous avait rejoint sur le grand livre blanc. Tout ce que j'y avais vu et lu semblait s'être effacé. Ne pouvait s'y lire que les trajectoires dansantes de nos ombres. Nous communiquions à l'aide de signes mots et attouchements. Au début nous ne comprenions rien à ces signes, mais le temps aidant l'imagination, certains de ces signes, à défaut d'être évidents, étaient devenus une habitude dont l'effet était prévisible. Ainsi il remplissaient une certaine forme de fonction. Et puis, l'avantage d'être surveillé me permettait de voir attentivement nos surveillants. Il m'était devenu évident qu'une certaine forme de transformation leur avait été appliquée... Je le voyais à ces taches rouges qu'en certaines occasions liées avec leurs humeurs, apparaissaient plus ou moins sur leurs visages. M'était venue à l'esprit l'idée, un peu saugrenue il est vrai, qu'ils avaient été comme nous et que la transformation qu'il nous avaient proposée n'était autre que celle qu'ils avaient subies. Cela ne m'encourageait nullement...

dimanche 3 novembre 2019

(3) Limites


« La gageure que doit tenir le metteur en scène est celle de la reconversion d'un espace orienté vers la seule dimension intérieure, comme les cristaux de quartz d'une géode, en univers indéfini; du lieu clos et conventionnel du jeu théâtral en une fenêtre sur le monde. […]
Pour un temps, le film est l'Univers, le Monde ou, si l'on veut, la Nature.»


André Bazin, Qu’est-ce que le cinéma?




Extrait d'un cahier de Candide


Il m'arrive de rêver bien souvent, mais jamais je ne perd de vue, si j'ose dire, les autres sensations, sans jamais que ces amoncellements d'images et de sensations ne quittent ce qu'ils appellent réalité, sans jamais que je ne doive franchir de limite ou de frontière entre un monde ou un autre et sans jamais que les formes ne doivent être inventées... tout juste ont-elles à se laisser aller selon leurs natures...


(3) Oubli


« L’homme n’est pas un pur esprit, l’homme n’est pas une machine à construire du savoir et surtout pas à avaler et stocker du savoir, le problème est bien là : pour l’épanouissement, pour ce que Nietzsche désigne comme le bonheur, qui suppose une manière de coller au présent, d’épouser le présent, il faut avoir un minimum de liberté, de légèreté, ne pas être écrasé par le poids du souvenir… C’est l’une des directions qui permettent de commencer à comprendre pourquoi Nietzsche valorise l’oubli. Nietzsche fait un rapport au modèle animal qui est très parlant: l’animal ne connaît pas les angoisses, les crises d’identité qui sont devenues le lot commun de l’homme contemporain et Nietzsche l’attribue notamment au fait que l’animal ne souffre pas de cette hypertrophie de la mémoire qui surcharge, paralyse les régulations vitales fondamentales... L’animal vit dans l’instant.»
    
Patrick Wotling





Extrait d'un cahier de Candide

Il est de l'oubli comme de toutes choses: paradoxe... aussitôt cité, aussitôt présent. Mais la présence peut prendre des formes si diverses ou si ténue que l'on peut se perdre. Ainsi l'oubli est-il une présence fantomatique, une de ces présences floues qui ne dit rien ou si peu et nous échappe... À jamais? Rien n'est moins sûr tant l'infini qu'évoque ce "jamais" est incertain, luis aussi. C'est pourquoi, infiniment, lettre après lettres, mot à mot, d'une ligne à une autre, d'une page à l'autre, dans mon cahier je note... avec l'espoir qu'un jour je comprendrais, non pas par le souvenir, mais par une présence nouvelle, ce qui, pour un instant dans l'ombre se cache, se crée et se meurt dans l'oubli...

samedi 2 novembre 2019

(2) Illisible


« Partout, dans les sciences de l’homme et même de la nature, apparaît l’ignorance des origines et de la généalogie des forces. On dirait que le savant s’est donné pour modèle le triomphe des forces réactives, et veut y enchaîner la pensée. Il invoque son respect du fait et son amour du vrai. Mais le fait est une interprétation: quel type d’interprétation? Le vrai exprime une volonté: qui veut le vrai? Et qu’est-ce qu’il veut, celui qui dit: Je cherche le vrai? Jamais comme aujourd’hui, on n’a vu la science pousser aussi loin dans un certain sens l’exploration de la nature et de l’homme, mais jamais non plus on ne l’a vue pousser aussi loin la soumission à l’idéal et à l’ordre établis. Les savants, même démocrates et socialistes, ne manquent pas de piété; ils ont seulement inventé une théologie qui ne dépend plus du cœur.»

