samedi 30 septembre 2017

En fin de conte


"Sous l'éternité épaisse, le ciel.
Livré aux sables, il interroge la pierre, la muraille, l'enceinte.
Un astre s'est éteint, ce matin, sur la rosée. C'était un enfant.
Le pays est enveloppé de silence, de nuages et de bleu. Là derrière le mur qui s'élève et te sépare de la vie, des mains s'agitent.
Quelle vie? me diras-tu. Pas celles qu'ils achèvent. Celle qui a habité ton rêve."*




 

– Tout le monde croit savoir ce qu'est un rêve... se dit Platon l'Ancien. Il serait cette autre réalité qui existerait au gré de l'imagination de chacun. Une réalité qui n'en serait pas une... en quelque sorte... C'est ce qui fait que, en fin de conte, chacun se raccroche à ce qu'il peut...





* Moha le fou, Moha le sage, Tahar Ben Jelloun


Farouche ou insoumis


« L'or perd annuellement par le frottement un quatorze centième de son volume; c'est ce qu'on nomme le frai; d'où il suit que, sur quatorze cent millions d'or circulant par toute la terre, il s'en perd tous les ans un million. Ce million d'or s'en va en poussière, s'envole, flotte, est atome, devient respirable, charge, dose, leste et appesantit les consciences, et s'amalgame avec l'âme des riches qu'il rend superbes et avec l'âme des pauvres qu'il rend farouches.»*




Contrairement à l'or, le frottement continuel de l'esprit de Platon l'Ancien avec celui de tous ceux qu'il côtoie, loin de constituer une usure, produit, par une sorte de bienfait collatéral, ce qu'il appelle un "enrichissement". Bien entendu, cet enrichissement n'a rien à voir avec l'or, l'argent ou la générosité des uns et des autres. Par une forme particulière du fonctionnement de sa pensée Platon l'Ancien réussit à "faire feu de tous bois". Et s'il fut longtemps considéré comme "farouche" ou "insoumis", ce n'était point seulement par "pauvreté"...



* L'homme qui rit, Victor Hugo






vendredi 29 septembre 2017

Île de paix


"Songez à tout cela et tournez alors vos regards vers cette terre aimable et verte infiniment docile, songez à l'Océan et à la terre , ne retrouvez-vous pas en vous même leurs pareils? Car de même que cet océan de terreur entoure les verts continents, de même l'âme de l'homme enferme une Tahiti, île de paix et de joie, cernée par les horreurs sans nombre d'une vie à demi inconnue. Que Dieu te garde! Ne pousse pas au large de cette île, tu ne pourras jamais y revenir!"*






* Moby Dick, Melville

"Il en fallait peu pour être heureux: une fenêtre ouverte, l'odeur de l'herbe chauffée par le soleil, et le silence. Il n'y avait pas un bruit. Seulement le cri indigné d'un rouge queue en train de houspiller inlassablement un chat qui somnolait à l'ombre."*


Platon l'Ancien, encore enfant, à peine se tient-il sur ses jambes qu'il s'échappe du parc et s'élance sans retenue dans les espaces cachés les plus reculés du minuscule jardin.






* Brandebourg, Juli Zeh, Actes Sud

jeudi 28 septembre 2017

Sœurs et filles en injustice

"J'ai dit adieu à la colère quand j'ai vu ce bateau qu'on bourrait de dynamite, j'ai dit adieu à la musique , à ma musique, le jour où je suis arrivé à la jouer toute entière dans une seule note d'un seul instant..."*


Imagination, il n'est rien d'autre rien qui ne pousse aussi facilement que ce que l'on nomme "mauvaises herbes", sœurs et filles de l'injustice.




* Novecento: pianiste, Alessandro Baricco, Mille et une nuits




Le grand déséquilibre du monde


" J'ai adieu à l’émerveillement quand j'ai vu les icebergs géants de la mer du Nord s'écrouler, vaincus par la chaleur, j'ai dit adieu aux miracles quand j'ai vu rire ces hommes que la guerre avait démolis, j'ai dit adieu à la colère quand j'ai vu ce bateau..."*





Face aux rivages malmenés d'un jardin, Platon l'Ancien, encore bébé, à peine juché sur ses deux jambes, constate avec émerveillement le grand déséquilibre du monde.

