jeudi 31 janvier 2008

"De la force du gouvernement..."

Résumé:
Celui qui, en si peu de temps réussit à gravir les durs échelons de l'ascenseur social se sent pousser des ailes. Lorsqu'il remet pied à terre, les mots se bousculent dans sa gorge.
- "Il y a, dans toutes les sociétés, une classe d’hommes scrupuleux, vétilleurs et mécontents, qui ont des talents, de l’honnêteté, une mémoire implacable, et une vanité sans bornes. Ces hommes ne sont pas dangereux aux gouvernements, mais ils leur sont importuns. Ils ne les attaquent pas, mais ils les chicanent, les harcèlent, les fatiguent. Mettant un prix égal à toutes leurs idées, ils reviennent à la charge, avec une égale insistance, sur les questions les plus grandes et sur les plus petits griefs. L’importance qu’ils attachent aux choses ne naît pas des choses en elles-mêmes, elle naît d’eux: une opinion leur paraît consacrée lorsqu’ils ont pris sa défense, et comme ils ne voient le salut de l’État que dans leur considération individuelle, ils se font un devoir d’une persévérance qui, souvent appliquée à des objets, soit minutieux, soit irréparables, a le désavantage, alternativement, d’user leur influence, ou de la rendre fâcheuse, d’aigrir les hommes en place, ou de les accoutumer au blâme, et finit même par réunir ce double inconvénient." *
Le roi constate le bon fonctionnement de sa mémoire et de l'effet qu'elle produit sur ces sujets. Fort de ce qu'il réunit en lui-même. Il se prend au jeu.
Quan à Justin et Domitius, ils ont pris soin d'obéir en se plaçant de telle manière que l'ombre de leurs pensées ne puissent mettre en lumière le destin dont ils rêvent dans le secret de leur coeur.
Le Bonhomme Roi:
- Nous décrètons, dès aujourd'hui que ce type d'homme, dont parle si bien Benjamin, doivent, à tout prix, être éduqués. Cela se fera ici-même, sous nos yeux et sous ceux de mon peuple bien-aimé.


Le Bonhomme Roi:
- Ce sera vous deux, Justin et Domitius qui serez chargés de cette éducation.

* Benjamin Constant,De la force du gouvernement & de la nécessité de s'y rallier

mercredi 30 janvier 2008

Ultime recommandation


- Je vais de ce pas redescendre sur terre afin que mon peuple puisse m'interroger. Veuillez, Messieurs rendre la terre accessible à ma hauteur. Vous prendrez garde de ne pas faire ombrage à mon illustre couronne et ferez en sorte que mon peuple ne puisse en aucune façon douter de ses lumières.

mardi 29 janvier 2008

À la hauteur


Résumé:
L'homme choisi par Justin ne fait pas les choses à moitié. Il prend rapidement de la hauteur. Celle-ci aidant une légère sensation de vertige s'empare de lui.

L'homme:
- Je ne sais si je suis à la hauteur, mais il me semble que d'ici le monde change. Il me semble aussi que je puis, si je le veux, contribuer grandement à son renouvellement.

lundi 28 janvier 2008

Héros


"Le peuple veut des histoires où le héros, ayant franchi les pires épreuves, parvient transformé en haut de l'échelle de la création."

samedi 26 janvier 2008

Sublime abandon


En réalité, notre réalité, la seule qui peut nous être connue, est entraîné dans le mouvement de la Terre sur son orbite . En calculant très précisément, d'après la cinématique habituelle, il nous est aisé de voir que dans ces conditions, le rayonnement d'un seul finira par avoir la même trajectoire que celles de tous les autres et réciproquement. C'est cette réciproque qui est dangereuse et cause de désordre. Le temps que toutes s'accordent et le temps qui nous était accordé est épuisé. Ainsi, à l'instant magique où toutes ces lumières se réunissent enfin, le plus grand nombre d'entre elles ont déjà disparu et les autre s'apprêtent déjà à monter dans la barque. Si nous voulons connaître enfin, il nous faut devenir humble et accepter une seule et même lumière pour tout le monde. Ainsi nous aurons le temps, sans le perdre à réfléchir, de le voir éclairer l'ensemble merveilleux de notre réalité.

L'homme:
- Je serais comme vous: hommes demain, enfants de la lumière!

- C'est ainsi que s'allume le phare de notre civilisation que j'accepte sans hésitation de porter.


La foule médusée regarde avec amour ce sublime abandon

Couronnement


"Méfait qui prend le bien d'autrui
Roi ni prince n'avaient bâti
Tous étaient égaux sur la terre
A posséder ne songeaient guère.
Et bientôt on vit tous les jours
S'élever barrière et tours
Murailles à créneaux taillés,
Castels, villes fortifiées
De palissades, de remblais,
ils entourèrent leurs palais
De peur qu'ils fussent volés."


Jean de Meung

Résumé:
Notre homme nouvellement élevé sent monter un vent mauvais.
L'homme:
- Je veux plus haut encore m'élever. Que l'on construise autour de mes pensées une muraille d'or et de joyaux qui les décorent et sache les empêcher de s'envoler. Veillez aussi à ce que son éclat ne rendent point d'ombre à sa clarté. Qu'elle devienne pour nos sujets le seul objet de leurs pensées et les guide dans la sombre nuit de notre mémoire.

vendredi 25 janvier 2008

Les méditatives caresses de la foule

Justin, dans son nouvel état, n'atteint guère l'âge qu'aurait l'enfant nouveau-né de Rosa.
Justin:
- "Il y a déjà quelque temps que je me suis aperçu que", dans les premières années de ma précédente existence, "j'avais reçu quantité de fausses opinions pour véritables, et que ce que j'ai depuis fondé sur des principes si mal assurés, ne pouvait être que fort douteux et incertain; de façon qu'il me fallait entreprendre sérieusement une fois en ma vie de me défaire de toutes les opinions que j'avais reçues jusques alors en ma créance, et commencer tout de nouveau dès les fondements, si je voulais établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences. Mais cette entreprise me semblant être fort grande, j'ai attendu que j'eusse atteint un âge qui fût si mûr, que je n'en pusse espérer d'autre après lui, auquel je fusse plus propre à l'exécuter; ce qui m'a fait différer si longtemps, que désormais je croirais commettre une faute, si j'employais encore à délibérer le temps qu'il me reste pour agir".*

En effet, le temps presse. Si la foule s'est calmée en voyant l'un des leurs si bien flatté qu'elle sent que les caresses lui sont adressées, même si cela passe au travers de celui qui, au fond, les représente. Si cette foule qui jouit en oublie le temps pendant une fraction de celui-ci, elle ne tardera pas à se réveiller si l'intrigue qui la berce vient à se détendre.



