samedi 29 février 2020

(29) Contamination

Aux élèves du lycée Volta.
«La peste, que le tribunal de la santé avait craint de voir entrer dans le Milanais avec les bandes allemandes, y avait en effet pénétré avec elles, comme le lecteur en est instruit; et il sait également qu’elle ne s’y arrêta pas, mais qu’elle envahit et ravagea une grande partie de l’Italie…»
Avec ces mots s’ouvre le chapitre 31 des Fiancés [roman d’Alessandro Manzoni et grand classique scolaire, NDLR], un chapitre, avec le suivant, entièrement consacré à l’épidémie de peste qui s’abattit sur Milan en 1630. C’est un texte lumineux et d’une extraordinaire modernité que je vous conseille de lire avec attention, tout spécialement en ces jours de confusion. Il y a déjà tout dans ces pages: la certitude que les étrangers sont dangereux, les dissensions au sein des autorités, la recherche spasmodique dudit patient zéro, le mépris pour les experts, la chasse aux graisseurs [accusés, durant l’épidémie milanaise, de diffuser la maladie via des onguents infectés, NDLR], les rumeurs sauvages, les remèdes les plus absurdes, la razzia sur les biens de première nécessité, l’urgence sanitaire... Dans ces pages, vous tomberez entre autres sur des noms que vous connaissez sûrement puisque vous fréquentez les rues voisines de notre lycée et que ce dernier s’érige, ne l’oublions pas, au milieu de ce qui fut le lazaret de Milan: Ludovico Settala, Alessandro Tadino, Felice Casati entre autres. Tout ceci pour dire que ces pages semblent tout droit sorties d’un journal d’aujourd’hui, plus encore que du roman de Manzoni.

Chers élèves, rien de nouveau sous le soleil pourrais-je me contenter de penser, et pourtant, notre établissement est fermé et je dois vous parler. Notre institution est une de celles qui, avec ses rythmes et ses rites, ponctue le cours du temps et de la vie harmonieuse en société; ce n’est pas un hasard si l’obligation de fermer les écoles n’est décidée par les autorités que dans des cas très rares et vraiment exceptionnels. Il ne m’appartient pas de juger de l’opportunité de la mesure présente, je ne suis pas un expert, je respecte les autorités, je leur fais confiance et j’observe scrupuleusement les conseils à la population. Mais aussi je tiens à vous dire: gardez votre sang-froid, évitez de vous laisser entraîner dans le délire collectif, continuez — avec les précautions d’usage — de mener une vie normale. Profitez de ces journées pour faire des promenades, pour lire un bon livre; il n’y a aucune raison — si vous vous sentez bien — de rester enfermés à la maison. Il n’y a aucune raison de prendre d’assaut supermarchés et pharmacies, laissez les masques à ceux qui sont malades – il n’y a qu’à eux qu’ils soient utiles. La vitesse à laquelle la maladie peut gagner l’autre bout du monde est fille de notre époque, il n’existe aucun mur qui puisse l’arrêter, il y a quelques siècles elle voyageait aussi, seulement un peu plus lentement. Un des risques majeurs en de telles situations, nous apprennent Manzoni et aussi Boccace, c’est l’empoisonnement de la vie sociale, des rapports humains. C’est la barbarie qui gagne la vie en société. Lorsque nous nous sentons menacés par un ennemi invisible, notre instinct atavique est de voir l’ennemi partout et nous courons le danger de considérer chacun de nos semblables comme une menace, un agresseur potentiel. Depuis les épidémies du XIVe et au XVIIe siècle, nous avons développé l’arme puissante qu’est la médecine moderne, ce n’est pas rien, croyez-moi. Faisons appel à l’esprit rationnel qui l’a engendrée pour préserver notre bien le plus précieux: nos liens sociaux, notre humanité. Si nous n’y parvenons pas, la peste aura gagné pour de bon. Je me réjouis de vous accueillir à l’école,

Domenico Squillace, directeur du lycée technique Volta à Milan



Extrait du journal de Pinocchio, l'Autre

 Je m’étais échappé de ma condition d’objet et de diverses influences subies, maintenant, je m'en rends compte, il me faudrait encore et toujours... recommencer... sortir de ces étranges contreforts de la bêtise sans être contaminé est chose impossible. C’est cette contamination qui en moi travaille sans relâche... et probablement ne permet point de déploiement véritable.

