jeudi 28 février 2019


- Difficile de vivre dans le noir...
- Nous ne sommes pas vraiment dans le noir...
- Pas dans la lumière non plus...
- Cela ne nous empêche pas de converser.
- Alors allons-y. Croyez-vous que, en paraphrasant Heidegger*, ... ce qu’est notre vie, nous ne pourrions  l’apprendre qu’à partir d’elle. Qu’il nous faudrait la saisir à partir de l’œuvre... notre œuvre... et peu importe ce qu’elle est... ou ce qu’elle a été...

(28) Quels sont ces flammes?




– Quels sont ces flammes?
– C'est notre maître qui se débarrasse...
– De qui se débarrasse-t'il?
– De tout...
– De nous aussi? Allons-nous mourir brûlés dans nos cartons?
– Calmez-vous et laissez-moi finir ma phrase. Je disais : il se débarrasse de tout ce qu'il peut. D'une grande partie de ce qui s'est accumulé pendant toutes ces années...
– Mais pas de nous!
– Ce n'est pas son intention...

mercredi 27 février 2019

(27) Dans l’obsc




– Comment se fait-il qu’il fasse si noir ?
– Parce que nous sommes dans l’espace clos d’un carton...
– Et quel est ce bruit d'enfer que nous entendons au-dehors? 
– Ce n'est rien...
– Pourquoi cela et pourquoi notre maître ne nous dicte -t’il rien que nous pourrions répéter ??
– Pour la simple et bonne raison qu’il enferme toute la maison dans des cartons...
– Quelle en est la raison?
– Il déménage...
– Quand est-ce que nous retrouvons la lumière?
– Demain ou après demain...

lundi 25 février 2019

(25) Définition instable




– La chaos est soit un ordre soit, au contraire, un désordre. Il faut choisir.
– Justement, je le disais comme une hypothèse, le chaos serait, où pourrait être, paradoxalement, certes, un ordre dans lequel fonctionnent... enfin... Comment dire? Imaginons que cet ordre fonctionne selon des règles inconnues mais néanmoins présentes et pas du tout inconnaissables qui génèrent cette forme particulière d’organisation...
– Cependant... épistémologiquement, le désordre ne peut pas être un ordre...
– On se moque de l’épistémologie qui n’est rien d’autre qu’un ordre non naturel qui soumet les choses...
– Nous n’arriverons à rien par ce biais, laissons l’épistémologie et occupons nous du chaos et de sa fonction... si elle en a une. On peut imaginer qu’il n’est qu’une suite infinie d’équilibre...
– Je vous rappelle que le chaos ne se définit pas par l’équilibre
– Encore que...
– Quoi...
– L’équilibre est par nature ou par définition instable...
– Si c’est vous qui le dites....
– Ne faites pas l’enfant... et considérons avec raison que tout équilibre ne peut être qu’une parenthèse, un morceau... un laps de temps, pendant lequel ce que nous nommons équilibre a lieu.
– Ah, enfin vous voilà raisonnable !

(25) Un ordre particulier



– Dites-moi, que pensez vous du chaos que nous voyons en arrière plan...
– Le chaos? Celui qui se trouve en arrière-plan en ce cas particulier ou du chaos de façon générale?
– Ne m’avez-vous déjà demandé cela... Qu’aimeriez-vous savoir au juste... ou plutôt, où voulez-vous en venir?
– J’aimerais savoir si, selon vous, au-delà des limites de notre savoir, le chaos est véritable désordre ou s'il est un ordre... très particulier.

dimanche 24 février 2019

(24) Conformisme



– Avant que vous ne brouilliez les images... je faisais allusion au fait que si votre vie n’est pas franchement une invention cela n’est pas dû au destin, tel que vous vous le représentez... ou comme vous supposez que le montrent les dessins de Don Carotte...
– Précisez, je vous en prie.
– Votre vie , de mon point de vue, serait une sorte d'idéal du conformisme...
– Vous voulez dire que je me conforme... mais à quoi... et puis, devrais-je me fâcher de ce que vous dites?
– Il n'est nul besoin de fâcherie, il suffit que vous ouvriez les yeux... et le reste pour simplement constater ce que la masse dominante des hommes veut que vous soyez...
– Vous voulez parler de l’humanité ?
– C’est cela... avec quelques nuances.
..




