mercredi 28 février 2018

Un but qui nous échappe




Ne se sachant pas observé, le Surveillant, selon sa nature, agit en observant inlassablement. On pourrait croire que ces observations répétées pourraient être toujours les mêmes, mais selon lui:

– Je crois avec force et vigueur qu'il y a une évolution constante dans le fait d'observer qui vise un but qui nous échappe tant que nous pensons que cette observation serait parlante... tout comme les hommes...

Pris au piège de la pensée, ce qu'il n'aime pas, le Surveillant perd pied.

– Mais alors, si cette évolution ne parle pas... que fait-elle?
– Elle agit et communique... L'important, pour elle, n'est pas le poids des mots qu'elle suscite, mais ce qu'ils signifient...
– Alors quel serait l'important pour elle?
– Ce que les mots provoquent chez celui à qui elle les adresse...


La pensée, chose incertaine, n'est pas de même nature que des objets ou des corps, mais curieusement il arrive, selon certains, qu'elles se répandent. C'est ainsi que que Pinocchio, mû par un désir inconnu et presque malgré lui, s'est mis  à dialoguer avec le Surveillant à propos de ses pensées.

– Voilà qui n'est pas simple....
– C'est bien de cela qu'il est question...


Ils répètent plusieurs fois la même chose, en utilisant les mêmes mots, qui pour eux, chacun pour des raisons différentes, n'en sont pas...


– Ne sont pas quoi et pour qui?
– Les mots ne sont pas des mots pour les choses et les êtres imaginaires comme vous tous, ce ne sont que des sons qui agissent. Ils sont empruntés à ceux qui les disent, aux hommes qu'ils fréquentent et qui sont leurs auteurs préférés. Mais, et c'est là toute la subtilité dont ils sont capables, en apportant à chaque fois de tous petits changements, presque imperceptibles qui ne sont pas toujours dû au manque de mémoire ou au manque de connaissance, mais à l'intention dont ils sont les porteurs. 




mardi 27 février 2018

Subtil savoir


"Le subtil savoir se joue des profondeurs... Venu du fond des âges, il est entièrement tourné vers l'avenir. C'est ce qui permet de lire le passé..."

Mémoires épuisées et docte pensée, Fernand le Grand Surveillant



 Fernand est le Grand Surveillant, ce n'est un secret pour personne, et pourtant ce ne devrait pas être la cas. Sa mission est des plus secrètes. Rien de doit échapper au Grand Surveillant.

– Tous les effets sont d'origine naturelles. Tout est observable. Il n'est rien qui puisse échapper à l'observation. Et rien ne m'échappe... Si nous pouvons, au hasard des rencontres, raison garder, derrière toutes choses, une autant que mille autres ensemble, il n'est point de secret qu'il n'ait laissé une petite trace, si petite soit-elle, qui puisse nous mener à lui-même... Il suffit de savoir observer... Paradoxe ultime, à l'aide du temps et de la mémoire, l'attente se révèle pour ce qu'elle est: bien éloignée des apparences.

Toutefois, gardons en mémoire le fait que le Grand Surveillant n'a pas le rôle du Juge. Il observe et surveille. C'est tout.

lundi 26 février 2018

Rare confession


" Mais la question de savoir jusqu’à quel point la vie a besoin, d’une façon générale, des services de l’histoire, c’est là un des problèmes les plus élevés, un des plus grands intérêts de la vie, car il s’agit de la santé d’un homme, d’un peuple, d’une civilisation. Quand l’histoire prend une prédominance trop grande, la vie s’émiette et dégénère et, en fin de compte, l’histoire elle-même pâtit de cette dégénérescence."
 
Seconde considération intempestive, Friedrich Nietzsche



Pour Fernand, le Surveillant, toute parole, aussi vivante qu'elle puisse être, finit comme lettres mortes... Inutile de vous dire qu'il n'entend rien des pensées de Pinocchio, l'Autre. En réalité personne ne saurait dire ce qu'il pense de lui, si vraiment il pense.

– Peu importe ce que dit la parole, peu importe l'Histoire, peu importent les histoires, peu importe ce qu'on lui ou leur fait dire, pourvu qu'elles soient conformes. La conformité est la politesse de l'espoir...

Fernand prend grand plaisir à surveiller et quand on lui demande quel est son métier, il répond sans hésiter ce qu'il répète depuis...

– Surveiller et répéter le tout selon les formes et nous ont été imposées et que, par pur mimétisme, nous nous sommes imposés. 

Quelquefois, rarement, il se laisse aller à quelque confession:

– Je suis le gardien de ce que je surveille, non pas seulement ce qui est du ressort du monde des formules ou de celui des mots secrets, mais de celui de la forme. Rien n'est plus important que le monde de la forme. Le fonds ne peut que suivre... Tout est ainsi depuis toujours. Il suffit de le répéter pour qu'il continue ainsi de tourner.


