vendredi 31 mai 2019

(31) Une ombre invisible



– Imaginez un groupe d’ hommes formant un cercle autour d’un feu.
– Je ne vois que l'enfant Lune...
– Je vous ai dit d'imaginer, non pas de regarder...
– D'accord...
– Chacun verra ou plutôt ne verra pas son ombre s’il est tourné vers la lumière. Il faudra qu’il se tourne, en tournant le dos à la lumière, pour la voir. Par contre il verra celle des autres.
– Que voulez-vous dire par là ?
– Qu’il est plus facile de voir l’ombre des autres que la sienne.




(31) Ce qu'il entend







– Le désir fait son monde dans celui qui croit l’accueillir et ainsi il empêche la réalisation de ce qu’il représente.
– C’est cela. Comment se fait-il que tout-à-coup vous sachiez tenir un tel discours ?
– Je ne fais que répéter ce que me dit mon maître.
– Vous voulez dire ce que vous disait votre maître !
– Non.
– Comment cela?
– Ce n’est pas ce qu’il me disait.

– Qu’est-ce alors?
– C’est ce que j’entends.

– Vous voulez dire ce que vous entendiez!
– Non, ce que j'entends.
– Là, maintenant ?
– Là, maintenant.
– Pourtant, que je sache, il n’est pas là !
– C’est une question de point de vue.
– Vous êtes bien mystérieux.
– À chacun son tour...

jeudi 30 mai 2019

(30) Désir





– Croyez vous que le désir puisse être si puissant qu’il remplace ce qui est?
– C’est ce que pense celui qui est l’objet de son désir.
– Vous voulez dire celui qui désire ?
– Non celui qui désire, souvent, devient l’objet de son désir.
– C’est-à-dire ?
– Un renversement se produit et celui qui croyait être le maître devient sujet.

– Il obéit à son désir.
– C'est cela. Il n’en est plus le maître et le désir peut alors grandir indéfiniment sans que jamais il se réalise autrement qu’en prenant toute la place chez celui qui croyait l’avoir.
– Littéralement, on pourrait dire qu'il le possède.
– C'est cela.
– Il refuse d’être au monde?
– Vous m’étonnez! C’est cela même.

(30) De concert





– Notre maître est-il en vous?
– Je n’en suis pas sûr.
– Ah, vous me rassurez.
– Nullement.
– Pourquoi cela?
– Parce que vous entendez ce qui vous arrange dans ma réponse...
– Que devrais-je entendre?
 – J'hésite...
– Entre quoi et quoi?
- Entre dire et ne pas dire... Em fait, je ne veux pas dire ce que vous n’aimeriez pas que je dise.
– Et que voulez-vous dire?
– Depuis un certain temps je suis de moins en moins sûr du fait que nous avons, ou que nous ayons eu le même maître.
– Cela, je le sais depuis longtemps.
– Alors pourquoi parlez-vous sans cesse de «notre» maître ?
– Par commodité, tout d'abord. Et ensuite parce que vous me sembliez convaincu qu’il en était ainsi. Et puis, je me suis dit qu’au fond ce n’était pas si faux. On peut très bien dire notre maître tout en ayant à l’idée que nous avons chacun le nôtre.
– Dans ce cas, de mon point de vue, vous commettez une autre erreur.
– Laquelle ?
– Vous faites de nous un ensemble.
– C’est cela.
– C’est cela pour vous, mais pour moi cela n’est pas.
– Expliquez je vous prie.
– Nous parlons ensemble mais nous restons deux êtres distincts. Nous ne fusionnons pas dans un ensemble: nous agissons de concert.


(30) Le reflet des miens





Sept-cent-vingt-neuvième rapport de Don Carotte
Extrait du Petit Cahier Jaune


 Selon le temps qu'il faisait et selon ce qu'il avait été, selon que la marée était montante ou descendante, selon que j'eusse ou non piétiné le sable, selon que les vent se fussent levés ou non, selon l'heure de la journée, la plage présentait une multitude de visage dont je me demandais s'ils étaient tous différents ou s'il était toujours le même mais ressentant des états d'âmes différents.
À moins que tous ces changements n'aient été et ne soient encore que le reflet des miens...