(24) Silence


"S'il nous était possible de voir au-delà des limites où s'étend notre savoir, et encore un peu plus loin au-delà des contreforts de nos intuitions, peut-être alors supporterions-nous nos tristesses avec plus de confiance que nos joies. Elles sont, en effet, ces instants où quelque chose de nouveau a pénétré en nous, quelque chose d'inconnu; nos sentiments font silence alors, obéissant à une gêne effarouchée, tout en nous se rétracte, le silence se fait, et ce qui est nouveau, que personne ne connaît, se tient là, au centre, et se tait."*

 * Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète


(24) Dispersion



– C'est peu dire qu'il n’est pas facile de saisir l’unité de l’œuvre de Don Carotte, tant ses domaines d’interventions sont nombreux et semblent dispersés.
– Les agissements des humains nous échappent parfois...
– Peut-être, mais de toute évidence, si l'on se fie à ses récits, cela échappe aussi à ses semblables.

(24) D'autres temps



– Regardez comme Don Carotte se transforme! On dirait qu'il rajeunit!
– C'est une pure illusion...
– Comment cela?
– Il ne se transforme pas le moins du monde, il ne fait que penser.
– Penser à quoi?
– À d'autres temps et d'autres lieux.
– Des lieux et des temps qu'il a visité?
– Peut-être ou d'autres encore.
– De quel genre?
– Du genre qu'il imagine.




samedi 23 février 2019

(23) Subtile allusion



– L’histoire de votre vie est-elle une invention ou une découverte ?
– Tantôt l’une... tantôt l’autre, mais le plus souvent ce n’est qu’une découverte...
– Alors... si elle existe avant vous... attendez... ce serait comme un destin !
– Un peu, certes, mais pas le destin auquel, me semble-t-il, vous pensez...
– À quoi faites-vous allusion ?
– Au fait que si votre vie n’est pas franchement une invention cela n’est pas dû au destin, tel que vous vous le représentez...

(23) Ni début, ni fin




– Vous vous doutiez que c'était une valeur, certes, mais savez-vous laquelle?
– Pas du tout.
– Comme l'écrit J.R. Dos Santos dans son livre Signe de vie*:
« C’est une valeur qui précède la matière et la conditionne.»
– Mais alors c'est une découverte et non une invention!
– Vous apprenez vite, mais laissez -moi continuer la citation: « Et, notez le...»
– Vous savez bien que je ne puis écrire...
– C'est que qui se dit dans l'extrait que je vous répète! Ne prenez pas votre petit cerveau pour le centre du monde... « ... « Et, notez le, il s’agit d’une valeur infinie, un peu comme le cercle, qui n’a ni début ni fin. Il est impossible d’atteindre la dernière décimale de Pi, car ses décimales s’étendent à l’infini. Et bien que toute la suite de décimales ne cesse jamais et semble se prolonger au hasard, elle est en fait prédéterminée. Est-ce que vous réalisez ? Pi est infini et aléatoire, mais la valeur de cet infini et de cet aléatoire est prédéterminée ! »

* J.R. Dos Santos, Signe de vie, Hervé Chopin éditions



(23) Une valeur



– Vous l’ais-je dit ?
– Quoi donc?
– Quel nom m’a donné notre maître.
– Non.
– Aimeriez-vous le savoir?
– Évidemment...
– Pi.
– Pi ! Que cela?
– Oui, selon lui ce ne pouvait pas être plus court...
– C’eût pu être une simple lettre.
– Dans ce cas ce n’eut plus été un mot... et du reste, à l’origine c’en est une...
– Pourquoi ce nom?
– Parce que ce nom ou cette lettre est une valeur...
– Je m’en doutais...




(23) Construire un regard


« Ce que je dis pour ma part, c’est qu’on n’a pas besoin d’éduquer à l’image, c’est-à-dire qu’on ne doit pas s’intéresser à une image, puis à une autre image, et ainsi de suite; les images nous arrivent, on ne peut qu’éduquer un regard, et plus précisément construire un regard.»
Interview de Marie-José Montzain, par Laure Becdelièvre et Christophe Litwin
, 2003


– Sous les mots l’être vous guette...
– Saoulés mots, lettres vous guettent !

