Hasard

 

– Il en est des univers visuels de chacun comme de celui des idées, ce sont de véritables organismes protéiformes vivant dans les intérieurs profonds de chacun de nous. Certains sont dépourvus de membre mais réussissent sans problème à bouger, à se nourrir et se reproduire... Dans la vie de l'enfant Lune, ce qu’il perçoit est comme le temps cela ressemble à deux formes principales: celle d’un récit incompréhensible, qu'il se fait et celle exercée par le hasard.

– Quel hasard?

– Celui qui œuvre pour et avec lui et celui dans lequel vit celui qui le voit…

– Cela fait beaucoup…

– Dans tous les cas, c’est la dimension mystérieuse, du récit ou du hasard, sans que la frontière ne soit réellement perceptible, qui attire l'enfant voyageur malgré lui. Et c’est ce mystère qu'il n’a de cesse de sonder, en vain... Car le mystère résiste.

Vision du monde

 

– Croyez-vous que nous ayons notre propre vision du monde?
– Que voulez-vous dire par là?
– Est-ce que notre vision du monde diffère de celle de notre maître?
– Elle en diffère par de minuscules… infiniment petits détails… et c’est en cela que l’on peu dire… que notre vision est différente… regardez !

– Je regarde…

– Que voyez-vous?

– Difficile à dire…

– Mais encore!

– Je vois l’enfant Lune…

– Que fait-il?

– Il s’agite…

Rupture

 

– Que faisait là l’enfant Lune?
– Qui peut savoir?

– Était-il là par hasard?

– De toutes choses on ne peut savoir complètement par avance…

– Que voulez-vous dire?

– Je voulais dire qu’au-delà des prédictions, destins ou prophéties, notre maître disait que ce qui «se passe», ce qui «se produit», serait presque toujours une rupture…

– Une rupture de quoi?

– Une rupture dans le temps…

– Comment le comprenez-vous?

– Je ne fais que vous répéter ce qu’il dit!..

– Mais encore… vous avez bien une petite idée…

– Je pense que la continuité…

– La continuité de quoi?

– Celle du temps à laquelle nous croyons…

– Eh bien?

– … selon notre maître, est une croyance…

À la frontière

 

– Dans quel sens comprend-il le mot sens ou plus simplement que cherche-t’il?
– Il cherche un sens qui n’a jamais été… la possibilité d’une autre réalité…

– Cela se peut-il?

– La création de sens est à la frontière de l’impossible…

Sens

 

– Pourquoi l’enfant Lune, brusquement disparaît?

– Je crois qu’il cherche…

– Que cherche t’il?

– Peut-être s’agit-il d’une recherche de sens…

– Dans quel sens?

– Vous le savez bien… le mot sens en a plusieurs…

Rupture dans le réel

 

– Que se passe t’il?

– Un enfant, probablement attiré par la musique, est arrivé…
– Qui est-ce?

– On l’appelle… enfin… notre maître l’appelle l’Enfant Lune…

– Pourquoi ce nom?

– Probablement parce qu’il paraît souvent être dans la Lune… enfin… c’est ce que l’on dit.

– D’où vient-t’il?

– Notre maître dit qu’il vient d’une rupture…

– Quelle sorte de rupture?

– Un rupture dans le réel…

– Je n comprend pas.

– Si vous voulez on pourrait parler de de rupture dans l’enchaînement des causes…

– Vous voulez parler de hasard?

– Non, plutôt d’une fissure dans la nécessité causale…

– C’est parfaitement irrationnel!

– Détrompez-vous. Ce n’est que l’irruption du nouveau…

Il va et vient

 

– Oyez! Oyez! Bonnes gens… l’histoire sans fin d’un monde imparfait…
– Qui est-ce?
– Il va et vient de je ne sais où…

– Le voyez-vous souvent?

– Le plus souvent je l’entends…

– Que chante-t’il?

– Certains disent qu’il chante notre histoire…

– Il me semblait que notre histoire est plutôt racontée par notre maître et créateur!

– Il se pourrait que ce musicien chanteur soit l’image… une image qui le représente…

– Qui représente notre maître?

– C’est cela…

– Mail ne lui ressemble pas du tout!

– Pour nous non… mais ceux qui ne l’ont jamais rencontré ne peuvent le savoir…

Mémoire

 

– Du fond de l'ombre, par un simple soupir, ainsi dévoilée, remontent en flottant certaines idées comme des morceaux de mémoire.

Debout

 

– Il a toujours un intervalle… un entre-deux... 
– ... mais entre deux quoi?
– Entre-deux, c'est tout...
– Votre phrase ne veut rien dire… sans autre précision elle ne tient pas debout!
– Il est plusieurs façons de se tenir debout...
– Cela. je le vois bien, mais pour ce qui est de l'entre deux, je ne le vois pas...
– C'est parfaitement compréhensible.
– À quoi faites-vous référence?
– Au fait que vous ne voyez pas l'entre-deux... 
– Pourquoi cela?
– Parce que c'est précisément ce qu'est, en partie, l'entre-deux. Il arrive souvent qu'il soit invisible.
– Vous avez dit: en partie, quelle serait l'autre ou les autres parties? 

Ce souci qui est la foi

 

La confusion du «bien-dire» du «mal-dire» ne signifie pas la possibilité de dire et de faire n'importe quoi mais celle de sortir de l'opposition des valeurs toutes faites (Bien/Mal) en se donnant la possibilité de créer une nouvelle réalité, de faire surgir de nouveaux possibles auparavant invisibles.