"En arrière"

" Il est très heureux que les rois ne puissent pas se tromper. De cette façon leurs contradictions n'embarrassent jamais. En approuvant sans cesse, on est sûr d'avoir toujours raison, ce qui est agréable."*




Dès l'instant où Platon, enfant nouveau-né, se met à apprivoiser le langage, il commence à penser "en arrière". Sur une route sinueuse s'est mis en marche un autre lui-même qui chemine à son rythme, au gré des événements qu'il rencontre ou qui le rencontrent. Ainsi va cet homme en qui nous aimerions nous reconnaître et que nous ne cessons d'inventer.




* L'homme qui rit, Victor Hugo


 

mercredi 27 septembre 2017

Une très improbable naissance


Était-ce un simple caillou jeté, balancé dans le fond du jardin, par qui, par quoi, où? Nul ne le saura jamais. Était-ce le reste d'une étoile filante? Un de ces météores comme il en existe tant qui savent rester discret. Personne ne le saura jamais. Toujours est-il que du ciel est il est tombé... Ainsi le veut la légende...
 


– Regarder ne suffit pour voir et écouter n'est pas suffisant pour entendre.



Prétention?


" Ça arrivait toujours, à un moment ou à un autre, il y en avait un qui levait la tête... et qui la voyait."*



– Cher Platon Perroquet, êtes-vous joueur?
– Autant que je le peux...
– Voulez-vous jouer avec moi?
– Je veux bien essayer...


– Croyez-vous que...
– Je ne le crois pas, j'en suis sûr. 
– Il me semble que je n'ai pas encore posé ma question... comment pourriez-vous y répondre avec cette affirmation surprenante et peut-être bien aussi... prétentieuse... si j'ose dire...
– Peut-être est-ce parce que vous pensez à haute voix...
– À quoi jouez-vous?
– Au jeu que vous m'avez proposé...



* Novecento: pianiste, Allessandro Baricco, Mille et une nuits 



Un ordre presque parfait


« ... les choses se ressemblent parce que ce sont des aspects d'une seule et même chose –un immense paysage caché dont on peut extraire des détails ni plus ni moins différents que les doigts d'une main. Bien des physiciens travaillent d’arrache-pied pour essayer d'élaborer une représentation générale qui unifierait tout en un super modèle miraculeux C'est un jeu fascinant, mais pour l'instant il n'y a pas deux protagonistes qui soient d'accord sur ce que doit être cette représentation.»*


Platon l'Ancien, lorsqu'il n'est encore qu'un enfant..:

– Il y a en nous comme un immense paysage qui lentement se déroule et dans lequel se jouent l'une après l'autre... ou l'une dans l'autre, ou encore dans un ordre parfaitement imprévisible ce qui dans un ordre parfait n'eut pu exister...


* Lumière et matière, Richard Feynman, Points


mardi 26 septembre 2017

Espoir




Platon l'Ancien, encore enfant, très vite dut apprendre à désapprendre... Ce qu'il avait su, ce qu'il avait vu, n’eut pas dû se savoir... Pendant toute cette histoire, toujours marchant à pas lents, résonne encore et toujours comme un écho dont l'origine incertaine semble s'être perdue.  Quand l'histoire s'est brisée, là où les choses se murmurent, pauvres et sourds dialogues, sous de lointains regards, quand le cauchemar, d'un simple glissement s'est mis en déroute, l'enfant qui désapprend espère encore... 


Quand l'histoire s'est brisée, là où les choses se murmurent, pauvres et sourds dialogues, sous de lointains regards, quand le cauchemar, d'un simple glissement est mis en déroute, l'enfant qui désapprend espère encore... 
 





Comme un écho



 Platon l'Ancien, encore enfant, très vite doit apprendre à désapprendre... Ce qu'il sait, ce qu'il voit, ne doit pas se savoir... Cette histoire, marchant à pas lents, résonne comme écho dont l'origine s'est perdue.  Échos de voix, peut-être. Échos d'éclats, sûrement. Quand l'histoire se brise, là où les choses ont des voix, quand le rêve devient cauchemar un glissement se met en route qui nous mène là où nous ne voudrions pas aller de notre vivant. Quand même le soupçon se désagrège, le rêve, sous le pied nu, griffe et aussitôt fuit. Mais le rêve, pas plus que le cauchemars n'est le lieu de la mort bien que, tour à tour criante ou discrète, elle s'y fasse voir bien volontiers. C'est en vivant que le mort devient guide. Et c'est aussi en vivant que l'homme rend visite à la mort...

lundi 25 septembre 2017

Paroles de perroquets


« Il ne t'est pas imposé de compléter l’œuvre,
mais tu n'es pas libre de t'y soustraire.»*




– Voyez-vous, cher Justin, ce que nous avons devant nous est une ère nouvelle... celle qui se noue et se dénoue à partir de l'homme.

