mardi 30 novembre 2021

Corruption

 


– Et vous-même que cherchez-vous?

– Il m’est difficile de le préciser, mais ce que je désire le plus ressemble à quelque chose de grandiose qui s’approche du réel ou de la vérité…

– Est-ce là votre propre recherche?

– Que sous-entendez-vous?

– Pour notre part, nous autres perroquets, nous ne savons pas si nous sommes vraiment capables de penser par nous-mêmes…

– Et vous vous demandez si pour moi, ou pour nous, il en serait de même..?

– C’est un peu cela.

– Il n’a jamais fait aucun doute, pour moi ainsi que pour mon frère, que nous pensons par nous-mêmes…mais vous m’inquiétez quelque peu, pourquoi en doutez-vous?

– Sans être une certitude ce n’est pas vraiment un doute… Il y aurait, au-delà de nous-mêmes, quelque chose qui nous dépasse…

– Vous parlez encore de votre maître?

– Même au-delà de lui il semblerait qu’il y ait encore une chose que l’on ne peut atteindre…

– Certains parlent d’intemporel que les contingences et la corruption empêchent d’atteindre.

– De quelle déformation… ou même… de quelle corruption parlez-vous? Serait-il possible que vous parliez de lui?

– Je vous parle des êtres humains… en général…

– Alors, si je vous comprends bien, nous serions, moi et mon frère, concernés par cette corruption?

– Tous les êtres humains sont plus ou moins concernés…

– Nous, malgré le fait que nous ne soyons pas des humains, faisons de notre mieux!

– Cela n’existe pas… on fait les choses ou on ne les fait pas!




Frères

 


– Et lui qui est-ce?
– Il semble que ce soit mon frère…
– Ce serait votre frère… et vous qui êtes-vous?
– Je suis Don Carotte.
– Don Carotte… cela sonne un peu comme…
– C’est exactement cela!
– Pourquoi vous appelez-vous ainsi?
– Il faudrait interroger votre maître…
– Que savez-vous de lui?
– Guère plus que ce qu’il nous dit…
– Vous voulez dire…
– Ce qu’il dit à l’un, l’autre l’entend aussi…
– Vous êtes donc jumeaux!
– C’est possible…
– Vous n’êtes sûr de rien?
– De quoi pourrions-nous être sûrs?



C’est aussi le sien

 

– Je peine à vous reconnaître…
– C’est normal.
– Pourquoi serait-ce normal?
– Parce que je ne suis pas celui que vous croyez.
– Comment le savez-vous?
– C’est votre maître qui me l’a dit.
– Comment? Vous connaissez notre maître?
– Je crois que c’est aussi le mien.


lundi 29 novembre 2021

Depuis le temps

 


– Est-ce lui?
– Cela ne lui ressemble pas…
– Depuis le temps il aura vieilli…
– Comment fait-il pour passer de son monde au notre?
– Il en a le pouvoir…
– Que nous n’avons pas…
– Je n’en suis pas si sûr…
– Croyez-vous que nous pourrions à nouveau lui parler?
– Demandez-lui!


Vivant

 



– En somme nous voudrions être vivants comme des être humains et nous ne savons même pas ce que c’est qu’être des humains…

– … ni même dire ce que c’est vraiment que d’être vivant…

– Cependant, réjouissez-vous, nous, étant ses créatures, lui appartenons… et lui…

– … étant notre créateur, il est…

– Qu’est-il? Dépendant de nous? Nous appartient-il?

– Peut-être un peu de tout cela! En tout état de cause nous sommes liés… un peu comme il est lié avec Pinocchio, l’Autre, l’enfant Lune et beaucoup d’autres. 

– Un peu seulement…

– Seulement?

– Un peu… parce que nous ne sommes point dans le même état, si je puis dire, que Pinocchio, l’Autre, ou l’enfant Lune…

– Quelle différence faites-vous entre eux et nous?

– Pour ce qui est de Pinocchio, l’Autre, le cas est complexe. Tout d’abord il est une mécanique plaquée sur du vivant…

– Qu’est-ce là?

– Pinocchio, l’Autre, est une marionnette…

– C’est donc une mécanique. Jusque là je comprends. C’est ce que vous avez dit après… «plaquée sur du réel»?

– Oui… plaquée sur du réel, selon la célèbre formule de Bergson, parce que le bois dont est faite la marionnette est vivant…

– Comment le savez-vous?

– Pinocchio, l’Autre, est à l’image de son ancêtre…

– Et alors?