L'homme:
- Qu'un flot de souveraines pensées flottant dans l'air rare et précieux de ces hauteurs me gonfle de joie, chasse ces puanteurs qui se répandent sous moi et fassent de moi ce que je suis.

* Méditations, René Descartes

Retournement

Résumé:
Tentant de maintenir la foule à distance de ses plus bas instincts, Justin instinctivement s'est servi de l'inclination naturelle de l'homme. Il lui a fait prendre de la hauteur. Repus et content l'homme heureux perd sa colère et tel un oiseau de proie, contemple de haut ce qu'il convoite de près. Il aime être flatté. Justin sait, par métier, dire les choses et "retourner le temps" sous la forme des questions. Il sait comment, avec patienc et doigté, il faut orienter la partie visible de la question pour que la partie invisible fasse son effet et ramène de nouvelles pièces qui commencent à rendre l'image du puzzle lisible... "Ces pièces sont là, sont dispersées au fond de la mémoires des uns et des autres, mais aussi dans les correspondances entre les corps et les âmes. Autrement dit entre la parole et le geste.

Justin:
- Je suis flatté, Monsieur,de pouvoir vous servir. Auriez-vous la gentillesse de me questionner de manière plus intense et profonde?

Mis en confiance. Flatté par celui qui se dit flatté. L'homme sur son trône prend ses aises et bientôt livrera le fruit de ses entrailles. Dans cet instant libérateur, son esprit qui, usant de sa propre liberté, suppose que toutes les choses ne sont point telles qu'il pensait. Son existence, se manifeste à son esprit au sujet duquel il n'eut jamais le moindre doute, le force à reconnaître qu'il est absolument impossible qu'il n'existe pas par lui-même. Ce qui est chose fort utile, d'autant que par ce fait il distingue aisément des choses qui lui appartiennent et voit à distance tout ce qui demain lui appartiendra.

jeudi 24 janvier 2008

Lendemain glorieux

Résumé:
Maréchal et Domitius ayant à peine achevé la sanglante et spectaculaire transformation du juge Tancrède doivent faire face à la foule circonspecte mais joueuse et toute prête à se laisser happer par les jeux de lumières des miroirs de l'enfance.



Domitius:
- Au lendemain glorieux de notre juste et belle évolution, la construction de l'homme peut être la plus grande aventure de tous les temps. C'est à cette aventure, chacun selon ses capacités, qu'il nous est donné de participer. Fondamentalement, cette construction repose sur l’apprivoisement de la violence qui a divisé les ânes et les hommes pendant des siècles et des siècles. Certes, cette évolution ne peut se faire sans heurts...

La foule passe d'un murmure de mécontentement aux gesticulations les moins discrètes face à ce qu'elle considère comme du pur "jus de neurones".

Maréchal: qui prend la relève
- La réunification d’un si grand nombre, des terres de l’Est jusqu'à celles de l’Ouest donne lieu à de graves tensions économiques et sociales, tandis que nous assistons également au développement au sein de notre société de courants intégristes dont les valeurs sont diamétralement opposées aux notres. Les hommes, qui ont trop longtemps été absent du processus de l’évolution de la société des ânes ne devaient plus demeurer à l’écart de sa construction et se devaient de réfléchir pour assurer le « vivre ensemble » et non la disparition, voire l'éradication de ceux qui les avaient honteusement réduits à l'ombre et au néant. Dans une Cité en pleine évolution, notre pouvoir naissant ne peut reposer sur ses lauriers et ne doit se replier sur son passé peu glorieux...

La Foule, en choeur:
- Cette fois, il va trop loin. Il dépasse les plus bornés !
- Qui nous dit que ce ne sont pas des ânes?


Domitius: qui reprend la parole
Aujourd’hui, les hommes doivent avoir le courage d'identifier les vraies valeurs et de promouvoir celles-ci, non seulement à l'intérieur de notre cercle mais aussi auprès de ceux qu'ils ont combattus. Chacun de vous aura la lourde tâche d'emmener avec lui un peu du rêve que nous allons produire en prenant l'initiative de la réflexion, de l’action et, si nécessaire, du combat. Je veux dire: le combat contre soi-même.

Justin n'en croyait pas ses oreilles. Domitius et Maréchal tenaient un discours politique aussi radicalement tranché et ambigu que ses défuntes oreilles. Il avait devant lui une horde d'illuminés aussi près de la folie que de l'émerveillement. Justin se dit que son tour était venu. Oubliant ses récents déboires, s'abritant derrière un sourire que les circonstances lui prêtait, il se dirige vers le plus petit, mais aussi le plus remuant de tous et l'invite calmement à le suivre.


Justin:
- Bonjour, veuillez me suivre je vous prie. Nous vous avons préparé un siège duquel vous pourrez constater à l'envi que tout peut changer selon votre point de vue... Venez, montez ces trois marches et vous verrez, c'est par là, près des guirlandes... Prenez garde de ne point tomber de là-haut, trois petits pas pour vous, Monsieur, mais un grand pas pour l'humanité tout entière...
L'homme flatté aux oreilles caressées se sent pousser des ailes. Il se tait, suit sans réfléchir et pense intensément :
- Il faut que je sois homme fort et fortuné, doué d'une beauté bientôt royale pour que ce grand homme fasse si grand cas de moi.
En un instant la lutte est oubliée et le miroir est traversé.