(30) Instinct


Depuis la querelle byzantine des images et l’iconoclasme des mouvements protestants radicaux, il a fallu attendre ces quatre dernières décennies pour que la pensée de l’image retrouve la même intensité. Face à ces discussions sur le concept, la validité, le pouvoir et l’impuissance des images -des discussions sans précédent par leur sophistication comme par leur diversité- il semble opportun de faire un pas en arrière et de chercher à comprendre pourquoi la question des images est devenue aussi omniprésente.


Horst Bredekamp, Théorie de l’acte d’image, Éditions de la découverte 



mercredi 29 mai 2019

(29) Absurde errance


« Sommes-nous condamnés à ne retrouver le véritable lieu de l’esprit que dans un univers rêvé dont les objets culturels et la science ne seraient que les témoins épisodiques: débris épars de quelque désastre primitif qui aurait accouché de l’histoire, laquelle ne serait plus ainsi que l’interminable et absurde errance de notre exil?»







(29) Tout change


« Tout change. Le désir et l’imagination circulent plus vite que le sang. »
Elena Ferrante, L’enfant perdue, Gallimard 





 

mardi 28 mai 2019

(28) Rêve persistant


« Les forces imaginantes de notre esprit se développent sur deux axes très différents. Les unes trouvent leur essor devant la nouveauté; elles s’amusent du pittoresque, de la variété, de l’événement inattendu. L’imagination qu’elles animent a toujours un printemps à décrire. Dans la  nature, loin de nous, déjà vivantes, elles produisent des fleurs. Les autres forces imaginantes creusent le fond de l’être; elles veulent  trouver dans l’être, à la fois, le primitif et l’éternel. Elles dominent la saison et l’histoire. Dans la nature, en nous et hors de nous, elles produisent des germes; des germes où la forme est enfoncée dans une substance, où la forme est interne.»

Gaston Bachelard, L'eau et les rêves


Sept-cent-vingt-huitième rapport de Don Carotte
Extrait du Petit Cahier Jaune


Il est des rêves qui persistent et d'autres qui disparaissent en même temps que le sommeil. Dans le rêve que je fis ce jour-là, je ne savais plus où j'étais, ni même si je dormais encore, mais la sensation d'être l'enfant que je voyais devant moi, menacé d'être emporté par la marée, avait persisté fortement une fois que je m'étais assuré d'être réveillé! À tel point que je me demandais à quel malheur je devrais m'attendre après un tel rêve...

(28) Double quelquefois


Il y a "ceux qui se persuadent que tout leur arrive par nécessité et d’après les décrets du destin, et ceux qui croient qu’il y a des faits qui se produisent sans que des causes antécédentes les aient nécessairement préparés. Cependant il paraît très difficile en un tel sujet de découvrir la vérité, parce qu’il semble qu’à l’un et à l’autre sentiment s’opposent nombre d’objections irréfragables. Que de ce rapprochement d’enseignements contraires, la vérité puisse ressortir avec plus d’évidence m’apparaît comme souhaitable pour la raison qu’il n’y a aucune de mes actions où l’on pût trouver que que j’ai préféré à la vérité l’apparence.”

Alexandre d’Aphrodisias, Du destin



Sept-cent-vingt-septième rapport de Don Carotte
Extrait du Petit Cahier Jaune

 
Les images que l'enfant Lune voit sont double quelquefois, multiple le plus souvent. Sa tête n’est peut-être pas son ennemie mais elle ne l’aide pas.