Cinq-cents-vingt-deuxième rapport de Don Carotte
Extrait du petit cahier Rouge


La découverte est quelque chose qui existe avant qu’elle ne soit mise... ou remise à jour. L’invention n’existe pas avant sa mise à jour, sa mise au monde... si je puis dire. La différence est essentielle, mais jamais totalement évidente.

vendredi 22 février 2019

(22) L’origine des choses



– Qui est donc et d'où vient-il cet acrobate qui semble tomber du ciel?
– À trop vouloir trouver où retrouver l’origine des choses on risque de se perdre ou de perdre le présent...
– Sauf si l’origine se trouve dans ce présent...
– Comment cela pourrait-il être ? Que je sache, le présent n’est pas le passé.
– Non mais il l’était.
– Comment cela ?
– Non appelons passé ce qui était présent.
– Cela je peux le comprendre, mais je ne comprend toujours pas d'où il vient...

– Qui donc, le passé où l'acrobate?
– Les deux.
– Ils viennent du même lieu en même temps...

 

(22) Voyage


« Le voyage n’est pas définitoire, n’est pas obligatoire. Tous les artistes ne voyagent pas, mais il y a des artistes voyageurs. Moi je dirais même que l’artiste en voyage, à l’époque que j’étudie, est quelque chose d’exceptionnel. Au Moyen Âge, la notion même d’art n’était pas encore bien définie. Il y avait l’artisan, il y avait l’architecte, l’artisanat, les maîtres, le compagnonnage. Le voyage des artisans avec les confréries, était quelque chose de très précis mais il s’agissait d’un autre paradigme. Concernant la construction des cathédrales, on sait par exemple que les savoirs et les techniques voyageaient, grâce à des études très intéressantes sur les profils des piliers ou des colonnes.» 

Victor Stoichita



– Si l'homme est un quoi, que sommes-nous?
– Tant que nous aurons l'illusion de vouloir, et surtout de pouvoir devenir comme eux, nous ne serons rien de plus qu'un amas de plumes animées dans un miroir qui n'est rien d'autre qu'une image due au bon vouloir de notre créateur...
– C'est ce que vous pensez?
– Non...

(22) Ce qui précède


« Il y a aujourd'hui tout autour de nous une espèce d'évidence fantastique de la consommation et de l'abondance, constituée par la multiplication des objets, des services, des biens matériels, et qui constitue une sorte de mutation fondamentale dans l'écologie de l'espèce  humaine. À proprement parler, les hommes de l'opulence ne sont plus tellement environnés, comme ils le furent de tout temps, par d'autres hommes que par des  objets. Leur commerce quotidien n'est plus tellement celui de leurs  semblables que, statistiquement selon une courbe croissante, la réception et la manipulation de biens et de messages, depuis l'organisation domestique très complexe et ses dizaines d'esclaves techniques jusqu'au "mobilier urbain" et toute la machinerie matérielle des communications et des activités professionnelles, jusqu'au spectacle permanent de la célébration de l'objet dans la publicité et des  centaines  de  messages  journaliers  venus  des "mass media", du fourmillement mineur de gadgets  vaguement  obsessionnels  jusqu'aux  psychodrames  symboliques qu'alimentent les objets nocturnes  qui viennent nous hanter jusque dans nos rêves.»

Jean Baudrillard, La société de consommation, 1970, éd. Denoël,p.17-18


– Ce qui précède conditionne-t’il ce qui sera présent ? En d’autres termes: y a-t-il  quelque chose, une idée, un concept qui préparerait la venue au monde de l’objet?
– Si oui, alors on pourrait parler de magie...
– Comme si le monde était le résultat d’une formule ?
– C’est un peu cela
– Comme si le monde avait été créé
– C’est cela.
– Comme si quelqu’un l’avait créé
– On pourrait dire cela.
– Vous avez de drôles d’idées.
– D'autant plus que l'on peut dire, d'une certaine manière, que c’est vous qui m’avez mis cette idée en tête...