Justin:

- N'ayez crainte, Monsieur, et osez votre question, nous vous répondrons aussi véritablement que nous en sommes capables.

Le petit homme:
- Avez-vous arrêté Marcel et retrouvé Julius?

Comment cet homme pouvait-il être au courant de ce qui devait être plus secret que le plus grand des secrets? Un âne avait parlé et Justin avait promis de répondre. Savait-il qui il était?

mercredi 23 janvier 2008

Public aveu

Résumé:
Au moment où Justin, soutenu par Maréchal et Domitius, prend place parmi les hommes, la foule qui les a suivi prend place sur les gradins. Domitius n'a pas le temps de maquiller son nez encore ensanglanté. Cela fait sourire franchement et redonne immédiatement une sorte d'esprit enfantin à cette foule à l'aspect menaçant. L'énigmatique sourire figé qui fascine celui qui lui fait face n'est plus le seul pôle d'intérêt.


Domitius:
Tous les mots et gestes du spectacle que nous allons vous présenter sont la propriété exclusive des maîtres de ces lieux. Toute reproduction, hormis de brèves citations en précisant la source et l'auteur est interdite. Rien ne doit plus être identique à ce qui est déjà.
Nous ne sommes pas des bâtisseurs de mensonges, nous ne sommes au mieux qu'un reflet à votre image...


Sa voix flottait en un mouvement harmonieux tout autour de la piste et se répandait dans les oreilles sans que celles-ci n'eussent à faire aucun effort. Personne n'aurait pu dire qui parlait. Chacun de nous, en accomplissant les mêmes gestes que Domitius, avait l'impression que le mots sortaient d'eux-mêmes de notre propre bouche et sans doute en était-il de même pour tous les spectateurs.

Maréchal:
- Je vous fais public aveu : nous nous sommes proposé de vous représenter la vie, la vie des hommes telle qu'elle est et nous n'avons guère le dessein de désigner quelqu'un en particulier ! Qu'aucun d'entre vous "ne prenne donc pour lui ce qui peut convenir à d'autres aussi bien qu'à lui".
Domitius:
- Ne cherchez pas en notre image ce qui ne peut y être. Ce que vous cherchez, nous le cherchons aussi.

mardi 22 janvier 2008

Justin

Résumé:
En peu de temps, Tancrède est devenu un homme. Ses jambes peinent à le porter. Les premiers pas sont difficiles.


Domitius:
- Allons, il faut le mettre sur pied, j'entends au loin la foule qui nous suit. Dans un instant elle sera aux premières loges. Tiens toi debout Justin. À partir de maintenant tu t'appelles Justin et tu te tais. Le moindre mot pourrait te trahir. Regardes-nous et tu sauras que faire.
Justin:(Tancrède)
- Ma tête tourne!
Maréchal:
- Le monde est ainsi fait!

lundi 21 janvier 2008

" Théâtre en silence "

Résumé:
- Ce qui suivit la prise en main magistrale du couteau de Domitius ne vous sera pas entièrement conté. En commençant son travail, il ne fait que répéter les gestes qu'autrefois, longtemps avant lui, d'autres ont répétés à leur tour. C'est une opération délicate. Il ne faut faire aucun faux mouvement. Il faut "exprimer" l'interprétation, avec souplesse et élégance, en tenant compte du fond qui lui est imposé. L’art du geste est difficile à comprendre. Tout dépend du talent de l’interprète. Rien de ce qui se dit sous le masque ne doit transparaitre. C’est un mode d’expression qui exige un effort du public. Tout l'art du mime est dans le geste de la main et dans le geste du corps. En quelques mouvements rapides et précis, sans qu'un seul mot ne soit prononcé, le visage de Tancrède est silencieusement effacé de l'histoire.



Domitius:
- Te voilà "homme à notre image"!
Maréchal:
- Les desseins de l'évolution sont impénétrables, mon frère!

© Textes & images Daniel Will

dimanche 20 janvier 2008

Disparition


Résumé:
Tancrède et ses deux amis s'enfuient. La foule les poursuit.
Domitius:
- La foule veut des histoires simples qu'elle puisse comprendre et suivre avec facilité. Elle veut des histoires où le héros, ayant franchi les pires épreuves, parvient transformé en haut de l'échelle de la création... comme nous.
Tancrède:
- Comment? Que voulez-vous dire par là?
Maréchal:
- Il veut dire que tous les héros se transforment un jour. C'est la loi du genre et dans votre cas, cela me paraît le seul moyen de ne pas disparaître totalement.

vendredi 18 janvier 2008

jeudi 17 janvier 2008

Petit secret

Résumé:
Pour la troisième fois , Tancrède doit sa vie à Domitius qui l'a happé juste au moment où la porte de la grande salle était fracassée par la horde hurlante.
Tancrède:
- Quelle est donc cette salle que jamais je n'ai vue et dont je n'ai jamais entendu parler? Pourquoi n'a-t'elle pas été saccagée comme le reste du bâtiment? Je dois avouer que cela me surprend au vu des splendeurs insoupçonnables qu'elle recèle?