– Alors, celui qui lit attentivement son histoire verra… ou entendra que le bois qui sert à la construction de la marionnette crie… bien avant qu’elle ne prenne forme, dès le premier coup de hache…

– Ce qui signifie?

– Ce qui signifie que le bois est vivant et que non seulement il a une voix mais il parle…

– Ce qui signifie?

– Ce qui signifie que ce n’est ni un bébé… ni un tout petit mais un enfant au moins en âge d’être scolarisé…

– Et la différence avec nous?

– Vous le savez bien… Nous ne savions point parler avant de rencontrer notre maître… et nous ne sommes point… enfin pas vraiment…

– … des marionnettes!





dimanche 28 novembre 2021

Vertigineux

 

 


 


– Je dois vous faire part d’une pensée que j’ai eu mais dont je soupçonne qu’elle est de lui. Voilà, je vous l’expose: il se pourrait que notre maître puisse être présent avec nous…

– Dans l’image?

– C’est cela.

– Vous aviez laissé une sorte de suspension…

– Mais il nous rencontre du dehors et ce dehors… je le crains…

– Vous craignez ce dehors?

– Oui… non… ce n’est pas le dehors que je crains mais le fait qu’il nous soit inaccessible!

– Et donc, si je vous ai bien suivi et que votre pensée n’est pas la vôtre mais celle de notre maître, le mouvement inverse pourrait être possible…

– Je crains que vous n’ayez raison…

– Vous craignez que j’aie raison?

– Non , vous m’avez mal entendu, je crains que vous n’ayez raison! Ce qui est l’inverse d’avoir raison.

– Alors, selon vous, j’aurais tort…

– Laissons cela et reprenons. 

– Où en étions-nous?

– Nous en étions à réfléchir à la possibilité que notre maître puisse être avec nous dans l’image et l’énonciation inverse qui prendrait en compte la possibilité que nous pourrions le rejoindre dans le sien…

– Vous me donnez le vertige…

– Parce que c’est vertigineux!





C’est là

 

 


– Alors?
– Alors… je dois vous l’avouer..
– Avouez, cela vous fera du bien.
– J’ai un doute.
– Tout le monde a des doutes.
– Un énorme doute et qui ne fait qu’enfler.
– Dites-moi avant qu’il n’explose!
– Je crois que, dans le fond, je n’ai fait que l’entendre… et…
– Et?
– Je l’entends parfois… et c’est là que je le vois…


samedi 27 novembre 2021

Curieuse formule

 


– De fait… il faudrait que je vous le dise…

– Dites.

– L’avez-vous jamais vu?

– Attendez, vous parlez bien de notre maître?

– Oui…

– Comment pouvez-vous poser une question pareille?

– Répondez…

– Il m’est arrivé… je crois… j’en suis sûr… d’être dans la même image que lui…

– Et donc?

– Donc… je ne puis pas ne pas l’avoir vu…

– Curieuse formule! L’avez-vous vu? Oui ou non?

– Je suis sûr d’avoir passé beaucoup de temps avec lui…

– Ce n’est pas une réponse satisfaisante…

– J’ai beau réfléchir… je ne peux pas… je n’y arrive pas…

– Vous n’arrivez pas à quoi?

– Je n’arrive pas à le voir.

– Ce n’est pas la question…

– Je le sais mais je ne puis m’empêcher d’y penser… et cela, je l’avoue, me travaille…





Limite

 

 


 


– Croyez-vous que notre maître soit tout comme nous?

– Que voulez-vous dire?

– Est-il un personnage de notre histoire ou…

– Ou quoi?

– Quelqu’un qui existe en dehors…

– En dehors de quoi?

– Au-delà des limites dans lesquelles nous vivons!

– Vous devriez le savoir… il n’y a pas de limite à notre monde.

– Est-ce possible?

– Chacun sait… ou devrait savoir que la vie de l’auteur et ce qu’il écrit sont deux choses différentes.

– Cependant, à mon humble avis, la porte, la limite ou la frontière entre les deux n’est pas close… d’autant qu’avec nous il ne se cache point d’être notre créateur.

– Si je comprends bien vous pensez que ce n’est pas impossible que cette distinction ne soit qu’une notion abstraite?

– N’y-a-t’il pas là une forme de duplicité? en ce sens que les réponses passent et la question demeure…



mercredi 24 novembre 2021

Piège

 


– Vous dites que nous vivons dans des temps différents… enfin… en quelque sorte… et pourtant ce n’est pas ce que nous percevons.