– N'oubliez pas que nous ne serions rien d'autre que des perroquets sans eux...

– Et... sans œufs nous ne serions pas ici...

– Ais-je bien entendu?

– oui... je l'avoue...

– Je balance entre deux sentiments...

– Reprenez-vous, ce n'était qu'un petit laisser-aller... un petit rapport frontalier entretenu avec l'esprit...

– L'esprit des hommes?

– Qu'en dites-vous?

– Je n'en dis rien, je n'en suis pas.


– Que tous le sache: aujourd'hui et en ce lieu rien de ce qui s'y passe n'a aucune importance quelles que soient le valeurs que vous pourriez imaginer...

– Comment pouvez-vous parler ainsi?

– Le flambeau des hommes est passé... regardez comment toute la forêt brûle... eh bien cela aussi est l’œuvre des hommes bien plus souvent que celle du ciel comme ils disent... et ce n'est plus une petite plaisanterie comme celle de tout-à-l'heure.

– Il en est pourtant, parmi toutes ces valeurs, quelques unes qui me plaisent...

– Mon cher frère perroquet, le monde des hommes n'est point celui que vous croyez...

– "Tempéré par la guerre et discipliné par par une paix difficile et amère"* Ainsi soit-il...






* Rabbi Tarfon, Leçons des Pères

** John Fitzgerald Kennedy

Les lignes d'erre...


« [Les ennemis inconscients de l’enfance qui militent dans les établissements d’éducation] pullulent autour des enfants en danger « moral », délinquants ou inadaptés. Partisans sournois d’un ordre social pourri et qui s’écoule et qui s’écroule de partout, ils s’affairent autour des victimes les plus flagrantes des éboulements : les enfants misérables. Importuns et tenaces, ils se rassemblent comme des mouches et leur activité bourdonnante et bienfaitrice camoufle un simple besoin de pondre dans cette viande à peine vivante leurs propres désirs d’obéissance servile, de conformisme avachi et de moralisme de pacotille.»*



Platon l'Ancien, encore enfant, ne parle plus, il observe, enregistre et "trace des lignes d'erre"...* Son monde n'est pas celui des autres ou peut-être, plus sûrement d'ailleurs, le monde des autres n'est pas le sien.


* Fernand Deligny
Le bien, le mal et leurs champion
 in Les vagabonds efficaces (1947)
pp.163-164.


Sentinelle

" La porte s'ouvre, et s'y engouffrent les appels des hauts parleurs, les roues des brancards, les toux, un murmure de voix, qui atteignent la jeune femme comme s'ils remontaient d'un fond marin."*



Platon l'Ancien, fidèle à lui-même, telle une sentinelle à l'affut du moindre hasard organise ce en quoi il croit... Son île est un passage. Il le sait. Les restes d'épave qu'il ramasse passent avec une sorte de régularité remarquable en elle-même...



* La veille de presque tout, Víctor Del Árbol, Actes Sud

dimanche 24 septembre 2017

Bonne foi


" Les phares de la décapotable éclairaient un panneau rouillé au bord de la route et le clignotant sautillait les lettres à demi effacées. La route s'achevait quelques mètres plus loin. Ensuite ne subsistait que l'horizon liquide, la fin du monde."*

Platon l'Ancien, bien au-delà du dernier panneau rouillé ou de la moindre route, loin de tout, n'en est pas moins recherché... Certaines haines sont tenaces et l'ordre est exigeant. Étant entendu qu'un procès ne peut avancer sans qu'il y ait eu une enquête préalable, en l’absence totale d’éléments contraires à la foi et aux bonnes mœurs, il est obligatoire de donner leur juste valeur et juste place aux éléments contraires à la réputation qui pourraient éventuellement être découverts, même s'ils s'avèrent relever de la bonne foi... surtout si cette "bonne foi" ne fait pas déjà l’objet d’un culte indu.






* La veille de presque tout, Víctor Del Árbol, Actes Sud


Seul face à la mer


Platon l'Ancien, seul face à la mer, cherche en vain le visage qui s'y reflèterait, mis à part le sien que peu à peu il perd. La lente décomposition et recomposition des liens fait son office.