 

jeudi 21 février 2019

(21) Un certain attachement


« D'abord tous les hommes sont attachés aux objets de leur culte; ils se font un devoir d'honorer et de conserver les dieux de leurs pères: mais plus, les Grecs se passionnent à l'excès pour leurs statues, leurs tableaux et les autres monuments de ce genre. La vivacité de leurs plaintes fait connaître à quel point ces pertes, qui peut-être...»

 

– À qui sont tous ces objets qui semblent être voués au rebut?
– Ce sont les restes d'une histoire à laquelle nous appartenons...
– Êtes vous en train de me dire que c'est ainsi que, nous aussi... et notre histoire, nous finirons?
– C'est cela.

(21) On va voir


« On accueille aujourd’hui dans les musées des objets dénués de valeur esthétique, présentés comme étant de l’art, au nom du dogmatisme: par soumission totale aux principes imposés par une autorité. En théologie, un dogme est une vérité ou une révélation divine que l’on impose aux fidèles pour qu’ils y croient. Kant opposait philosophie dogmatique et philosophie critique, ainsi que l’usage dogmatique de la raison à l’usage critique de la raison. Le dogme ne tolère aucune réplique ni aucun questionnement, il existe a priori.» 
Avelina Lesper, Six dogmes pour un non-art 



"Prévision", qu’est-cela ?
– Quelque chose, une action, avant de voir.
– Ce serait voir avant de voir... c'est absurde..
– Supposez que l’on va voir! Mais aussi ce que l’on va voir...
– Je vois... Enfin, non, p
our moi, voir c’est voir et... voir quand il n’y a encore rien à voir... cela, c'est un mystère... mais il est évident, pour moi, qu'avant que je la voie, la chose est là... avant.. Toute chose présente a un passé... et quelques fois une longue histoire...
 – Que voyez-vous ?
– ...Euhhh... Je voulais dire je comprends...
– Littéralement, vous prenez avec vous ou... c’est compris en vous.
– Quelle différence?
– Si vous comprenez, ce peut être par votre action ou par le fait que cela se fasse tout seul...
– Quelle importance?




(21) Là encore...




Cinq-cents-vingt-et-unième rapport de Don Carotte
Extrait du petit cahier Rouge


L’action n’est jamais ce qui la décrit... Peu importe que cela soit sous forme d’image ou de mots... sauf à considérer que l’acte soit la création d’image ou de mots... ou des deux ensemble... mais là encore...

(21) Trompe l’œil


« En quoi une image, prise au sens optique le plus banal, se différencie-t-elle d’un objet simplement offert à la vue ? Il semble d’abord qu’aucune différence vraiment convaincante n’apparaisse. Nous avons toujours affaire à une matière plus ou moins colorée, plus ou moins porteuse de formes et l’art contemporain a bien montré que l’on pouvait traiter comme un objet un tableau et comme un tableau un objet, de telle sorte qu’il est tentant de dire que la différence recherchée relève plus d’une convention ou d’un usage que d’une réelle distinction. Il nous semble cependant possible de revenir à quelque expérience critique qui suggère assez nettement la trop grande facilité offerte par le recours à la convention ou à l’usage. Prenons l’exemple classique du trompe l’œil. Si, nous promenant dans une rue, nous regardons une fenêtre, nous avons clairement une expérience d’objet. Si, après quelques hésitations, nous découvrons qu’il s’agit d’une fenêtre peinte sur ce mur, il semble bien que nous ayons maintenant une expérience d’image sans que rien pour autant n’ait changé matériellement. La seule chose qui se soit réellement produite est la réorganisation sémiotique de l’expérience...»

Jeans-François Bordron, Image et vérité


– Croyez-vous que...




mercredi 20 février 2019

(20) Illusions rétrospectives



– Quand nous regardons vers le passé ou simplement en arrière, il nous semble voir un chemin tracé qui nous aurait conduit là où nous sommes...



