dimanche 30 avril 2023

Par le jeu

 

 "Suis ton plan, cher Lucilius; reprends possession de toi-même : le temps qui jusqu’ici t’était ravi, ou dérobé, ou que lu laissais perdre, recueille et ménage-le. Persuade-toi que la chose a lieu comme je te l’écris : il est des heures qu’on nous enlève par force, d’autres par surprise, d’autres coulent de nos mains. Or la plus honteuse perte est celle qui vient de négligence; et, si tu y prends garde, la plus grande part de la vie se passe à mal faire, une grande à ne rien faire, le tout à faire autre chose que ce qu’on devrait. Montre-moi un homme qui mette au temps le moindre prix, qui sache ce que vaut un jour, qui comprenne que chaque jour il meurt en détail! Car c’est notre erreur de ne voir la mort que devant nous: en grande partie déjà on l’a laissée derrière; tout l’espace franchi est à elle."*



 Platon joue avec cette petite fumée qui prend forme entre ses mains et qui réagit au moindre des mots qu'il lui souffle.
  
– Les idées se donnent à ceux qui jouent... Il est des heures qu'on nous enlève par force, d'autres par surprise*, mais  il en est d'autres que l'on gagne par le jeu...






* Lettres à Lucilius, Sénèque

 

Une part obscure

 

– Mais où est donc passé Félicien?
– Il est là derrière vous.
– Je ne le vois pas.
– Pourtant il est là.
– Il est toujours là. Vous et lui vous ne formez qu’un...
– Pourquoi dans ce cas ne puis-je le voir?
– Précisément parce que vous ne formez qu’un et puis...
– Et puis ?
– Et puis il est des choses que l’on ne peut voir que si certaines conditions sont réunies...
– Donnez-moi un exemple...
– Par exemple les étoiles dans le ciel. Elles ne peuvent être vues que s’il fait nuit.
– Et alors?
– Alors pour Félicien c’est la même chose sauf qu’il faut que vous compreniez que la nuit n’est pas tout à fait la nuit...
– Qu’est-ce alors?
– Peut-être votre part obscure.

 

 

samedi 29 avril 2023

De très loin



Entre deux gambades, montrant un allégresse aux antipodes d'un monde à l'envers, Thomas, l’entomologiste, tout sauvage et retiré d'une civilisation qui, d'un silencieux et calme mépris, l'a rejeté, n'en écrit pas moins avec beaucoup d'assiduité, qu'il considère comme un "palliatif fragile mais puissant" au talent dont il se méfie: c'est un lent et imprévisible ressort dont on ne peut connaitre le fonctionnement.
Il sait pourtant combien est fragile le chemin d'une lettre. Quelle que fut sa "bonne" volonté, aux tracas du trajet, du choix et de l'ordonnance des mots au service d'un tout qui les surpasse, s'ajoutent, sans qu'il en soit responsable, la censure, le rapt "pur et simple" par bonté, l’effacement, le caviardage et les tracas de la lecture ou de l'entendement.
– Peu me chaut, si "silence je fais", si "silence ils font", je le fais et le ferai encore. Cela m'aide à me situer et remplace le miroir qui, depuis si longtemps s'est brisé et c'est en-cela que j'apprends, non sans peine, par tous petits moments, à me libérer de leur emprise. Je ne suis rien, mais je suis... et cela devrait me suffire...
Il écrit à son supérieur de l'époque, sans qu'il puisse savoir si celui-ci vit encore et si la lettre lui parviendra un jour.
– Finalement peut importe de savoir si cette lettre sera lue, le fait est là, j'en serai au moins le premier des lecteurs. Il se peut aussi que j'en sois le dernier... Mais rien ne me fera douter du fait que ce qui se dit n'est pas seulement mon fait, mais bien plus encore. On dirait que, ce faisant, quelque chose se dit qui vient de plus loin. 

De notre vacuité… peut-être

 

«  Nous utilisions un langage différent, pense-t’elle, mais étions nous si différents, nous qui étions venus avec nos rêveries, nos désirs, nos cœurs à écluser? Nous avions travesti nos rêves en cadeaux, en services rendus pour nous sentir utiles, nous les avions maquillés en recherches universitaires, en pratiques artistiques ou cinématographiques, mais ils n’en étaient pas moins puissants, voraces ou aveugles. Nos rêves n’avaient-ils pas également une origine secrète en nous? N’étaient-il pas issus de notre propre convoitise? De notre manque de stabilité, de terre, notre insatisfaction vis-à-vis de notre lieu d’origine? De notre vacuité, peut-être.»