 


Une étrange configuration


"Contemple le troupeau qui passe devant toi en broutant. Il ne sait pas ce qu’était hier ni ce qu’est aujourd’hui : il court de-ci de-là, mange, se repose et se remet à courir, et ainsi du matin au soir, jour pour jour, quel que soit son plaisir ou son déplaisir. Attaché au piquet du moment il n’en témoigne ni mélancolie ni ennui. L’homme s’attriste de voir pareille chose, parce qu’il se rengorge devant la bête et qu’il est pourtant jaloux du bonheur de celle-ci. Car c’est là ce qu’il veut : n’éprouver, comme la bête, ni dégoût ni souffrance, et pourtant il le veut autrement, parce qu’il ne peut pas vouloir comme la bête. Il arriva peut-être un jour à l’homme de demander à la bête :
– Pourquoi ne me parles-tu pas de ton bonheur et pourquoi ne fais-tu que me regarder?

Et la bête voulut répondre et dire :
– Cela vient de ce que j’oublie chaque fois ce que j’ai l’intention de répondre.

Or, tandis qu’elle préparait cette réponse, elle l’avait déjà oubliée et elle se tut, en sorte que l’homme s’en étonna."

Seconde considération intempestive, Friedrich Nietzsche

Fernand le Surveillant, lui aussi ne sait quoi répondre quand on lui pose une question. C'est que, par une étrange configuration des circuits logiques et immuables de son cerveau, pour lui la réponse précède la question et celle-ci n'est là que pour mettre en évidence ce à quoi cette réponse, à laquelle il tient par-dessus tout, fait référence... c'est-à-dire la question...




Le fonds n'a qu'à suivre


" Il s'étonna du son de sa propre voix, assuré et affirmatif– comme lorsqu'il disait  la messe, autrefois. Il n'avait pas oublié l'astuce. Briser le silence sans nécessairement se servir de mots dotés d'une signification. Créer une émotion, quelque chose de si vague et insaisissable que, au lieu d'un individu singulier, il fallait une foule entière pour soutenir l'inconsistance. La fameuse religio– un lien entre les hommes face au gouffre de l'absurde. Et toujours quelqu'un, un joueur de flûte magique, un gardien des formules, pour mener les danses."

Le peuple de bois, Emanuele Trevi, Actes Sud




Pinocchio le sent bien. Il y a, portés sur lui, des regards invisibles qui lui pèsent. Il entend les pensées qui accompagnent les regards:


– Je suis le gardien, non pas celui des formules et surtout pas celui des mots secrets, mais celui de la forme. Rien n'est plus important que la forme. Le fonds n'a qu'à suivre...

C'est ainsi que, contrairement à ce que pense le Surveillant*, Pinocchio entend d'abord ce qu'il va voir.


Fernand le Surveillant ressemble énormément à l'inspecteur Machin, tout droit sorti du film Ma Loute de Bruno Dumont, qui lui semble être sorti tout droit d'un album de Tintin, tant il ressemble à Dupont qu'il ne faut point confondre avec Dupond. Mais, étrangement, notre Surveillant ressemble plus encore à..., pas seulement parce qu'il porte le même prénom: Fernand, pure coïncidence, mais parce que les circonvolutions de son cerveau font que les circonlocutions de son langage ont aussi une ressemblance frappante avec le côté dansant de sa démarche. On est happé par le mouvement. On s'attend à tous moments à une chute qui ne vient jamais au moment où l'on devrait s'y attendre jusqu'à ce que tout retombe à plat.

– À plat, c'est le mot... dit Fernand qui, par pur hasard, a tout entendu...  

Comme chacun peut l'imaginer, Fernand ne passe pas les plats, il les attire à lui et met toute son intelligence à faire disparaître ce qui en gâche les formes tout en les analysant dans les moindres détails pour ensuite les rendre plus propre que jamais pendant que lui, en toute innocence, digère "noblement"– c'est-dire dans une une sorte de somnolence qui le rend presque somnambule. Scènes quasi obscènes que nous ne relaterons pas... C'est ainsi que Fernand le Surveillant aiguise son appétit, comme il dit.


Un faux pas


"L'unique certitude, c'est qu'un être humain tombe dans une histoire comme s'il faisait un faux pas: à l'insu de lui-même, incapable de comprendre comment il s'est retrouvé là, et à quel moment il a commencé à se tromper."



Le surveillant se doit d'être partout, sans cesse il marche, arpente, guette, surprend et fixe avec ardeur tout ce qui peut le surprendre. Il ne sait ce qu'il recherche, mais il sait, sans aucun doute –d'autant que l'incertitude est maître– de ses pensées, que la "chose" est là.