(28) Inexistence



– Il suffit de regarder les hommes vivre pour s'apercevoir que la plupart d'entre eux ne se soucie guère de philosopher et préfère jouir de son avoir et des plaisirs immédiats de l'inexistence.
– Qu'est-ce que c'est que ça?
– Peu importe... Ce serait trop long long... Enfin... pour vous expliquer il vaut mieux nous occuper de ceux qui, en revanche, peu nombreux sont ceux qui se consacrent à la contemplation, à la philosophie et veulent comprendre le monde par eux-mêmes...
– Vous voulez dire, qu'à part notre maître, et peut-être l'enfant Lune, il y en aurait d'autres?
– Certainement, mais à des degrés divers.

lundi 27 mai 2019

(27) Par l'exemple



– Pour en revenir à ce que vous me disiez...
– À quel propos?
– Au sujet de ce que les perroquets considèrent comme une appropriation de vos idées... ou simplement de vos mots...
– N'y attachez point trop d'importance... Vous le savez, c'est moi qui leur ai appris...
Tout de même...
– Vous le savez aussi bien que moi... tout le monde le sait... tout se déforme en permanence...
– Oui, mais là, il s’agit du fond et non de la forme...
– Il ne me semble pas non plus que leurs paroles soient les leurs. Je pourrai leur faire dire n'importe quoi... 
– Quoi par exemple?
– Par exemple:
– Ainsi je pourrai dire de vous, du moins le répéter..., ce que vous venez de me dire...
– Oui mais là c'est votre voix que j’entends... 
– C'est normal. Je commence par dire et ensuite ils répètent...
– Comprennent-ils ce que vous dites?
– C'est là toute la question... Je ne sais pas encore... mais écoutez-les... 



– Ainsi je pourrai dire de vous, du moins le répéter..., ce que vous venez de me dire...
– Votre nature reprend le dessus... des idées qu’a notre maître, nous n’en savons que les mots qu’il nous donne...
– Et sans les mots que deviendraient les idées ?
– Les idées ne sont pas toujours faites de mots...
– ... mais les mots contiennent les idées...

(27) Étrangeté

« Alors apaise-la!
Et comment ?
Elle sourit :
– Avec des mensonges. C’est beaucoup mieux qu’avec des tranquillisants. »

Elena Ferrante, L'amie prodigieuse, Gallimard 



– Si j’ose me permettre... depuis quand des idées de ce genre vous sont-elles devenues habituelles... ou... pour être plus précis, comment vous sont-elles venues à l'esprit?
– Vous savez...

– Oh! Que non...
– Mais si, je ne fais que vous transmettre ce que pense notre maître...
– Quelque chose me dit que c’est plus que cela ! Il m’a semblé percevoir une sorte d’approbation... qui frise l'appropriation... dans le ton de votre voix... une très légère intonation qui vous fait devenir l’avocat de l’idée et non le porte-parole ou même l’avocat de celui qui vous l’a transmise.
– Tout se déforme en permanence...
– Oui, mais là, il s’agit du fond et non de la forme...

– C'est étrange...
– De quoi parlez-vous?
– De vous...
– Qu'ais-je qui puisse vous paraître étrange?



(27) Adaptation


« Il est de plus en plus difficile de suivre le rythme de diffusion des contenus qui nous intéressent. Avec internet, les réseaux sociaux et les algorithmes basés sur nos données comportementales, notre attention est devenue une denrée rare que se disputent les nouveaux acteurs de l'économie. Résultat: notre temps de concentration se réduit comme une peau de chagrin et les contenus que nous consultons se rabougrissent aussi.»

 Extrait du petit carnet rouge de l'enfant Lune

Les mots comme les cris s’adaptent plus ou moins aux significations que l’on tente de leur imposer, mais toujours ils ont et garderont une part de liberté...

dimanche 26 mai 2019

(26) De l'attention


« Ce qu’on a appelé "la boîte de Skinner" : une souris qu’on soumet à un distributeur de nourriture. On constate quelque chose de simple : quand il y a automaticité entre l’appui sur le bouton et la distribution de nourriture, la souris est maîtresse du phénomène, et donc elle n’appuie sur le bouton que lorsqu’elle a faim. En revanche, quand tantôt sort de la nourriture, tantôt rien, il y un côté aléatoire à cette récompense là. Dans ce cas, c’est le mécanisme qui contrôle la souris. Elle appuie sur le bouton de façon permanente et en devient dépendante. Quand bien même elle a faim, quand bien même elle est rassasiée, elle continue à appuyer sur ce bouton, c’est ce qui a donné naissance aux machines à sous dans les casinos, c’est aujourd’hui ce mécanisme de récompense aléatoire qui sous tend un très grand nombre d’applications comme Facebook, Tinder, ou autres...»
                      