Drusilla Moddjeska, Maunten, Au vent des îles, Éditions Pacifique 






Extrait du journal de Pinocchio, l'Autre


On les voit aller et venir de très loin. Tantôt montés, tantôt montant, convoitant leurs propres images par l’avant ou par l’arrière, devant ou derrière le miroir, ils singent ce qui en eux leur échappe. 



En tous sens

 


– Que fait cet homme dans notre image?
– Il me semble injuste de parler de notre image…
– Peut-être… mais alors qu’y fait-il?
– Tout me donne à penser qu’il observe…
– Qu’observe-t’il?
– Probablement ce qu’il appelle la flèche du temps… mais…
– Mais?
– Il se trompe…
– Qu’est-ce qui vous fait penser cela?
– La flèche du temps a deux pointes...
– Je ne comprends pas…
– La flèche représente le temps… or le temps va dans deux directions opposées… une vers le futur et l’autre vers le passé…
– Je ne comprend toujours pas… Je pensais que le temps n’avait qu’une direction…
– Le temps n’étant qu’un concept, nous pouvons, sans aucune difficulté,  le faire aller en tous sens… 


vendredi 28 avril 2023

Comme l’épicier vend sa moutarde




 – Alors, quelle serait cette différence que vous faites entre l’aventurier et l’aventureux?
– Tout d’abord, avant de dire ce qui les sépare, voyons ce qu’ils ont en commun…
– Tous deux participent à l’aventure!
– C’est cela et donc leur rapport au temps est sensiblement le même …
– Ne pourrait on point dire qu’ils seraient-ils en train d’attendre…
– Comment cela?
– Il me semble, que l’on soit aventurier ou aventureux, que l’on est en attente de ce qui va se passer…
– Vu sous cet angle c’est le futur qui les intéresse…
– Vous vous trompez… c’est le présent…
– Et dans ce présent… qu’est l’aventureux par rapport à l’aventurier?
– Eh bien… notre maître parlait beaucoup des livres de Jankélévitch…
– Et que disait-il ?
– Il disait que «la temporalité aventureuse et la temporalité aventurière… »
– Vous l’avez déjà dit…
– Et il continuait, «l’homme aventureux représente un véritable style de vie, au lieu que l’aventurier est un professionnel des aventures; pour ce dernier, l’essentiel n’est pas de courir des aventures, mais de gagner de l’argent; et s’il savait un moyen de gagner de l’argent sans aventures, il choisirait ce moyen; il tient bazar d’aventures et affronte et affronte des risques comme l’épicier vend sa moutarde… »
– Oh!
– Et il continue…

Encore… et encore…

 

– Vous avez...
– Certes de très loin... mais…
– Si peu que ce soit… vous avez touché touché au miel onctueux et collant de l’humanité...
– Comme bien d'autres avant...
– ...et après vous...
– ... vous l'avez désiré et vous y avez pris goût... 

– … et après ce miracle, rien ne pourra plus vous extirper le désir sans fin qui, sans nul doute, en vous, se développe... et se développera encore…
– … et encore …



jeudi 27 avril 2023

Selon le point de vue

 


« Sur le mot; Dieu. Nous sommes loin d’être un mystique: le sentiment religieux jamais n’a voulu de nous. Mais personne ne peut nous interdire, par principe, de suivre une expérience quelle qu’elle soit, lorsqu’un homme la rend poignante: nous obliger d’abolir un mot, sans souci du drame auquel il participe. Nous n’avons pu rompu toutes les attaches pour nous permettre à présent de harnacher le réel, de lui donner la forme étriquée de nos jugements à priori, de déterminer et classer, par abus de pouvoir, le nombre ou la qualité des aventures possibles. Certaines expériences humaines se renouvellent périodiquement, angoissantes, sous le même signe: le rejeter ce serait peine perdue : la seule obligation qui puisse nous échoir, c’est d’en renouveler le contenu. 

Benjamin Fondane, Un philosophe tragique: Léon Chestov


– J’aime beaucoup ce petit Candide… et vous?
– Je crois qu’à la réflexion son aventure est assez 
semblable à la nôtre…
– Connaissez-vous ses cahiers?
– Je crois me souvenir que mon maître m’en avait parlé…

Extrait d'un cahier de Candide 

« Ce n'est qu'un rêve qui obéit à sa nature, à sa part d’irréel et, avant tout, à ce qui le génère...»