(29) Désir


– Vous avez...
– Certes de très loin...
– Vous avez touché touché au miel onctueux et collant de l’humanité...
– Comme bien d'autres avant...
– ...et après vous...
– ... vous l'avez désiré et vous y avez pris goût...
– Après ce miracle, rien ne pourrait plus vous extirper le désir sans fin qui en vous se développe.




vendredi 28 février 2020

(28) Tantôt



«  Nous utilisions un langage différent, pense-t’elle, mais étions nous si différents, nous qui étions venus avec nos rêveries, nos désirs, nos cœurs à écluser? Nous avions travesti nos rêves en cadeaux, en services rendus pour nous sentir utiles, nous les avions maquillés en recherches universitaires, en pratiques artistiques ou cinématographiques, mais ils n’en étaient pas moins puissants, voraces ou aveugles. Nos rêves n’avaient-ils pas également une origine secrète en nous? N’étaient-il pas issus de notre propre convoitise? De notre manque de stabilité, de terre, notre insatisfaction vis-à-vis de notre lieu d’origine? De notre vacuité, peut-être.»

Drusilla Moddjeska, Maunten, Au vent des îles, Éditions Pacifique





Extrait du journal de Pinocchio, l'Autre


On les voit aller et venir de très loin. Tantôt montés, tantôt montant, convoitant leurs propres images par l’avant ou par l’arrière, devant ou derrière le miroir, ils singent ce qui en eux leur échappe. 

(28) Mémoire



«  L'appel au souvenir est ce bond par lequel je m'installe dans le virtuel, dans le passé, dans une certaine région du passé, à tel niveau de contraction. Nous croyons que cet appel exprime la dimension proprement ontologique de l'homme, ou plutôt de la mémoire.»

Gilles Deleuze, Le bergsonisme, puf 




Extrait du journal de Pinocchio, l'Autre


Certains hommes en leurs mots se dissolvent d’autres en ces mêmes mots se montrent.

mercredi 26 février 2020

(26) En un même esprit


« Devant des textes extrêmement difficiles, la tâche du commentateur est de multiplier les distinctions, même et surtout quand ces textes se contentent de les suggérer plutôt que de les établir formellement. D'abord nous ne devons pas confondre l'appel au souvenir et le "rappel de l'image" (ou évocation).»

Gilles Deleuze, Le bergsonisme, puf 




Extrait du journal de Pinocchio, l'Autre


 Aurai-je encore une fois la force et la foi de tenter cette impossible ascension, ce mimétisme infini, tout ce qui lie et se tisse entre le maître et sa création... que dis-je entre le maître et sa créature... faite à son image... en laquelle lui et moi, le père et le fils, censés être réunis dans un même esprit... Tous ces appels... ou rappels me donnent le tournis...



mardi 25 février 2020

(25) Une sorte de fêlure



Extrait du journal de Pinocchio, l'Autre

Il y a dans certaines voix, une sorte de fêlure obscure de laquelle s’échappe toutes ces pensées qui me traversent dans un sens comme dans un autre... Elles sont, je le sais, peu claires, mais si capables de tant de mots...

lundi 24 février 2020

(24) Jamais plus







Extrait du journal de Pinocchio, l'Autre

Jamais plus je ne serai cet enfant dont je porte le visage pour toujours. Mon passage parmi les mortels ne s’est pas inscrit dans mes formes mais dans ce qui de moi n’est point visible mais se ressent dans le timbre de ma voix.


dimanche 23 février 2020

(23) L’action humaine


L’action humaine est analysable selon différents registres qui, en quelque sorte, s’ajoutent les uns aux autres: dimensions linguistique, sémantique, symbolique, temporelle et finalement éthique. Ce sont ces différentes caractéristiques de l’action, analysées par les sciences humaines, qui rendent l’action “lisible,” c’est-à-dire susceptible d’être considérée comme un texte. Nous apprenons ainsi que les méthodes de l’interprétation des textes peuvent s’appliquer à l’analyse de l’action humaine, et que cette analyse rend l’action susceptible d’être moralement évaluée.

