lundi 27 février 2006

L'homme endormi













Akram cherchait avec ardeur, depuis toujours, la connaissance véritable. Il arriva un jour chez un sage qui savait les secrets de la vie. Akram demanda que lui soient révélés les mystères. Le sage dit simplement :
« Les choses importantes d'abord, et une seule chose à la fois. »
Pendant des années, Akram servit le maître en tout, mais la seule chose qu'il était sûr d'avoir appris, c'est qu'il y aurait un âge d'or dans plusieurs siècles.
« En ce cas, je vais me transporter dans les siècles futurs », se dit-il, car il ne pensait pas que le sage puisse faire quoi que ce soit pour lui en attendant. Akram quitta l'adepte, parcourut le monde, finit par trouver un maître plus à sa convenance : un fakir faiseur de miracles qui consentit à le faire tomber dans un sommeil de
sept cents ans. Quand il se réveilla, ce fut pour se retrouver, seul, parmi les ruines de ce qui avait été, selon toute apparence, une civilisation puissante : vestiges de palais imposants, magnifiques jardins envahis par l'herbe, merveilles de toute nature éparpillées dans le paysage. Pendant des jours Akram chercha un signe de vie. Un filet de fumée lui signala enfin une présence humaine. Il découvrit une habitation. Quelqu'un se tenait tout près un derviche solitaire, farouche, vêtu d'une robe rapiécée.
« Je cherche l'âge d'or, dit Akram.
Tu l'as manqué, dit le derviche : de deux cents ans. »

samedi 25 février 2006

L'âne et le petit chien


















Ne forçons point notre talent;
Nous ne ferions rien avec grâce.
Jamais un lourdaud, quoi qu'il fasse,
Ne saurait passer pour galant.
Peu de gens que le Ciel chérit et gratifie
Ont le don d'agréer infus avec la vie.
C'est un point qu'il leur faut laisser;
Et ne pas ressembler à l’Âne de la fable,
Qui pour se rendre plus aimable
Et plus cher à son Maître, alla le caresser.
Comment, disait-il en son âme,
Ce Chien parce qu'il est mignon
Vivra de pair à compagnon
Avec Monsieur, avec Madame!
Et j'aurai des coups de bâton!
Que fait-il? Il donne la patte;
Puis aussitôt il est baisé.
S'il en faut faire autant afin que l'on me flatte,
Cela n'est pas bien malaisé.
Dans cette admirable pensée,
Voyant son Maître en joie, il s'en vient lourdement,
Lève une corne toute usée,
La lui porte au menton fort amoureusement;
Non sans accompagner pour plus grand ornement
De son chant gracieux cette action hardie.
Oh, oh! quelle caresse et quelle mélodie!
Dit le Maître aussitôt.àolà, Martin bâton.
Martin bâton accourt; l'Ane change de ton.
Ainsi finit la comédie.

L'âne et le petit chien
La Fontaine

vendredi 24 février 2006

Voyageur








« Si, à mesure qu’avance le voyage, on prêtait moins d'attention au surprenant qu'au significatif, on ferait nécessairement, en fin de compte, pour soi-même et pour autrui, une belle récolte. Dès à présent je vais me mettre à noter, ici même, tous les symboles que je pourrai découvrir, mais je me livrerai tout particulièrement à cette recherche dans les lieux étrangers et que je verrai pour la première fois. Si cette tentative réussissait, si même, sans vouloir poursuivre l'expérience sur une vaste échelle, on se contentait, en chaque lieu, à chaque instant, de pénétrer au fond des choses, dans les régions et les pays qu'on connaît bien, on rapporterait déjà, à coup sûr, un important butin.»

