vendredi 30 juin 2017

Multitude

"Qui peut calculer ce que perd le monde dans cette multitude d'intelligences prometteuses doublées d'un caractère timide qui n'osent pas mener à terme un enchaînement d'idées hardi, vigoureux et indépendant de peur d'aboutir à une conclusion jugée irréligieuse ou immorale? Parmi eux, il est parfois des hommes d'une grande droiture, à l'esprit subtil et raffiné, qui passent leur vie à ruser avec une intelligence qu'ils ne peuvent réduire au silence, épuisant ainsi leurs ressources d'ingéniosité à s'efforcer de réconcilier les exigences de leur conscience et de leur raison avec l'orthodoxie, sans forcément toujours y parvenir. Il est impossible d'être un grand penseur sans reconnaître  que  son premier  devoir  est  de suivre son intelligence, quelle que soit la conclusion à laquelle elle peut mener."*




 – Vous ais-je raconté comment, par le plus grand des hasard, je me suis retrouvé dans cette histoire?

– Je n'en savais rien jusqu'à ce que vous me le répétiez... et c'est cela qui m'intrigue puisque lorsque je vous entend j’entends Platon l'Ancien, mais avec cette légère déformation, inaudible à l'échelle humaine, qui est la manifestation de ma personnalité lorsque je répète ce qu'il dit... 

– Et alors?

– Eh bien je me demande si ce que vous dites, ou plutôt que vous répétez,c'est pour moi assez manifeste, ne serait pas ce que je vous ai dit et qu'alors j'eus dû connaître...

– Il se pourrait, lorsque dans quelques jours je vous raconterais la suite, que vous découvriez quelque chose que, j'en suis sûr, vous ne connaissiez pas et qui n'a jamais été imité... Venez, prenons notre envol, le voyage risque d'être long...


*  De la liberté,John Stuart Mill
Extraits du chapitre II
De la liberté de pensée et de discussion



 

(30) Cap'tain farceur

"Allons plus loin : la permanence du dur a beau configurer symboliquement la rectitude morale, elle est l'indice de ce que le corps est matière, donc prison ; en ce qu'elle est agile, l'âme procède d'une mouité viscérale, c'est un truc (comment dire autrement, sans tomber dans le piège du dualisme ?) plutôt souple. La preuve, c'est qu'aucune culture n'a placé le siège de l'âme dans le tibia."*


– Bien qu'il affirme être bien plus âgé, dans le fond, si je puis le dire, disait Platon l'Ancien, le Cap'tain est un joyeux farceur... une sorte d'enfant de sept qui refuses de grandir... et qui prend un malin plaisir à jouer dans le bac à sable... comme sur la plage... en oubliant que les méduses ont certains pouvoirs dont celui, outre le fait, pour certaines d'entre elles d'être luminescente, de porter leur propre lumière, de brûler celui qui les effleure.







* Philosophe méconnu du XXe siècle, esprit inclassable en marge de toutes les écoles, Jean-Baptiste Botul (1896-1947), auteur de tradition orale, traverse en 1938 une crise profonde mais féconde. Considérant que la philosophie des " choses mêmes " ne s'est pas assez intéressée aux choses molles, Botul crée et explore le concept de mouité. Il en tire des idées étonnantes, qui bouleversent la phénoménologie ambiante, sur l'Etre, le néant, la charcuterie, le fromage, les seins des femmes, le transport des valises et les années trente.


jeudi 29 juin 2017

Avec innocence


"Je purge ma peine dans une prison réelle, tu attends dans la prison invisible du cœur. Ton amour est un rayon de soleil qui saute par-dessus les hauts murs et s'infiltre à travers les barreaux pour caresser chaque centimètre de ma peau; réchauffer chacune de mes cellule; il me permet de conserver une paix intérieure infinie, une ouverture et une grandeur d'âme, et emplit de sens chaque seconde que je passe en prison."*



Platon l'Ancien, qui pourtant n'est plus un enfant, et le Cap'tain Gabar jouent ensemble avec innocence et férocité... comme des enfants. Dans l'ordre de leurs préférences et au delà de leurs différences, à cache-cache pour commencer.





* Liu Xiabo

(29) De la liberté


« Si tous les hommes moins un partageaient la même opinion, ils n'en auraient pas pour autant le droit d'imposer silence à cette personne, pas plus que celle-ci, d'imposer silence aux hommes si elle avait le pouvoir. Si une opinion n'était qu'une possession personnelle, sans valeur pour d'autres que son possesseur; si d'être gêné dans la jouissance de cette possession n'était qu'un dommage privé, il y aurait une différence à ce que ce dommage fût infligé à peu ou à beaucoup de personnes. Mais ce qu'il y a de particulièrement néfaste à imposer silence à l'expression d'une opinion, c'est que cela revient à voler l'humanité : tant la postérité que la génération présente, les détracteurs de cette opinion davantage encore que ses détenteurs. Si l'opinion est juste, on les prive de l'occasion d'échanger l'erreur pour la vérité ; si elle est fausse, ils perdent un bénéfice presque aussi considérable: une perception plus claire et une impression plus vive de la vérité que produit sa confrontation avec l’erreur. […]
On ne peut jamais être sûr que l'opinion qu'on s'efforce d'étouffer est fausse ; et si nous l'étions, ce serait encore un mal »





* John Stuart Mill, De la liberté, 1859, trad. Laurence Lenglet.

mercredi 28 juin 2017

To all the world!

