mardi 31 mars 2015

31 mars Une légère ironie ne peut faire de mal qu'aux vaniteux




— Je perçois, comme vous, plus que je ne parle, et il se pourrait que je ne sois pas plus figée et bornée que vous. Regardez autour de vous et dites-moi comment tout cela se fait.
— Ce n'est pas chose facile et je ne le pourrais que si vous me donniez un peu de temps.
— C'est une grande illusion que de croire retenir et posséder un peu du temps qui passe.
— Il ne peut rien y avoir de surprenant si le temps ne passe.
— C'est encore une autre chose qui soit certaine.
— Et pourtant, même si le temps passe, il n'est pas certain que quelque chose de surprenant nous arrive.
— Sauf à considérer qu'en inversant le processus normal de nos pensées, ce ne serait plus le temps qui passerait mais nous qui passerions sous son regard amusé.
— C'est surprenant.
— Vous voyez.
— Que dois-je voir?
— Vous êtes surpris.
— Vous me parliez de regard amusé, pourquoi serait-il amusé?
— À sa place,je crois que je le serais.
— Vous moqueriez-vous de nous?
— Je vous l'ai déjà dit, je ne plaisante jamais, mais une légère ironie ne peut faire de mal qu'aux vaniteux.

lundi 30 mars 2015

30 mars Que dois-je voir?



— Revenons à lui.
— Oui, c'est bien la seule chose qui soit possible.
— Ce n'est pas ce que je voulais dire. Dès la première fois où nous le voyons il devient impossible de ne plus penser à lui.
— Vous oubliez une chose: je ne l'ai pas vu. J'ai vu ce que vous m'avez montré et je n'en tire pas les mêmes conclusions que vous.
— Je vous comprends.
— Je n'en suis pas si sûr.
— Puisque je vous le dis.
— Ce n'est pas suffisant.
— Qu'est-ce qui serait suffisant?
— Que vous me le montriez vraiment.
— Qui donc?
— Il ne s'agit pas de lui mais du fait que vous me compreniez.
— Je ne sais pas comment vous faire comprendre que je vous comprends.
— Vous voyez!
— Que dois-je voir?
— Qu'il vous est impossible de faire en sorte que, de mes yeux, je voie ce que vous voyez avec les vôtres.
— Mais c'est impossible!
— Je ne vous le fais pas dire.

dimanche 29 mars 2015

29 mars Ce que nous avons appris



— Cela me semble en effet parfaitement étranger à tout ce que nous connaissons.
— Bien que nous ne connaissions que bien peu de choses il serait surprenant que ceci ne soit..
— Pourquoi vous interrompez-vous?
— Je ne le sais pas moi-même.
— Et maintenant, que va-t-il se passer?
— Comment voulez-vous que je le sache?
— Allons-nous mourir?
— C'est bien la seule chose qui soit certaine.
— Vous êtes d'une humeur spécialement joyeuse ou est-ce une plaisanterie?
— Je ne plaisante jamais, mais cela ne m'empêche nullement d'être empli de joie.
— Pourrais-je savoir ce qui vous rend joyeux?
— Tout, mais spécialement l'image qui nous transporte en cet instant.
— Pourquoi cette image spécialement?
— À vrai dire je ne le sais pas.
— Et maintenant, qu'allons-nous faire?
— Nous allons faire ce que nous avons appris.
— C'est-à-dire?
— Voyager.
— Ne sommes-nous pas déjà en train de voyager?
— Oui, mais il va s'agir d'une autre sorte de voyage.
— Pourrais-je savoir de quelle sorte sera ce nouveau voyage?
— Il s'agit d'un voyage dans le temps.
— C'est banal.
— Comment cela?
— Tous les voyages se déroulent dans le temps, vous devriez le savoir...

samedi 28 mars 2015

28 mars Avez-vous entendu ?

Loin de tout, loin de tous, presque en secret,
deux gouttes d'eau, dans un certain silence, semblent converser...


«Un loup hurla mais aux hurlements du loup je suis familier
Un homme parla et de peur je faillis m'envoler...»