– Le marcheur écrit avec ses pieds, regarde avec ses yeux... mais surtout avec ses oreilles... le souffle trahit l'action et celui qui la conduit...




dimanche 25 février 2018

La simplexité


"À l'occasion d'un ouvrage au titre évocateur (La Simplexité, Odile Jacob, 2009), Alain Berthoz, professeur au Collège de France, spécialiste de la perception (physiologie), interroge la notion de complexité en constatant d’abord que parmi les centaines d'ouvrages et d'articles s'y rapportant «nulle part n'est mentionnée l'idée que la vie a trouvé des solutions pour simplifier la complexité».
L'éminent chercheur définit «la simplexité» comme l'ensemble des solutions trouvées par les organismes vivants pour que, malgré la complexité, le cerveau puisse préparer l'acte et en anticiper les conséquences [...]. Elles permettent d'arriver à des actions plus élégantes, plus rapides, plus efficaces. On devrait s'en douter, «simplifier dans un monde complexe n'est jamais simple» car, observe Alain Berthoz, «simplifier coûte». Dans le domaine du sport, la question du passage de la «complexité» à la «simplexité» s'impose tout particulièrement. Ça tombe bien, Alain Berthoz nous offre les cinq principes qui structurent les processus de «simplexification» en cette matière. Ces principes se touchent, s'unissent et se complètent.
Le principe d'inhibition
Pour un temps, même fugace, ne rien faire. C'est le principe roi. Celui qui les gouverne tous. Dans l'urgence, il faut effectivement beaucoup œuvrer pour «inhiber» les solutions de bas niveau. Issues de structures très primitives, elles mobilisent peu de neurones. D'où leur célérité. Comme le rappelait récemment Xavi Hernandez dans un entretien à Sport, Iniesta et Messi sont châtelains en leur domaine parce qu'ils maîtrisent l'espace-temps inhérent au jeu. Et cette maîtrise consiste d'abord à attendre. Cette attente active ouvre des chemins, provoque des attractions et des décalages, dessine des opportunités de passe. Les champions le disent: nous avons toujours beaucoup plus de temps que nous ne le croyons."



Pierre Escofet, sociologue du sport, le Temps







Sous l'écorce


"Le fait est, chers auditeurs, fils et filles du menuisier, le fait est que le monde, avec toutes ses innombrables combinaisons de substances et de désirs, de choses lourdes et légères, parfumées et puantes, le monde n'est pas simplement un lieu que les êtres vivants, hommes, bêtes et plantes, peuvent se répartir entre eux une fois pour toutes, avec des pactes qui seraient bons pour tous, ce morceau est à moi cet autre est à toi. Cela semblerait logique, mais le monde n'est pas une nappe de restaurant, avec des alignements, tous pareils, de petits carreaux rouges et blancs. La forme même du monde est irrégulière, et elle ne trouve jamais la paix, parce que la duperie et le vol ne cessent jamais de le créer à leur image et ressemblance."
 Le peuple de bois, Emanuele Trevi, Actes Sud 



Sur le chemin de Pinocchio, il commence à s'en douter, tout serait sous surveillance...
– S'il m'était possible d'enlever l'écorce de chaque chose, nous pourrions, j'en suis sûr, trouver quelque chose de vraiment autre...
  Même s'il faut bien se l'avouer, ce n'était qu'une esquisse de pensée, une sorte de balbutiement à peine digne d'un enfant de trois ans... mais cette pensée, convenablement développée, laissait entrevoir bien autre chose que la simple présence d'une marionnette... et puis ne dit-on pas: une marionnette peut en révéler une autre... L'unique certitude d'un être tel que Pinocchio avait-il d'autres débouchés?




À la fois vrai et faux


"La communication est le concept central de la théorie de Habermas. Lorsque nous parlons, nous élevons simultanément des «prétentions à la validité»: nous prétendons que ce que nous disons vaut, et nous pouvons, le cas échéant, le justifier. C'est le noyau dur de la théorie de la rationalité chez le philosophe. Cette conception de la validité lui permet de décliner la notion de vérité en trois domaines différenciés: la validité objective (dis cours scientifique, vérité), la .validité normative (discours moral, justesse) et la validité subjective  (monde subjectif, sincérité).
La notion de validité se substitue donc à celle de vérité . Une énonciation peut être valide sans être vraie. Le noyau rationnel et intersubjectif de la communication est donné dans cette possibilité toujours ouverte de justification.
La communication est une activité élémentaire, distincte de l'activité qui a toujours été considérée comme le type suprême de rationalité: l'activité dite instrumentale, c'est-à-dire en fonction d'une fin (par ex., travail pour gagner de l'argent). Par l'activité communicationelle, deux sujets sont capables de s'entendre; dans l'activité instrumentale, on intervient sur le monde, ce qui est très différent. La communication est structurée par l'entente, ce qui ne veut pas dire, naturellement, que  l'entente règne. Elle a, chez Habermas, le rôle d'une idéalisation morale. Beaucoup de malentendus à propos d’Habermas viennent de cette confusion."

Mark Hunyadi, Le Temps 24.02.201






Sur le chemin de Pinocchio il commence de le savoir, tout est sous surveillance...

– S'il était possible de soulever chaque chose, nous pourrions en trouver une autre que la première dissimule...
Il faut bien l'avouer, ce n'était qu'un début de pensée. Une sorte d'avorton banal à la portée de n'importe qui... mais dont on peut penser que, convenablement stimulé, à son tour, une fois soulevé, cet avorton de pensée, puisse en révéler une autre...

Pinocchio, l'Autre, comme tout Pinocchio qui se respecte, aimerait avoir la parole. Certains pensent et disent qu'ils l'ont déjà. C'est à la fois vrai et faux. Ce qu'ils disent ne sont que les mots que l'on leur fait dire. C'est pourquoi, inéluctablement,  à l'intérieur d'eux-même, deux forces opposées s'y liguent pour, après y avoir fendu le cœur même, y creusent un fossé et, simultanément, le remplissent d'une amertume éruptive qui va prendre, à force de transformations successives, on le verra, la forme d'un corps nouveau.