Domitius:
- Monsieur , nous vous avons servi depuis de longues années sans pour autant que nous nous considérions comme vos serviteurs. Vous ne connaissez pas cette salle pour la même raison que vous n'avez jamais fait attention à nous. Vous avez avez toujours fait comme si rien de ce qui ne vous apparait ne pouvait exister. Exception faite de votre célèbre "narrateur: cet être de lumière qui vit dans une ombre invisible et intangible. Nous aussi vivons dans l'ombre et il se peut que nous ne devions rien à votre invisible créateur. Il se peut que nous ayons à reprendre cette passionnante conversation. Mais nous le ferons en des temps plus clément. La pression est grande et il faut que nous sauvions les seules choses qui le vaille. Je crois que ce livre, qui à notre point de vue et plus certainement du votre vaut plus que tous les autres réunis, en fait partie.

mercredi 16 janvier 2008

Par la "petite porte"

Résumé:
Sur l'insistance de Domitius, Tancrède essaie vainement de se souvenir où il a pu le rencontrer avant de le croiser dans les couloirs de l'ancien Tribunal devenu cette bibliothèque enfouie sous les décombres qu'ils gravissent.
Ils entrent en cette gueule béante où git calciné ce qui en faisait la lumière. Les pages blanches grisées d'avoir dansé aux rythmes des flammes gisent nues et noires dans une nuit sans fin. Le moindre souffle les fait s'envoler, la moindre caresse les désagrège.


Domitius:
- Mon véritable nom ne peut qu'être inconnu dans vos archives, mais, sans me vanter, il se pourrait que certaines choses d'une certaine importance en dépendent un jour. En ce qui concerne les évènements de ce jour et ma conduite particulière, il ne faut pas vous attendre à ce que je dévoile ici mon nom ou l'histoire de ma famille. Peut-être qu'après ma mort ceci vous sera mieux connu. À présent il faut que nous nous hâtions sinon il n'y aura nul avenir à notre conversation. Je n'invente, hélas, rien. Laissez ce menu fretin et suivez-moi, j'ai quelque chose à vous montrer!
Dehors la foule avait fait tomber les porte extérieures et franchissait les quelques marches qui mènent à l'entrée proprement dite de la Bibliothèque. Tancrède, Maréchal et Domitius entendaient les "Guides" tomber les uns après les autres.


Domitius:
- Et bientôt c'est nous qui tomberons si vous vous attardez encore Tancrède. Ce serait pure catastrophe qui par son ordinaire cours amène la destruction de l'âme et du corps.
Tancrède:
- Où est Maréchal?
Domitius:
- Il est sorti par la petite porte.
Tancrède:
- Quelle petite porte?


Domitius:
- Sans trop réfléchir, par ici la sortie! Il n'y a plus rien qui vaille que l'on s'attarde...

mardi 15 janvier 2008

Souvenirs en fumée


Il leur fallu traverser une foule gigantesque qui se massait devant la bibliothèque, qui, du dehors, ne laissait rien prévoir de ce qui s'était passé à l'intérieur. Tancrède sait entrer discrètement par une petite porte dérobée, bien à l'abri de la multitude que l'on entend gronder comme un "Message du peuple à lui-même".


Tancrède peine à reconnaître ce qui fut hier encore le joyau reconnu du pouvoir. D'un air grave, sans se laisser distraire, il guide ses deux protecteurs. Sans eux, il n'eut pu traverser vivant ce fleuve aux formes et aux dangers incertains.
Domitius:
- Un bon guide pour un bon passeur!
Tancrède:
- Je me souviens maintenant...



Domitius:
- Ce n'est qu'un début Tancrède! Remonte encore le cours du temps.

lundi 14 janvier 2008

Dans le lit de la nuit


Résumé:
Tancrède a réagi et par ce haut-fait a repris le dessus sur son destin et commun avec celui de Maréchal et Domitius. Mais il ne parvient pas à maintenir la pression.
Domitius:
- Je suggère à votre excellence que nous retournions à votre bureau. Il y a là-bas une série de documents qui n'ont pas été détruits.
Tancrède:
- Pourquoi auraient-ils été détruits?
Maréchal:
- Parce que le palais de justice, la bibliothèque si vous préférez, a été incendiée.
Le juge est de plus en plus troublé. Il eut été facile aux deux compères de prendre un ascendant total sur lui.
Domitius:
- Venez Tancrède, enveloppez-vous dans ce drapeau et restez tout contre nous. Surtout prenez garde de ne pas vous éloigner!
Maréchal:
- Vous êtes peut-être le dernier!
Tancrède fait fi du danger et lui fait confiance. Voyant clairement ce à quoi faisait allusion Domitius, Tancrède, préférant se soumettre à une autorité qu'il peut connaître, demeure sourd et indifférent aux appels du narrateur qui voudrait le voir triompher.
Métaphore orgueilleuse et convenue, le Palais brûlé, détruit, pourra enfin révéler ses secrets trésors.
Domitius:à l'insu de Maréchal
- Te souviens-tu de moi?

Tancrède est à nouveau troublé. Il pense à toute ces débauches et toutes ces rencontres "de tous ordres" qui ont eut lieu dans l'établissement de Rosa. Le bordel était situé à l'opposé du Grand Temple, à l'extrémité ouest du pont. Là ou le soleil se couche dans le lit de la nuit et de ses servantes et servants. "Le plus Haut des Lieux consacré à l'égalité" où chacun n'apporte que ses secrets les mieux gardés et laisse à la porte tout ce qui peut être séparé pour ne former qu'un seul et même corps: "Tous pour un et un pour tous", émanation du plaisir suprême.
Tancrède, aidé par le narrateur essaie de retrouver un peu d'esprit:
- Je...
Domitius:
- Bien avant cela!
Que pouvait signifier cette réponse? Sinon que Domitius, au grand dam du narrateur, savait à quoi pensait Tancrède.

dimanche 13 janvier 2008

Éloignement

Résumé:
Jusqu'à ce jour, Tancrède se sentait bien plus proche de Terpsion, souvenir lointain mais si vivant, l'âne avec lequel il apprivoisa l'art difficile de la piste, avec qui il partageait ses jours, ses nuits et la majorité de ses chromosomes que de son père Euclide dont il est censé être l'héritage. Aujourd'hui, il sent que les hommes, dont font partie Domitius et Maréchal ne sont peut-être pas si éloigné de lui qu'il imaginait.