"... rédigée d'une écriture minuscule, à peine lisible, même les paragraphes où l'encre ne s'était pas diluée. Un florilège chaotique qui englobait des références littéraires, des pensées intimes et des poèmes. Certains passages étaient raturés avec un soin méticuleux et les traits étaient si énergiques qu'ils avaient déchiré le papier."*






* La veille de presque tout, Víctor Del Árbol, Actes Sud


Éloge de la périphrase


" Si la discontinuité est une condition d’apparition de la signification, toute discontinuité requiert en amont une continuité dont elle émerge." *



 L'île sur laquelle Platon l'Ancien réside, sans que sa volonté n'y soit pour quelque part,  recueille sur ses rivages quantité de bois flotté qui, une fois combiné avec les blocs sauvages ou taillés, font son bonheur en ravivant des images dont jamais Platon n'avait imaginé qu'elles fussent si profondément ancrées en lui. À ciel ouvert, il assemble et construit comme un enfant dans le bac à sable.


* Driss Ablali





Conversi ad Dominum


"Dans la liturgie de l’ancienne Eglise, après l’homélie, l’évêque ou le président de la célébration, le célébrant principal, disait: ‘Conversi ad Dominum’. Alors, lui-même et tous les fidèles se levaient et se tournaient vers l’Orient. Tous voulaient regarder vers le Christ".  (vers l'orient, là où se lève le soleil... entame sa carrière du jour)*




Platon  l'Ancien, sûr de ne plus revoir le monde tel qu'il lui a paru jusqu'alors, se penche, oublie et regarde dans les profondeurs vers le monde tel qu'il pourrait lui apparaître. Montent vers lui des vagues qu'ils ne connait pas et qui s'élèvent des profondeurs.


samedi 23 septembre 2017

Balancé par les vagues

" Et moi, attaché à la trace de tes pas, je n'entends plus autour de moi que les buissons qui retentissent, sous un soleil ardent, des sons rauques des cigales." 

Virgile, Bucoliques II



Plus encore que les héros, le lecteur est balancé par les vagues et les courants. Pourra-t'il faire taire ce qui le le relie au connu afin qu'enfin en lui se perdent ces liens qui, sans qu'il le sache vraiment, depuis si longtemps l'emprisonnent?







Comme le dit la chanson...

" Car ces gens qui versent goutte à goutte, par les yeux, le mal qui remplit le monde, s'approchent trop du bord, de l'autre côté..."

Dante, La divine comédie Chant XX 



Comme le disent les chansons...



– J'y entends des voix dont je ne connais pas l'origine et j’y vois les sirènes qui m’ont fait roi, pensait-il dans le secret de son mutisme. Elles me charment tout autant que la musique de l'eau. Plus loin sur la plage, à l’heure du couchant, Mimésis, la barque éventrée, au plus profond de ses entrailles, convoque le passé au banquet du présent. Tout au long de la plage au rythme de la houle le temps s'écoule.

vendredi 22 septembre 2017

Volonté


« [...] l'anatomie nous apprend que l'objet immédiat du pouvoir dans le mouvement volontaire n'est pas le membre même qui est mû, mais certains muscles, certains nerfs, des esprits animaux, et , peut-être, quelque chose encore plus délié et plus inconnu à travers quoi le mouvement se propage de proche en proche avant qu'il atteigne le membre même dont le mouvement est l'objet immédiat de la volonté.»*



Quel était l'objet immédiat de la volonté et comment le mouvement avait-il pu se propager avec une telle énergie, passant avec un homogénéité presque parfaite entre le deux hommes, les deux chiens, en passant par le pont...



*Enquête sur l'entendement humain, David Hume, Flammarion






jeudi 21 septembre 2017

Ligne du temps


« Chaque jour, il revenait à la même heure, au même endroit. Et c'était exactement la même heure, c'était aussi le même jardin. Avec l'ingéniosité de Josué arrêtant le soleil pour gagner du temps, Anne croyait que les choses continuaient. Mais les arbres terribles, morts dans leurs feuillage vert qui ne pouvait se dessécher, les oiseaux qui volaient au-dessus d'elle, sans hélas! donner le change ni réussir à se faire passer pour vivant, gardaient solennellement l'horizon et lui faisaient éternellement recommencer la scène qu'elle avait vécu la veille. Pourtant, ce jour-là...»*


Ulysse lui aussi avait souvent l'impression de vivre plusieurs fois par jour les mêmes événements que, s'il pouvait s'en souvenir, hier déjà il attribuait au jour précédent. Sa mémoire était immense mais il ne pouvait la situer dans le temps... si bien que ses récits demeuraient obscurs pour qui n'y ajoutait sa propre ligne du temps.