«To all the world! I declare the earth is hollow, and habitable within.»*




– Au monde entier! Ce bateau est creux et habitable intérieurement! Remettre à flot n'est pas nécessaire. Nous flottons encore. Nous flottons depuis toujours et nous flotterons éternellement vers l'orient. Mais puisque l'équipage, en bonne part, et de fait, son capitaine, a quitté le navire, nous en formerons d'autres. Et que ce feu qui nous entoure soit notre véritable foyer. Tout ce qui disparait sous nos yeux n'est que le superflu... Ne pleurez point je serai là... pour vous... gémissez, gémissez et s'il le faut je pleurerai pour vous...


La voix du héros s'est réveillée et s'enflamme à son tour. La voix est celle de... Platon l'Ancien qui se prend pour Gabar, Cap'tain Gabar et la chaleur ambiante n'étant évidemment point propice à refroidir les esprits, le filet de voix part en fumée de Gabar et fint par s’éteindre...

– De l'eau, de l'eau, j'étouffe...

L'esprit de notre héros s'enflamme et s'embrume avant que d'être entré avant d'avoir fait le premier pas sur le pont de ce navire dont il ne connait point le nom et qu'il invente de toutes pièces...



* John Cleves Symmes Jr, lettre au Congrès américain, 1818

Humilité




 
Platon, entraîné malgré lui dans une sorte de jeu bizarre, se prend pour Gabar. Cap'tain Gabar Pontifex.
Très vite un sentiment d’urgence avait pris place en lui. Passé les premiers instants où il put constater la "folie du lieu", il sentit grandir en lui la conviction que c'était "le moment"... Certes le Commandeur suprême, Sir Guisbert Briselame, était censé être encore en poste, mais, excepté les "Grandes Occasions", on eut cherché avec grande vanité les traces de son fantôme.

– Dans ce monde de fantômes il est nécessaire de se raccrocher à la tradition! Et puisqu'il le faut je l'incarnerai dans toute sa puissance... dussé-je pour cela mettre de côté ma très chère humilité...

Le doute chemine en lui, ou peut-être est-ce une sorte de lucidité qui, au-delà de la tyrannie de l'opinion, lui ferait dire:

– Je ne sais si je me prenais pour Gabar ou si c'est lui qui, me prenant pour lui, se trouvait dans la situation de réveiller l'enfant qu'il était... et qui jusque là n'avait fait que sommeiller au fond de lui-même et dont il percevait, ça et là, des bribes de rêves qui, traversant les portes du réel, arrivaient jusqu'à lui. 

Il n'eut aucune peine à enfiler le costume... qu'il se fit faire "sur mesure" à la première occasion.

– Ah! De la mesure, de la mesure en toutes choses voilà qui sera notre principe premier.

mardi 27 juin 2017

De la fierté au narcissisme

"L'optimisme, par nature, est sans borne, ne souffre aucune limite, ignore le découragement, continue d'avancer, ne sait pas quand s'arrêter. Passer de la conviction fondatrice de l'Amérique qu'elle peut former une union plus parfaite à la conviction qu'elle peut reconstruire un autre pays à l'image de ses espoirs pour elle-même – franchir ce pas – ne prend qu'une seconde: un homme politique le fait avant que de vous dire qu'il approuve ce message. Néanmoins, ce n'est pas nouveau. De la fierté au narcissisme, la route fut depuis longtemps jonchée de cadavres."*




Platon l'Ancien, encore enfant, mais plus pour longtemps, a joué avec le feu...

– Cependant, dira-t'il plus tard, c'est à se demander si c'était vraiment moi, l'enfant, qui jouait avec ces allumettes. Je pense, aujourd'hui, alors que tout cela s'est passé il y a bien longtemps,que sur le moment j'étais devenu un autre. Et cet autre n'était autre que Gabar. En un instant j'étais devenu un homme dont le passé n'était pas le mien, avec lequel je ne savais quoi faire et qui forcément était plus que lacunaire. 

Le jouet sur lequel Platon, devenu "comme" Gabar, était monté était un bateau étrange à bien des égards. Le plus remarquable était une sorte d'organisation interne d'une rigidité conceptuelle qui contrastait allègrement avec ce que ce jour là avait découvert Pl... Gabar et qui avait mené, quelques mois plus tôt l'embarcation au désastre. Un naufrage dont il ne pouvait dire s'il était devant ou derrière lui.



* À la lumière de ce que nous savons, Zia Haider Rahman, Christian Bourgois Éditeur


Majorité

"Qu’est-ce qu’une majorité prise collectivement, sinon un individu qui a des opinions et le plus souvent des intérêts contraires à un autre individu qu’on nomme la minorité ? Or, si vous admettez qu’un homme revêtu de la toute-puissance peut en abuser contre ses adversaires, pourquoi n’admettez-vous pas la même chose pour une majorité ? Les hommes, en se réunissant, ont-ils changé de caractère ? Sont-ils devenus plus patients dans les obstacles en devenant plus forts? Pour moi, je ne saurais le croire ; et le pouvoir de tout faire, que je refuse à un seul de mes semblables, je ne l’accorderai jamais à plusieurs.[…]" *



Platon l'Ancien est monté à bord du bateau. En un instant, illuminé par le feu de l'allumette qui vient de lui brûler les doigts, il est passé de l'enfance à la majorité. Enfin... c'est ce qu'il croit... ainsi que beaucoup d'autres choses auxquelles croient la majorité des personnes réunies sur ce bateau et qu'il va rencontrer.







* Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, I, partie II, chapitre 7, 1830



lundi 26 juin 2017

Interdit n'est pas impossible

"J'ai le sentiment que dans de nombreux cas la détresse humaine peut être attribuée à une source minuscule, dont la véritable identité demeure cachée parce qu'elle est régulièrement confondue avec autre chose. Cette erreur est facile à commettre, car la source de la détresse est, également, la source de la grandeur, si bien que la fierté empêche de considérer les deux faces à la fois. N'est-ce pas l'histoire de Prométhée, dans laquelle le feu volé aux dieux éclaire le chemin des hommes tout en leur brûlant les mains."*


Platon, comme tout enfant, ou presque, aime jouer. Et c'est autant par goût pour la lumière que par jeu qu'il s'est emparé des allumettes. Il sait que cela est interdit mais c'est plus fort que lui... Comme il a vu faire... il fera...



En pensée, Platon l'Ancien, encore enfant, est monté à bord du bateau. Il sait que cela n'est pas possible, mais c'est plus fort que lui... Comme il a vu faire... il fera... il vole les allumettes interdites...


– Que la lumière soit! dit-il avec la voix du Cap'tain Gabar.

Le choc fut violent. Répétant avec fidélité les gestes et les contours inconscients de son père, en un instant il était devenu un autre. Tout comme son père, celui qui croyait être le Cap'tain Gabar...  et celui qu'il croyait être...


* À la lumière de ce que nous savons ( p.131 ) Zia Haider Rahman, Christian Bourgeois éditeur





C'est plus fort que lui...

"Le hall sentait le chou cuit et le vieux tapis. À l’une de ses extrémités, une affiche de couleur, trop vaste pour ce déploiement intérieur, était clouée au mur. Elle représentait simplement un énorme visage, large de plus d’un mètre : le visage d’un homme d’environ"* soixante-cinq ans, à l’épaisse chevelure qui, autrefois, avait été  noire, aux traits accentués, presque beaux. C'était le portrait du Cap'tain Gabar.


En pensée, Platon l'Ancien, encore enfant, entre dans le bateau. Il aime jouer et c'est par jeu qu'il s'est emparé des allumettes. Il sait que cela est interdit mais c'est plus fort que lui...





* 1984, George Orwell

dimanche 25 juin 2017

Les lumière du pont

Ce même jour de juin, quelques minutes après que les lumière du pont et celles des profondeurs se furent éteintes par elles-mêmes ou par manque de combustible, on entendait vaguement chanter...
... de loin


... de très loin... une comptine d'enfant jouant sur la plage. Il faut bien peu pour que s'établisse une certaine distance entre le monde de l'enfance et celui des adultes. Platon "le menton rentré dans le cou, s’efforçait d'éviter le vent mauvais. Il passa rapidement la porte vitrée" du bateau, "pas assez rapidement cependant pour empêcher que s'engouffre en même temps que lui un tourbillon de poussière et de sable." *





* En italique , 1984, George Orwell ( première page)


À peu près minuit

C'était un jour du mois de juin, peu après le solstice. Il devait être à peu près minuit. Toutes les lumières étaient encore allumées.




samedi 24 juin 2017

Ce qui ne se voit pas


"Le mot plancton vient du grec « Plankton » qui signifie « errer ». Le plancton est l’ensemble des végétaux et animaux aquatiques qui dérivent au gré des courants. Généralement microscopiques ou de petite taille, ils sont capables de mouvements limités, mais incapables de se déplacer à contre-courant."*



Depuis l'aube des temps il y a eu ce que nous sommes capable de voir et tout le reste sans qui nous ne verrions rien et qui ne se voit pas.

Jeu

 Platon l'Ancien, alors qu'il n'est plus un enfant, écrit en pensant à l'un de ses maîtres*.

– Il se pourrait qu'un mouvement qui se produit au dehors soit le produit de mon esquisse, de mon action... comme quelque chose que je découvre en moi... Un autre, quelque chose d'autre, peu importe quoi, le sinueux trajet d'un nuage, le vol d'un oiseau ou l'apparition d'un visage, par "sympathie", se "rejoue" en moi...



– Pourquoi la fluidité, pourquoi la rigueur? D'où vient ce secret qui est la quintessence absolue de l'éblouissement quand, au cœur du naufrage pourtant, d'un seul coup, nos yeux s'ouvrent... comme pour la première fois et que s'offre à nous dans toute sa splendeur les miracles du vivant!?





* Henri Bergson

vendredi 23 juin 2017

Autre



"On a constaté avec surprise que la question: «Qu'est-ce que la littérature?» n'avait jamais reçu que des réponses insignifiantes. Mais voici plus étrange: dans la forme d'une pareille question, quelque chose apparait qui lui retire tout sérieux. Demander: qu'est-ce que la poésie? qu'est-ce que l'art? ou même qu'est-ce que le roman? on peut le faire et on l'a fait. Mais la littérature qui est poème et roman, semble l'élément de vide, présent dans toutes ces choses graves et sur lequel la réflexion, avec sa propre gravité, ne peut se retourner sans perdre son sérieux."*


Platon l'Ancien, encore enfant est face à Damon. Aucun des deux ne sait ce qui de lui sort à la rencontre de ce qui se prétend autre et qu'il peut, selon les circonstances reconnaître comme sien. Ce qui, loin de les réconforter, ajoute à leur inconfort.