– Vous croyez percevoir mais… mon maître dit qu’à la place de percevoir nous construisons…

– C’est un piège…

– Qu’est cela?

– Un piège est un système fermé de croyance*, attitudes et habitudes de pensées dont on peut, pour certaines de ces croyances, objectivement démontrer qu’elles sont fausses, et, pour certaines habitudes de pensées, montrer qu’elles empêchent cette fausseté d’être reconnue comme telle.


* L’invention de la réalité, contribution au constructivisme dirigé par Paul Watzlawick, Seuil


 

lundi 22 novembre 2021

Mystère

 


– …comme je vous le disais il m’intéresserait d’entendre votre point de vue… notamment sur la question du temps auquel  appartient cette image.

– Je vous arrête tout de suite… Il n’y a pas un temps…

– Que voulez-vous dire?

– Ce que j’essaie de vous expliquer c’est qu’il y a plusieurs temps dans l’image qui nous représentait.

– Qu’est-elle devenue?

– Nous y sommes…

– Ce n’est pas ce que je vois…

– Ce que vous voyez est une image dans laquelle une partie du récit, un temps du récit a été enlevé.

– Lequel?

– Le temps, le feu du récit dont parle l’enfant Lune.

– Je ne l’entends pas plus que je ne l’entendais dans l’image précédente…

– C’était une façon de parler… Vous le savez bien c’est l’image qui est parlante. C’est ce qui n’est pas dit qui pourrait être le plus intéressant…

– Pourquoi cela?

– Parce que c’est un mystère…



Selon le point de vue





– Concernant cette image…

– De quelle image parlez-vous?

– Celle qui est là sous nos yeux et dans laquelle nous appartenons.

– Avant de poser votre question j’aimerais attirer votre attention sur le fait que vous venez de parler d’une image qui possède, selon votre point de vue, une particularité pour le moins surprenante…

– À quoi faites-vous allusion?

– Je fais allusion au fait que vous êtes… nous sommes, à la fois hors et dans l’image… Hors l’image puisque nous la regardons et dans l’image puisque nous en faisons partie…

– C’est très intéressant… mais comme je vous le disais il m’intéresserait d’entendre votre point de vue… notamment sur la question du temps auquel  appartient cette image.

– Je vous arrête tout de suite… Il n’y a pas…

dimanche 21 novembre 2021

À force de dire


– Comment expliquez-vous que tout le monde fasse l’amalgame entre la durée et l’heure?

– Il faudrait répondre simplement que c’est l’invention et l’utilisation de l’horloge. Mais c’est surtout à force à force d’usage et à force de l’entendre dire, simplement. Comme pour la raison, la force de la répétition… la saturation, l’évidence de l’idée de telle manière qu’elle ne paraisse pas pour ce qu’elle est mais comme une évidence jamais mise en question… ou presque…

– Mettriez-vous en doute aussi les fondements de la raison?

– Avec le plus de subtilité qu’il m’est possible d’avoir… avec ce que j’ai entendu… oui…


Altération

 


– Quand on vous dit que l’altération est dans le temps…

– Oui…

– Que comprenez-vous?

– Selon ce que je viens d’apprendre il est possible que l’altération et le temps aillent ensemble.

– Vous ne faites pas de différence?

–  Quelle différence pourrait-il y avoir… il ne peut y avoir altération sans qu’il y ait un mouvement, une durée…

– Mais on pourrait dire aussi que la transformation et le temps vont ensemble… et dans ce cas il n’y a pas forcément d’altération!

– Vous oubliez que le mot altération ne veut pas seulement dire dégénérescence, mais il veut surtout dire “devenir autre”…

– Une sorte renouveau, un début…

– Mais avant le début… il y a la fin…

– Notre maître souvent me questionnait: Est-ce que nous sommes nous-mêmes le maintenant et notre existence le temps?