Bruno Patino





– Le système est en lui-même déséquilibré...
– Que voulez-vous dire par là?
– Nous vivons dans la sauvagerie d'une nouvelle île...
– Vous délirez?
– Nullement... à la fois parce que, sur certains points, on constate une relative continuité entre ceux qui glosent le texte, c'est-à-dire l’expliquent mot à mot en s’arrêtant plus longuement sur les termes dont le sens pose problème, et ceux qui, beaucoup plus nombreux, considèrent l'humanisme comme un acquis ou une évidence qui ne peut être remise en question...
– Et quelle seraient ces certains points de cette relative continuité?
– Eh bien dans les deux cas, pour ne pas dire les deux camps, on constate un rétrécissement de la pensée...
Et qui, selon vous, serait due à quoi?
– Probablement à une diminution drastique du temps d'attention...

(26) C'est le bordel




– Il faut que je vous dise...
– Dites
– Comment dire?
– Faites cela le plus simplement du monde... comme si vous lisiez dans un livre que l'on vous présente...
– Mais je ne vois rien.
– Faites semblant! Cela sera suffisant.
– Je n'y arrive pas...
– Écoutez!
– Pardonnez mon langage... mais ici... c'est le bordel!
– Faites silence... Cette parole est inaudible pour celui qui veut rester à l’extérieur et se soumettre à tout ce qui en vient.
– qui vient d'où?
– De l'extérieur... de tout ce qui nous passe par la tête...
– Si j’ose me permettre...
– Permettez-vous...
– Depuis quand des idées de ce genre vous sont-elles devenues habituelles?
– Je vrois que c'est depuis toujours...
– C'est impossible!
 Que faites-vous de l'enseignement que vous a prodiguer votre maître...
– Je ne crois que cela se soit ainsi passé...




(26) Incertain silence


« Que de fois, au craquement d'un meuble, au crissements des feuilles sur le sentier, je me suis retourné...»

François Cheng, Le dit de Tianyi


– Faites silence... je crois que nous sommes écoutés...
– N'est-ce pas là le but?
– Tout dépend de la situation...
– et de ce que l'on dit...
– Qui ne dit mot consent...
– Consent à l'écoute?
– L’enfant Lune, lui, ne dit rien.
– Rien qui puisse être entendu.
– Presque rien...
– ... mais son silence est parlant.
– Je n’ai jamais entendu un silence parler...
– Parce que, comme l’enfant Lune, le silence parle en harmonie avec lui-même, selon sa nature qui est silencieuse... et bien souvent les mots ou les idées qu’ils véhiculent sont les nôtres et non les siennes. C’est une des qualités du silence que de faire place et susciter une parole qui vienne de l’intérieur... 

– Je ne comprends pas. Comment cela peut-il être?

 


(26) Écouter





Sept-cent-vingt-sixième rapport de Don Carotte
Extrait du Petit Cahier Jaune



Écouter est un processus qui demande de la patience et de l'endurance. Faire en sorte d'être écouter demande plus d'effort encore. Mais le plus difficile et d'être écouté de telle sorte que ce que vous dites soit répété...

samedi 25 mai 2019

(25) Paraître


Sept-cent-vingt-sixième rapport de Don Carotte
Extrait du Petit Cahier Jaune



Nous étions attentifs, presque malgré nous, à ne jamais exagérer pour ne pas mettre en difficulté ces êtres intouchables que vous étiez devenus à vos propres yeux. Susceptibles au point que, c’est bien connu qui ne dit mot consent, notre silence semblait corroborer le vôtre... Nous étions les garants de votre prestige. Cela seul importait. Peu importait les sujets traités pourvu que le faste soit au rendez-vous...