- Certes, dans une certaine mesure, ils s'imposeront à nous par le nombre malgré le fait que je les ai vaincu ce jour. Ce ne sera que partie remise et il se peut que nous ne tardions guère à disparaître à leur profit. Ainsi donc, le jour où je me libère de mon créateur et du destin qu'il prétend me tracer, je m'aperçois que je vais disparaître par le fait d'une autre de ses créatures avec lesquelles je n'ai guère plus de différences qu'avec Terpsion!
L'interrogatoire reprit, mais cette fois c'était à nouveau au tour de Tancrède de poser les questions. La méthode que Maréchal et Domitius venaient de lui enseigner lui fut bien utile.
Tancrède:
- Pourquoi recherchez-vous Julius?


Maréchal:
- Il est l'âme de la révolution.
Tancrède:
- Quelle révolution ? Il n'y a pas eu de vraie révolution, nous n'avons pas eu le temps, ni les moyens de...
Domitius:
- Il ne s'agit pas de vous, mais de nous. Pendant que vous vous étiez réfugiés dans cette maison que nous surveillions, il s'est passé de grandes et belles choses.
Mais il y en eut aussi d'aussi sombres...



Maréchal:
- Après les événements du théâtre, nous sortîmes des bas-fonds, des chantiers où l'on nous gardait prisonniers et où nous vivions comme des chien et des rats. Nous nous regardions furtivement les uns les autres avec surprise, mais une certaine distance polie continuait de nous séparer.
Mais nous n'en sommes pas restés là très longtemps. Certain d'entre nous reconnaissaient des personnalité de l'ancien régime. C'était votre cas. Des personnalités responsables des "Hautes sphères" comme vous vous plaisiez à vous appeler, Monsieur le Juge.
Tancrède:
- Comment et à quoi les reconnaissaient-ils?
Domitius:
- Un petit nombre d'entre nous travaillaient régulièrement dans toutes sorte de circonstances. Personne ne nous voyait ou personne ne voulait nous voir. Cela ne se fit pas du jour au lendemain, mais d'une certaine manière nous étions devenu indispensable. Ainsi, moi je vous connaissais depuis fort longtemps...
Tancrède: sent le danger d'un trop grand rapprochement
- Reprenez votre récit!
Maréchal
-Il y eut des affrontements. Bien que moins bien armés que vous, nous nous en sommes sorti, nous ne savons encore comment. Un jour c'était eux qui nous poursuivaient, le lendemain c'était nous. Dans les rues se répandait un sang dont personne ne pouvait dire à qui il était.
Le Juge était démasqué... Ils marquaient un point. Il lui fallait reprendre de l'ascendant.


Tancrède:
- Soyez plus précis et ne vous perdez pas dans les détails! Combien de temps sommes-nous restés dans cette maison, Rosa, Sophia et moi?
Maréchal:
- Rosa, Sophia et vous êtes restés huit mois dans cette maison. Le bébé n'y est même pas resté un jour. Vous pensez bien que l'on ne vous a jamais "perdu de l'oeil!"
Ils savaient pour le bébé.
Tancrède:ému, se fourvoie. Au lieu de les questionner à propos de ces deux femmes et de leur bébé pour rester dans le droit fil de la narration:
- Marcel est-il revenu?
Domitius:
- Qui est Marcel?
Emporté par un élan inconscient, Tancrède venait de commettre une erreur. Le narrateur reprend le dessus. Si Tancrède continue ainsi, son destin s'écrira sans lui.
Tancrède:
- C'est moi qui pose les questions ! Contentez-vous de répondre selon mon désir. Où se trouvent-ils?
Maréchal:avec un soupçon de légère ironie
- Je ne sais de qui vous parlez et ne puis vous questionner.
Cette si petite pointe de sarcasme l'empêchait de se dominer. Il en est troublé devant cet homme avec qui il ne partage que peu de chose. Mais une force invisible se dévoile au delà de ses mots, qui le met à nu.

Cette fois, c'est du réel...

Cette fois c'est du réel et l'action enfin démarre. Tancrède, d'abord surpris et terrorisé devant l'apparition de son bourreau, ou du moins de l'instrument de celui-ci, comprend en un éclair qu'il doit réagir. Il transmet cet éclair "de la même façon que le créateur le transmet à celui qui écrit" : directement de l'idée à la main!".


Dans le même mouvement, sans que son cerveau ne se mit en branle, Tancrède sent monter en lui une vision nouvelle pendant que Maréchal ressent exactement la même chose mais en sens opposé.


Tancrède, aussi surpris des deux gestes qu'il a commis que du fait d'avoir autant grandi en si peu de temps, se sent libéré et comprend aussi que le temps ne passe pas.
- Ce sont les ânes et les créatures qui ne font que passer. Ce qui ,finalement, les rapproche plus qu'il ne le sépare.



Tancrède:
- Par ici Messieurs, veuillez me suivre, je vous prie ! Si le temps ne passe, il a un sens, tout de même!
Tancrède avait fait "d'une seule pierre: deux coups". Ce qui pour effet de relancer l'histoire et par ce fait, de lui faire retrouver espoir de se libérer un jour de ce créateur, omnipotent jusqu'à ce jour.

samedi 12 janvier 2008

Premier coup de théâtre

Résumé
Maréchal et Domitius interrogent rudement Tancrède qui ne sait se défendre qu'en arguant de son irresponsabilité. Il n'est, dit-il, que "la chose animée d'un créateur". Ce qui irrite Maréchal et Domitius. Celui-ci brandit le "baston", relique de la jeunesse de Tancrède, et s'apprête à le battre.
Domitius
-Dites-nous, sans broncher, que nous ne serions que la production forcée du cerveau d’un autre homme?