Lire aux éclats, Éloge de la caresse, Marc-Alain Ouaknin, p. 244, Points

 

 

– Vous me parliez encore de la foi... Je suppose que vous allez reparler du doute!

– N'en doutez pas...

– Je n'ose point dire que je n'en doute pas...

– Pourquoi cela?

– C'est vous qui l'avez dit: la foi serait associée à la notion de doute... mais je vous fait confiance... continuez, je vous prie!

–  Vous faites bien de parler de confiance...

– Pourquoi? La foi et la confiance seraient-elles parentes... cela m'apparait soudainement évident!

– Plus que cela, les deux mots ont la même origine... et il faudrait ajouter la croyance à ce duo!

– Tout cela est intéressant mais je ne sais toujours pas comment et pourquoi la foi et le doute sont liés!

– Ils sont liés comme le jour et la nuit sont liés... comme la vie et la mort... comme...

– Comme le début et la fin!

– C'est cela... Mais écoutez ce que dit Rabbi Nahman:

 

«Ai-je la foi? De cela, je ne puis avoir aucune certitude immédiate; car la foi est précisément cette oscillation dialectique qui, dans le tremblement et la crainte, ne désespère pourtant jamais, Elle est ce  souci infini au sujet de soi-même, se souci de savoir si on a la foi; et c'est ce souci qui est la foi.»

Lire aux éclats, Éloge de la caresse, Marc-Alain Ouaknin, citations de Rabbi Nahman, p. 231, Points

Retour à la foi

 

" Entre nous, il y avait, comme je l'ai déjà dit quelque part, le lien de la mer. Outre qu'il maintenait nos cœurs ensemble pendant les longues périodes de séparation, il avait pour effet de nous rendre réciproquement tolérants des histoires racontées et même des convictions exprimées." 

Au cœur des ténèbres, Joseph Conrad

La vie de Platon, l'Ancien, un jour s'est obscurcie. Hormis lui-même, personne ne sait pourquoi. Encore faut-il relativiser quelque peu. Il sait à peu près comment, mais il ne sait pas vraiment pourquoi. En ce temps-là, se souvenant de l'autre, celui de l'obscurcissement, dont on vient de parler, Platon a pris une grande décision. Il a quitté son île... et parle avec lui-même... enfin, pas tout-à-fait.

– Augure est un mot qui signifierait: le "nom animé". Ne serait-ce pas là une vraie merveille?

– Oui... mais ce n'est pas vraiment ce que j'ai appris à propos du mot augure. Pour nous qui n'avons pas votre culture, ce mot a un rapport très net avec la divination. Pratique dont on sait, ou à propos de laquelle, tout de même, tout homme raisonnable et raisonné, sait qu'il s'agit plutôt de croyance et non de sciences

– Nous voilà revenu à la croyance… et donc à la foi…

Mesure

 

– ... Sous l’influence probable du très Haut et de la voix que j'entends en moi-même, il est fort possible que je ne fasse que répéter ce que j’ai moi-même entendu, mélangé à ce que j’ai entendu de la bouche même de ceux qui avaient aussi entendu, mais point de la même manière… quand je les connais, je les cite par souci d’honnêteté…

Il m'est difficile de répéter ce que je n'ai entendu que de très loin. Je vais essayer tout-de-même. Si ma mémoire est bonne, aussi bonne que celle de mon maître... je veux dire mon vrai maître et non celui auquel j'ai longtemps cru et qui n'existait que par la toute-puissance de l'imagination de son créateur, lequel dit l'avoir mise au service de la mienne... alors si ma mémoire me le permet, je vais remonter jusqu'au moment où... je ne me souviendrai plus. Il existe une frontière, même si elle est floue, où tout s'arrête et au-delà de laquelle la mémoire, si elle existe, n'est plus rien d'autre que le néant ou de l'imagination.

Reprenons, au début il y a Platon, l'Ancien, encore enfant. D'où sort-il? Personne ne le sait. Il est un de ces enfants dont on peine à connaître les origines tant ils ne ressemblent point à leurs parents. Cette dissemblance n'est point tant une histoire d'apparence, on pourrait certes reconnaître certains détails physiques qui pourraient établir une ressemblance, mais là n'est pas le problème de Platon, l'Ancien. Il est différent parce qu'il refuse de se soumettre. Vous me direz que cela est banal! Je veux bien... Que tout est histoire de mesure... je veux bien encore. Mais justement cette mesure dépend de l'instrument qui mesure. Or le principe même de l'instrument dépend de la mesure qui va s'inscrire sur lui. Il ne pourra mesurer que ce qui se rapporte à lui. Si, par malheur, l'objet qui doit être mesuré dépasse la mesure, alors l'instrument ne sera plus d'aucune utilité...

Foi

 

– Est-ce que vous avez la foi?
– Qu’est-cela?
– En d’autres termes: vous arrive-t’il de croire en quelque chose que vous ne connaissez point… encore que…
– Voilà bien des mystères!
– Vous avez raison… simplifions ou essayons de simplifier… prenons un exemple: croyez-vous que notre maître nous a créé?

– Quel serait le rapport avec la foi?

– La foi est d’abord une croyance…

– Et ensuite?

– Ensuite… c’est plus que cela…

– Dites-moi!

– C’est une croyance dans laquelle il n’y a point de certitude…

Contre

– Le doute énonce le «contre»…
– Que voulez-vous dire par là?
– Dans le doute il ne peut y avoir de certitude…
– Et donc?
– Et donc il y a place pour une opinion différente: le contre…