Nul doute

« Nul doute qu’Eschyle avait visité un paysage semblable à celui-ci. C’était immense, titanesque et de ceux qu’aucun homme n’habite jamais. Une partie de celui qui le contemple –et même une partie vitale– semble s’échapper entre ses côtes flottantes à mesure qu’il monte. Il est plus seul qu’on ne peut l’imaginer. Ses pensées ont moins d’envergure et son intelligence est moins affûtée que dans les plaines où habitent les hommes. Sa raison est sombre et dispersée, plus ténue et plus imperceptible, comme l’air. La Nature immense, titanesque et inhumaine l’a pris au dépourvu, piégé quand il était seul et lui a volé un peu de ses facultés divines. Elle ne lui sourit pas comme dans les plaines. Elle semble demander sévèrement: Pourquoi es-tu venu ici avant ton heure? Ce terrain n’est pas encore prêt pour toi. Cela ne te suffit donc pas que je sourie dans les vallées? Je n’ai jamais créé ce sol pour tes pieds, cet air pour ton souffle, ces rochers pour être tes voisins.»

Henry David Thoreau, Les forêts du Maine, 1864, trad. Thierry Gillyboeuf, Payot, 2012



– Un paysage semblablable à celui-là?
– Il nie...
– ... en a pas...
– L'appât est bien grossier, parole de perroquet!

Pinocchio a fait connaissance de notre perroquet. Il n'a pas fallu longtemps pour qu'ils se comprennent. Tous deux ont avec les mots presque la même distance... Ils sont censé répéter, voir même, se répéter, ce qui à la longue, ils s'en rendent comptes mutuellement:

– C'est très fatiguant... et lourd de sens!


 

samedi 24 février 2018

Au dehors


... « parce que le caractère de Pinocchio est celui-là, mes frères et sœurs, branches et troncs du peuple de bois, âmes de lymphe. Il est toujours facile de convaincre Pinocchio, tout le monde peut le faire changer de route, tout le monde peut le fourrer dans les pires ennuis que l'on puisse imaginer, le prendre au piège, l'abandonner au bord d'un chemin, désespéré et affamé, sans qu'il ait le droit de se plaindre.»

Le peuple de bois, Emanuele Trevi, Actes Sud 



– C’est exactement comme dans un rêve, sauf que là je n’oublie rien.
Naturellement, « au dehors », il le savait, rien n’était vraiment tel qu’il le voyait. Si quelqu’un avait été là, juste à côté de lui, il n’eut point vu d’étoiles ni de passerelle et n’eut rien entendu des mots qu’il peinait à prononcer. À fortiori , il n’eut rien entendu non plus des silences qui formaient ces trous dans le temps dans lesquels, maintenant, il craignait d’être emporté contre son gré. Il avait beau connaître l’ambiguïté existant entre les diverses façons d’envisager la notion de  « dehors -dedans », lui-même s’y perdait au point   qu’il avait résolu, une fois pour toute, pensait-il, qu’il n’y avait plus lieu de faire la distinction. Chacun peut s’imaginer combien cela pouvait lui poser de problème lorsqu’il lui faudrait échanger avec autrui, quel qu’il fut.


Un sentiment en remplace un autre


" C’était comme d’être assis devant une cheminée et d’attendre que la fumée se dissipe. En fait, c’était une usine à nuages: il s’agissait de matière nuageuse que le vent extrayait des rochers froids et nus. De temps à autre, je pouvais apercevoir rapidement un à-pic sombre et humide à droite ou à gauche, la brume ne cessant de passer entre lui et moi."
Henry David Thoreau, Les forêts du Maine, 1864, trad. Thierry Gillyboeuf, Payot, 2012



Il arrive à Pinocchio d'avoir le sentiment d'appartenir à plusieurs temps différents, mais, bien souvent, un sentiment en remplace un autre. La futilité des opinions n'a d'égale que la fuite des nuages par beau temps.

– Cela n’a pourtant avec le temps rien à faire: c’est à un pur hasard ou à une catastrophe, en tous cas à rien d’autre, que j'imagine devoir ma présence en ce lieu.

Une présence de pur hasard qui serait le résultat d’alliances et de mésalliances successives où les mémoires se jouent des tours et où la parole, loin de tout clarifier, étendrait un voile obscur semblable à celui de la nuit, mais où, aussi, les trous de paroles, y produiraient des ouvertures, telles celles dans les nuages qui procurent des éclaircies.

– C’est précisément de cela qu’il s’agit, pensait-il. Une suite improbable de jours et de nuits n’ayant rien à voir avec la rotation de la terre et où les temps se croisent, se superposent, se pénètrent, se séparent et se croient différents. C’est tout cela que vois et que j’entends. Si seulement je pouvais oublier ce sentiment qui provoque de telles trouées dans mon histoire et qui me fait oublier celle,si large et si complexe que sans lui je suis le seul à entendre.