La réaction...

vendredi 11 janvier 2008

Interrogatoire

Résumé
Maréchal et Domitius sont chargé de retrouver Julius. Ils soupçonnent, non sans raisons, l'ancien juge Tancrède d'y "être pour quelque chose". Ils l'ont suivi depuis des semaines et ont fini par l'arrêter. Emmené de force, Tancrède résiste du mieux qu'il peut aux "mascarades troublantes" de ces inspecteurs bizarres.



Domitius:
- Alors, Tancrède, avez-vous réfléchi à ce dont nous vous avons fait part hier? Nous ferez-vous ce jour, sans le déguiser, un rapport plus sincère?
Maréchal :
- Qu'avez-vous de nouveau à nous raconter afin que notre quête avance?
Domitius :
- Ou que nous avancions dans notre quête...
Avant que Tancrède puisse répondre, Domitius jaillit hors de la scène en s'excusant :
- J'ai oublié un petit accessoire qui va nous être bien utile !
Maréchal :
- Et qui devrait stimuler votre mémoire...


Domitius
- Et voilà !
Maréchal
-Tu reconnais le"baston"?
Domitius
- Celui là même qui te fut si proche quand ton père s'en servait...
Maréchal
- Tu nous disais hier que tu n'étais pas l'auteur de ce que tu écris. Que quelqu'un d'autre, que tu montrais en pointant le doigt vers le ciel, te dictait ce qu'en ce moment-même ta main trace en tremblant.
Domitien
"Et si je m'abuse à lire en votre âme
Il vous commandera de répondre à sa flamme."*

Maréchal
- Devons déduire de cette hérésie que nos paroles et nos acte, tout autant que les vôtres, ne seraient que le reflet des pensées de cette connaissance, "personne d'esprit" pour le plus grand bénéfice de son originalité?

*

jeudi 10 janvier 2008

À cheval sur la forme


- Monsieur Tancrède, écoutez-moi bien. Votre histoire est finie.
Je ne savais si c'était Domitius ou Maréchal qui me parlait et qui, joignant le geste à la parole, m'enleva prestement le manuscrit que j'étais en train d'écrire. J'étais simplement stupéfait par la clarté de son élocution et par la violence de son geste. Je mis un certain temps à essayer de comprendre. Est-ce que ma dernière heure était venue ?
- Il n'y a rien à comprendre, me dit-il. La seule chose que "nous" devons comprendre et qui importe se résume à ceci : Où est Julius ?
- Pourquoi le cherchez-vous ?


- C'est nous qui posons les questions, mon cher Tancrède, et cessez de réfléchir en tous sens. De plus, dès maintenant, nous allons être à cheval sur la forme... Il n'est plus question que vous écriviez n'importe quoi, n'importe comment. Nous avons assez perdu de temps en nous efforçant de comprendre ce que vous ne parvenez pas à faire démarrer. Nous sommes las, fatigués de vos belles phrases qui ne nous emmènent nulle part. Nous allons vous laisser une petite chance. Et pour cela nous vous prions de nous obéir en tous points et de cesser de vouloir inventer.
Je voulus protester, rétablir la vérité. Dire que je n'inventais rien. Que ce qui était écrit par ma main n'était que le résultat de pensées qui n'étaient pas les miennes...
- Et de qui "seraient" ces pensées? me répondirent-ils d'une seule voix en insistant sur le "S" de la supposition.

Héros


"Héros souriants atteignant le haut de l'échelle sociale"

Enthousiasme


Pendant que Tancrède s'émerveille sur son passé en regrettant que l'histoire ne puisse se mettre d'elle-même dans un ordre chronologique tel qu'elle puisse être comprise sans effort, le lecteur s'ennuie et pense qu'il a déjà fort à faire avec sa propre histoire. Ce qui, naturellement, est vrai, mais pas toujours grisant. Il rêve à des "héros" simples, rationnels et courageux qui sauraient le guider sans dangers aux confins d'un réel dont il espère être compris.

mercredi 9 janvier 2008

Dans l'ombre de la forme


Sans en avoir l'air, mon père s'arrangeait le plus souvent pour que que je ne puisse immédiatement saisir ce qu'il me poussait à faire et à comprendre. À mon timide questionnement, il répondait invariablement par l'inusable, universel et stupide :
- Tu comprendras plus tard...
Mais il ajoutait toujours quelque chose qui, bien que restant obscur, m'intriguait bien au-delà de ce qui me paraissait normal.
- Il en est de ce que te dis comme comme de cette ombre qui de mon pied jusqu'à son prolongement dans celle du bâton et de son prolongement dans celle de ton pied n'attend que le moment où, le monde étant révolu, tout sera inversé.
Je ne comprendrais que beaucoup plus tard la multitude de signes et de symboles qu'il utilisait au-delà des apparences de la forme.
"Alors l'âme entendra, et se souviendra."

mardi 8 janvier 2008

Un léger doute


Pour qui se donnait un peu de peine, un léger doute pouvait se lire sur le visage dubitatif de mon père quand nous nous appliquions à précéder les ordres qu'il allait nous donner. Il est vrai que cette petite manifestation d'humeur contrastait avec sa belle assurance. Dès lors qu'il n'était pas aussi dupe que nous l'avions espéré, il nous fallu inventer sans cesse. Ainsi, sans que nous ne nous en rendions comptes nous procédions exactement de la manière qu'il avait prévue.
C'est un fait bien connu que les méthodes de développement psychique diffèrent selon les professeurs, non seulement parce qu'ils appartiennent à différentes écoles de pensées, lesquelles sont innombrables, mais aussi parce que chaque Maître a son propre système, à propos duquel, en général il reste discret. Au delà de certains détails, cependant, la méthode de mon père ne s'éloignait pas de manière très conséquente de ce qu'il est convenu d'appeler le bon sens paysan. À moins de considérer que le Maître soit un simple tyran au bénéfice d'une force supérieure, n'en sachant guère plus que ceux qu'il instruit, il faut bien avouer qu'il avait su faire naître en nous un sentiment de "révolte subversive" qu'il entretenait de sa manière simple, virile, le plus souvent fruste mais non dénuée d'une certaine finesse. Quant à sa droiture légendaire, symbolisée par son célèbre "baston", qu'il pensait pouvoir imposer à chacun...