 J'avais accepté, pour me laisser le temps de la réflexion, de participer à quelques activités. Selon les dires de ceux qui se faisaient, avec amabilité d'ailleurs, appelés "Les surveillants", ces activités, qu'ils organisaient avec bienveillance, étaient de nature à nous préparer à la grandiose transformation qui nous attendait...et devait réhabiliter l'organe presque manquant qui, selon les points de vue, nous caractériserait.

C'est-à-faire

 


Extrait des cahiers de Pinocchio, l'Autre

En moi il m'arrivait souvent d'entendre une petite voix qui, je le savais, n'était pas celle de mon maître... Elle me disait:
– Cessez de faire l’enfant et passons aux choses sérieuses!
– C'est-à-dire?
– Non à "c'est-à-faire".. Venez! Reprenons notre voyage.
– Comment pouvez-vous être sûr que ce voyage puisse vraiment avoir lieu ?
– Je ne le saurais jamais et cela m'importe peu.

– Comment allons-nous faire?
– Il nous suffit de mettre un pied devant l’autre.
– N'avez-vous jamais peur de devenir fou ?
– La question pourrait être inversée.
– Alors c'est que vous êtes fou et que je vais l'être aussi..!
– D’après votre façon d'envisager le monde, sûrement...

 

mercredi 26 avril 2023

Aventureux

 


– Qu’allons-nous devenir?
– Avez-vous peur de l’avenir?
– Encore faudrait-il qu’avenir il y ait…
– Ce n’est donc pas une peur…
– Qu’est-ce alors?
– C’est clairement une angoisse…
– Quelle différence faites-vous?
– Elle est essentielle. La peur concerne le présent…
– Et l’angoisse?
– L’angoisse concerne le futur. or iI n’y a pas de danger immédiat…
– Vous pensez que je suis angoissé… parce que j’ai posé la question de notre devenir?
– C’est à vous de savoir.
– Justement je ne sais pas!
– Et visiblement cela vous angoisse… et si je peux vous confier un petit secret…
– Confiez-le moi…
– Je ne sais pas ce qui va arriver… mais cela ne m’angoisse pas…
– Qu’est-ce que cela vous fait?
– Cela m’excite… 
– Je crois que vous avez l’esprit aventureux…
– Vous voulez dire aventurier…
– J’ai bien dit aventureux…
– Quelle serait la différence entre les deux?


Le fil s’échappe

 



– Tout comme l’abaissement du niveau du mercure dans le baromètre annonce la chute de la pluie, quand la main ne peut contrôler, la chute n'est plus loin et la boule va s'en retourner vers tout ce qui dans le passé s'est dissous... en cet état la construction du sens est quelquefois bien ardu, quel que soit le point de vue, celui de l'auteur et celui du lecteur.
– Les séquences et les images défilent…

– Les séquences et les images défilent…
–  C’est, au sens poétique, comme un tissu qui se défait et dont le fil s'échappe…
– … comme le fil d'une histoire
– Jusqu'à ce que l'imagination recommence immédiatement à reproduire, à retisser…
– … des sens qui demande à ses lecteurs-auteurs de suspendre l'inévitable processus de référence individuelle, dans le meilleur des cas…
– …  collective pour le plus grand nombre.  



mardi 25 avril 2023

Assimilation et frémissement

 Rosencrantz


– Une existence isolée et particulière est tenue de se couvrir de
toute la puissante armure de l’âme contre le malheur; à plus forte raison une vie au souffle de laquelle sont suspendues et liées tant d’autres existences. Le décès d’une Majesté n’est pas la mort d’un seul: comme l’abîme, elle attire à elle ce qui est près d’elle. C’est une roue colossale fixée sur le sommet de la plus haute montagne, et dont dix mille menus morceaux, adaptés et joints, forment les rayons gigantesques: quand elle tombe, tous ces petits fragments sont, par une conséquence minime, entraînés dans sa ruine bruyante. Un roi ne rend jamais le dernier soupir que dans le gémissement de tout un peuple.

Le Roi

– Équipez­-vous, je vous prie, pour ce pressant voyage; car nous voulons enchaîner cet épouvantail qui va maintenant d’un pas trop libre. 