* Thomas l'obscur, Maurice Blanchot, Gallimard, p.44




















mercredi 20 septembre 2017

Temps de crise


"Et si, en temps de crise se jouait toute notre vie. Ni caprice, ni paresse, ni même abandon mais courage... Le courage d'affronter une question cruciale, la seule qui vaille:
Comment continuer quand tout nous arrête? Où trouver l'envie de rester en vie?"*




Nous croyons communément que l'ordre est un but en soi. Qui se rend compte que l'ordre n'est que la résultante d'un choix, d'une idéologie, découvre  sans espoir de retour, que rien ne peut être sans la disparition d'une autre, si petite ou insignifiante soit-elle...


« Ah ! Combien je voudrais que Dieu ait supprimé
Le jour de ma naissance
Et la nuit qui a dit : « Un garçon est conçu !»
Qu’on regarde ce jour comme l’un des plus sombres !
Que Dieu, là-haut, ne s’intéresse plus à lui !
Qu’aucune lumière ne vienne l’éclairer !
Que l’ombre la plus noire s’empare de lui
Et qu’un nuage obscur s’abatte sur ce jour,
Ou une terrifiante éclipse de soleil !
Quant à cette nuit-là, qu’elle soit la plus noire,
qu’on ne la compte plus dans le calendrier,
et qu’elle n’entre plus dans le calcul des mois !
Oui, que cette nuit-là reste toujours stérile
et qu’aucun cri de joie n’y pénètre jamais !
Qu’elle soit signalée comme portant malheur
par tous les magiciens qui maudissent les jours
et sont habiles à provoquer le grand dragon !
Qu’elle ne puisse voir l’étoile du matin !
Qu’elle espère le jour, mais qu’elle attende en vain
et n’aperçoive pas l’aurore qui s’éveille !
Car elle n’a rien fait pour m’empêcher de naître
et de voir aujourd’hui cette dure misère.»

La bible, Job 1-3



* Les chemins de la philosophie, Adèle van Reeth, 
https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/la-ou-le-coeur-attend-de-frederic-boyer

Bonheur désespéré





« Bonheur désespéré des mots, défense désespérée de l’impossible, de tout ce qui contredit, nie, mine ou foudroie ? A chaque instant c’est comme la première ou la dernière parole, le premier ou le dernier poème, embarrassé, grave, sans vraisemblance et sans force, fragilité têtue, fontaine persévérante ; encore une fois au soir son bruit contre la mort, la veulerie, la sottise ; encore une fois sa fraîcheur, sa limpidité contre la bave. Encore une fois l’astre hors du fourreau. »*





* Philippe Jaccottet 



mardi 19 septembre 2017

Analogie



«(C'est)... que l'analogie n'est pas descendue du ciel au moment de la formation de l'homme, pour lui apprendre à parler; mais elle a été découverte après la parole, et après que le langage eut donné lieu à des remarques sur les désinences de certains mots. Ce n'est donc pas sur la raison que se fonde l'analogie, mais sur l'exemple; elle n'est donc pas la loi du langage, mais le résultat de l'observation; de sorte que l'analogie n'a d'autre origine que l'usage.»*


* Quintilien, “L’institution oratoire”au chapitre VI

Trouver un langage


« Trouver le langage qui traduise avec une force souveraine la persistance d’une possibilité dans l’impossible, d’une fidélité alors que toutes les apparences disent qu’il n’est plus de maître à qui garder sa foi.» *


 Et soudain, lorsque le jour se lève, de longues années sont passées.









* Philippe Jaccottet



Immobile en cet instant


« Le poème nous ramène à notre centre, à notre souci central, à une question métaphysique.»*



– Immobile en cet instant, un certain sourire peut s’ouvrir en de larges horizons. Beaucoup plus larges que tant de mots que je suis incapable d'apprendre, mais que peux comprendre.

Quand les décors sont effacés. La nuit tombe. En un instant, tout est changé. Les règles se distendent, les voix se déforment. Ulysse croit entendre des voix au fond des voix. Des mots cachés dans d’autres mots, l’ordre et le temps ne sont plus de mise.