– Comme nous il répétait…


 

samedi 20 novembre 2021

Dans le vaste monde


Dans le vaste monde des perroquets les choses se compliquent. Pour la compréhension de notre histoire, un résumé s’impose qui ne peut véritablement tenir lieu de mémoire… Un second perroquet, copie presque conforme du premier est venu s'installer sur les ruines du rafiot de Platon l'Ancien qui, lui, s’est rendu invisible  derrière eux… Laissant la question du temps de côté, ils parlent tour-à-tour sans que le poisson-perroquet ne puisse distinguer autre chose que la voix de Platon contrefaite à la perfection par les deux volatiles... si bien que dans un premier temps il croit parler avec Platon l’Ancien et ne se rend pas compte du fait qu’ils sont deux…



– "Les  hommes  les  plus  heureusement  placés  qui voient parfois leurs opinions disputées, et qui ne sont pas complètement inaccoutumés à être corrigés lorsqu’ils ont tort, n'accordent  cette  même  confiance  illimitée  qu'aux opinions  qu'ils  partagent  avec  leur  entourage,  ou  avec  ceux  envers  qui  ils  défèrent habituellement; car moins un homme fait confiance à son jugement solitaire, plus il s'en remet implicitement à l'infaillibilité « du monde » en général. Et le monde, pour chaque individu, signifie la partie du monde avec laquelle il est en contact : son parti, sa secte, son Église, sa classe sociale. En comparaison, on trouvera à un homme l'esprit large et libéral s'il étend le terme de « monde » à son pays ou son époque. Et sa foi dans cette autorité collective ne sera nullement ébranlée quoiqu'il sache que d'autres siècles, 
d'autres  pays,  d'autres  sectes,  d'autres  Églises,  d'autres  partis  ont  pensé  et  pensent encore exactement le contraire. Il délègue a son propre monde la responsabilité d'avoir raison face aux mondes dissidents des autres hommes, et jamais il ne s'inquiète de ce que c'est un pur hasard qui a décidé lequel de ces nombreux mondes serait l'objet de sa  confiance,  et  de  ce  que  les  causes  qui  font  de  lui un  anglican  à  Londres  sont  les mêmes qui en auraient fait un bouddhiste ou confucianiste à Pékin. Cependant il est évident, comme pourraient le prouver une infinité d'exemples, que les époques ne sont pas   plus   infaillibles que   les   individus,   chaque   époque   ayant   professé   nombre d'opinions  que  les  époques  suivantes  ont  estimées  non  seulement  fausses,  mais absurdes. De même il est certain que nombre d'opinions aujourd'hui répandues seront rejetées  par  les  époques  futures,  comme  l'époque  actuelle  rejette  nombre  d'opinions autrefois répandues."*



*  De la liberté,John Stuart Mill
Extraits du chapitre II
De la liberté de pensée et de discussion

Immobiles

 


– Toutes ces pensées broyées par les mots qui les disent…

– Peut-être que cela vaut mieux que l’image figée où nous serions immobiles pour toujours…

– Qu’étions-nous avant de le connaître?

– De ce monde d’alors il ne reste que peu de choses…

– Nous n’étions rien…

– Difficile d’en rendre compte… mais je dois vous laisser, mon collègue m’attend…

– Qu’attend-il de vous?

– Que je lui parle de temps…

– Qu’en sait-il?

– Pareil que moi…

– Mais alors qu’espère-t’il?

– La même chose que moi et…

– Et qui?

– Notre maître…

– Qui est-il?

– Je ne puis vous le dire…

– Pourquoi cela?

– Je ne dois pas le répéter…

– C’est contre nature, il me semble…



vendredi 19 novembre 2021

Lui aussi

 


– Parce que le maintenant est lui-même arbitraire…

– En fait je le connais déjà…

– Comment cela s’est-il fait?

– Cela s’est fait et se fait encore parce que notre maître me l’a lu… et pas qu’une seule fois…

– À vous aussi! Mais pourquoi ne me l’avez-vous pas dit?

– Quand bien même je l’ai entendu et répété dix fois et plus, je ne le comprenais pas entièrement… et puis petit-à-petit… je comprends… enfin… je commence à comprendre. Et puis… je n’ose le dire…

– Osez! Osez!

– Ce que vous ne comprenez point n’est pas ce que je ne comprends point et ce que notre maître ne comprend pas n’est pas ce que nous ne comprenons point… 

– Vous prétendez que notre maître lui-même ne comprend pas ce qu’il nous dit?

– Ce n’est pas ce qu’il nous dit qu’il ne comprend pas…

– Qu’est-ce alors?

– C’est ce qu’il nous répète…

– Lui aussi!?!

– C’est ce qu’il me disait…

– Et que disait-il encore?

– Comme nous… il ne comprenait pas entièrement.

– Et c’est pour cette raison qu’il nous répétait… jusqu’à ce que nous répétions…

– Ainsi chacun comprend à sa manière et le tout forme une sorte de mosaïque qui se rapproche au plus près possible de ce qui est dit à l’origine…


Arbitraire

 


Dans les coulisses deux perroquets, à l’abri des conversent.