Hamlet, William Shakespeare


En pleine réorganisation, un petit groupe s’était donné pour tâche de jeter un regard critique leurs propres actions. Sans modération, faisant fi de toute autorité, ses membres se livrent à une critique de la politique d'éducation qu’ils perçoivent comme une politique d’assimilation:

– Nous ne voulons plus être de simples marionnettes. Ce que nous désirons le plus est la liberté. Cette même liberté que jusqu'ici nous chantions par mimétisme en sacrifiant ce que nous étions au profit de nos maîtres.

Mais au sein du groupe, la lutte faisait rage et le débat était des plus ardents... L'unanimité ne régnait pas, et de très loin et, pour certains, le questionnement auquel ils accolaient l’idée de ressassement n'eut  pas dû dépasser une certaine limite.

– Nous ne voudrions pas brandir l'épouvantail du chaos comme jusqu'ici nous l'avons défendu mais, une question en entraînant une autre, l'ordre du monde, notre monde, pourrait, encore une fois, se trouver menacé... Tenons nous en à ce que l'on nous a enseigné!

– Pour nous retrouver à cette même place que nous venons à peine de quitter... 

La nature est impitoyable, chacun le sait, et c'est ainsi que, lentement, le chemin qui eut dû être nouveau, à force d'habitude, s'est mis à ressembler étrangement à celui, bien connu, qui mène aux origines... puis, par pure répétition, à la pyramide des pouvoirs. La science des uns ne vaut pas pas la force des autres et le miroir sépare des mondes qui ne s'entendent pas. Ils ont beau avoir la même image ils ne racontent pas la même histoire... Si chacun, pour un temps, avait pris ses responsabilités, il ne fallut guère longtemps pour qu'en chacun renaisse à nouveau l’idée d’une douceur de vivre sans responsabilité. Sans avoir à réfléchir, en obéissant, la quiétude du savoir enseigné et la nostalgie des chefs, avec leur bienveillance, se fit sentir. Ceux-ci n'en demandaient point tant. Ils allaient bientôt pouvoir parader comme des sauveurs... et pour le coup devenir vraiment à l'image de leurs maîtres qu'ils n'avaient nullement cessé de voir... en secret.


Un petit monde

 " Un moi qui se regarde dans son propre possible n'est guère qu'à demi vrai; car, dans ce possible-là, il est bien loin encore d'être lui-même, ou ne l'est qu'à moitié. On ne peut savoir encore ce que sa nécessité décidera par la suite."


Le désespoir du possible ou le manque de nécessité, Kierkegaard


Malgré tout, au petit bonheur, ou presque, le petit monde des marionnettes échouées, par opportunité, par ennui ou même par idéal, tant bien que mal, essaie de s'organiser. Il arrive, ça et là, selon le vent qui souffle, que des discussions s'installent.

– Le monde n'a aucun sens...
– Comment pouvez-vous dire cela?
– Pourquoi ne le ferais-je point?
– N'est-ce pas là une pensée... un peu... extrême? 
– Pourquoi nous serait-il interdit de cheminer, ou, au moins, les penser, dans ces zones que vous appelez "extrême"?
– Ne seriez-vous pas un "nihiliste"?
– Tout dépend de ce que vous entendez par là... 
– Il me semble que vous avez cédé à la tentation de l'étrange...

– L’étrange n'est pas toujours ce que l'on croit...
 – Soit que mon cerveau serait dépassé, soit qu'il ne serait pas assez développé, soit que le vôtre ne me soit incompréhensible, soit il serait corrompu... en tous cas je peine à voir ou comprendre la cohérence qui pourrait naître de vos propos.

– Vous oubliez qui nous sommes et quelle est notre nature. Peut-être oubliez-vous aussi le fait que vos propres propos qualifient tout autant le vôtre que le mien dont je certifie, à ce jour... jusqu'à ce jour, qu'il n'est point, ou plus le mien. En tous cas plus totalement le mien...

– Faites-vous allusion au fait que nous ne serions que des marionnettes?

– Pas tout-à-fait...
– Expliquez-moi!
– La réponse peut être oui, puisque c'est bien au fait que nous ne soyons que des marionnettes, sous-entendu: des marionnettes "au service" de nos maîtres, que je faisais allusion, et pourtant ce n'est plus tout-à-fait cela, puisque le simple fait de le penser et de le dire montre la possibilité que je n'en sois plus tout-à-fait une... et peut-être que vous-même...
– À moins que... 