Goethe, lettre à Schiller

mercredi 22 février 2006

L'émissaire









...
Une aube couverte de rosée nous conserve aussi. Quel sera l'apport du jour? Une excursion, répétition de ce qui en effraie d'autres ? Une randonnée, imitation de ce qui nous fait regarder par-dessus les autres ? Et au cours de laquelle nous nous asseyons et croquons nos déceptions, tandis que peu à peu l'horizon nouveau nous rend la santé. L'origine est lointaine. Nous sommes du bétail utile - utile à nous-mêmes, car c'est en nous que nous reposons. L’être est la marchandise de l'étant. Nous échangeons nos tickets de réduction à la caisse. Des machines à timbrer nous font de profondes impressions. A ce qui nous entoure on peut nous reconnaître, rayonnants troupeaux blancs, dont on aime acheter le lait. Nous ne pouvons être plus vrais que ne le sont à la télévision les vrais signes de ce qui fut. Eux précèdent constamment notre venue réelle.
Nous voulons faire le plein de fraîcheur! Le rayon qui jaillit de nous, une grande main, la nôtre, le captive. On tire sur nos pis. Nos produits sont supportables. Nous-mêmes sommes insupportables. Nous nous abreuvons de nous. Nous ne tirons nos denrées que de notre propre grenier, et nous l'exhortons à se remplir de bons sentimcnt" et non de déchets empoisonnants. Pourtant, que laissons-nous entrer? Des gens qui ne sont pas là sur commande et dont nous ne voulons pas.
...
Elfriede Jelinek
Totenauberg
Éditions Jacqueline Chambon

samedi 18 février 2006

Et pourtant... elle tourne !








L'attitude que l'on adopte envers la liberté de discussion publique dépend de manière décisive de ce que l'on pense de l'éducation populaire et de ses limites. En général, les philosophes prémodernes étaient moins audacieux sur ce point que les philosophes modernes. A partir de la moitié environ du XVIIe siècle, un nombre toujours croissant de philosophes hétérodoxes, qui avaient souffert de la persécution, publièrent leurs livres, non seulement pour communiquer leurs pensées, mais aussi parce qu'ils souhaitaient contribuer à l'abolition de la persécution en tant que telle. Ils pensaient que la répression de la recherche indépendante, et de la publication des résultats de cette recherche, était un accident, un effet de la construction imparfaite du corps politique, et qu'il était possible de remplacer le royaume des ténèbres générales par la république de la lumière universelle. Ils se plaisaient à envisager une époque où une liberté de parole pratiquement totale serait possible grâce au progrès de l'éducation populaire, ou - en exagérant pour rendre les choses plus claires - une époque où le fait d'entendre une vérité quelle qu'elle soit ne ferait de mal à personne". Ils n'ont donc caché leurs opinions que juste assez pour se protéger aussi bien que possible de la persécution ; s'ils avaient été plus subtils, ils auraient raté leur but, qui était d'éclairer un nombre -toujours plus grand de personnes qui n'étaient pas des philosophes en puissance. Il est par conséquent comparativement facile de lire entre les lignes de leurs ouvrages. L'attitude d'un certain type d'écrivains antérieurs était fondamentalement différente. Ils pensaient que l'abîme qui sépare « les sages » du « vulgaire » était un fait fondamental de la nature humaine que nul progrès de l'éducation populaire ne pouvait modifier: la philosophie ou la science étaient essentiellement le privilège du « petit nombre». Ils étaient convaincus que la philosophie était en elle-même suspecte et odieuse pour la majorité des hommes.

La persécution et l'art d'écrire
Léo Strauss, 1952
Pocket, collection "Agora"

vendredi 17 février 2006

L'art d'écrire














... Les livres adressés au vulgaire doivent être suffisamment intelligibles s'ils sont lus comme le vulgaire a coutume de lire, autrement dit, leur substance doit se dévoiler à une lecture très inattentive et négligente. En d'autres termes, dans les ouvrages vulgaires écrits à des fins d'instruction, l'enseignement le plus fondamental doit être écrit en grosses lettres à chaque page, ou il doit être l'enseignement le plus clair qui soit, mais il n'en est pas de même pour les livres philosophiques. Spinoza soutenait que l'on peut parfaitement comprendre des livres intelligibles sans que le lecteur sache à qui ils sont adressés. En soulignant le fait que le Traité est adressé à un petit nombre d'hommes, il nous donne la première clé pour la difficulté spécifique de l'ouvrage. Il dit que l'ouvrage est spécialement destiné à ceux qui « pratiqueraient la philosophie plus librement si une unique chose ne s'y opposait, savoir leur opinion que la raison doit être la servante de la théologie ».
Ceux qui pensent que la raison ou la philosophie ou la science doivent être au service de la théologie, Spinoza les caractérise comme des sceptiques, ou comme des hommes qui refusent la certitude de la raison, et le vrai philosophe ne peut pas être un sceptique ".
Léo Strauss
La persécution et l'art d'écrire