Alors, tendant le bras, il s’accroche à la passerelle et le voilà dans un autre temps. À peine cette pensée l’a-t’elle traversé qu’une lumière transperce la couche épaisse de nuages et projette sur lui un éclairage qui le fait paraître sous un nouveau jour. Derrière lui revient au galop ce qui dans le temps passé avait disparu.

– Ce peut être le moment de penser à nouveau...

Juste à temps, le monde lui aussi ne cesse de changer. La nuit, la vraie, a succédé au jour. Pour Pinocchio, c’est un autre voyage qui commence. Un voyage qu’il ne peut maîtriser. Un voyage parfaitement inconnu dans lequel il ne peut rien faire d’autre que d’assister. Ni le moindre mouvement, ni rien de ce qu’il pourrait y dire ne changerait le moindre détail. 


Seulement une impression


« On avait parfois l’impression que le sommet serait dégagé dans quelques instants et resplendirait au soleil, mais ce que l’on gagnait d’un côté se perdait dans l’autre.»
Henry David Thoreau, Les forêts du Maine, 1864, trad. Thierry Gillyboeuf, Payot, 2012

Depuis qu'il s'était engagé dans ces montagnes où fourmillaient des chemins, des passages et des ponts, Pinocchio avait le sentiment étrange de vivre dans deux temps différents...

– Et peut-être plus encore...

Il savait combien cela pouvait sembler bizarre, mais cette bizarrerie, loin de le satisfaire, l'empêchait d'en profiter pleinement.Quand il regardait derrière lui, il pouvait voir, avec une acuité remarquable, presque tout ce qui avait été, même si, au hasard des questions, il n'eut pu répondre avec certitude. Cela était dû à ce sentiment étrange qui "coupait en deux temps" ses réponses. Tant qu'il ne formulait rien, tout se passait bien... Mais à peine les mots sortaient-ils de sa bouche qu'il en manquait... Quiconque l'eut entendu eut été persuadé de son incapacité à parler.



vendredi 23 février 2018

De lourds nuages


« Quand j’ai atteint le sommet de la crête, dont ceux qui l’ont vu par beau temps disent qu’il fait cinq miles de long et est constitué d’un plateau d’une centaine d’acres, je me suis retrouvé au beau milieu des rangs hostiles des nuages, qui m’obscurcissaient tout.»

Henry David Thoreau, Les forêts du Maine, 1864, trad. Thierry Gillyboeuf, Payot, 2012




– De lourds nuages qui, s'ils n'eussent été d'une teinte bleuâtre, m'auraient parfaitement fait croire que je survolais un champ fraichement labouré. par ailleurs je n'avais nullement le temps de les observer tant j'étais occupé à suivre les trajectoires inquiétantes de ces étoiles qui me suivaient tel un essaim vibrionnant de moustiques un soir d'été...



Belles et inaccessibles


Les sommets des montagnes comptent parmi les parties inachevées du globe, où c’est un peu comme insulter les dieux que d’y grimper, de s’immiscer dans leurs secrets et d’éprouver l’ascendant qu’ils exercent sur notre humanité. Les hommes audacieux et insolents sont sans doute les seuls à y aller."

Henry David Thoreau, Les forêts du Maine, 1864, trad. Thierry Gillyboeuf, Payot, 2012




  – Voyez-vous comment la terre se montre à nos yeux? Derrière nous, invisibles, les plus hauts sommets. Devant nous, parfaitement belles et inaccessibles, les profondeurs mortelles où nul, hormis l'inconscient, ne peut descendre sans que cette cascade ne l'emporte vers la mort.

Les rites et les gestes


"Les rites sont faits pour ralentir les gestes, leur ôter leur caractère violent et irréfléchi".

Anne Cheng




Tentations


"L'unique certitude, c'est qu'un être humain tombe dans une histoire comme s'il faisait un faux pas : à l'insu de lui-même, incapable de comprendre comment il s'est retrouvé là, et à quel moment il a commencé à se tromper. "

Le peuple de bois, Emanuele Trevi, Actes Sud


– "Temps, temps, temps qui s'écoule et se dissout, indifférent à soi-même plus encore qu'aux milliards d'âmes en peine qu'il entraîne avec lui."

La peur de la bêtise et de l'ignorance prenaient de plus en plus de place dans la vie de Pinocchio et souvent des phrases entières occupaient entièrement sa tête, sans que pour cela il ne se souvienne les avoir entendue. Ce qui ne manquait pas de le soumettre à diverses et fortes tentations...

jeudi 22 février 2018

«Vision du songe»


[...]

"Nous devons retenir que le rêve véritable, celui que les anciens désignaient comme «vision du songe» et dont les chercheurs modernes situent la survenue durant le sommeil paradoxal, constitue l'espace où les humains peuvent faire l’expérience de l'étrangeté radicale– et cela à plusieurs titres.
Le rêve est autre et soi-même. De nos jours, en temps de cinéma et de télévision, le rêve est souvent perçu comme un film auquel assiste le rêveur, comme s'il n'était pas le réalisateur et rarement l'acteur."