(25) Un certain socle


« Depuis la nuit des temps, les hommes ont admis qu’il existe une chose qui soutient leur monde. Ce support qui maintient tout en place, ils l’ont appelé Dieu. Une grande partie de la confusion qui entoure l’idée que les hommes se font habituellement de Dieu vient du fait que pour beaucoup l'arbitraire n'est pas irrationnel, et qu’un support arbitraire est envisageable, voire nécessaire. Monumentale erreur ! Une chose arbitraire n'a pas de cause. Elle est donc contraire à l’universalité du principe de Raison... universalité qui est nécessaire pour sauver la réalité. En effet, si le support de notre univers était quelque chose d'arbitraire, cela impliquerait qu'il existe un “lieu” où la Causalité n’est plus respectée. Afin que le support arbitraire reste en place et que tout ne finisse pas dans le chaos infini et indescriptible, il se doit d'y avoir “une force”, qui s’apparente en fait à une raison, pour maintenir le premier support. On peut continuer longtemps comme cela à repousser le problème en créant des dieux dans les dieux, mais on ne formera pas de support absolu. Si l'on veut échapper au gouffre, on est contraint d'admettre que curieusement la raison de l’existence du socle du réel est le socle lui-même.»





(25) Reprise


« Reprise et ressouvenir sont un même mouvement, mais en direction opposée; car, ce dont on a ressouvenir, a été: c’est une reprise en arrière; alors que la reprise proprement dite est un ressouvenir en avant. C’est pourquoi la reprise, si elle est possible, rend l’homme heureux, tandis que le ressouvenir le rend malheureux, en admettant, bien entendu, qu’il se donne le temps de vivre et ne cherche pas, dès l’heure de sa naissance, un prétexte (par exemple: qu’il a oublié quelque chose) pour s’esquiver derechef hors de la vie.»

Constantin Constantius




(25) Imprévisible


"Le principe de Raison proclame que toutes les choses ont une cause. En vertu de cette loi, rien ne saurait exister seul, uniquement parce qu’il est. Toute chose découle d’une autre qui lui est extérieure.
Cet énoncé est malheureusement confronté à un grave problème. Par définition, l’univers contient tout. Si, rien ne peut être en dehors, rien ne peut le soutenir. Si l’univers n’a pas de raison indépendante d’exister, le néant absolu aurait dû combler l’éternité. Pourtant, une réalité a émergé. Chacun peut s’en rendre compte. La réalité est peut-être très différente de l’image que nous nous en faisons, mais nos existences témoignent d’une certaine forme de présence, définitivement incompatible avec une totale inexistence."
Willeim, L'amour de la Raison Universelle
 

En ce temps-là, les autres, imprévisibles encore, ne jouaient aucun rôle...

(25) Rêve éveillé


Un sourd grésillement écorche ses oreilles
Tandis que de légers flottements emportent ses regards

Walid Neill, Tristes regards




Sept-cent-vingt-cinquième rapport de Don Carotte
Extrait du Petit Cahier Jaune

 
Pendant que j'assemblais mes coquillages et mes cailloux, me revenaient en mémoire certaines images dont je n'arrivais pas à reconnaître le sens: Une aube flamboyante et profonde fait carrière dans le secret de la forêt. Sorte de rêve éveillé dont la raison d'être et la signification m'échappaient mais sans qu'il me soit possible d'y échapper. On a beau dire, le moindre désordre peut signifier quelque chose de difficilement identifiable et dont l'ennemi serait le bavardage.

vendredi 24 mai 2019

(24) Qui sont-elles?



Extrait du petit carnet rouge de l'enfant Lune

Longtemps je me suis demandé si les autres aussi entendaient les voix qui me suivent, avec qui il m'arrive de dialoguer et dont jamais, jusqu'à ce jour, je n'ai pu connaître qui elles étaient.

– Qu’est-ce qu’une voix que l’on ne connaît pas?

Ce peut être une voix qui fait que les mots puisent à la source des significations nouvelles.