Cléopâtre
Ahmad Chawquî

- Avez-vous entendu?
- Oui, mais...
- Ne dites rien, écoutez.
- ...
- C'était sa voix. Une voix joliment basse et caressante, au timbre harmonieux mais un peu rauque par instants qui résonnait dans la profonde brume opaque et dans les tréfonds du cœur.
- C'était aussi une plainte traînante qui semblait s'allumer et s'éteindre comme une braise mourante.
- Ce n'est pas une plainte, c'est son chant, bougre d'âne!
- Qu'est-ce qu'un chant bougre d'âne?
- Vous m'insultez?
- Non je vous demande ce qu'est un chant que vous qualifiez de bougre d'âne, ce qui ne me dit rien.
- Ce n'est pas le chant que je qualifie ainsi,c'est vous.
- Dois-je comprendre enfin que c'était alors moi-même que vous insultiez?


vendredi 27 mars 2015

27 mars Une colère sans cause




- La richesse de votre vocabulaire m'émerveille !
Auriez-vous l'amabilité de la partager quelque peu avec moi?
- Ce n'est pas un problème.
- Alors...
- Alors quoi ?
- Partagez !
- C'est fait.
- Comment cela ?
- Je vous ai offert deux mots nouveaux...
- Que je ne comprends pas.
- Ce n'est pas de ma faute.
- Vous pourriez tout de même faire l'effort de me les expliquer.
- Je ne sais pas les expliquer.
- Vouez-vous dire que vous faites passer pour richesse ce que vous ne
comprenez même pas vous-même ?
- Ce n'est pas moi qui les fait passer pour une richesse.
- Qui donc alors ?
- Vous.
- Moi?
- Oui.
- Emportez par le flux continu de vos paroles, je ne m'en étais point
aperçu. C'est vrai, je vous l'accorde. Ma question était mal formulée.
Pardonnez-moi.
- Je vous pardonne.
- D'où vous viennent ces mots que vous ne comprenez pas?
- Vous avez mal compris.
- Vous aussi à ce que je viens de comprendre...
- Bougre de connard...
- Ah.... encore une nouveauté que je ne comprend pas et... mais... je sens monter en moi une colère dont je ne connais la cause...
- Excusez-moi de vous interrompre. Faites silence et prêtez attention à
ce que vos oreilles entendent...
Un long silence, très relatif, s'installe.
- Puis-je vous parler de...
- Chhhhut... Trop tard. Il s'est tu.
- Cela fait un grand moment que je me taisais.
- Je ne parlais pas de vous, bougre d'âne.
- Encore cette expression que je ne connais et ne comprends pas.
Considérez que ce manque de compréhension me gêne grandement. Et
puis, de qui parliez-vous tout-à-l'heure?
- J'hésite à vous répondre. Je ne suis pas sûr que vous puissiez croire
ou comprendre...
- Vous ne me flattez guère. Je crois qu'il vous serait profitable de consentir à soustraire un peu de ce que vous accordez à vos propres pensées pour le mettre sur le compte des miennes. Il se pourrait alors que notre conversation prenne une autre allure.
- Vous m'étonnez !
- Vous voyez.
- Que vois-je ?

jeudi 26 mars 2015

Une ombre prodigieuse



– Dites-moi simplement ce qui vous pose problème.
– Le problème est malgré ma si petite taille je n'ai pas du tout
l'impression que nous soyons différents.
– Vous et moi?
– Mais non, bougre d'âne, je vous parle de cet homme que nous voyions
là-haut.
– Je vous prie de bien vouloir excuser ma candeur, mais je ne l'ai pas vu.
– Vous n'avez pas vu cette ombre prodigieuse qui planait au-dessus de nous. Il me semble que vous me le concédiez tout à l'heure.
– Certes, j'ai vu une ombre. De là à dire que c'était un homme, il y a une distance que je ne suis pas certain de pouvoir franchir.
– Tant pis pour vous.
– Voudriez-vous m'expliquer ce que vous me disiez à l'instant.
– Je ne me souviens pas de tout ce qui passe.
– Vous parliez de bougre...
– Bougre d'âne...

mercredi 25 mars 2015

Vous m'imaginez pas à quel point !