jeudi 16 février 2006

Léo Ferré














"...La responsabilité des choses a mis le risque dans la gueule du chien. Le maître mord par procuration, et c'est cela la civilisation du droit : donner une pensée à la matière inerte, mettre l'homme au ras de la chose, le dépersonnaliser au point de transformer ce qu'une morale antique nommait la faute en un risque latent. Le risque c'est de la faute antidatée. De cette machinerie dont je suis le serf, de cette incessante ingérance de mes viscères, de mon sang, de mes nerfs, de cette prison définitive où l'on m'a mis -moi mammifère bipède- je ne me libère que par des mots. "
Léo Ferré, janvier 1968

lundi 13 février 2006

Évasion

dimanche 12 février 2006

Partage














Ce n'est pas la faute du soleil, si le hibou ne sait voir en pleine lumière...

samedi 11 février 2006

Une réalité















"La réalité est un secret, c'est en rêvant qu'on est près du monde."
Ourania, roman
J.M.G. Le clézio

vendredi 10 février 2006

L'homme bleu












Durant un temps, notre homme voyagea...
Il s'aventura si avant dans les territoires qu'il rencontra une tribu de chasseurs nomades primitifs vivant à l'écart des grandes routes de la civilisation, dans un monde de traditions immémoriales, qui n'avaient encore jamais vu d'homme bleu. Ils frictionnèrent les membres gelés du cadavre et parvinrent à le ressusciter. Puis un hélicoptère sanitaire le transporta jusqu'à un hôpital où il acheva sa convalescence. Ces épreuves lui forgèrent le caractère. Et la plante de ses pieds aussi se renforça d'une semelle de corne. Il devint dur. Les balles ricochaient sur son cuir. Seule l'érosion aurait pu entamer ce roc. Mais il ne lui donnait pas prise, profitant des vents, au contraire, pour contrer. Épousant la vague qui docilement se cambrait, coiffée de sa robe blanche retroussée...

Les absences du capitaine Cook, roman
Éric Chevillard
Les éditions de Minuit

Passage










...
Ou comme si se trouvait rassemblé à nouveau ce jury immuable aux seules figures changeantes qui trois ou quatre fois déjà dans le cours de sa vie s'est réuni pour statuer sur le sort de notre homme appelé à comparaître devant lui, ayant à choisir entre l'opprobre et des félicitations tressées de lauriers, mais ne manquant jamais de le cuisiner dans son jus, comptant même sur ses larmes pour l'accommoder aux petits oignons sans se mouiller, le pouvoir étant chose trop lourde pour n'être pas réparti équitablement entre ceux qui l'exercent et ceux qui le subissent, les premiers pesant, donc, tandis que les autres ploient.

Les absences du capitaine Cook, roman
Éric Chevillard

Une île












...ma première occupation fut de reconnaître le pays, et de chercher un endroit favorable pour ma demeure et pour ranger mes bagages, et les mettre à couvert de tout ce qui pourrait advenir. J'ignorais encore où j'étais.
Était-ce une île ou le continent ? Était-ce habité ou inhabité ? Étais-je ou n'étais-je pas en danger des bêtes féroces ? À un mille de moi au plus, il y avait une montagne très haute et très escarpée qui semblait en dominer plusieurs autres dont la chaîne s'étendait au nord. Je m'en allai à la découverte sur cette montagne. Après avoir, avec beaucoup de peine et de difficulté, gravi sur la cime, je compris, à ma grande affliction, ma destinée, c'est-à-dire que j'étais dans une île au milieu de l'Océan, d'où je n'apercevais d'autre terre que des récifs fort éloignés et deux petites îles moindres que celle où j'étais...