La nouvelle interprétation des rêves, p.28, Tobie Nathan, Odile Jacob



– Vous ne m'avez encore rien dit à propos de l'image précédente.
– C'est que je ne suis pas sûr que j'aie quelque chose à dire, d'autant plus qu'elle n'est plus présente à mon esprit puisqu'une autre l'a chassée...


 – Est-ce qu'elle l'a chassée ou lui a-t'elle fait suite?
– C'est cela, vous avez raison, elle lui fait suite et c'est ainsi que je puis reconstituer la précédente... par le lien qu'elles établissent entre elles... et avec le récit que n'en a fait mon maître...
– Ce lien est-il réel ou bien est-ce vous qui le fabriquez?
– Je le raconte à partir de ce que je sais...
– Ce récit a-t'il eu lieu en même temps que le rêve?
– Ce n'est pas possible.
– Pourquoi cela?


 ou bien est-ce vous qui le fabriquez

À propos du rêve


" Pour Freud, notre recherche du plaisir butera toujours, non pas tant sur le principe de réalité, qui en un sens est souvent une variante du principe de plaisir. Quand vous êtes conforme à la réalité, c’est justement pour ne pas recevoir de coups de cette réalité. Donc pour ne pas en recevoir, il faut du déplaisir. La véritable opposition à la quête du plaisir, c’est bien sûr l’existence de limites à cette quête, et ce sont des limites extrêmement violentes… Mais c’est aussi l’existence de forces de conservation des choses en l’état."

À quoi sert le plaisir ? Daniel Sibony

– D'où vient cette image que vous nous présentez là?

– Je n'en sais rien...

– Que fait-elle là et comment est-elle apparue?

– Je n'en sais rien non plus... Il se pourrait que les images soient une sorte de réalité dans laquelle la réalité pourrait "se faire voir"... Quant à son apparition, je ne puis que supposer qu'il s'agit d'un phénomène de mémoire qui aurait un lien avec le rêve... Mais ce n'est là que pure supposition... d'autant plus que je ne puis être sûr s'il s'agit de mon rêve ou si il s'agit de l'un des nombreux rêves que mon maître m'a raconté...

– Voilà une attitude bizarre... qui est pour le moins, une énigme...

– Un énigme peut-être, mais sûrement un plaisir.

– Vous voulez dire qu'il éprouvait du plaisir à vous raconter ses rêves?

– Oui... et j'en éprouvais aussi à les entendre. On eut dit que l'évocation de ses rêves suscitait en moi des images fort différentes des siennes...

– Et alors, vous les lui décriviez?

– C'est cela.

– Et que se passait-il?

– Il en éprouvait à nouveau du plaisir... un autre plaisir... celui procuré par une autre dimension... Il avait l'impression que de cette manière, sa propre histoire sortait du cadre limité de son histoire.







La subordination

« La subordination est un fait de syntaxe et comme tout fait de syntaxe, c'est un fait appartenant au présent de la parole. C'est dans la parole, pendant la parole, et pendant sa présence qu'on subordonne.»

 Penser l'homme et la folie, Henri Maldiney

– Ce qui dépend de l'un n'est pas encore l'Autre...

 




mercredi 21 février 2018

Répétitions inlassables


« C'était cela, la vie des mortels: le pur et simple écoulement du temps joint à l'imperceptible, inéluctable détérioration de tout ce qui se répète, de plus en plus pourri mais identique à soi-même.»

Le peuple de bois, Emanuele Trevi


Au son des absences, des ravissements béats, des tristes mélopées et des longs trémolos, le Cap'tain est de retour:

– Le temps qui s'écoule emporte tout avec lui, la bêtise et l'esprit, ce qui brille et ce qui dans l’ombre se cache...




Un grand étonnement


Pinocchio s'étonne bien souvent, mais ne s'émerveille pas si souvent.

– La pensée des uns n'est pas la pensée des autres. Encore faut-il qu'il y ait pensées. 



Aussi, lorsque, par pure coïncidence, son chemin a croisé celui de l'âne Terpsion, ce qu'il entend dépasse largement son entendement:

– " Félicitons-nous de ne pas avoir été ceux durent charger la faute sur leurs épaules, félicitons-nous de vivre dans un monde que d'autres ont obscurci, et de pouvoir courir à la mort dans un silence presque innocent."*

– Pardonnez mon étonnement, mais, faut-il que j'en croie mes oreille, qui ne sont hélas point comparables aux vôtres... mais serait-il possible que vous parliez..?

La question n'en était pas vraiment une... elle n'avait été qu'à peine murmurée tant l'étonnement était grand.



* La recherche d'un chien, Franz Kafka





La mise en marche ou l'habitude


" Pas même le Rat, pensa ce matin-là le Rat en scrutant son visage bouffi de sommeil dans la glace au-dessus du lavabo, pas même le Rat ne peut savoir comment finira cette nouvelle histoire qu'il a pourtant –là-dessus, il n'y a aucun doute– lui-même mise en marche. Mais mettre en marche –façon de parler– est une chose, arriver sain et sauf là où l'on a décidé d'aller, sans se perdre ou s'écraser, en est une autre.
Sa pensée avançait à la troisième personne, comme s'il s'agissait de raisonner sur un étranger. Et cet étranger, qui n'était autre que lui, s'appelait le Rat. Depuis toujours, pratiquement.
Au départ, cela n'avait été qu'un sobriquet insignifiant, une goutte de fiel ingurgitée, parmi toutes celles qu'un enfant est obligé d'ingurgiter."