lundi 7 janvier 2008

Dans la nuit


Quand les aveuglantes lumières de la terre faisaient fait place à celles, beaucoup plus subtiles et changeantes, de la nuit, le cours des choses reprenait sa juste place. Derrière les rideaux fatigués, les colonnes déglinguées, la peinture et les ors fatigués, Tancrède et Terpsion s'allongent. Sur la paille et la poussière, un peu à l'abri des courants d'air, sans un bruit, sans un mot, sans un murmure ni claquement, libérés des apparences du spectacle, ils respirent librement de l'autre côté du rideau et s'imprègnent de l'infini de la nuit, de cette liberté délaissée par les âmes endormies. Sans répit, chaque petite parcelle de lumière joue avec les autres, se reflétant sans cesse en qui le veut et Tancrède lit encore.
- Quand j'arrête de lire, les étoiles s'en vont sans bruit rejoindre d'autres rêveurs...
Bientôt, Euclide et sa raison reprendront possession du monde. Chacun reprendra le rôle qui lui a été attribué et fera semblant pour quelques brefs et lointains applaudissements, un maigre morceau de pain et peut-être quelques caresses en espérant revoir bientôt ces rêves fuyants dans l'ombre des étoiles.
"Avant que l'âme puisse entendre, l'image sera devenue sourde aux fracas comme aux murmures, aux cris des éléphants rugissants comme au bourdonnement argentin de la luciole d'or."

dimanche 6 janvier 2008

Abstraction et réalité


Ainsi le jeune Tancrède n'eut guère d'autres possibilités que de se mettre à lire en chevauchant les ânes de son père. Pour lui rendre justice, celui-ci eut l'intelligence de le laisser faire. Il écrivit en marge de son traité : "il faut reconnaître que le la capacité qu'a Tancrède de maîtriser ces ânes non-châtrés, enclins à mordre et difficiles à gouverner est tout-à-fait remarquable. Moi qui ai déjà de la peine à lire dans le confort douillet de mon salon je ne puis qu'admirer la tenue de sa lecture au grand galop qui peut être regardée comme une oeuvre magistrale et cela dès sa septième année. Si je n'avais crainte d'encourager ce penchant, je me demanderais si cette lecture ne prend pas une part active à l'éducation de sa monture tout autant que de lui-même ?"
- Cela m'obligea, dira Tancrède, à concilier l'abstraction et la réalité. La réalité est qu'en fait je lisais de telle manière que je ne sois entendu que par ma monture. Ce n'était pas une articulation banale et conforme aux traditions en vigueur mais un chuchotement alterné avec des périodes de sifflement plus ou moins aigus à un point qu'il est difficile de mieux décrire que cette citation du petit traité de Xénophon, qui je m'en doutais avait très certainement servi de modèle à mon père :
... "Il est bon de s’accoutumer à être calme, surtout sur un cheval ardent, et à le toucher le moins possible en toute autre partie que celles qu’on touche pour assurer son assiette. Un précepte bon à connaître, c’est qu’on adoucit un cheval en le sifflant et qu’on l’excite en claquant de la langue. Mais si au début vous le traitez doucement après un claquement de langue et durement après un sifflement, il apprendra à s’animer au sifflement et à se calmer au claquement." *



* Xénophon, Le traité de l'équitation

samedi 5 janvier 2008

"La lecture ne remplace pas les actes!"

Si le père du juge Tancrède ne méprisait pas la lecture, il ne l'encourageait guère. Il faut dire que le jeune Tancrède avait la tendance, fâcheuse du point de vue de son père, de lire énormément. Il lui avait fait broder cette sentence sur le fond de son pantalon.
- "La lecture ne remplace pas les actes! Et seuls les actes peuvent effacer les mots."
Cela, il faut l'avouer, eut un effet certain sur la détermination de Tancrède. L'espoir, certes lointain de l'effacement de ce qu'il considérait comme sa honte le poussait au travail.
De plus, cette sentence qui contenait une petite part de mystère dont l'espoir de sa résolution empêchait le garçon de sombrer. Il n'était d'ailleurs pas impossible que Euclide l'ait formulée à ce dessein. Ainsi à chaque fois qu'il se mettait en selle* et que la fatigue se faisait sentir "sur les fondements de l'être" il ne pouvait pas ne pas y penser d'autant plus que son père, lui, ne se fatiguait jamais pas de la lui rappeler. La somme de toutes ces sentences avait fini par former ce qui allait devenir, pour une part, ce petit traité dont nous avons déjà parlé.
- "La répétition ne doit jamais être un acte automatique, mon fils, elle ne peut être qu'un présentation nouvelle de ce que tu ne sais pas encore et que tu n'auras jamais fini d'apprendre !"