* De Kafka à Kafka, Maurice Blanchot, Folio essais







Avec sympathie

S'il est d'usage de tenir compte des situations politiques dans lesquelles ils écrivent, la plupart des écrivains ne se sentent point uniquement prisonniers de celles-ci.  Mais il est un domaine où il est encore plus difficile de se dissocier de son écriture, ou des résultats de celle-ci, c'est celui des personnages et notamment du personnage principal, s'il en est. En fonction des qualités diverses de chacun, il y aura toujours plus ou moins de différences entre l'auteur et et son personnage. Mais d'un autre côté il est presque impossible qu'il ne puisse rien avoir de lui-même dans les qualités, les comportements ou simplement dans la vie de ses personnages.
Platon l'enfant, plus tard devenu Platon l'Ancien, dira:

– Sentir avec ses personnages, c'est se sentir avec...

Et il rajoutera, en pensant à Bergson: "avec sympathie"... ce qui lui posera de nombreux problèmes puisque le mot sympathie sera immédiatement pris dans l'étau étroit de la morale. Ce qui, vous l'aurez compris, n'était pas pas son cas.
"Sentir avec ses personnages, c'est se sentir avec..." pourrait être la formule de l'écrivain... pour autant qu'elle soit nécessaire.

 
S'adressant à ses élèves, beaucoup plus tard*, il dira: 

 – Imaginez, imaginons, dans une sorte d'analogie,  quelque chose qui se produit "au dehors" retentit en moi de la même façon qu'elle se produit "au dehors". Alors nous comprendrons combien c'est l'action qui crée le phénomène et combien il nous est difficile de cerner cette action et non le phénomène qu'elle induit...


* toujours influencé par Bergson

jeudi 22 juin 2017

Écrire et apprendre

"On peut assurément écrire sans se demander pourquoi l'on écrit.Un écrivain, qui regarde sa plume tracer des lettres, a-t'il le même droit de la suspendre pour lui dire: Arrête-toi! Que sais-tu sur toi-même? en vue de quoi avances-tu? Pourquoi ne vois-tu pas que ton encre ne laisse pas de traces, que tu vas librement de l'avant, mais dans le vide, que si tu ne rencontres pas d'obstacle, c'est que que tu n'as jamais quitté ton point de départ? Et pourtant tu écris: tu écris sans relâche, me découvrant ce que je te dicte et me révélant ce que je sais; les autres, en lisant, t'enrichissent de ce qu'ils te prennent et  te donnent ce que tu leur apprends. Maintenant, ce que tu n'as pas fait, tu l'as fait; ce que tu n'as pas écrit est écrit: tu es condamné à l’ineffaçable."*



Platon se demande d'où vient cet étrange appendice qu'il ressent au bout de ses doigts.

– Quand nous combinons à loisir dans toute la masse de connaissances que nous prétendons être nôtre, c'est que nous arrivons à la fin d'un processus qui n'a, de fait, probablement jamais commencé...

Les professeurs les plus simples, ceux qui arrivent à dire les choses les plus difficiles sans les compliquer inutilement sont ceux qui ont travaillé le plus. Ainsi Platon l'Ancien, dès son plus jeune âge, sans que cela ne puisse se savoir, explore avec passion le monde des sens qu'il considère comme une totalité qui se perd dès lors que des limites lui seraient imposées...






* De Kafka à Kafka, Maurice Blanchot

mercredi 21 juin 2017

En elles cachées


  1. "Les images se manifestent à l’homme et la lumière qui est en elles est cachée"*










    Evangile selon Thomas

Observation et hérédité

" Du fait de leur isolement quelques suites de concepts peuvent devenir si véhémentes qu'elles attirent à elles la force d'autres instincts. Il en est ainsi, par exemple, de l'instinct de la connaissance. Une nature ainsi préparée, déterminée jusque dans ses cellules, se perpétue alors de nouveau et se transmet héréditairement: s'accroissant jusqu'à ce qu'enfin l’absorption orientée d'un seul côté détruise la vigueur générale." *
 


Platon l'Enfant, du fait de sa situation, lui aussi, se demande s'il existe  quelque chose en dehors de lui-même. Il a le net sentiment d'être observé mais ne sait si, par hasard ce sentiment ne serait point la cause de son observation...


* Le livre du philosophe, Nietzsche



mardi 20 juin 2017

Tout change

" Les individus sont les ponts sur lesquels repose le devenir. Toutes les qualités ne sont originellement que des actions uniques, puis des actions souvent répétées dans des cas semblables, enfin des habitudes. A toute action prend part l'essence  entière de l'individu et à une habitude correspond une transformation spécifique de l'individu. Tout est individuel dans un individu, jusqu'à la plus petite cellule; ce qui signifie que la totalité prend part à toutes les expériences et à tous les passés."*


Ainsi, par un de ces détours que nous réserve l'histoire, Platon l'Ancien, pas plus que Platon l'Enfant, ne peut savoir quelle pourrait être la cause qui lie sa présence avec celle de cette île dont il se rapproche et s'éloigne sans arrêt. Et cela malgré le fait que, lui, y a déjà mis le pied... C'est que les choses sont changeantes...




En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, tout change.