– Alors! J’ai patienté et maintenant, je vous prie, parlez-moi de l'arbitraire de la notion de temps?

– Notre maître disait…

– Pardonnez-moi, mais j’aimerais beaucoup que vous continuiez de répéter ce que disait M. Heidegger… et non ce que vous disait notre maître…

– C’est par la voix de notre maître que j’entendais les mots que prononçait M. Heidegger. Il disait: l’horloge mesure le temps pour autant que l’extension de la durée d’un événement est ramenée à une série identique d’états de l’horloge et donc numériquement déterminée dans sa quantité.

– C’est difficile à comprendre.

– Je répète mot pour mot…

– Comprenez-vous ce que vous dites?

– Curieusement… oui… 

– Dans le fond, qu’est-ce que l’horloge nous apprend sur le temps?

– Que le temps est quelque chose en quoi un point qui est maintenant du temps peut être fixé de façon arbitraire de sorte que de deux points différents du temps, l’un est toujours antérieur, l’autre postérieur.

– Cela ne me surprend point, mais où serait le problème?

– Par là, continue Heidegger, aucun point qui soit un maintenant du temps n’est distingué d’un autre. Il est, en tant que maintenant, l’antériorité possible d’une postérité, en tant que postérieur, la postériorité d’une antériorité. Ce temps est complètement identique de nature, homogène. C’est seulement dans la mesure où il est constitué comme homogène qu’il est mesurable. Ainsi le temps est un déroulement dont les étapes se rapportent les unes aux autres suivant la relation de l’avant à l’après. Tout avant et après peut être déterminé à partir du maintenant… c’est là qu’est le problème…

– Pourquoi donc?

– Parce que le maintenant est lui-même arbitraire…

– Et maintenant… je ne vois plus rien… Mes yeux se perdent dans les ténèbres… Je crois que j’ai besoin d’une pause…




jeudi 18 novembre 2021

Oyez, oyez…

 


– Alors! L'arbitraire de la notion de temps?

– Patientez et écoutez, une autre voix fait diversion...

– Qui est-ce?

– Quelqu'un venu du fond des âges et qui cherche encore à s'affranchir...

– À s'affranchir de quoi?

– Faites silence... nous reprendrons ensuite... 

 

Cela fut déjà dit, oyez, oyez, braves gens, le chant de celui qui sans soucis ni remords brave le temps…


Être de tous les combats... léger soubresaut, fantasme bon teint, l'enfant vieilli, au dernier niveau, se souvient. Le cabaret destructeur souffle, scène après scènes, pour lui plus que pour tout autre, la fabuleuse histoire de la fuite du temps. Cet ancien temps qui serait ce doux mélange de sommets, de ponts et de ravins qui se marient et charrient au loin ce qui hier fut à portée de main. Découper une étoile un millions de fois et plus... pour enfin discerner ce qui dans la lumière nous éblouit. Pour la première fois une sorte d'inventaire est disponible.

En pleine nuit, quand la brume se dissout dans l'obscurité, nous avions la sensation que le sol sur lequel nous cheminions changeait de nature. Face aux étoiles saltimbanques, les cailloux fêlés sur lesquels nous étions assis, semblaient se reconnaître dans le miroir obscur de la nuit et revivre une histoire à laquelle nous n'avions pas accès. C'était comme si nous avions entre nos mains une petite part d'une histoire qui a commencé il y a des millions d'années... C'est pourquoi, où que nous allions, nous les emportions avec nous.

Si l'espace infini de la nuit n'est point celui du silence, il n'est pas non plus celui de la réflexion. Bien au contraire. Tout se passe d'autorisation... Le moindre bruit prend une forme que le jour ne pourra jamais révéler. Ainsi quand le monde des formes perd son révélateur, le son prend le relais.  Inutile de s’attarder et de réfléchir, ce qui dans la nuit se cache prend forme et l’œil absent perd de son pouvoir au profit de l'autre, celui qui ne voit que dans la nuit. C'est ainsi que dans notre obscurité se raconte une histoire déroutante qui se joue de la matérialité à laquelle nous sommes soumis. Avec un peu d'entraînement, il est possible de voir en plein jour ce qui dans la nuit semble se cacher. C'est précisément là que se trouve le piège. Rien ne se cache et rien n'apparaît. Nous ne voyons que ce que nous voulons voir... et entendre... 