(20) Rien qu'un amas de plumes


"Le reproche d'indignité qui s'adresse à l'art comme produisant ses effets par l'apparence et l'illusion serait fondé si l'apparence pouvait être regardée comme ce qui ne doit pas être. Mais l'apparence est essentielle à l'essence. La vérité ne serait pas si elle ne paraissait ou plutôt n'apparaissait pas, si elle n'était pas pour quelqu'un, si elle n'était pas pour elle-même aussi bien que pour l'esprit en général. Dès lors ce n'est plus sur le paraître que doit tomber le reproche, mais sur la sorte particulière d'apparence employée par l'art pour donner réalité au vrai en soi. Mais si on qualifie d'illusions ces apparences sous lesquelles l'art donne existence à ses conceptions, ce reproche a surtout du sens par comparaison avec le monde extérieur des apparences et sa matérialité immédiate, et aussi par rapport à notre propre affectivité, à notre monde intérieur et sensible: monde extérieur et monde intérieur - à tous deux, dans notre vie empirique, dans la vie de notre apparence même, nous sommes habitués à donner la dignité et le nom de réalité effective et de vérité, par opposition à l'art à qui manquent pareille réalité et pareille vérité. Mais, justement, tout cet ensemble du monde empirique intérieur et extérieur n'est pas le monde de la réalité véritable, mais on peut dire de lui, bien plus exactement que de l'art, qu'il est une simple apparence et une trompeuse illusion. C'est au-delà de l'impression immédiate et des objets perçus immédiatement qu'il faut chercher la véritable réalité. Car n'est vraiment réel que ce qui est en soi et pour soi, la substance de la nature et de l'esprit, ce qui, tout en se manifestant dans l'espace et dans le temps, continue d'exister en soi et pour soi et est ainsi véritablement réel. Or c'est précisément l'action de cette force universelle que l'art présente et fait apparaître. Sans doute cette réalité essentielle apparaît aussi dans le monde ordinaire -intérieur et extérieur- mais confondue avec le chaos des circonstances passagères, déformée par les sensations immédiates, mêlée à l'arbitraire des états d'âme, des incidents, des caractères, etc. L'art dégage des formes illusoires et mensongères de ce monde imparfait et instable la vérité contenue dans les apparences, pour la doter d'une réalité plus haute créée par l'esprit lui-même. Ainsi, bien loin d'être de simples apparences purement illusoires, les manifestations de l'art renferment une réalité plus haute et une existence plus vraie que l'existence courante".

Hegel, Leçons sur l'esthétique



– Si l’homme est un quoi, alors nous autres perroquets, en l'état, que serions-nous?
– Tant que nous aurons l’illusion de vouloir devenir comme lui, comme eux, nous ne serons rien de plus qu’un amas de plumes animées dans un miroir qui n’est rien d’autre qu’une image due au bon vouloir de notre créateur...
– C’est ce que vous pensez ?
– Non... c'est ce qu'il écrit...

– Qui?
– Notre créateur...
– Vous parlez de Don Carotte?

(20) Comme ils disaient...


« Dire "oui" émane communément d’un choix dans une alternative entre le oui et le non. C’est prendre position par une affirmation positive. Le oui, c’est la parole qui s’affirme, à supposer qu’elle soit libre et consciente.»
Muriel Baryosher-Chemouny, L’adéquation à la Vie, source de joie 




Cinq-cents-vingtième rapport de Don Carotte
Extrait du petit cahier Rouge



 Je passais longtemps à écrire, mais plus encore je réfléchissais à cette force qui me poussait à écrire sans que je ne sache pourquoi... C'est de cette réflexion et non des souvenirs que j'avais en mémoire que me venaient, ces mots qu'apprenais maladroitement à maîtriser. Je m'aperçus, entre autres choses, que, fruit d’un travail intense, mon assimilation sociale plus ou moins réussie n’était qu’un équilibre précaire toujours en équilibre instable. À tous moments je devais faire attention à ce que je disais pour ne pas heurter les susceptibilités à fleur de peau des caciques du royaume, à commencer par mon maître, et faire en sorte de participer activement à l’établissement véritable de valeurs auxquelles, pourtant, je ne pouvais adhérer sans un profond questionnement préalable. C’est ce qui a fait que, pendant longtemps et au risque de paraître demeuré, je ne m’exprimais pas vraiment me contentant d’observer et de ruminer... comme ils disaient...
Lentement je compris qu’en y mettant des formes convenables et surtout convenues je pouvais, à très petites doses, commencer à exprimer ce qui, dans mon for intérieur, se construisait pas à pas. J’eus bientôt pleinement accès à ce qu’ils appelaient le langage.
Si je n’avais nullement la possibilité de me comprendre avant d’être compris j’avais néanmoins l’espoir que, travaillant sans relâche à ma propre édification, quelqu’un recueillerait l’une ou l’autre graine que je prétendais semer... Là fut sans doute fut ma plus grande erreur.