* Le livre du philosophe, Nietzsche

lundi 19 juin 2017

Ce qui ne peut être vu

"À force d'épier, il découvrit un homme qui nageait fort loin, à demi perdu sous l'horizon. À une pareille distance, le nageur lui échappait sans cesse. Il le voyait, ne le voyait plus et pourtant avait le sentiment de suivre toutes ses évolutions: non seulement de le percevoir toujours très bien, mais d'être rapproché de lui d'une manière tout-à-fait intime et comme il n'aurait pu l'être davantage par aucun autre contact. Il resta longtemps à regarder et à attendre. Il y avait dans cette contemplation quelque chose de douloureux qui était comme la manifestation d'une liberté trop grande, d'une liberté obtenue par la rupture de tous les liens."*




À demi perdu sur l'horizon, quelque part entre ce qui ne peut être vu et ce qui peut être imaginé, une île attend Platon. Lui, après s'être longuement rapproché de ce qui ne peut être vu, essaie de dormir sans que ne se mette en branle les cortèges de l'imagination. Si la raison implique le fait qu'il ne peut y avoir d'effet sans cause elle ne peut  le montrer toujours clairement. Les liens obscurs qui régissent ces interactions ne peuvent indéfiniment masquer le fait que le tout premier de ces effets provient de quelque action mystérieuse à jamais. Ainsi Platon l'enfant ne peut savoir quel serait la cause qui lie sa présence avec celle de cette île dont il se rapproche et s'éloigne sans arrêt.




* Thomas l'obscur, Maurice Blanchot

La Raison

"Le principe de Raison proclame que toutes les choses ont une cause. En vertu de cette loi, rien ne saurait exister seul, uniquement parce qu’il est. Toute chose découle d’une autre qui lui est extérieure.
Cet énoncé est malheureusement confronté à un grave problème. Par définition, l’univers contient tout. Si, rien ne peut être en dehors, rien ne peut le soutenir. Si l’univers n’a pas de raison indépendante d’exister, le néant absolu aurait dû combler l’éternité. Pourtant, une réalité a émergé. Chacun peut s’en rendre compte. La réalité est peut-être très différente de l’image que nous nous en faisons, mais nos existences témoignent d’une certaine forme de présence, définitivement incompatible avec une totale inexistence."*






* L'amour de la Raison Universelle, Willeime

dimanche 18 juin 2017

Courageux






– Le courageux a consciences du danger... car s'il ne l'était pas il ne serait pas courageux.

Le vrai secret

"Le vrai secret du maître artiste consiste donc à détruire la matière par la forme. L'âme du spectateur et de l'auditeur doit conserver intacte sa pleine liberté; elle doit être  quand elle s'éloigne du cercle des enchantements opérés par l'artiste, aussi pure et parfaite qu'en sortant des mains du créateur."*




L'aurore, le hasard, les oranges, les fleurs, la trahison. Loin des paroles émouvantes de la petite enfance, Platon, encore enfant pourtant, aime tout sans qu'il ne puisse rien faire d'autre. Les filaments doucereux des méduses réservent bien des surprises pour qui ne sait s'y prendre sans prendre garde à ne pas se laisser prendre. Le différence aussi minime soit-elle est de taille. Il se pourrait même qu'elle soit mortelle. Leur père lui-même l'a mis en garde. Nous parlons bien sûr du Roi Lyre, leur père qui, malgré qu'il leur ait donné une enfance choyée et heureuse, dut se rendre à l'évidence...


* Schiller, Les lettres sur l'éducation esthétique



samedi 17 juin 2017

Liberté

 Il est doux, sur la vaste mer
Alors que les vents agitent les flots
De regarder, depuis la terre,
Le grand labeur d’un autre
Non parce que c’est un plaisir agréable
Que quelqu’un soit tourmenté
Mais parce qu’il est doux
De voir
A quels malheurs
On échappe soi-même.*




Curieusement, Platon l'Ancien, face au Roi Lyre, au plus profond de son royaume, se sent pousser des ailes.

– Comment faire pour expliquer le surgissement de la liberté?
– Mais bien avant cela, ne faudrait-il pas déjà savoir ce que ce mot recouvre ou pourrait faire découvrir...

Platon, malgré son jeune âge, se rend bien compte que les êtres humains ne sont guère plus qu'une vague s'échouant sur une plage. Chaque vague est constitué d'une nué de gouttelettes d'eau, toutes semblables si l'on excepte leurs tailles et put-être ce qu'elles transportent. Mais, toutes ensemble forment une masse qui les rend indistinctes. Leur mouvement les rend plus forte, mais n'est-ce pas ce même mouvement qui les poussent à retourner d'où elles viennent après que lourdement elles se soient allongées sur la plage. L'esprit de Platon, encore enfant, ne cesse d'être agité par ces vagues permanents dont il peine à extraire quelques gouttelettes isolées qui, libérées de la bêtise collective, auraient peut-être la possibilité et l'imagination de parler de cette force qui les animent.





* Lucrèce, De Natura rerum, II

Clinamen

« Nous avions alors abouti à la lumière d’un midi du monde, où l’ombre idéaliste que jetaient les choses crées à travers les rayons obliques du soleil brillant dans le monde matutinal s’est ratatinée jusqu’à disparaître complètement.» *



« Les atomes descendent bien en ligne droite dans le vide, entraînés par leur pesanteur ; mais il leur arrive, on ne saurait dire où ni quand, de s'écarter un peu de la verticale, si peu qu'à peine peut-on parler de déclinaison. »**


 Le clinamen nous amène à la turbulence. Que savait cet enfant encore, après tant d'autres mais surtout après celui qui seul demeurera dans les esprits, nommé Platon, avant de connaître, ou reconnaître, qui peut savoir, cette île lointaine que peu connaissent et où, lui, Platon l'Ancien, essaie, en renaissance permanente, d'y aborder.