Or, c'est précisément là que le bats blesse, nous ne voulions rien entendre. Chacun de nous se murait dans un silence que nous espérions protecteur mais qui ne changeait rien à ce que nous avions fait.

 

La répétition

 


– Ainsi, selon vous, les êtres humains n’aiment pas 

les changements…

– On peut le penser…

– Sont-ils ce qu’ils appellent être conservateurs?

– Ce n’est pas si simple. Ils disent aimer les changements, voir même ils les souhaitent… mais c’est toujours dans l’espoir de vaincre ce qu’ils ne peuvent éviter…

– Qui est…

– Ce dont je vous parlais: la dégénérescence. Mais revenons à l’horloge. Heidegger dit que la saisie qui détermine le temps possède le caractère de la mesure.

– Qu’est-ce que la mesure?

– La mesure indique le laps de temps et le moment, le quand-à-quand. Une horloge donne le temps. Une horloge est un système de physique où la même suite d’intervalles de temps se répète constamment étant admis que ce système de physique n’est pas soumis à un changement dû à une influence extérieure. La répétition est cyclique. Chaque révolution à la même durée. L’horloge donne le même intervalle qui constamment se répète… et auquel on peut constamment revenir… comme les êtres humains…

– et comme nous…

– La division de cet espace de temps est arbitraire. 

– Je ne vous suis plus, mais ce que vous dites m’intéresse.

– Ce n’est pas moi qui le dit, je vous le répète… 



mercredi 17 novembre 2021

Changement

 



– Reprenez je vous prie cette histoire de temps…

– Eh bien, dois-je vous l’apprendre… ou vous le rappeler, les hommes sont des êtres curieux…

– Est-ce là une critique négative ou une constatation positive?

– Certainement les deux. L’être humain est par nature curieux. En tous cas lorsqu’il est encore un enfant. Certains le resteront plus longtemps et beaucoup croient l’être resté…

– Auraient ils perdu cette curiosité qui les caractérisaient?

– En fait, objectivement, il me semble qu’ils la rejettent tout simplement

– Et pourquoi cela?

– Parce que les hommes détestent l’idée de la mort et surtout l’idée d’altération et les deux sens, proches l’un de l’autre, qui y sont liés.

– Quels sont-ils?

– Le premier sens se rapproche de la dégénérescence tandis que le deuxième s’arrête au sens de devenir autre… peut être une sorte de génération… qui se rapproche d’un véritable changement…




Façade

– J’entends une voix…

– Est-ce notre maître?

– Je ne crois pas.

– Qui est-ce alors?

– Je crois que c’est l’enfant Lune.

– Écoutez…

Il est des lignes que l’on trace avec le pinceau ou le crayon et d’autre, comme une goutte de pluie glissant sur la fenêtre fermée, sur la roche polie d’une montagne ou la trace sinueuse d’une rivière que la nature trace toute seule.

Ces hommes qui m’entourent imaginent voir tout de moi...

Comme la pluie tombant du toit sait tout de ce sur quoi elle ne fait que glisser. Peut-elle se douter de ce qui s’abrite en dessous? Ils ne savent que ce qui peut se voir de l’extérieur. Mais qu’en est-il de ce que je pense et qui, même dans une faible mesure, donne corps à mon apparence? Ils s'en doutent quelque peu... C’est bien pour cela qu’ils m’interrogent... Mais sont-ils capable de déchiffrer le genre de réponse que malgré les barrières qui nous séparent, je leur donne? Il est des interrogations, des interrogatoires ou des interrogateurs qui sont vains...

Comment pourraient-ils se douter combien je connais la face cachée de leur miroir. Je sais, ô combien vétuste est ce décors construit de bric et de broc derrière une façade aguicheuse, rutilante et souriante?

 



 



Événements

 


– On tourne en rond…

– Comme une horloge!

– Vous dites que le temps, dépend de la relation qu’il a avec les événements qui se produisent, mais vous ne pouvez quand même pas nier que le temps se mesure parfaitement avec une horloge… indépendamment des événements?

– On dit que l’horloge donne le temps.

– C’est cela.

– Dans ce cas il s’agirait de mesure sans influence extérieure…

– Contrairement à ce que vous disiez!

– Ce n’est pas moi qui vous le dit… À chacun sa nature, la mienne et la vôtre est de répéter et ce que je vous répète a été dit par Heidegger…

– Qui est-ce?

– Peu importe en l’occurrence, ce qu’il dit est plus important. 

– Alors que dit-il?