Alain Thomasset, Paul Ricœur au fondement d’une éthique herméneutique et narrative, enracinée dans une ontologie de l’action







– Il m'arrive aussi de parler, bien moins souvent maintenant...
– Pourquoi cela?
– Lorsque nous parlons... Imperceptiblement, le monde change... c'est alors que se réveille cette voix qui m'envahit.
– La voix de votre maître?
– J'en doute de plus en plus. Et quand ce doute refleurit, alors je me surprends à nouveau en train de rêver à cette quête... Inutile je le sais... Imprudemment j’essaie d'arracher l’idée qui repousse sans cesse renforcée par mes efforts...
– Quelle serait, selon vous, cette voix?
– J'ose à peine le dire.
– Dites tout de même.
– Je crois que le dieu des hommes sans cesse me parle et m’envoie ses démons... pour me mettre à l’épreuve... Les mots, comme des corps graciles et le verbe lisse se glissent dans les moindres replis de l’âme... pour commencer. Recommencer. L’éternel commencement...


(23) Geste


« La conscience est la dernière phase de l’évolution du système organique, par conséquent aussi ce qu’il y a de moins achevé et de moins fort dans ce système... Si le lieu des instincts, ce lieu conservateur, n’était pas tellement plus puissant que la conscience, s’il ne jouait pas, dans l’ensemble, un rôle de régulateur, l’humanité succomberait fatalement sous le poids de ses jugements absurdes, de ses divagations, de sa frivolité, de sa crédulité, en un mot de son conscient… C’est encore une tâche éminemment actuelle, que l’œil humain commence même à peine à entrevoir, que celle de s’incorporer le savoir, de le rendre instinctif chez l’homme.»

Nietzsche





Extrait du journal de Pinocchio, l'Autre


Que l'on me pardonne ce geste brusque, arbitraire et, au demeurant fort dangereux, celui-là même qui autrefois me fut offert, qui d'un certaine manière coupe artificiellement la mémoire...et la renouvelle. J'hésite à parler de ma mémoire tant cela me parait peu probable qu'elle puisse m'appartenir...

vendredi 21 février 2020

(21) Antennes



« Elle dressait ses antennes, touchait les autres, recevait leur message et le laissait battre en son cœur.»

Drusilla Modjeska, Mauten, Au vent des îles 




Extrait du journal de Pinocchio, l'Autre


Nous sommes des milliers de marionnettes incapables de changer de peau ou d’incarner un autre que Pinocchio... Toutes, plus ou moins, sans le savoir, nous donnons de nous-mêmes ce qui lui manque. C’est ainsi qu’il vit et c’est ainsi que, sans l’avoir désiré, presque par hasard, chaque petite part de lui-même et de nous-mêmes, où qu’elle se trouve, participe à sa reconnaissance...

jeudi 20 février 2020

(20) En silence




En silence, j'écoute et j'observe, recueillant au passage ce qui me serait utile au cas où il m’arriverait de retrouver tout ce qui me manque et qui me serait bien utile pour m’échapper... 

mercredi 19 février 2020

(19) Retour






Extrait du journal de Pinocchio, l'Autre


 – ... j’y retournerai...
– Il faudrait pour cela que vous retrouviez vos membres éparpillés!
– Est-ce en cela que consiste le retour?
Le sort... ou l'ironie du sort... est qu’aujourd’hui je ne suis plus qu’une tête... ballottée au gré des éléments ou du bon vouloir de certains hommes.