*  L'étoile de la Rédemption, Franz Rosenzweig, Seuil

**  Lucrèce, Chant II.

vendredi 16 juin 2017

Les lendemains de l'enfance

De bien funestes résonances voyagent sans but dans le temps. Platon lui aussi. Il se pourrait cependant qu'il y ait une certaine différence. Il est fort probable que le voyage de Platon ne soit pas sans but bien qu'il en ignore les raisons. Il ignore aussi ce qu'a voulu dire le Roi Lyre quand il lui a dit que les méduses qui l'accompagnent ne sont autres que ses propres filles. Platon, plus tard, considérera avec attention la possibilité qu'il y ait eu une sorte d'enclave de folie dans le royaume, fort raisonnable par ailleurs, du Roi Lyre.



 – Pas la peine de vouloir tout expliquer, puisque je ne vois rien, se dit Platon.

Pourtant, quelque chose cloche dans sa vision ou dans celle communément acceptée: la vision de "tout le monde". Celle dont on ne parle jamais tant la croyance est grande qu'elle serait partagée par "tout ce monde". Pour Platon l'interminable monologue a commencé bien trop tôt... L'enfance n'est pas armée pour ferrailler avec les grandes constellations de l'esprit qui se dit humain. Mais peut-être est-ce là un suprême avantage... Les lendemains de l'enfance n'appartiennent pas à l'enfance, ainsi le geste sera sans lendemain...



Difficile approche

– Comme je vous le disais, cher enfant Platon, ce sont mes filles et vous apprendrez bientôt qu'elles ne sont point faciles à approcher. Si l'immobilité n'est point de mise la danse qu'elles induisent ne souffre d'aucune erreur. Tout est mouvement, mon jeune ami, tout... sans exception...



... texte à suivre ...

jeudi 15 juin 2017

A sa place...

Platon l'ancien, encore enfant, ignore comment, dans la nuit de sa tête recouverte par un chapeau trop grand, sa propre image se déplace dans le temps et s'incruste dans les images quelque peu grotesques d'un autre temps qui se trouve être son présent... et dans lequel rien ne serait à sa place...


... combien il peut être ignorant à propos de ce qu'il ressent pourtant comme familier et combien parfois le passage d'un ordre à un autre se fait facilement.



Qu'il soit seul au fond de l'eau ou avec le Roi Lyre, dans l'arbre du parc sur lequel il vivait déjà de bien curieuses aventures ou dans le "cirque" dans lequel il croit être né, il s'émerveille de ressentir combien peuvent être différents les phénomènes et combien il y a de différences entre ce qu'il constate et ce qu'on lui a appris.

mercredi 14 juin 2017

Ce que l'on apprend

Ce que nous apprenons n'est
(pas toujours)
ce que l'on nous apprend.



Bien que privé de l'usage de sa tête constamment recouverte, Platon sent bien que quelques images de son passé et même, selon le point de vue qu'il adopte, de son futur sont là, bien présentes. Qu'il soit au fond de l'eau avec le Roi Lyre ou dans l'arbre du parc sur lequel il vivait déjà de bien curieuses aventures, il s'émerveille de ressentir combien peuvent être différents les phénomènes et combien il y a de différences entre ce qu'il constate et ce qu'on lui a appris.

Un pas au-delà

" Les signes ne sont pas que des affaires humaines. Tous les êtres vivants communiquent par signes. Nous autres humains sommes donc à notre aise dans la multitude de la la vie sémiotique. Notre statut d’exception n'est plus la forteresse que nous pensions occuper autrefois. Une anthropologie qui se concentre sur les relations que nous autres humains entretenons avec les êtres non humains nous oblige à faire un pas au-delà de l'humain."*



Platon l'Ancien, encore enfant, face à l'impressionnant Roi Lyre essaie d'apprendre.

– Si je vous comprend bien, ce qui nous détruit est l'absolue banalité du temps... Tout ce que nous croyons voir dans le fleuve qui le transporte prend place dans les infinis échanges invisibles qui prennent constamment place dans la mémoire. Enfoui en nous même cette moisson, selon les conditions propres à chacun, fleurit, se raconte, virevolte, danse ou lentement se détruit par le feu, le pourrissement, l'imposture, l'oubli, le mensonge, la pétrification ou le naufrage. Cela je peux le comprendre... un peu... mais, pardonnez-moi, vos filles...

– Magnifique, mon garçon! Elles sont tout cela!



* Comment pensent les forêts, Eduardo Kohn, Zones sensibles (p73).





 

mardi 13 juin 2017

Au-delà de vos yeux




– Vous me demandiez hier qui étaient ces belles passantes. Eh bien vous allez être surpris, je suppose. Ce sont mes filles...
– Mais, ne sont-elles pas ce que l'on appelle des méduses?
– C'est cela aussi, mais bien plus encore.
– C'est-à-dire... si je ne suis pas indiscret.
– Indiscret! Ce ne l'est point mais c'est assez compliqué.
– Dites toujours.
– C'est précisément ce que je fais en permanence...
– Je vous entend bien, mais je ne comprend pas entièrement ce qui fait que je ne vois pas quelle est le lien avec les créatures d'hier.
– C'est parce que vous essayez de voir.
– Vous savez bien que je porte un chapeau qui m'empêche de voir...
– Vous commencez de le savoir et moi je le sais depuis longtemps et je sais beaucoup de choses que vous ne connaîtrez jamais si vous vous obstinez. De justes déductions cheminent sur le chemin des erreurs... En silence jusqu'à maintenant vous jouiez avec ces bulles qui vous le savez enferment des sortes de secrets. Continuez donc de les caresser et alors vous verrez ce qui au-delà de vos yeux forment des images. Le silence et la musique font bon ménage... Dansez donc avec elles et vous verrez alors avec la plus grande des netteté.