– Cher Auguste, voyez-vous  au loin, ces deux perles de rosée ?
– Je les vois depuis quelques jours déjà...
– Savez-vous qu'elles parlent...
– Aussi ? Comme nous ?
– C'est bien cela... Et vous m'imaginez pas à quel point !


– Dois-je penser que ces jeux de lumière et surtout cette grande tache sombre qui flotte aux frontières de ma vision serait cet être hors du commun dont vous me parlez depuis si longtemps ?
– Ah. Vous le voyez enfin.
– Je ne pense pas que cela puisse être dit ainsi. Je vois ce que je vois tous les jours. Ce pourrait être n'importe quoi. Je constate que vous le voyez et que vous le nommez selon votre pensée. À propos comment le nommez-vous?
– C'est un homme.
– D'où vient ce nom?
– C'est lui qui me l'a dit.
– Vous parlez donc avec lui?
– Oui, de la même manière que je parle avec vous.Il n'y a rien d'exceptionnel à cela.
– Ainsi cet être vous parle comme vous lui parlez.
Cela me surprend.
– Pourquoi ?
– Parce que cela sous-entend que vous et lui avez en commun quelque chose que vous partagez.
– C'est évident.
– C'est peut-être évident pour vous et pourtant...
– Finissez l'exposé de votre pensée. Elle m'intéresse.
– Pourtant... je n'arrive pas à cerner ce que je ne puis saisir et ce que je pense n'est pas susceptible d'être démontré.
– C'est sans importance.
– C'est sans importance pour vous, mais ce ne l'est pas pour moi.
– Je comprend.

mardi 24 mars 2015

Jamais vu ni entendu

« Sous le ciel, deux gouttes d'eau,
perdues dans l'immensité de leurs semblables,
dans le silence du courant, conversent et philosophent à voix basse. »



– À quoi vous sert-il de poser tant de questions et à quoi vous servent
les quelques réponses que je tente, un peu vainement, de vous faire ?
– Elles servent à la même chose que la question que vous me posez à l'instant.
– N'est-ce pas un peu enfantin de vous servir de ma question comme un miroir ?
– Pas plus que vous ne le faites en éludant la question à propos de cet être dont vous parlez – que vous dites avoir vu – que vous semblez entendre – que je n'ai jamais vu ni entendu et à propos duquel et de son existence, je vous l'avoue, j'ai des doutes.
– C'est bien.
– Qu'est-ce qui est bien ?
– Que vous ayez des doutes.
– Je ne comprend pas.
– C'est normal.
– Qu'est-ce qui est normal ?
– Regardez! Il est là.
– Qui est là?
– Celui dont nous parlons.
– Je ne vois rien qui ne soit très ordinaire.
– Je vous dit que c'est lui.

lundi 23 mars 2015

Le temps d'une vie

« Deux gouttes d'eau, perdues dans l'immensité du courant,
conversent et philosophent à leur gré. »



– Vous souvenez-vous de ce dont vous me parliez il y a un certain temps déjà ? Nous étions bien jeune et nous en étions encore à dévaler cette chute vertigineuse.
– Je m'en souviens très bien.
– Croyez-vous qu'il soit encore là ?
– Certainement.
– Pourtant je ne peux m'imaginer qu'il soit en permanence là à nous observer et peut-être même à nous écouter.
– Je n'en ai aucun doute.
– Mais n'a-t-il rien d'autres à faire ?
– Le temps de notre vie n'est rien pour lui.
– Comment cela ?
– Le temps que nous mettons à parcourir un de nos cycles, de la source à la chute, ne représente pour lui qu'un seul instant, presque négligeable pour lui.
– Comment savez-vous cela ?


 

dimanche 22 mars 2015

En ce temps-là

Deux gouttes d'eau...

"En ce temps-là, l'oisiveté était le signe d'une bonne naissance..."

– De loin, on peut s'étonner de la ressemblance des mécanismes qui tous semblent mener à l'uniformisation des esprits.
– Pensez-vous que l'on puisse faire jaillir quelques choses hors de ces mécanismes projetés? 