mardi 18 février 2020

(18) Réveil



Extrait du journal de Pinocchio, l'Autre

 
Il est nombre de persistances de la pensée... bien accrochées comme les huîtres sur leur rocher... Pour moi, le réveil fut brutal. Parfaitement à l'image de ceux qui prétendaient nous gouverner...




lundi 17 février 2020

(17) Retour



Extrait du journal de Pinocchio, l'Autre

– Allez-vous y retourner?
– Où cela?
– Dans ce lieu où vous fûtes avant que n'arrive cette histoire.
– Sombre migration...
– Sombres pensées...
– Ce serait difficile... mais oui... la tentation est... comment dire... presque irrésistible... j’y retournerai...
– Mais...
– Oui?
– Y retourneriez en tant que ce que vous êtes devenu? Ou... en tant que ce que vous étiez... pour autant que cela soit possible? 

(17) Regrets



 
Extrait du journal de Pinocchio, l'Autre

Moult fois on m'a demandé s'il eût été préférable pour vous de ne jamais avoir été un homme?
Il me semble que, de là où nous sommes, pauvre lieu de passage, on peut le penser... mais, voyez-vous, de là où je serais, sans que rien de toute cette histoire ne se soit passé, alors il est presque certain que j’eus pu avoir des regrets...

dimanche 16 février 2020

(16) Derrière nous


« La proximité serait-elle une certaine mesure de l'intervalle, se rétrécissant entre deux points ou deux secteurs de l'espace, dont la contiguïté et même la coïncidence marqueraient la limite?»

Emmanuel Levinas




Derrière nous s’étend ce qui est tombé et devant nous s’étend ce qui va peut-être tomber... Au dessus voguent, tour à tour puissants et indolents, des nuées d’oiseaux et d’images dont je peine à mesurer, ou même à percevoir, la ou les limites abyssales. 

samedi 15 février 2020

(15) Alliances


« Nous sommes un animal dont le souffle de vie est celui des rêves parlés, peints, sculptés et chantés. Il n’y a et ne saurait y avoir de communauté sur terre, si rudimentaires que soient ses moyens matériels, sans musique, sans quelque forme d’art graphique, sans les récits de la remémoration imaginaire que nous appelons mythe et poésie.»

Georges Steiner




–  Il y  a, partout dans le monde...
– Surtout dans le monde des hommes...
– ... des alliances secrètes que l’on ne peut qu'imaginer, à moins que...
– Par le plus grand des hasards...
– ... par mégarde...
– ... par curiosité...
– ... ou par erreur...
– ... on ne se retrouve embarqué dans une histoire dont on n'imagine...
– ... ou que l'on imaginait...
– ... non, non, c'est au présent que cela se passe! Dont on n'imagine point qu'elle puisse nous embarquer...

jeudi 13 février 2020

(13) Grande habileté


« Quoi que vous soyez, même si ce monde n’est pas ce que nous croyons, même si je ne suis pas ici, que je n’ai pas vraiment écrit cette phrase et que vous ne la lisez pas tout à fait en ce moment, une entité absolue demeure malgré tout. Sans elle, rien ne peut être et rien ne peut ne pas être.»

Willeime




Il est bien des vérités que nous n'osons contredire mais que nous détournons avec grande habileté... ou bêtise flagrante...

mercredi 12 février 2020

(12) Pour qui sait tendre l’oreille




Dans les tumultes de l’âme, pour qui sait tendre l’oreille entre deux silences ou deux fêlures, ce qui fut dit là en cet instant, longtemps après, résonnait encore, mêlait ses sens à ceux de maintenant et se prolongeait aux suivants de même nature. Des voix qui se donnaient à entendre dans ces lointaines turbulences, il en était une une qu’il lui semblait  reconnaître... mais dans les méandres de laquelle il se perdait. Et pour cause... C’était sa propre voix qu’il percevait de l’extérieur, chacun, ou presque, sait combien il lui est difficile de l’accepter et pourtant c'est là qu'il se trouve...