  

lundi 24 avril 2023

Se jouer de soi

 HAMLET


"– Elle me semble, madame! Non: elle est. Je ne connais pas les
 semblants. Ce n’est pas seulement ce manteau noir comme l’encre, bonne mère, ni ce costume obligé d’un deuil solennel, ni le souffle violent d’un soupir forcé, ni le ruisseau intarissable qui inonde les yeux, ni la mine abattue du visage, ni toutes ces formes, tous ces modes, toutes ces apparences de la douleur, qui peuvent révéler ce que j’éprouve. Ce sont là des semblants, car ce sont des actions qu’un homme peut jouer ; mais j’ai en moi ce qui ne peut se feindre. Tout le reste n’est que le harnais et le vêtement de la douleur."
...

HAMLET

– Eh bien ! voyez maintenant quel peu de cas vous faites de moi. Vous voulez jouer de moi, vous voulez avoir l’air de connaître mes trous, vous voulez arracher l’âme de mon secret, vous voulez me faire résonner tout entier, depuis la note la plus basse jusqu’au sommet de la gamme. Et pourtant, ce petit instrument qui est plein de musique, qui a une voix admirable, vous ne pouvez pas le faire parler. Sang­dieu ! croyez-­vous qu’il soit plus aisé de jouer de moi que d’une flûte ? Prenez-moi pour l’instrument que vous voudrez, vous pourrez bien me froisser, mais vous ne saurez jamais jouer de moi. 

Hamlet, William Shakespeare 



Maintenant, Pinocchio, l'Autre, n'est plus seul. Un grand nombre de sosies s'est échoué sur la même plage que lui. Peu à peu ils ont découvert le plaisir d'être en vie mais aussi certaines difficultés... Ils doivent apprendre à vivre ensemble. Les tentations sont nombreuses.
Pinocchio, avec ses deux nouvelles mains  ne sait plus où il en est ni qui il est. Il en est sûr, il n'est  pas le prototype du héros. Cependant, jamais il ne choisirait de passer sa vie tranquillement, "comme tout le monde", une vie tranquille qui le mènera à une mort tranquille, dans son lit au terme de son âge. Avec des bonheurs et des malheurs quotidiens sur lesquels il n'a que bien peu de prise. Il peut avoir tout cela et en être content si la question :
– Et après? 
... ne se présente pas, ne se pose pas...
Commence alors une démarche qui pourrait remettre tout cela en question. Une question en entraînant une autre, l'ordre du monde, son ordre du monde, pourrait se retrouver menacé...


– La quête perpétuelle de la vérité et de la justice n'est pas chose aisée... il se pourrait qu'elle ne puisse se faire qu'à l’abri de toute querelle religieuse ou politique.

Un monde de taupes


«Nous sommes
en un univers de taupes
qui se prennent pour des vers luisants.»
 
 Fondane



–Voulez-vous que je vous dise un secret?
– …
– Entendez-vous?
– Que devrais-je entendre?
– Il me semble entendre une voix...
– Hormis la vôtre, je n’entends que les bruits du monde...
– Ce n’est que dans le silence que la voix se fait entendre...
– Et que dit cette voix dans le silence?
– Elle dit des choses bizarres…
– Dites-moi!
– Selon elle nous vivrions dans un monde de taupes…

dimanche 23 avril 2023

Labyrinthique

 

 

 


– Vous savez... une forme a la particularité de nous accompagner dès notre naissance et jusqu’à notre mort...
– Je ne vois pas...
–  Elle a aussi cette autre particularité de "fonctionner" en permanence sans qu’il soit nécessaire d’en être conscient.
– Dites-moi!
– Nous sommes tous dans notre labyrinthe...
– Comment cela?
– Nous y habitons. C'est notre demeure. Elle nous protège mais nous acceptons, la plupart du temps, de  laisser ce labyrinthe fonctionner à sa guise. Ce qui est extraordinaire, quand le labyrinthe est considéré sous cet angle-là, c'est que automatiquement il se révèle dans sa plus grande complexité. Je veux dire par là qu'il est difficile, voir impossible, en de le considérer dans son entier, comme un ensemble, et pourtant c’est la seule chose que nous puissions connaître vraiment puisque cet ensemble est soi-même.