Un certain calme


 « Deux gouttes d'eau conversent et philosophent au gré du courant. »

– Avez-vous remarqué comme tout s'est calmé alentour ?
– Le silence est-il rompu par la connaissance?
– Il se peut que ce soit juste le contraire. Mais de toute façons, je ne connais pas le silence, je vous l'ai déjà dit.
– Les mots qui ne sont prononcé de vive voix sont-ils encore des mots quand ils se manifestent sans effets extérieurs?
– Les mots qui ne sont point prononcés restent lettre mortes et n'ont pas plus de sens que l'alignement des cailloux sur la berge...
– .... ou des étoiles dans le ciel ?
– Ce n'est pas vraiment notre domaine...
– Pensez-vous que malgré ce qui nous séparent, nous soyons... pour ainsi dire, pareilles?
– C'est ce qui nous sépare ou plutôt le fait que nous soyons séparées qui fait que nous avons la possibilité de nous voir. Ainsi, nous pouvons constater à quel point nous sommes semblables.

samedi 21 mars 2015

"Sabotage"

 "Le verbe saboter a un sens très large de résistance
(...) et il a une implication juste et nécessaire en démocratie"



"Je me sens dans l’obligation de porter une parole contraire.
Car si je censure ma parole, je censure mon vocabulaire,
je gâche ma meilleure façon de me tenir compagnie
qui est l’écriture."

Erri de Luca
La Parole Contraire


– Il n'y a rien au-delà de notre monde qui ne soit aussi notre monde.
– Ne craignez-vous pas d'être entendu?
– Qui pourrait nous entendre?
– Nos semblables.
– Cependant vous le savez mieux que moi, nous avons pour mission de nous taire.
– C'est tout à fait inexact, nous n'avons pas pour mission de nous taire, nous avons pour mission de savoir nous taire.
– Expliquez-moi pourquoi.
– Parce que celui qui sait se taire découvre dans le silence la raison même de ce silence.
– Voulez-vous dire, sans moquerie, qu'il faille "connaître pour connaître"?

vendredi 20 mars 2015

La marque d'un rétrécissement...

Deux gouttes d'eau discutent. (5)


«... il n'est pas facile de se déterminer uniquement par des concepts; le caractère le mieux trempé n'est pas sans ressentir l'action puissante du monde extérieur, qui l'entoure avec toute sa réalité intuitive.
Seulement, c'est précisément en tenant cette influence en échec, en comptant pour rien la fantasmagorie du monde, que l'esprit humain fait éclater sa grandeur et sa dignité..
Ainsi lorsque l'attrait du plaisir et de la jouissance le laisse indifférent, lorsqu'il n'est ébranlé ni par les menaces ni par la rage d'ennemis en fureur, que les supplications d'amis abusés ne l'ébranlent point dans sa résolution, que tous les fantômes trompeurs, dont l'entoure l'intrigue la mieux concertée, ne sauraient l'émouvoir, que les insultes des sots et de la foule ne le font point sortir de son calme et ne lui donne point le change sur sa propre valeur; – alors..»

Arthur Schopenhauer
Le monde comme volonté et comme représentation




– En quoi cela serait-il intéressant ?
– En ce cas, il pourrait s'agir, dans une certaine mesure, d'un cas similaire au mien.
– Comment cela ?
– Il y aurait, au delà de nous-même, un être agissant sur nous.
– C'est ridicule.
– Pas tant que cela.
– Je crois que rien n'existe au-delà.
– Cette croyance est la marque même d'un rétrécissement...
Je crois que que vous êtes un être borné.
Au sens géographique du terme.
– Vous me flattez.
– Comment cela?
– Un monde n'est pas un territoire. Si vous y trouvez quelques bornes, celles-ci ne délimitent que l'un de ses multiples aspects et nullement l'entier du monde qu'elles sont censées déterminer. Vous ne devriez confondre le tout avec la partie. Et pendant que nous y sommes, dites-moi dans quelle sorte de monde vous imaginez-vous qu'existe cet être infini qui vous fait si bien douter?
– Je ne sais et je ne puis savoir.
– Vous devriez.

jeudi 19 mars 2015

Une sorte de créateur

Deux gouttes d'eau conversent (4)


«Bien à l'abri derrière le rideau de brume,
je savourai et caressai à l'envi la douce lumière tourbillonnante.
Mon esprit captivé et comme allégé dansait allègrement.
Il arrivait que, sans précaution elle disparaisse sans prévenir.
Le monde revenait prendre sa place, l'espace d'un instant.»