mardi 11 février 2020

(11) Grande erreur





Fruit d’un travail intense mon assimilation plus ou moins réussie était toujours en équilibre instable. À tous moments je devais faire attention à ce que je disais pour ne pas heurter les susceptibilités à fleur de peau des caciques du royaume, à commencer par celui que je devais nommer mon maître. Je devais aussi faire en sorte de participer activement à l’établissement à ce qu'il appelait de véritables valeurs, auxquelles, pourtant, je ne pouvais adhérer sans autre. Et, malgré un profond et authentique questionnement, je n'y adhérais point totalement. C’est ce qui a fait que pendant longtemps je ne m’exprimais pas vraiment me contentant d’observer... et de faire silence...
Lentement je compris que, à condition d'y mettre des formes convenables et surtout convenues, je pouvais, à très petites doses, commencer à exprimer ce qui, dans mon fors intérieur, se construisait pas à pas. J’eus bientôt pleinement accès à ce qu’ils appelaient leur langage.
Si je n’avais nullement la possibilité de me comprendre entièrement avant d’être compris j’avais néanmoins l’espoir que, travaillant sans relâche à ma propre édification, quelqu’un recueillerait l’une ou l’autre graine que je prétendais semer... Là sans doute fut ma plus grande erreur.




lundi 10 février 2020

(10) Créateur?


« C'étaient des conquérants, et pour ça, il ne faut que la force brute, pas de quoi se vanter, quand on l'a, puisque cette force n'est qu'un accident, résultant de la faiblesse des autres [...]»

Joseph Conrad, Au coeur des ténèbres

– Lui avez-vous déjà menti?
– De qui parlez-vous?
– Je vous parle de votre créateur...

– Le mensonge tout comme la comédie implique le jeu…
– Vous êtes bien vague.

– Ce que j'essaie de vous dire...
– Est bien laborieux!
– Précisément parce que les règles sont floues… et les à-priori nombreux...
– Le mensonge est-il une comédie?
– Nous y sommes... indéniablement, mais ce qui importe est le fait... cela va vous surprendre... que de mon point de vue, je n'ai point de créateur... du moins pas au sens que vous mettez à ce mot.

 

 

 

 

dimanche 9 février 2020

(9) Possédés


« L’animalité constituerait-elle l’une des principales dimensions de l’impensé de notre époque ou de notre tradition métaphysique, aujourd’hui enfouie sous les conflits qui opposent les nouveaux sophistes (se drapant d’oripeaux aux allures «phénoménologiques») aux néo-positivistes? Le foisonnement des publications qui marque à l’égard de l’animal, ou mieux, des animaux, une inquiétude philosophique croissante depuis une quinzaine d’années le laisserait penser. Or, lorsque l’on se veut critique, il est de coutume d’attribuer à Descartes le moment décisif qui déterminera l’occultation moderne de l’animal en tant que tel. En nous appuyant spontanément sur les animaux pour définir ce que nous ne sommes pas ou ce que nous ne devrions pas être, de la «bêtise» à la «bestialité», nous nous comportons «le plus souvent à notre insu» comme des cartésiens.»

J. Philippart, L'animalité en question. Enjeux phénoménologiques à partir de Marc Richir




– C'étaient des conquérants...
– ... des hommes...
– ... surtout des brutes...
– Oui, mais possédant les mots...
– ... plus souvent possédés...
– Possédés par quoi?
– Par ces mots, avec lesquels, après avoir joué, ils ne savent plus quoi faire...

(9) Même si


« Je connus qu'étant alors en décours, et la Lune pendant ce quartier ayant accoutumé de sucer la moelle des animaux, elle buvait celle dont je m'étais enduit avec d'autant plus de force que son globe était plus proche de moi, et que l'interposition des nuées n'en affaiblissait point la vigueur.»