Quelques restes épars




 Lorsque, au petit matin, sur la plage encore assaillie par la houle, se trouvent projetés sur le sable algues, coquillages, os de seiche et méduses, rien n'est vraiment dit de ce qui s'est passé et se passe encore dans les profondeurs.

Platon l'Ancien, qui n'est plus un enfant, pense la même chose:
– Rien de ce qui fut ma nuit ne se retrouve sur la plage du matin hormis quelques restes épars issus d'un grand tout que l'on aurait grand peine à reconstituer.

(13) à

lundi 12 juin 2017

Régénération

« La première et la plus belle des qualités de la Nature est le mouvement qui l'agite en tout temps… » *




Ici, exactement, un jour durant, peut-être plus, chevauchant hardiment le Roi Lyre, Platon l'Ancien, encore enfant, ne sait ce qu'il fait mais peu lui importe, cela l'enchante. La langue secrète qui passe de l'un à l'autre ne serait guère audible pour qui ne serait pas étroitement en contact. Tout au plus pourrait-il, en veillant avec soin de ne pas interférer, s'approcher de l'une de ces bulles qu'il pourrait voir, en s'écartant prudemment des filaments, et attendre que l'une de ces petites bulles éclate et laisse résonner dans l'immensité ce que pour un instant elle a enfermé et que pour quelques instants minuscules, pour peu que l'on soit présent, on pourrait en capter quelques fragments.

– Que vous importe que tout se régénère comme vous dites!

– Il ne s'agit point de cela. De plus, permettez que je corrige votre entendement. Il n'y point de régénération, comme vous dites et surtout comme vous le comprenez. Il ne s'agit que de "génération" et le concept de ré-génération n'est que la continuation, le mouvement qui reprend qui continue celle-ci et non le rétablissement de ce qui se défait ou ce qui s'est déjà défait.

L'enfant aveugle, non par nature mais par contrainte:
– Qui sont ces belles passantes dont je perçois les onctueux "ondulements" et les doux stridulements?



* Justine ou les Malheurs de la vertu de Donatien Alphonse François...

Les vagues des profondeurs

Les vagues des profondeurs ne sont pas moins impressionnantes que celles qui agissent en surface et il fallait toute l'habilité du Roi Lyre, dont l'accord avec l'enfant avait été immédiat, pour surfer sur les courants tout en évitant les longues et dangereuses tentacules urticantes des méduses. Non pas qu'elles fussent dangereuses pour lui, non, mais pour Platon. Certes il était dans son royaume, mais il était quand même tout-à-fait surprenant qu'il le sache...







dimanche 11 juin 2017

Certitude

Platon est face au Roi Lyre. Il ne sait rien de lui. Grâce au chapeau bien trop grand qui lui couvre les yeux, il ne voit rien et la présence qu'il ressent ne ressemble en rien à ce que nous verrions à sa place. La seule certitude qu'il puisse avoir est le simple fait de se sentir bien en sa présence. Il ne va pas hésiter un seul instant avant de prendre place sur le dos du géant. Sa confiance est totale. La chose était si simple, dira-t'il plus tard.




"J'ai vu des scientifiques et des mathématiciens sérieux donner des conférences, or leur visages et leurs manières n’exprimaient rien de la certitude ou de la confiance solennelle de l'homme politique, aucune gravité mais une légèreté espiègle, comme s'ils étaient un peu gêné, comme s'il n'acceptaient pas totalement que d'autres personnes puissent être intéressées par ce qu'ils avaient à dire ou comme s'ils étaient vaguement mal à l'aise avec cette affaire de diffusion du savoir, tâche secondaire par rapport à la véritable profession, qui est l'investigation et la découverte elle-même. Mais à présent j'ai dans l'idée que cette apparence pourrait être l'état normal de quelqu'un qui côtoie la vérité. Le mathématicien ne peut compter sur son autorité de mathématicien pour le soutenir un seul instant. Ce n'est pas une modestie dans le caractère du mathématicien qui le lui dit mais quelque chose dans la nature des mathématiques elles-mêmes qui révèle l'absence de pertinence de sa personne. Si ses travaux sont justes, ses découvertes écrites sont à l'abri de toute attaque. L'autorité sous forme d'expérience, l'autorité sous forme de sagesse terrestre ou de charisme, ces types d'autorité-là sont impuissants. La conviction de l'homme politique est un substitut: ceux qui veulent que l'auditoire sache qu'ils sont certains dans leur tête ont rarement les raisons à exposer sur la page."*








Une famille

"Une famille c'est ce qui représente le tout. C'est le cœur d'une société. À partir d'une famille on peut tout-à-fait dresser l'état des lieux de la société."