Le peuple de bois, Emanuele Trevi
Traduit de l'italien pat Marguerite Pozzoli, Acte Sud



– Comment finira cette histoire qui n'en finit pas de commencer?

– C'est avec des questions comme cela que l'histoire finit par se perdre...

– Votre ignorance ne serait-elle qu'un vilain défaut, un défaut de nature, en quelque sorte... ou...

– Ou...

– Ou bien une mauvaise habitude...

– Tout dépend de l'habitude... et plus précisément à qui appartient cette habitude...




mardi 20 février 2018

En pleine voltige


La seule vérité possible serait de se taire...




Sous le regard de l'enfant, Pinocchio, en pleine voltige dans l’obscurité voit clairement son esprit se disperser.

– Je ne sais qui de la bêtise ou de l'ignorance surpasse l'autre... mais je sais qu'elles sont toutes deux bien difficiles à monter...

Il peine à réguler les pensées qui l’envahissent à mesure qu’il sent son corps se vider. Son regard cherche sans répit un lieu stable sur lequel se poser.

– Je suis ici tout autant que je suis ailleurs, suivant les flèches infinies et tortueuses de mon esprit qui marquent un chemin dont je ne sais si c’est le mien.





Cet inconnu qui est son maître


« ... l’homme, distingué des autres animaux dont la tête est inclinée vers la terre, put contempler les astres et fixer ses regards sublimes dans les cieux. Ainsi la matière, auparavant informe et stérile, prit la figure de l’homme, jusqu’alors inconnue à l’univers. »

Ovide, Métamorphoses, Livre 1





Pinocchio, lui aussi rêve de contempler les astres. Lui aussi, presque informe et surtout stérile rêve de prendre figure et esprit comme un homme... sous le regard de cet inconnu qui est son maître...






À mi-chemin


" C'est à cette chair que les Toscans s'arrêtent et non pas à son destin. Il n'y a pas de peintures prophétiques. Et ce n'est pas dans les musées qu’il faut chercher des raisons d’espérer.
L'immortalité de l'âme, il est vrai, préoccupe beaucoup de bons esprits. Mais c’est qu’ils refusent, avant d'en avoir épuisé la sève, la seule vérité qui leur soit donnée et qui est le corps. Car le corps ne leur pose pas de problèmes ou, du moins, ils connaissent l'unique solution qu’il propose : c'est une vérité qui doit pourrir et qui revêt par là une amertume et une noblesse qu’ils n’osent pas regarder en face. Les bons esprits lui préfèrent la poésie, car elle est affaire d'âme. On sent bien que je joue sur les mots. Mais on comprend aussi que par vérité je veux seulement consacrer une poésie plus haute: la flamme noire que de Cimabué à Francesca les peintres italiens ont élevée parmi les paysages toscans comme la protestation lucide de l'homme jeté sur une terre dont la splendeur et la lumière lui parlent sans relâche d'un Dieu qui n'existe pas.
À force d'indifférence et d’insensibilité, il arrive qu’un visage rejoigne la grandeur minérale d’un paysage. Comme certains paysans d’Espagne arrivent à ressembler aux oliviers de leurs terres, ainsi les visages de Giotto, dépouillés des ombres dérisoires où l'âme se manifeste, finissent par rejoindre la Toscane elle-même dans la seule leçon dont elle est prodigue : un exercice de la passion au détriment de l’émotion, un mélange d'ascèse et de jouissances, une résonance commune à la terre et à l’homme, par quoi l'homme comme la terre, se définit à mi-chemin entre la misère et l’amour. Il n'y a pas tellement de vérités dont le cœur soit assuré. Et je savais bien l'évidence de celle-ci, certain soir où l’ombre commençait à noyer les vignes et les oliviers de la campagne de Florence d'une grande tristesse muette. Mais la tristesse dans ce pays n'est jamais qu’un commentaire de la beauté. Et dans le train qui filait à travers le soir, je sentais quelque chose se dénouer en moi. Puis-je douter aujourd’hui qu’avec le visage de la tristesse, cela s'appelait cependant du bonheur?"


Camus, Noces






lundi 19 février 2018

Vision


"Devient-on visionnaire ou n'est-ce pas plutôt que jusque-là l’on a été aveugle?"

Alexandra David-Neel


"Le rêve est un événement commun et pour une grande part collectif —tout le monde sait que tout le monde rêve! Il est aussi un événement singulier : personne ne peut rêver à ma place; un rêve est une expérience strictement personnelle. En cela, il est comme une prière. Observe une église, une mosquée, une synagogue, à l'heure de la prière. Chaque fidèle prie la divinité pour lui-même, quelquefois les yeux fermés, à la recherche de son intimité, mais tous font la même chose, au même moment. Plus même, ils doivent confusément savoir que leur prière a d’autant plus de chances de parvenir à son destinataire qu'ils sont plus nombreux à partager l'expérience. C'est ainsi que, dans un même village, dans une même ville, la majorité des habitants prient au même moment, rêvent au même moment –chacun pour lui-même, mais tous ensemble."