* Philippe Jaccottet

Les soupirs de la mer

Ulysse se laisse bercer en chantonnant accompagné par les soupirs de la mer qui depuis longtemps déjà ne le porte plus et le grand désert des étoiles, voies d’un autre âge qui l’invitent à danser.





Asservissement

«Être asservi à soi-même est le plus pénible des esclavages.»
 
Sénèque





lundi 18 septembre 2017

Y aurait-il un lien?


À quoi tient le processus de sacralisation? Chez l'enfant par exemple qui, par son regard et ses gestes, donne vie à son nounours. Y aurait-il un lien avec la façon que nous avons de croire que ce qui est vivant est en mouvement... et plus que cela, il faut que ce mouvement soit suffisant pour correspondre à ce que nous avons en tête... peu importe que cela soit un piège. En cela nous rejoignons l'enfant... ou c'est lui qui nous rejoint.

"J’ai ainsi vécu seul, sans personne avec qui parler véritablement [...]"*


 « À quoi tient le processus de transcendantalisation, qui isole le roi sacré et le met en capacité de représenter le collectif en étant tout à la fois intérieur à lui et extérieur aux segments qui le composent? » demande Philippe Descola qui explique qu’ « Il s’agit d’un mécanisme spatial dont on peut mieux saisir les caractéristiques en revenant au continuum Nuer–Dinka–Shilluk. Dans les trois cas, les spécialistes rituels servant de médiateur avec les forces cosmiques viennent d’un autre pays ou d’un autre milieu de vie. Chez les Nuer, le dignitaire à peau de léopard est un étranger ; chez les Dinka, les maîtres de la lance de pêche descendent d’une divinité des eaux qui leur donne leur caractère semi-divin ; le roi shilluk, enfin, est un étranger indépendant des clans. »**



* Le petit Prince, Saint-Exupéry

**  https://www.franceculture.fr/emissions/les-cours-du-college-de-france/les-usages-de-la-terre-cosmopolitiques-de-la-territorialite-suite-59-le-roi-shilluk


Des ronds dans l'eau


"La Nellie, cotre de croisière, évita sur son ancre sans un battement de ses voiles, et s'immobilisa. La mer était haute, le vent était presque tombé, et comme nous voulions descendre le fleuve, il n'y avait qu'à venir au lof et attendre que la marée tourne."*



Le point de vue des uns n'est pas le point de vue des autres et tout ce qui se rassemble n'est point uniquement ce qui se ressemble... Il ne suffit pas de venir et d'attendre: la marée et les courants n'y changeront pas grand-chose...



*Au cœur des ténèbres, Joseph Conrad

Quel est cet après?



"Celui sur qui fond un malheur dont la cause est claire est accablé par les causeurs qui font la leçon, et qui, au travers lui viennent conjurer la cause du mal. Mais lorsque ce malheur a une cause inconnue, voire absente, les causeurs viennent quand même conjurer l'inconnu, l'absence de cause: ils pointent du doigt ce malheureux qui les angoisse comme si le malheur était contagieux ou une pure transmission." *




Après tout... ce n'est pas rien...

– Tout dépend de la manière dont on la prononce... mon cher Justin, et du contexte qui la précède... On ne peut y échapper, même sans savoir ce qui s'y dissimule.
– Quel est cet après? Après quoi?
– Après "tout"... "Tout" une globalité inconnue dans laquelle chacun y met ce qu'il veut, ce qu'il peut, ce qu'il sait et même ce qu'il ne sait pas... Surtout ce qu'il ne sait pas!
C'est ainsi que le "tout" devient, du fait de la répétition une "banalité" que l'on prononce sans y réfléchir.
– Dites-moi...
– Oui...
– Sommes-nous des causeurs..?


* Jouissances du dire, Daniel Sibony, p.98, Grasset

 

Après tout...c'est pas rien...


 – Après tout... ce n'est pas rien...



Qui peut savoir ce qu'est devenu Ulysse, le petit garçon dont il ne reste qu'un nounours tristement accroché sur la barrière... et, flottant sur l'eau, un chapeau qui fait sourire et que personne ne reconnait...




Dessus-dessous


Qui est dessus, qui est dessous, bien malin qui peut le dire?
Qu'est-ce qui agit, qu'est-ce qui est "agi" ?



 – Après tout...c'est pas rien...
 Chaque bulle emmène et rejoint un monde qu'il reflète en vain...