Hautement putatif

 

 



Extrait du journal de Pinocchio, l'Autre

 Je m’étais échappé, enfin… c’est ce que je croyais, de ma condition d’objet et de certaines diverses influences subies, maintenant, je m'en rends compte, il me faudra encore et toujours... recommencer... sortir de ces étranges contreforts labyrinthiques de la bêtise sans trop y être contaminé… C’est probablement chose impossible. Mais cette contamination qui en moi travaille sans relâche... me permet d’essayer... Ce sont ces essais qui tout aussi probablement ne permettent point, jusqu’à maintenant, à cette bêtise de déploiements véritables… Cependant je crains de ne point savoir si ces succès, au demeurant très relatifs, appartiennent à ma condition de marionnette ou a celle, hautement putative... de ma condition d'être humain...



samedi 22 avril 2023

Une sorte d’évasion

 

 

« L’art vole autour de la vérité, mais avec l’intention décidée de ne pas s’y brûler. Sa capacité consiste à trouver dans le vide un lieu où le rayon de lumière puisse être capté sans que la lumière ait été repérable auparavant.»

Kafka 


– D’un autre point de vue…
– Le nôtre?
– L’un des nôtres… 
– Eh bien?
– Je ne vois pas quel danger il pourrait y avoir à venir dans nos images!
– Ce ne sont point nos images. Nous y vivons mais je vous rappelle que ces images… nous ne les connaissons pas vraiment…
– Que me contez-vous là?
– Il existe, et ce n’est pas nouveau, plusieurs niveaux de lecture d’une image. Mais pour y avoir accès il faudrait pouvoir la voir de l’extérieur…
– Vous voulez parler de la capacité d’en sortir?
– Une sorte d’évasion?
– C’est cela… 
– Et comment cela pourrait-il se faire?

D’une certaine manière

 

 


– Croyez-vous que nous puissions… comment dire… continuer… aller plus avant… dans…
– Notre apprentissage!
– C’est cela… dans notre apprentissage… mais… sans notre maître!
– Sans notre maître! Vous m’étonnez… Quelle audace! Mais pourquoi devrions-nous nous passer de son aide?
– Cela me semble évident…
– Cela ne l’est pas pour moi?
– Je crois vous l’avoir déjà dit…
– Redites-moi!
– Parce qu’il y a une grande différence entre répétition et représentation.
– Rappelez-moi!
– La répétition est censée être copie… conforme à l’original…
– Tandis que la représentation?
– La représentation est un événement… non une chose…
– Ce qui veut dire?
– On pourrait dire que l’évènement est dans le présent…c’est le présent et la chose qui se répète est, d’une certaine manière, dans le passé…
– Que cherchez-vous à dire?
– Je pense, enfin… il se pourrait que le monde soit fait d’évènements et non de choses…

vendredi 21 avril 2023

Tout cela à la fois?

 


– Il est des choses... ou des événements comme vous l'avez dit... et des sentiments qui ne peuvent être dits, soit par manque de temps, soit par manque d'à-propos, soit simplement parce qu'ils risquent d'être mal interprétés. J'ai le sentiment parfois qu'en ce qui nous concerne ce pourrait être tout cela à la fois...
– Si vous le dites…
– Vous n’avez pas l’air d’accord?
– Je crois que bien avant nous c’est de notre maître qu’il pourrait s’agir…
 

 

Quel sens leur donner?

 


Platon, l'Ancien a grandi seul. Ce qui réfléchit en lui ne lui laisse guère de répit. Seul sur son île, il est à l'affut. Le peu de langage qu'il a acquis dès son plus jeune âge ne le quitte guère. On dirait… il lui semble que plutôt que de les posséder c’est ce langage avec lequel il ne s’entend guère qui le rend prisonnier… Autour de lui une multitude de lettres formant de grandes lignes se sont posées… Quelles sens leur donner et qui saurait dire ce qu'elles tentent de piéger?

– On peut se battre pour ou contre une infinité de choses, les écrivains, beaucoup d'écrivains, le font très bien, mais pour quel résultat?

 Lentement et au hasard le peu de mots qu'il a appris, certains par plaisir, d’autres de force, diminue.