– Vous pensez vraiment que ces significations que vous appelez nouvelles proviennent de la voix?
– En partie...
– En partie... seulement... Et quelles seraient les autres parties?
– Au-delà de celui qui leur est assigné tous les mots sont porteurs de multiple sens... même si certains de ces sens ne sont point l’émanation de la science ou de l’autorité compétente...

(24) Sens assigné


« L’homme est libre, mais il cesse de l’être, s’il ne croit pas à sa liberté.»

Casanova


Sept-cent-vingt-quatrième rapport de Don Carotte
Extrait du Petit Cahier Jaune


Au-delà de celui qui leur est assigné tous les mots sont porteurs de multiple sens... même si certains de ces sens ne sont point l’émanation de la science ou de l’autorité compétente...

(24) Vanité





– Ainsi pour vous, si j'en crois la prose que vous semblez produire, l'imagination sera l'égale de la raison!
– Il n'en est pas ainsi...
– Ah... enfin...
– Vous vous trompez. L'imagination est bien supérieure à la raison puisque elle existe pour elle-même et de façon plurielle, pendant que la raison, il se pourrait que... en soi, elle ne soit... rien sans... l'imagination...
– Vous osez!
– Il serait vain de ne pas le faire...

jeudi 23 mai 2019

(23) Sphères distinctes


« La philosophie présocratique nous charme et nous captive par son caractère "proto-philosophique". A cette époque, la philosophie, la science, la religion et la poésie ne sont pas encore détachées les unes des autres dans des sphères distinctes. L’esprit de l’époque classique commençante embrassait toutes ces sphères avec le flux étincelant de la pensée vivante créatrice. Cette pensée avait l'aspect de la philosophie, mais elle n'avait pas la sécheresse et la complexité intellectuelle excessive de la philosophie des Temps Modernes. Elle avait l’aspect de la créativité et de la méthode scientifique, mais elle ne connaissait pas la spécialisation vertigineuse de la science moderne, accessible seulement à un petit cercle d’initiés. Elle avait l’éblouissement d’une révélation religieuse mais sans dogmatisme meurtrier. Elle était poétique, mais sans l’ individualisme et la décadence de la poésie de notre temps.»

Andrew Simsky



– Le monde qui nous entoure est un bien étrange spectacle...
– C'est aussi ce que me disait mon maître...



(23) Roussi


« Socrate a découvert la faculté de penser comme objet de l’étude philosophique. Après lui, la philosophie est devenue une science de la pensée et de la connaissance. Avec le temps, les notions de sujet connaissant et de personnalité réflexive se développent. Avec ce développement, la sensation douloureuse d’être isolé du monde et la solitude de la personnalité se forment, ainsi que notre détachement fatal de la nature et des autres êtres humains. A l’époque présocratique, les notions de personnalité et de sujet même n'existant pas, l'objet de la philosophie était le cosmos, pensé comme un organisme vivant, dont l’homme était une partie organique.»

Andrew Simsky


– Ça sent le roussi...


(23) En venir...



– Il en est de certaines évidences comme de certaines définitions, elles contiennent plus qu’il n’y parait au premier abord...
– Où voulez-vous en venir?
– C'est une bien étrange question que vous posez là...
– Qu'a-t'elle d'aussi étrange qui puisse vous faire perdre le fil de votre discours?
– Précisément parce que c'est l'exemple même de ce que je vous disais... Elle semble évidente et simple...
– Là je vous suis...
– Je ne suis pas si sûr de cette simplicité... Elle contient aussi une petite part d'opacité...
– En venir suppose deux choses. La première que nous venons de quelque part. Ce quelque part est supposé connu... mais il ne l'est pas... Pas entièrement... au moins et peut-être plus encore. C'est cela qui est opaque. Plus encore que là où je vais quand je soutiens l'hypothèse qu'il en va de certaines évidences comme de certaines définitions...
– Alors où allez-vous?
– Ici et maintenant...