mardi 19 février 2019

(19) Un, mais séparés...



– Vous savez, ou vous ne savez pas, mais avant d'écrire quoi que ce soit...
– C'est bien le cas de le dire...
– Avant d'écrire, sans vouloir vous fâcher, il réfléchit comme il se doit... que me demandiez-vous?
– Je disais que note-t’il ?
– Je l'avais bien compris... et je vous réponds il écrit... ou va noter « quoi »...

– Comment le savez-vous?
– Je le connais bien... et il va ajouter...
– Il ajoutera quoi ?
– Il va ajouter «je suis un quoi».
– Qu’est-ce que cela veut dire?
– Ce que je vous ai dit... exactement...
– Qui a-t-il d’exact?
– C’est exactement ainsi qu’il pense... tout comme vous...
– Il pense comme moi?
– Ou vous pensez comme lui...
– Serait-ce que je pourrais être l’objet de sa pensée?
– Ou l’inverse...
– En ces deux cas nous formerions qu’un...
– Un certes...
– Mais...
– ... séparés
– Et vous ?
– Oui...
– Serait-ce par hasard que vous m’avez soufflé ce mot que je n’ai fait que répéter et qui nous a réveillé, j’allais dire révéler... ce quoi... que Don Carotte et moi-même...





(19) Quelque chose qui...




– Regardez, Don Carotte est sorti de son immobilité...
– Comment cela se fait-il?
– Vous avez dit quoi et le voilà qui s’éveille !
– C'est un miracle!
– Il ne sait d’où est venu le mot et la voix qui le porte et surtout la question entièrement contenue dans ce petit mot...
– Le petit quoi de tout-à-l'heure?
– C'est cela et peut-être même pense-t-il que c’est lui qui s’est posé la question...
– Dites-moi! Don Carotte st-il ce maître que nous avons perdu?
– Pour le moment c’est lui qui nous a perdu...
– Vous n’avez pas vraiment répondu mais il me semble qu’il y a dans votre réponse quelque chose qui me donne à penser que vous en savez plus que moi...

– Regardez! Selon vous que fait-il?
– Il s’est assis et note...
– Que note-t’il?
– Généralement, tout qui lui passe par la tête...
– Ma question était plus précise et concerne le nunc.

– Le nunc?
– Oui... Que note-t’il en ce moment même?
– Quoi.

– Comment quoi
– Il note quoi.
– Pardonnez mon inquiétude, mais il me semble... ou plutôt il ne me semble pas qu'il soit en train d'écrire...

(19) Pourquoi quoi?




– Pourquoi quoi?
– Parce que quoi est ce qu'il est...
– Vous parlez curieusement, seriez-vous, vous aussi, menacé d’effondrement?
– Pas du tout... en fait oui... mais c'est un autre problème qui n'a rien à voir avec ce que je viens de vous dire. Don Carotte est un "quoi".
– Je croyais que c'était un homme.
– Les hommes sont des "quoi"...
– Vous vous moquez?
– Pas du tout... d'autant que nous aussi...
– Quoi! Nous serions des "quoi"
– À leur image... 
– Il va falloir que vous m'expliquiez tout cela. 

lundi 18 février 2019

(18) Quoi ?




– Regardez Don Carotte ne bouge plus. Il est comme figé dans le temps...
– C’est cela, il en train d'oublier...
– Comment cela: il oublie?
– Il est dans l’oubli de son existence...
– Comme les montagnes ?
– Détrompez vous, les montagnes luttent en permanence...
– Contre quoi luttent-elles?
– Elles luttent contre leur effondrement.
– Don Carotte ne lutte plus vraiment...
– Comment faire pour l’aider?