* Il faut noter que la formule est impropre puisque le jeune garçon devait monter à cru. (ndr)

Révérence


Tancrède mettant de l'ordre dans sa mémoire se rend compte de l'infinie diversité des images qui la compose.
- Jamais je ne croirais que cet enfant que vois aussi nettement que s'il était là, sous mes yeux, puisse être celui que j'ai été. Et pourtant tous les éléments qui la composent sont absolument conformes à ce qu'ils ont été. Qu'est-ce qui fait que cela puisse ne pas m'être familier ? Si la scène que je vois me restitue fidèlement la peur que je ressentait quand mon père faisait s'agenouiller cet être gigantesque répondant au nom bizarre de Terpsion. Si je dis qu'il répondait à son nom, ce n'est pas par commodité de langage, mais parce qu'il répondait bel et bien...
C'est à ce moment précis que retentissait la phrase habituelle :
- Vois mon fils, c'est ainsi que plus tard le monde t'obéira ! Et pour cela tu dois apprendre toi aussi à mettre un genou à terre.

vendredi 4 janvier 2008

Éducation


Euclide, père de Tancrède, était resté dans les mémoires de l'ancienne cité pour avoir écrit un petit traité d'équitation dont le seul exemplaire restant orne la bibliothèque du juge devenu professeur.
"Je ne suis que le produit de tant de maîtres qui m'ont précédés et du fol espoir de les surpasser. Je leur sais gré de m'avoir enseigné de commencer l’examen de l'âne par les pieds, tandis que tant d'autres commencent par la tête. Par le travail incessant auquel je me suis livré depuis plusieurs années, je ne reconnais les qualités d'un âne qu'au travers de la qualité du son produit par ses sabots. Je reviens sans cesse sur le principe premier qu’il ne faut pas contraindre sa monture par le muscle, mais la gouverner par la tendresse et l'espoir que l'on doit être capable de susciter en elle. En effet, comme le disent les anciens, dans ce qui agit malgré lui, l'âne ne met pas plus de connaissance et de grâce qu’un enfant à qui l'on commanderait avec une virile ardeur et à qui l'on ferait tâter du bâton."
Si ce dernier point faisait sourire Tancrède, c'est que son père, si compétent en matière d'ânerie, ne savait pas toujours accorder ses geste à ses pensées, et cela tout particulièrement quand il s'agissait de l'éducation des enfants. Il a pu très souvent en faire le constat "de première et lourde main" et les arabesques de son bâton n'étaient pas, et de très loin, aussi légères que celles des sabots de ses ânes.
- Je dois reconnaître que pour ma part, l'examen des traits d'un visage me renseigne très précisément de ce qui peut l'habiter. Mais je crois que, en conformité avec ce que dit mon père, et bien qu'à mon tour je détourne ces mots qu'il a lui-même détournés de ses maîtres, l'écoute du son produit par le maniement de la canne et du bâton restera pour moi la première et unique source de vérité sur la main qui les tient. Quand je regardais le bâton de mon père, je voyais à la manière qu'il avait de le tapoter légèrement au creux de sa main et du léger ton étouffé que cela produisait qu'il attendait de moi que les sons que j'allais produire ne diffèrent pas de ceux-là. Je dois avouer que dans ce souvenir-là, il me paraissait grand et cela n'était pas sans me rappeler étrangement l'image de la marionnette de Marcel...

jeudi 3 janvier 2008

Terpsion


Tancrède a passé sa jeunesse dans le cadre merveilleux du cirque et de ses mystères. Mystères d'autant plus grands du fait qu'il n'était qu'un enfant et du fait aussi de la double personnalité de son père qui l'impressionnait autant qu'elle impressionnait les ânes sauvages qu'il savait élever "à des hauteurs insoupçonnables". Il en fut ainsi de l'âne connu plus tard sous le nom de Terpsion. Si le père de Tancrède avait choisi de s'appeler Euclide en tant qu'artiste, ce n'était pas sans raisons. En premier il lui rappelait Platon, nom d'artiste de son propre père et en second, il lui rappelait son propre génie : le génie de la géométrie et de "tout ce qui est caché" qui est ce que "l'homme a pour tâche de découvrir".

" Le monde où nous vivons n'est pas à notre taille et nous n'avons le cœur sans faille,
Dresse ton bâton sur ta cuisse, vaillant compagnon,
Dans le faste et l'éclat va, vaste lumière resplendissant à tout-va
chevauche, dans le lointain comme dans le proche va-et-viens
pour la cause de la vérité, de la justice et de l'impiété.
" *

* Extrait du "Petit traité d'Ânerie à l'usage des chevaliers et autres servants"
Publié à comptes d'auteur par le sieur et viril palefrenier nommé Euclide

mercredi 2 janvier 2008

Le Théétète


Toujours le même et pourtant toujours différent, Tancrède le sait fort bien :
- Je ne peux être aujourd'hui ce que j'étais hier...
et pourtant il ne peut s'empêcher de penser à Julius en qui il se reconnaît un peu et puis en cet enfant qui est né devant ses yeux dans le silence si complet qu'il se met à douter de cette forme de réalité.
- Il se peut que Julius, lui-même enfermé dans ce que j'imagine être le même silence, ne peut se douter de la réalité qui est la notre. D'ailleurs, je me demande ce qu'un enfant comme lui est capable d'imaginer.
Fascinante interrogation qui le mène au delà de sa propre histoire. Il essaie de retourner au début de son histoire, quand, bien caché derrière un rideau, il regardait avec émerveillement son père qui donnait leçon. Il ne s'étonnait pas du fait que fait que son père dialoguait avec sa monture. Depuis toujours il l'avait entendu faire ainsi.
- Viens-tu d’arriver de la campagne, Terpsion, ou y a-t-il longtemps que tu es de retour ? *

* Le Théétète, Platon

mardi 1 janvier 2008

La longue marche


Toute histoire possède un début, une cause, voire plusieurs causes et donc plusieurs débuts, tous inatteignables, dans lesquels le héros se retrouve empêtré comme l'hélice dans les algues d'une lagune trop riche. Le juge Tancrède, tout comme Marcel peine à maintenir le cap de son histoire dans le flot ininterrompu de questions, qui restent bien évidemment sans réponses. Encore une fois c'est Julius qui vient le sauver. Désespéré devant ces créatures monstrueuse qu'il a conçu lui-même dans les secrets méandres de son trop riche cerveau, Tancrède entend venir à lui l'enfant. Une simple mélodie, une vraie chanson de marin, une chanson venue des bas-fond qui le tire vers le ciel aux allures portantes et aux recommencements infinis et incertains, aux antipodes d'une musique intelligente et savante, le tire lentement de ses rêveries bien trop réelles.