(23) Le même espace


« Au début de la période classique on peut noter dans la philosophie grecque les germes de l’idéalisme ainsi que du matérialisme, mais ces deux directions n’étaient pas encore formées, car les notions même de l’idée ou de la matière séparée des idées, n’étaient pas encore formulées. Le matériel et le spirituel fusionnaient dans un seul «élément vivant», la substance fondamentale, qui contenait potentiellement non seulement les choses matérielles, mais aussi leur forme et leur devenir. A cette époque, il n'y avait pas de concept d'un «autre monde», et les dieux habitaient le même espace que les mortels.»

Andrew Simsky




(23) Coïncidences


« On se souvient que Barthes associait le plaisir de lire, et plus largement de vivre, aux vertiges d’un refuge haut perché : « Enfant je m’étais fait une retraite à moi, cabane et belvédère, au palier supérieur d’un escalier extérieur, sur le jardin : j’y lisais, écrivais, collais des papillons, bricolais », notait-il. La cabane de l’écrivain, oui, c’est ce havre où l’amour des mêmes textes coïncide avec le désir d’autre chose.»







mercredi 22 mai 2019

(22) De tous temps



– Sont-ce là, comme nous l'imaginons... vos écrits?
– Vous avez amplement raison: vous imaginez...
– "De tous temps", comme l'indique le titre de votre ouvrage...
– Provisoire...
– Provisoire?
– Provisoire est le titre de cet ouvrage qui n'est pas le mien... 
– Il vous ressemble pourtant...  une sorte d'infini morcelé dont la somme, pour autant qu'elle soit réalisable, dépasserait largement les parties si toutefois celles-ci pouvaient, d'une manière ou d'une autre être envisagées...

(22) Courants d'air




Extrait du petit carnet rouge de l'enfant Lune

Il m'arrivait d'entendre des voix sans que je puisse les situer ni dans le temps ni ailleurs. J'essayais, en pure perte le plus souvent, de lutter contre mon imagination pour ne pas faire de ces voix un récit différent simplement en les écoutant.
Ainsi en est-il de ce dialogue:
–  Si je vous ai bien écouté, le jeu serait une sorte de courant d'air dans lequel il faut se faire léger...
– Avec une certaine distance tout de même...
– Si cela est possible...
– Peut-on ouvrir la porte?
– Impossible.
– Comment fera-t'on?
– Cela ne dépend pas de nous...
– Que faire?
– Attendre. Elle s'ouvrira peut-être, mais cela se fera tout seul...
– Comment?
– Il faut attendre et peut-être qu'il viendra... 
– Celui qui ouvre les portes?
– C'est cela...
– Et comment saurons-nous qu'il est là?
– Par le détour de l'image...
– Quelle image?
– Une de celle dans lesquelles nous voyageons... 



(22) Dimension vivante


" Je commence par déclarer à mon lecteur que, dans tout ce que j’ai fait de bon ou de mauvais durant tout le cours de ma vie, je suis sûr d’avoir mérité ou démérité, et que par conséquent je dois me croire libre."
Casanova
 

Sept-cent-vingt-troisième rapport de Don Carotte
Extrait du Petit Cahier Jaune


Une histoire ne saurait naître, prendre forme et croître sans un tuteur vigilant et robuste, sans un guide permettant de s’orienter dans la pensée, et de retrouver sa voie sur tous ces chemins qui parfois ne mènent nulle part. C'est pourquoi je comprendrai que le lecteur soit dérouté à l'idée que, me croyant libre, j'ai pu choisir, non pas un, mais deux guides, pour, non pas me conduire, mais, d'une certaine façon, me guider dans les entrelacs mystérieux de la pensée et surtout dans les espaces du non-dit qui peuvent se manifester. Le mystère qui s'y ajoute est le fait d'avoir choisi deux perroquets élevés dans cet unique but. Je me suis dit, pour la dimension vivante et souvent imprévisible de la parole écoutée et répétée, paraphrasant –et trahissant– Saint Jacques: "Ayez soin de faire pratiquer la parole, et ne vous contentez pas de vous écouter, vous séduisant vous-même."