– Un seul mot suffirait...
– Lequel ?
– Un mot qui le rappelle...
– Quoi ?
– Précisément...
– Qu’ai-je dit?
– Quoi ?

(18) Le soleil ?


« Le cercle n’a ni début ni fin, c’est pourquoi il est devenu un symbole universel d’intégrité, d’éternité, d’homogénéité et de perfection, conception qui tend à renforcer les buts pacifiques et gnostiques du Phanès. Le cercle est l’absence de divisions ou de distinctions, c’est le symbole de l’unité, l’idée selon laquelle, malgré des différences apparentes, nous sommes tous pareils, nous sommes tous reliés, nous ne formons qu’un. La différence est une illusion . Pour les hindous et les bouddhistes, le cercle représente la naissance, la mort et le renaissance, le cycle éternel de la vie et de la mort, le temps qui s’achève sans jamais s’achever, une chose en amenant une autre, tout change et demeure identique. »

* J.R.dos Santos, Signe de vie, Éditions Hervé Chopin, p. 197



 
– Laissez-moi continuer, je connais la suite, moi aussi j'ai lu le livre*...
– Dites-moi !
– « Même le yin et le yang sont dans un cercle. Plus important encore...»
– Dites.
– ... « historiquement le cercle est un symbole que la plupart des cultures associent au concept le plus éminent de tous. Savez vous lequel?
– Le soleil ?
Connaissant la difficulté et combien est sensible le sujet pour des scientifiques, il fit une pause avant de répondre à la question qu’il avait lui-même posée.
– Dieu. »*
– Voilà autre chose...
– Dieu n'est pas une chose! 

(18) Quel ou qui ?



– Nul n’entre ici sans l’assentiment de notre créateur...
– Voilà autre chose... et quel, ou qui serait-il?




(18) Une sorte d'action


"La troisième phase était celle de l’actuel, que les carnassiers avaient fallacieusement appelé «présent». Or il n'y avait pas plus de présent qu'il n'y eu d'humain. Seul l’actuel caractérisait la conscience. Le futur lui-même, pourtant cher à quelques cerveaux marquants de l’«Histoire, avec sa grande hache», n'existait pas. Il n'y avait plus d'histoire, juste de l’actuel et de réelles fictions sensorielles nourrissant les éternités individuelles. La loi de Moore avait rendu le futur prédictible, mesurable, et donc caduc."

Agathe François, Le chant du cybird, département de communication Université de Montréal


 – Le monde n’est pas à l’image de ce que l’homme... ou nous-mêmes... disons, voyons ou pensons...


Cinq-cents-dix-neuvième rapport de Don Carotte
Extrait du petit cahier Vert


Le monde est un infini dans lequel nous choisissons un petit bout pour en faire un fini que nous nommons. Et c’est une sorte de miracle que l’on en soit arrivé à croire en cette sorte d’action... dont la laideur, la beauté, ou la vérité ne dépendent pas de l’objet dont parle cette action qui est entièrement dépendante des capacités de celui qui en devient l’auteur... et, surtout, de la voix qui le porte.

dimanche 17 février 2019

(17) La voix qui porte



Cinq-cents-dix-huitième rapport de Don Carotte
Extrait du petit cahier Vert


Ce que l’homme dit, ce qu'il écrit ou pense n’est que ce qu’il dit écrit ou pense. Ce ne sont que des mots. Ce n’est pas ce qu’il nomme réalité. Réalité qu’il croit plus ou moins synthétiser par l’action des mots. C’est ce qu’il croit être un savoir... c’en est un, mais il est difficile de le comprendre...
De fait, le miracle est qu’à chaque tentative, peu importe ce qu’est cette tentative, qu’elle soit belle, moche, intéressante ou banale, il crée le monde... mais il ne le sait pas.

(17) Voix intérieure




– J’en reste sans voix... – Vous voyez...