«Il m'est arrivé souvent de m'asseoir face à cette cascade.
J'aime à me retrouver là. J'y perd le sens commun.
Mes idées vagabondent à leur gré et j'oublie le monde.
Cependant vous vous tromperiez lourdement
si vous n'y voyiez là que romantisme, vertu et morale.
Du temps qu'il faudrait pour les définir,
les uns et les autres pourraient bien disparaître
sans laisser de trace, comme ces gouttes d'eau
que je suis à peine capable d'entendre
et dont je peine à percevoir les contours.»
Eloy Novo, Flatteries et autres strates

– Voulez-vous dire que j'en serais en quelque sorte le créateur ?
– Oui.
– Vous me flattez.
– Non.
– Mais si je suis le créateur de cet être qui nous surpasse de plusieurs milliers de fois, je serais alors un être plus grand que je ne me l'imaginais. Comment, moi, misérable goutte d'eau, puis-je être le créateur d'une si grande chose?
– Vous ne l'êtes pas entièrement.
– C'est pourtant vous qui venez de me le dire!
– Je n'ai rien dit de pareil.
– Vous êtes de mauvaise foi.
– Je n'en suis pas sûr...

- Ah! Vous doutez...
- Oui, je doute, mais je ne sais quelle est la fonction de ce doute. Il me ronge sans que je puisse le distinguer clairement.
- Voulez-vous dire que ce doute pourrait être entité différente de vous et qu'elle agisse indépendamment de vous. Ce serait alors intéressant.
- En quoi cela serait-il intéressant ? 

mercredi 18 mars 2015

« Réalisme, idéalisme, autant de brumes... »

Deux gouttes d'eau conversent (3)

« Réalisme, idéalisme, autant de brumes
à travers lesquelles l'homme aveugle cherche la vérité. »

Jules Renard, Journal



 – Ce n'est pas du fait de sa taille qu'il est infiniment plus grand que nous, mais du fait de sa grandeur et de son intelligence.
– ... ah.
– Vous me paraissez bien songeur. Cela ne vous ressemble guère.
– "Cela" serait cet être dont vous parlez?
– Non "cela" n'était qu'une question.
– Vous me rassurez.
– Pourquoi?
– Parce que vous me dites que cet être à la grandeur hors du commun n'était qu'une question.
– Ce n'est pas du tout ce que je vous ai dit.
– C'est pourtant ce que j'ai entendu.
– Ce n'est pas parce que vous l'entendez ainsi qu'il en est ainsi.
– Vous me rassurez quelque peu... et même davantage.
– À quoi pensez-vous?
– "Cela" ne vous regarde pas.
– Ah. Vous boudez.
– Non, je ne boude pas.
– Si. Vous boudez.
– Non, je ne boude pas. Si je vous ai dit que ne vous regardait pas, ce n'était pas dans le but de mettre fin à cette conversation pour vous empêcher d'accéder à mes pensées. C'était simplement de "cela" que je parlais. "Cela" étant cet être dont vous parliez.
– Ah, vous le reconnaissez.
– Non je ne le reconnais pas. Je ne fais que vous répondre.
– Ah. "Cela" est, dans votre esprit, cette grandeur et cette intelligence dont je vous parlais.
– Vous pensez à cet être qui est au delà?
– Oui, comme vous le dites.
– Non. Je ne le dis pas, mais je le pense. Je pense que cet être qui occupe votre esprit me semble n'être que le fruit de votre pensée.
– Vous vous trompez, mais...