Cyrano de Bergerac, L'Autre Monde: ou les États et Empires de la Lune




– La coïncidence est-elle fortuite...
– Éphémèrement truffée pourtant de vicissitude et d'une terrible rhétorique... même si...

(9) Ce qui nous échappe


« Cette aventure extraordinaire me gonfla d'une joie si peu commune que, ravi de me voir délivré d'un danger assuré, j'eus l'imprudence de philosopher dessus. Comme je cherchais des yeux et de la pensée ce qui pouvait être la cause de ce miracle, j'aperçus ma chair boursouflée, et grasse encore de la moelle dont je m'étais enduit pour les meurtrissures de mon trébuchement [...]»

Cyrano de Bergerac, L'Autre Monde: ou les États et Empires de la Lune



 

– Toute force est l’expression d’une volonté...
– Ne suis pas d’accord!
– Dites-moi...
– La montagne qui pèse de tout son poids n’a, selon moi, aucune volonté...
– Il est des volontés qui nous échappent... mais à qui nous ne pouvons échapper.

samedi 8 février 2020

(8) Haut


« Il est dans la nature humaine d’avoir plus peur des événements invraisemblables que des vraisemblables. Ce que nous redoutons le plus, ce sont les choses qui ne nous arrivent jamais ou que rarement, et que nous ne pouvons donc apprécier. Sans doute est-ce bien ainsi. Il existe une théorie qui dit que c’est l’évolution qui nous a conduit à ce malentendu. Il serait plus utile pour la survie de se méprendre sur le risque des diverses situations.»

Juli Zeh et Ilija Trojanov, Atteinte à La Liberté, Actes Sud






– Savez-vous ce qu’est le haut?
– Le haut de quoi?
– Le haut, tout court... le haut de rien... le haut!
– Si vous le prenez ainsi... oui, comme tout le monde je sais ce qu’est le haut.
– Parfait, pourriez vous me le décrire... ou m’expliquer ce qu’il est?
– Eh bien... c’est ... le contraire du bas.
– Je vois... Et le bas?
– C’est ce qui est vers la terre. C’est ce qui est sous nos pieds... par exemple... On doit descendre pour aller en bas comme nous devons monter pour aller vers le haut! Mais, pourquoi me demandez-vous cela?

vendredi 7 février 2020

(7) Vrai mensonge




Extrait du petit cahier Vert de Pinocchio, l'Autre

Je ne suis que frissons qui agitent mon corps et mon esprit, mais du fait que je ne suis qu’un morceau de bois, cela ne se voit pas... si ce n’est par l’allongement menaçant de mon nez et l’omniprésence de cette éternelle injustice qui me fait passer pour un menteur. La chose qui s’écrit change radicalement de nature. Elle invite le lecteur à l’investir selon ses propres modalités... quitte à être transformée du tout au tout... peut-être est-ce là que se situe la source du vrai mensonge...

jeudi 6 février 2020

(6) À distance


« C'est ce vide, cette déchirure, dans le tissu trop serré du monde que nous cherchons à faire apparaître... sur la marge tremblante de la vérité.»

J. Bazaine, Exercice de la peinture



Extrait du petit cahier Vert de Pinocchio, l'Autre


– Ce qui nous tient à distance et empêche l’histoire de se saisir de nous est la crainte de faire véritablement co-naissance...

(6) Selon ses propres souhaits


« Nous ne cherchons jamais les choses, mais la recherche des choses.»
Pascal, Pensées



La tête de Pinocchio, laquelle, selon ses propres souhaits, a été jetée littéralement à la mer, tangue, alternant vaguement le dessus et le dessous, lui permettant de respirer à peu près une fois sur deux... Candide, quand à lui, est emporté par son élan et, ne sachant point nager... disparait quand venu d'on ne sait où, apparaît...

mercredi 5 février 2020

(5) Incandescence


Pelléas
 
– Pourquoi me regardes-tu si gravement ?
– Nous sommes déjà dans l'ombre.
– Il fait trop noir sous cet arbre. Viens dans la lumière.  Nous ne pouvons pas voir combien nous sommes heureux. Viens, viens; il nous reste si peu de temps...