La nouvelle interprétation des rêves, Tobie Nathan, Odile Jacob, page 13




Les sommets d'autrefois


Les sommets des montagnes comptent parmi les parties inachevées du globe, où c’est un peu comme insulter les dieux que d’y grimper, de s’immiscer dans leurs secrets et d’éprouver l’ascendant qu’ils exercent sur notre humanité. Les hommes audacieux et insolents sont sans doute les seuls à y aller."

Henry David Thoreau, Les forêts du Maine, 1864, trad. Thierry Gillyboeuf, Payot, 2012



Pinocchio, lui aussi , mais à sa manière... et surtout à sa mesure, est un être audacieux. Insolent? Aussi... mais dans les mêmes proportions que les montagnes qu'il tente de gravir et qui ne sont, au mieux, il le sait, que des tas de gravats en lesquels peuvent se lire, pour qui sait le faire, les sommets auxquels ils appartinrent autrefois.

La moindre variation


Cette nuit là... selon ce qui s'est raconté... tout ou presque était apparu aux yeux de  de Pinocchio, sans que celui-ci ne puisse saisir la moindre signification de ce qu'il avait sous les yeux. c'est en tous cas ce qu'il en a dit, plus tard, beaucoup plus tard. Ce peut à cause de tout ce temps passé que le souvenir pouvait s'être effacé. Mais la puissance avait beau être disparue, elle était encore présente dans son esprit et planait encore sur les ruines de ses souvenirs qui se mêlaient à celles, inéluctables, de l'impermanence de toutes choses.



– Ce qui est là entre nous, devant ou derrière nous et que nous ne voyons pas toujours, ne contiendrait-il pas l'essentiel de l'univers?


– La moindre variation dans l'esprit, une légère distraction, et l'image... ne serait-ce qu'une partie de l'image... s'inverse et l'histoire prend un sens différent et s'en trouve transformée...









dimanche 18 février 2018


"Vivant à la campagne j'avais un rapport assez naturel avec la nature qui m'entourait et quand je tournais les yeux vers le ciel, ce qui m'interpellais ce n'était pas simplement les épingles lumineuses des étoiles mais c'était plutôt ce qu'il y avait entre, c'est à dire ce noir, cet invisible qui déjà me posait des questions : est-ce que c'est le vide ce noir ou ce noir ne contiendrait-il pas au contraire l'essentiel de l'univers? Ce noir est potentiellement ce qui contient tout..."

 Jean-Pierre Luminet, astrophysicien


« La cosmologie favorise la rêverie perchée »
Van Gogh




Juste avant le lever du soleil


"Les auteurs définissent deux types d’attitudes répréhensibles au regard de la morale mais légalement admissibles. La tromperie et la feinte constituent un premier niveau de manœuvres. Le sujet est enserré dans une mise en scène et conditionné pour obtenir une éclipse de sa conscience. Le dispositif a une durée forcément limitée dans le temps car ses concepteurs ne peuvent maîtriser la totalité de l’information qui atteint le sujet. Ce sont ces ruses risibles dont parle Kant et qui se rencontrent souvent dans la politique. L’intelligence stratégique consiste à jouer sur les temps d’information et aussi à introduire de fausses informations pour gagner une adhésion contraire aux intérêts logiques d'une personne. Admises individuellement, les ruses sont rejetées à l'échelle de système (bien qu'elles en reconnaissent les règles), leur effet global étant destructeur de la transparence.
Le second niveau d’implication dans un conditionnement ou dans une mise en scène est présenté comme une éclipse complète de la conscience. Là, l'individu ne dispose pas des moyens d'échapper à la présentation qui lui est faite."
La manipulation, Fabrice de Almeida, puf, Que sais-je? 



Il ne semblait pas qu'il y eut ni feinte, ni ruse en action, mais la très nette séparation du monde des roches vertes de celles, rouges, sur lesquelles était assis Pinocchio ne manquait pas de le faire s'interroger.
– Comment se fait-il que, sans transition apparente, le monde put changer à ce point?
En un matin, fort semblable à ce matin-là, juste avant le lever du soleil, perdu dans les montagnes, Pinocchio avait rencontré celui qui est son double, à quelques détails près... Immédiatement ils s'étaient parlé.

– Ce ne sont que des images, s'étaient-ils entendu dire.

Pinocchio avait vu cet autre lui-même qui lui ressemble tant... sans se poser de questions. Mais il lui avait immédiatement adressé la parole. Sans le savoir, ils avaient rejoué ce qui, hier, était encore dans la bouche et la tête des enfants.

Il se souvient encore de chacune de ces paroles:


– Imaginez un instant que nos maîtres aient été, eux aussi, des enfants. Ce ne peut être chose certaine, mais imaginez que cela soit! Quelle sorte d'enfants ont-ils été? Se pourrait-il qu'un autre Pinocchio, d'une toute autre dimension que ceux qui nous ont été présentés, ait été une sorte de modèle...