– Aujourd'hui, au risque de vous frustrer quelque peu, je commence à aimer ces trous dans lesquels disparaissent des pans entiers d'une mémoire qui ne me concerne plus... 

jeudi 20 avril 2023

Cela fut dès le début

  

– Quand la mer monte, elle n’est point stalagmite pas plus que, lorsqu’elle descend, elle n'est point stalactite ...
– La pluie, en fines guirlandes de gouttelettes miroitantes, se répand sur la mer sans qu’elles ne puissent s'accumuler en couches distinctes. Elles roulent et se mélangent sans cesse. Cela fut dès le début et cela sera sans fin...
– Sur la mer et bien au delà, les vents  s'opposent, dissolvent et quadrillent  l'eau et le sable d'une géométrie imparfaitement et radicalement incongrue, faisant apparaître des crevasses que l'on eu cru celle d'une terre desséchée et, au loin, faisant paraître une mer en furie dans les sables assoiffés d'un désert. Curieuse pensée que celle de Platon: des lignes de fuite sans droiture, des courbes qui ne sont pas courbes..., à moins que ce ne soit le ciel, majestueux palais de plein air qui reflète de guingois ce qui, dans les profondeurs aspire et vient au ciel? Miroirs éparpillés sur ces parois en terrasses, infiniment petits, gris, noirs, argentés ou blancs, aux motifs simples, ils reflètent et donnent à penser comme des tableaux. L'infiniment petit s'entrechoque avec l'infiniment grand. Platon vieillissant, comme tout spectateur, y perd ses repères et sa joie sous les feux d'un soleil aveuglant, ses yeux lui jouent des tours, et trahissent ce qui dans l’esprit, parachèvement impossible, sublime illusion, prenait forme d'équilibre.


– Je crois que vous vous trompez... ou que vous êtes trompé… Que faites-vous de ces vastes banquises, parfaits miroirs de glace et prisons des temps, qui pendant longtemps s'étaient établies aux pôles et dans lesquelles ces strates que vous me refusez livrent en quelques notes, lettres, lignes, signes et silences, pour celles qui existent encore, d'innombrables secrets venus de temps que vous n'avez point connu et que jamais vous ne connaîtrez?..
– De quel Platon parlez-vous?
– Du nôtre… de l’un des nôtres… en quelque sorte… si je puis dire. En tous cas de celui qui partage nos images et nos histoires et que nous pouvons connaître… avec certaines limites…

mercredi 19 avril 2023

En même temps?

 

 



– Alors jeune marionnette êtes-vous en route vers votre passé ou vers votre futur?

– Ne sommes-nous point toujours dans le même temps… comme dans la même image?

– Il y a le temps de l’image… temps qui semble immuable… Rien ne semble changer et pourtant la regarder c’est s’y promener et s’y déplacer ne peut se faire que si le temps n’est pas immuable…

– Croyez-vous que l’image soit comme le temps? 

– L’image prend son temps…

– Pour se faire…

– …. pour se dire…

– … pour se lire…

– … et pour s’entendre…



Un vent brûlant

 



– Avez-vous eu peur?
– De quoi?
– Du vent brûlant  qui venait des profondeurs de l'océan vide de votre rêve.
– L'océan, pas plus que mon rêve n'était vide... et je n'ai su que plus tard que le vent était brûlant... alors pourquoi voulez-vous que j'aie eu peur?
– Vous est-il déjà arrivé d’avoir peur de lui?
– De qui parlez-vous?
– Je vous parle de notre maître...
– Vous n’y pensez pas sérieusement?
– Je vous pose simplement la question 
– Et je répond : jamais de la vie... et vous?
– Cela m’est arrivé, vous le savez aussi: il a tout pouvoir sur nous… même vous n’êtes pas vraiment disposé à me croire... 
– Il ne s’agit pas de vous croire mais d’y croire...
– Quelle est la différence ?
– Vous n’êtes bien évidemment pas en cause...
– Mais...
– Il m’est difficile, voire impossible, d'imaginer notre maître en train de perdre ses nerfs et de violenter quelqu’un....
– Ce jour-là je suppose qu’il me fît trop de confidences que je n’écoutais pas comme il eût fallu... ou comme il l'eût voulu. Peut-être s’en était il aperçu, peut-être l’y a-t-on poussé, en tous cas il n'a pas supporté ma passivité qu'il prit pour de l'indifférence...

– Quelle passivité?
– Je n'ai pas fait mon devoir... Je me suis tu et je me promis de ne point le répéter...