Mélisande 

 
– Non, non ; restons ici. Je suis plus près de toi dans l'obscurité.

Maeterlinck, Pelléas et Mélisande.






– S'il en est ainsi et.. si c'est votre  volonté... je vais consentir à votre demande, mais avez-vous vu combien il fait sombre dans ces profondeurs inconnues?
– Ce sera toujours mieux que cette lumière qui déjà me consume... dépêchez-vous, je vous en conjure! 

 

mardi 4 février 2020

(4) Personne ne sait quoi


« Ici, écrit Emil Staiger, il n’y a peut-être qu’une seule certitude: ce qui est ne doit pas être. À sa place autre chose doit être, qui n’est pas. Le héros tragique est mû par la violence de ce qui doit arriver. Personne ne sait quoi.»



 – S'il vous plaît, ayez l’obligeance, la gentillesse, ou à défaut la compassion de me donner une légère impulsion avant que ne me consume ce feu qui déjà m'étouffe.
– J'y consens volontiers, mais savez-vous nager?
– Je ne le sais, mais... la violence qui va arriver ne peut être pire que le feu...

(4) À l'intérieur





– Pourquoi donc ais-je le sentiment bizarre d'être une sorte de trace? Une trace à peine visible parmi l'infinité des traces possibles, mais que je peux sentir et voir de l'extérieur et remplie d'une telle mémoire que j'ai le sentiment que le dehors est là, à l'intérieur.

lundi 3 février 2020

(3) De son espèce


 «Si, "réellement", toute monade est une une unité absolument circonscrite et fermée, toutefois la pénétration irréelle, pénétration intentionnelle d’autrui dans ma sphère primordiale, n’est pas irréelle au sens du rêve ou de la fantaisie. C’est l’être qui est en communion intentionnelle avec de l’être. C’est un lien qui, par principe, est sui generis, une communion effective, celle qui est précisément la condition transcendantale de l’existence d’un monde, d’un monde des hommes et des choses.»

E. Husserl



Extrait du journal de l'enfant Lune

 
Les coïncidences, fortuites ou non, donnent à penser... De ce fait elles nous donnent l'occasion de sortir de ces coïncidences... et de nous-même...



 

dimanche 2 février 2020

(2) Courants invisibles


Puis vint cette voix,
Environ l'heure de midi,
Au temps de l'été,
Dans le jardin de mon père.
Jeanne d'Arc



Extrait du petit cahier Vert de Pinocchio, l'Autre

 
À ce moment-là, entraîné irrésistiblement par des courants invisibles, était-ce ma vision ou le monde tel qu’il était qui me faisait le voir comme étant désordonné? Était-ce dû aux circonstances? Était-ce le résultat de toute une vie de labeur? Celui de mon père? Ce qui vient du fond cœur... le cœur de morceau de bois fendu qui est mon corps et dont je cherche, comme cette voix, à m'échapper.

samedi 1 février 2020

(1) Expérience


« La singularité n'est pas une expérience; elle est d'une certaine façon l'expérience elle-même, en son impossibilité constitutive à se soutenir et se fonder.»



(1) Intérieur


Qui veut voir doit apprendre à écouter...




Extrait du petit cahier Vert de Pinocchio, l'Autre


 – Pourquoi, alors que je sais être un simple morceau de bois qui s'agite et aspire à devenir..,  ais-je donc parfois... souvent... le sentiment bizarre de n'être qu'une sorte de pierre? Une pierre au demeurant très banale, mais que je peux sentir et voir de l'extérieur, et qui serait remplie d'une telle mémoire qu'il m'arrive d'avoir le sentiment que le dehors est là, à l'intérieur.