Gilles Deleuze, Nietzsche et la philosophie, puf 


Extrait d'un cahier de Candide

Il est des écritures, y compris et surtout la nôtre, qui ne sont point toujours lisibles. C'est peu de le dire. Je ne parle pas seulement des "signes grisâtres" ou bleuâtres dansant par eux-mêmes sur des lignes aussi dansantes qu'eux... Cependant l'impossibilité de la lecture directe ouvre la porte à d'autres sortes de découvertes probablement dues au fait de l'obligation de penser, ou de réfléchir...

 

(2) Sans souci


« Le palais, bloc de pierres jaunes fendues de minces ouvertures, attaché au fond de la ville, là où le terrain, s'élevant en pente douce, ménageait une plate-forme entre les falaises rayées de bistre qui s'ouvraient sur le désert pâle des lointains interdits pressentis par une imagination avide, courbée vers l'horizon plat que les stries écarlates du couchant faisaient basculer; le désert nu soudain présent, tout de suite, sitôt franchie l'infranchissable poterne terminale du palais; et ce serait, sous les semelles minces des sandales, la rocaille coupante prolongée en ondes vers cette ligne ployée, floue sous l'effet de la chaleur qui diluait les contours; lieu de jonction avec le grand ciel immobile; étendue des rêves souhaités vrais sans attente ni espoir d'y atteindre jamais puisque le désert était prohibé, et qu'y patrouillaient des pelotons de méharistes et de cavaliers tissant un réseau de lignes ténues à travers l'espace qui séparait les rares points d'eau toujours menacés d'ensablement, balises chuchotées aux initiés accédant à ces lieux d'indispensable connaissance pour qui devait affronter l'éclat jaunâtre du plateau.» 

Jean Rigaud, Wong 




 Extrait d'un cahier de Candide

Le déroulement inéluctable du cours des choses ne se soucie de rien. Nulle intention, nulle valeur, rien qui montre qu’il y ait un sens quelconque et surtout point de morale.

vendredi 1 novembre 2019

(1) Noirceur


« C'est un homme très bien de sa personne, très riche, très élégant. Chaque jour il se regarde dans un grand miroir où il peut se voir de la tête jusqu'aux pieds. Il constate avec plaisir combien il est beau riche, plein d'humour, bien de sa personne et sans aucun problème. Passe un homme d'esprit qui enlève le tain du miroir et soudain, cet homme si bien, si beau, si riche et plein d'humour, découvre à travers la vitre, le monde tel qu'il est, la réalité du monde et ses horreurs. » 




Extrait d'un cahier de Candide


 Le monde dans lequel nous vivons est cerné de noirceur. Au cœur de ces ténèbres il arrive quelquefois que nous sortions de cette noirceur. Pour cela nous nous révoltons, jamais assez... et nous rêvons, beaucoup trop... Le rêve est une pure production, très réelle, de lumière. Dans ce rêve je voyais  et entrais dans un palais doré. Devant moi était allongé un être endormi dans un sommeil profond. Quelque tressaillements suivis de longs mouvements d'étirements m'indiquèrent qu'il était sur le point de se réveiller. Il ouvrit les yeux et ne semblait pas me voir. Son regard se perdait sur les tourelles d’or qui l’enveloppaient. Partout des reflets de son visage le regardaient.

(1) C'est clair!


« Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi nous disons «C’est clair!» quand nous sommes certains d’une chose? Ou pourquoi nous disons «Je vois!» pour dire «Je comprends!»? Derrière ces expressions familières se cachent les vestiges d’une antique conception de la vérité, qui, d’après le philosophe allemand Hans-Georg Gadamer, peut nous permettre de décrire les fondements du phénomène de l’interprétation et de critiquer le monopole de la vérité des sciences de la nature.»

François Doyon




Extrait d'un cahier de Candide


Avant que je n'eus atteint le fond du précipice, je me retrouvais en équilibre instable sur le sommet d'une vague avec laquelle j'avais le très étrange sentiment de pouvoir communiquer et, plus que cela, qu'elle attendait de moi des instructions... pendant que de très loin me parvenait encore des sons que je voulais croire être les paroles, incompréhensibles par ailleurs, d'un surveillant.