Une petite étoile

Deux gouttes d'eau conversent (2)

"La petite étoile me faisait irrésistiblement sourire. J'entrais dans la colonne de lumière, esquissais quelques pas de danse avec elle et puis d'un geste auguste, je faisais apparaître une petite échelle, sur laquelle, en équilibre, je montais... sous l’œil stupéfait des spectateurs. Je regardais en tendant le bras au loin avec insistance jusqu'à ce qu'une deuxième colonne apparaisse, tombant du ciel, un peu à côté de moi, une colonne qui grandit jusqu'à devenir exactement identique à la "mienne". Une fois que le nuage de poussière était retombé, on pouvait apercevoir un homme habillé de couleurs criardes assis sur une échelle toute semblable à la mienne. Il était exactement dans la même position que moi et me regardait d'un œil un peu allumé. C'est ainsi que, désormais, m'apparaissait l'homme au miroir. Ce n'était plus cet homme éthéré avec qui je dialoguais derrière le rideau. La première fois que je le vis ainsi j'en fus choqué... Et cela dut se voir sur mon visage puisqu'une partie de la foule se mit à rire discrètement. Il se mit à parler au moment même où j'ouvrais la bouche..."

La vie trépidante, ardue, amoureuse
et quelquefois surprenante
de l'ingénu Don Carotte et de son frère "Ô Sang Chaud"


Lidane Liwl

mardi 17 mars 2015

Deux gouttes d'eau conversent

"Je ne suis pas si convaincu
de notre ignorance par les choses qui sont,
et dont la raison nous est inconnue,
que par celles qui ne sont point,
et dont nous trouvons la raison.
Cela veut dire que, non seulement
nous n’avons pas les principes qui mènent au vrai,
mais que nous en avons d’autres
qui s’accommodent très bien avec le faux."

Fontenelle, Histoire des oracles (1687)

Auguste et Justin ne sont point seuls à converser.
Deux gouttes d'eau le font aussi. 

(1)

Perdues dans les friches, deux gouttes d'eau conversent. Rien ne les différencie hormis les reflets qu'elles contiennent et qui les habillent.
– Combien de temps encore pourrons-nous dialoguer ?
– Pourquoi cette question ?
– Il me semble qu'on nous observe...
– Qui pourrait s'intéresser à nous ?
– L'être qui se dessine à notre surface et que je distingue assez nettement sur la votre... Un être bien étrange... bien au-delà...
– L'être qui est au delà de quoi?
– Au delà de notre monde.
– Que peut-il y avoir au-delà de notre monde?
– Un autre monde.
– Quel autre monde?
– Un monde différent.
– Quelle sorte de différence peut-il contenir et n'est-ce pas là pleine démesure imprudemment descellée?
– Je ne le sais pas.
– Si vous ne le savez pas, comment pouvez-vous supposer qu'il soit
différent?
– Précisément parce que je ne le connais pas.
– Si vous ne le connaissez pas vous ne pouvez éliminer la possibilité
qu'il soit conforme au nôtre.
– Vous avez raison et pourtant l'être que je perçois est différent de nous.
– Je ne le perçois pas. Pourriez-vous me le montrer?
– Il se trouve là, de l'autre côté.

lundi 16 mars 2015

Au rang



"Et vous mettant au rang du reste des mortels,
vous a-t-elle forcé d' encenser ses autels ?"

Racine
Phèdre


Pleinement rassasié de cette pensée étrange,
Auguste, comme un enfant à la croisée des chemins,
regarde le ciel et lui parle:
– Toi qui sans cesse voit tout ce qui sur terre se produit,
sais-tu que nous aussi nous te voyons ?
Nul ne peut savoir ce que le ciel lui répond,
mais tout le monde peut entendre ce qu'Auguste,
à son tour, répond:
Rien n'est plus naturel que de vouloir en faire autant...

dimanche 15 mars 2015

Je suis l'un et vous êtes l'autre



Les carnets d'auguste (15)