La vie et les aventures surprenantes de Robinson Crusoé
Écrit par lui même

jeudi 9 février 2006

Voyage











Quelques jours plus tard, après mes voyages au bâtiment, et après que j'en eus tout retiré, je ne pouvais encore m'empêcher de gravir sur le sommet d'une petite montagne, et de là regarder en mer, dans l'espérance d'y apercevoir un navire. Alors j'imaginais voir poindre une voile dans le lointain. Je me complaisais dans cet espoir, mais après avoir regardé fixement jusqu'à en être presque aveuglé, mais après cette vision évanouie, je m'asseyais et je pleurais comme un enfant. Ainsi j’accroissais mes misères par ma folie.

Robinson Crusoé
Daniel Defoe

mardi 7 février 2006

Exemplaire...


















Est-ce montrer l'exemple que de le suivre ?
Est-ce un exemple de ne pas le suivre ?

lundi 6 février 2006

Sous les drapeaux...





Prenez garde
que les drapeaux
ne se soulèvent...
Comme dit la chanson:

Allons enfants de la Patrie
Le jour de gloire est arrivé !
Contre nous de la tyrannie
L'étendard sanglant est levé
Entendez-vous dans nos campagnes
Mugir ces féroces soldats?
Ils viennent jusque dans vos bras.
Égorger vos fils, vos compagnes!

Le pianiste








Il est des jours où nous pouvons croire jouer comme des dieux... C'est alors que la création nous apparaît sans masque...

dimanche 5 février 2006

Agent secret


Renseignement important: sur l'image, nous pouvons voir l'agent X. en pleine lumière. Muni d'un équipement spécial, il marche sur l'onde. Mais en aucun cas, il ne se prendra pour ce qu'il n'est pas.

"...au prisme d’une vision menaçante...
L’une des manifestations les plus claires de ces dispositions est le degré d’organisation que les services de renseignement prêtent à leurs adversaires dans leurs rapports et leurs synthèses. Ils ont tendance à voir derrière la moindre initiative locale un élément d’une stratégie politique globale, et à considérer des groupes ou des individus autonomes comme les agents d’une organisation occulte et structurée."
Extrait
Par Laurent Bonelli
Chercheur en science politique à l’université Paris-X-Nanterre. Codirecteur de l’ouvrage La Machine à punir. Pratiques et discours sécuritaires, L’Esprit frappeur, Paris, 2001.

samedi 4 février 2006

Ménestrel


















Aujourd'hui, le capitaine
finit sa quarantaine...
Ménestrels au Long Cours
Nous Rappellent qu'en Toutes Saisons
Divertir la Cour
Pourrait Nous Ramener à la Raison
...
Musique chaloupée
En cas de naufrage
Sir, cette poupée
N'est pas un mirage...

Prochains concerts, les Dimanches 5 + 12 + 19 Février
Petit Théâtre de Lausanne
Concert du Dimanche Matin à 11h
Dès 6 ans
Petit Théâtre de Lausanne
www.duocd.ch

mercredi 1 février 2006

Le repos














Il est, dans le pays des Cimmériens, une caverne profonde, creusée dans les flancs d'une montagne : c'est la demeure ignorée du Sommeil. Soit qu'il se lève à l'orient, soit qu'il arrive au milieu de sa carrière, soit qu'il se plonge dans les flots, jamais Phébus n'y lance ses rayons. La terre, à l'entour, exhale de sombres brouillards ; ces lieux ne sont éclairés que par la lueur douteuse d'un éternel crépuscule. Là jamais l'oiseau vigilant à la crête de pourpre n'appela l'Aurore de ses chants ; jamais le chien fidèle, jamais l'oiseau du Capitole, plus fidèle encore, ne troublèrent par leur voix le silence ; jamais, ni le rugissement des bêtes féroces, ni les bêlements des troupeaux, ni le froissement des feuilles agitées par le vent, ni les cris de l'homme, ne s'y firent entendre : c'est l'empire du muet repos.

Les métamorphoses d'Ovide

Métamorphose
















Touchée de compassion, Tétys adoucit sa chute, le couvre de plumes, et lui refuse cette mort qu'il désire. Le malheureux s'indigne d'être forcé de vivre, et son âme cherche en vain à s'échapper de sa demeure ; il s'élève sur ses ailes nouvelles, et s'élance de nouveau dans les flots ; ses plumes le soutiennent ; furieux, il se précipite sans cesse dans les ondes, et sans cesse il y cherche une mort qu'il ne trouve jamais.

Les Métamorphoses d'Ovide