Michael Haneke





 Au centre du monde, dans une obscurité parfaite, marche un aveugle. Il ne le sait pas. Si son monde n'est pas visible, il n'en est pas moins présent. Autour de l'aveugle des myriades de petites lumières nées de connections infinies de minuscules décharges électriques qu'il ressent le plus naturellement du monde... enfin de son point de vue. Certains diront que l'aveugle vit dans une sorte de replis intérieur pour se protéger de ce qui se passe dans le monde, mais l'aveugle lui ne sait pas cela et vit non dans un replis mais au grand air, comme tout le monde. L'ordre est un instantané pris au piège du désir... de son désir. Il ne dure qu'un temps. Et ce temps a comme principale qualité son instabilité. Rien n'est plus surprenant intellectuellement que de constater combien l'homme est préoccupé de compter avec une précision infinie, obsessionnelle et névrosée ce qui ne fait que passer et dont il ne pourra jamais posséder la plus petite des parties. Si le temps c'est de l'argent... alors nous sommes d'une pauvreté inégalable. La plus petite des distances que nous saurions prendre nous montrerait combien le monde que nous tentons en vain d'établir est vide de sens. Sur le chemin que d'autres, tous comme nous, ont déjà tracés, le moindre pas de côté est ressenti comme une menace. Pour notre plus grand malheur, ils c'est nous... Ce qu'ils pensent est notre propre pensée et sortir de cette pensée est une tâche infinie qui devrait se renouveler à chaque instant.





samedi 10 juin 2017

"Comme un enfant"

Il est difficile d'imaginer un monde dans lequel l'enfance aurait sa place. Non pas une place à part, mais une vraie place. Ni roi, ni sujet et surtout pas objet... Nombreux sont ceux qui pensent que l'enfant n'est pas un être responsable et que les visions du monde qu'il peut avoir ne sont point réalistes. Ils ont profondément raison. Mais ne serait-ce point dans son incomplétude que l'enfant serait une sorte de modèle. Aussi les adultes, censés être complets, feraient peut-être bien de se souvenir que leurs propres visons du monde sont, de fait, tout autant irresponsables... tout ce à quoi ils croient ressemble à s'y méprendre au monde d'un enfant mal élevé. Je ne parle pas ici de la gérance des affaires du monde mais de l'étonnante incapacité de découverte, d'émerveillement et d'adaptation...



L'enfant ne recherche nulle figure discernable dans les replis foireux d'une mémoire ancestrale, il se contente de ressentir face à ce qui est. Son esprit est entièrement consacré à ce présent dont il n'attend rien d'autre que ce qu'il sera et qu'il est déjà: "un lieu purifié, rendu à ses radiations énergétiques primitives [...] rayonnant au dehors et enveloppant en lui-même son secret."*


Platon l'Ancien, enfin redevenu jeune "comme un enfant", dira:

– Que ceux qui ont voyagé à travers le monde, invitant ceux qui voient et lisent se rende comptes de leur propre cheminement et combien ceux-ci sont redevables à des réminiscences de tous ce qui s'est entassé dans leur mémoire. "Après tout" il se peut que l'intranquille rougeoiement du feu de l'esprit puisse faire disparaitre la pâleur mortelle de l'ennui ou du conformisme. Trouver nos propres pensées et sentiments pourraient être la base de notre éducation. Faire l'effort d'une présence. Naviguer et lutter tranquillement pour suivre, même de très loin, un écrivain parfaitement inconnu qui pourrait penser un temps infini et dont les paroles provoquent des images qui, comme les nuages ​​se déplacent et se transforment au gré du vent, à leurs tours transforment celui qui les approche.

Platon l'Ancien est bien loin d'être hors du monde et les sombres colonnes de fumée qui barrent le ciel à l'horizon ne l'inquiète pas plus que le vol d'un papillon rêvant d'être l’origine d'un typhon.

– Je me doute bien de ce que cette sorte de discours peut faire surgir. Je n'ai plus l'âge d'y répondre longuement ni de me battre pour ces futilités... Il suffit de constater où nous a toujours mené ce qu'ils appellent la Politique, le Devoir et l'Obéissance...
Loin de moi l'idée que l'enfance soit un but en soi... L'idée que j'en ai n’en diverge pas moins de façon notable dans bien des cas de celles que j'ai pu observer chez tous ceux qui exercent un pouvoir sur cette enfance...









* La démesure, Michel Haar, Revue Épokhè no 5

Autant vous méritez...

"Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de pierres. À certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui tremblent au bord des cils. L'odeur volumineuse des plantes aromatiques racle la gorge et suffoque dans la chaleur énorme."*



« ... et si vous voulez mieux connaître l'amour que je vous porte, assurez-vous
qu'autant vous avez en vous, autant vous méritez, autant je vous aime, et pas davantage. »**


Platon l'Ancien aime beaucoup les poissons. Dans le monde de l'enfance, le face à face entre Platon l'Ancien et le Roi Lyre eût dû être effrayant pour l'enfant. Il n'en fut rien. L'enfant, debout sur son rocher, malgré les incessantes transformations du monstre, n'eut qu'à tendre la main pour que ses globuleux yeux s'approchent avec confiance, sans qu'aucune hésitation ne se fit voir ni d'un côté ni de l'autre. Il ne fallut guère de temps pour que l'enfant et lui prennent langue et accordent sans effort le rythme de leurs respirations qui bientôt n'en formeront plus qu'une. Entre eux, un langage secret si riche et si pauvre que personne d'autre n'eut pu comprendre s'était installé.

Si Platon avaient pu connaître l'avenir, il se serait vu dans le miroir du Grand Palais et aurait pu entendre l'écho des parole qui commencèrent dès ce jour-là de résonner.
Il était loin de se douter que ce qu'il vivait là compterait parmi les plus belles heures de son existence.




* Noces, Albert Camus

** Le Roi Lear, Shakespeare


vendredi 9 juin 2017

Le monde s'adapte

– Peut-être faut-il être fou, comme lui, pour essayer de contrecarrer la folie de l'homme.

Lentement les restes s'accumulent et forment des mondes étranges et deviennent à leur tour le domaine de ceux qui s’adaptent tant qu'ils n'ont pas disparus.