 – Je ne vois rien... et ce que vous me dites me paraît bien compliqué...
– Et pourtant, clairement, il est un un fait qui vous échappe: votre voix n’est la vôtre. Celui qui vous entend ou qui m’entend... le fait avec sa propre voix...
– Il nous imite?
– Non il nous interprète.
– Quelle est la différence
– Il nous prête sa voix pour entendre ce que nous disons...
– Il n’est pas obligé de lire à haute voix!
– Bien vu, mais même s’il le fait à voix basse ou en silence sa voix intérieure se fait entendre...
– Sa voix intérieure?
– Oui.
– Comment?
– ... comme nous...


(17) Sans voix




– Cependant nous parlons!
– C’est cela aussi...
– Et nous nous entendons, nous nous déplaçons, nous passons de branches en branches, nous volons...
– C’est tout cela aussi...
– Mais...
– Vous devriez l’avoir compris
– Quoi donc?
– Vous devriez comprendre que nous n’avons, et c’est un comble... nous n’avons point de voix...
– J’en reste sans voix...
– Vous voyez...

(17) Que des images



– Regardez comme en fin de nuit se répandent quelques lumières! Le monde s'éveille...
– Lorsque nous sommes entre nous, croyant être invisibles, nous utilisons leurs mots sans les prononcer comme eux...
– Pourquoi dites-vous cela?
– Parce que nous ne sommes même pas ce que nous paraissons...
– Nous ne serions même pas des perroquets ?
– C’est cela...
– Et que serions-nous ?
– Des images de perroquet...
– Nous ne serions que des images ?
– C’est cela...
– Mais alors ce monde dont vous parliez tout-à-l'heure?
– C'est cela... aussi...

samedi 16 février 2019

(16) À moins que...




– Personne ne peut rien entendre de ce que nous disons...
– Mais tout de même il entendrait le bruit du vent dans les branches des arbres
– C'est cela, mais il n’entendrait pas ce que nous disons. Il entendrait le bruit qu’il appelle jacassement...
– Pourtant nous nous comprenons
– C’est par oubli...
– Quel oubli ?
– Nous oublions, lorsque nous parlons entre nous, d’y mettre cette étrange articulation qui est une des caractéristiques de notre maître...
– Je ne comprends pas... si nous parlons... nous parlons !
– Pas comme les hommes, même si nous savons les imiter nous n’en sommes point...
– Tout de même ce sont les mots qu’ils nous ont appris!
– Regardez! Ils sont entré dans notre image et comme je vous le disais ils ne nous entendent ni ne nous voient... 
– À moins que ce ne soit nous qui sommes entrés dans la leur...

vendredi 15 février 2019

(15) Devenu autre



Plus haut que l’arbre la sève s’est élevée... Quand tout enfin repose, s’agite sans fin ce qui en était la cause.




– Que désires-tu savoir?
– C'est là justement ce que je ne sais pas et que manifestent ces grands trous qui me traversent.
L'homme lui dit:
– Ces trous, je ne peux les voir, mais je les connais et puis les ressentir.
– Comment cela?
L'homme lui répond:
– J'ai aussi cette impression de trous, mais pour moi ils se manifestent dans les mots, conspirent dans la langue et rampent longuement dans mon cerveau qu'ils me semblent dévorer...

Tous deux longtemps ils parlent encore, puis l'homme, usé et las s'en va. Une dernière fois se retourne en disant:
– Ce qui se dévore là presque sous mes yeux n'est autre qu'un moi-même qu'il serait devenu...

(15) Un nom comme un autre


C’est la tête haute et le regard clair
Que l’équitable mot dans le ciel fait son nid.




Cinq-cents-dix-septième rapport de Don Carotte
Extrait du petit cahier Vert


 L'homme avait demandé:
– Quel est ton nom?
Selon le témoignage, écrit dans le cahier de mon grand-père, l'enfant d'abord ne répondit pas. Il pris son temps avant de dire vaguement:

– Un nom comme un autre.
– Mais encore?
– Je le connaissais hier encore, mais depuis... et puis d'abord lequel voulez-vous connaître: celui qui est mien ou celui que l'on me donnait?
– Celui que tu désires...
– Je ne désire point de nom.
– Que désires-tu?
– Je désire savoir...