– Je vais peut-être vous surprendre...
Oui il se peut que les images aient une âme si l'on considère que la seule véritable image est celle de l'autre… Je suis l'un et vous êtes l'autre ou inversement. Il y a donc deux entités  qui se font face comme dans un miroir. L'un devient l'autre et l'autre devient soi-même à  condition qu'il y ait un regard. Pour qu'il y ait un regard il faut que l'un ou l'autre regarde.
Pour que ce pouvoir existe, il faut que l'un et l'autre soient présents. Ce qui les fait "êtres  présents" c'est l'être. L'être est double. Il possède deux qualités complémentaires: il est  concept (idée) et matière (chair). Un être est. Le verbe et sa matière ne font qu'un. Le verbe  anime la matière sans laquelle le verbe n'est rien.
L'un et l'autre, par définition différents se rejoignent par le fait que l'être les habitent.
Les hommes voient leur image dans l'homme qui les regarde.
– Dites-moi si j’ai bien compris, vous me proposer de me voir quand je vous regarde, puisque  vous dites que nous serions des miroirs. N’est-ce pas là un éclairage démesuré?
– Pas tout-à-fait, c’est plus subtil que cela. Nous avons tous des identités changeantes et  rien n’est plus facile que de transformer son image dans le miroir. Quand je vous regarde  ou quand je regarde-n’importe qui, je peux voir ce que potentiellement je puis être et non  ce que je suis en ce moment (sans être tenté de transformer votre image).
C’est ce que précisément je faisais tout-à-l’heure...
– Mais alors vous pensez que vous pouvez découvrir ce que vous êtes à travers moi?
– C’est un peu cela...
– Mais alors que ferez-vous de ce que vous apprenez de moi et qui m’appartient?
– Je ferai comme vous et un certain petit carnet, je le scellerai en mon cœur...
Avant que nous ne rejoignions les autres visiteurs du parc qui se dirigent vers la sortie dont  les portes se ferment déjà et dont certains, l’avez-vous remarqué, sont en train de ranger  de petits carnets semblables aux nôtres, j’aimerai vous poser une dernière question, je sais que cette question est trop vaste pour pouvoir y répondre en un instant, mais...

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samedi 14 mars 2015

L'orientation du miroir

Les carnets d'Auguste (14)


- Vous fuyez! Seriez-vous à court d'arguments?
Il se peut que nous soyons l'un et l'autre des miroirs.
- Le miroir est un objet puissant qui dépasse largement l'usage journalier pour lequel nous  l'utilisons. Le miroir est un objet qui contient une image. Cette image dépend de l'orientation  de ce miroir. Selon le point de vue, l'image du miroir change sans que pour cela il ne  manifeste aucune volonté. La seule volonté est du côté de celui qui regarde. L'image est  dans l'oeil de celui qui regarde et l'homme est un miroir pour l'homme.
- Vous dites que l'homme est un miroir pour l'homme et ce que j'entends en même temps  ou presque, comme un écho ou une image dans le miroir: l'homme est un loup pour  l'homme… Voulez-vous dire qu'une image peut en manger une autre? Voilà bien des  mystères que nous n'aurons pas le temps de dévoiler. La nuit commence à tomber. Avant  que les portes de ce petit parc ne se ferment aux hôtes indésirables de la nuit, expliquez-moi , je vous prie, ou répondez à la question que vous me proposiez, il y a déjà longtemps:
les images ont-elles une âme?

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vendredi 13 mars 2015

Tombé du ciel

Les carnets d'Auguste (13)


- C'est cela, vous êtes donc tombé du ciel et dans quelques instants vous allez me dire  que vous êtes l'image du père. Vous allez me parler du concile de Nicée où l'image fut mise  en accusation. Du fait que la vraie image est celle du fils, puisque "celui qui voit le fils voit  le père"… et puis quoi encore? Personne ne croit plus en ces élucubrations…
- Votre nihilisme est le fait de considérer que l'être ne viendrait de rien. C'est une sorte de  krach. Tout ce à quoi on faisait crédit s’écroule. Tout ce à quoi on ajoutait foi et tout ce qu'on  imaginait disparait. Par exemple, on ne croit plus aux images. Nous sommes la civilisation  de l'image… et à ces images nous ne croyons plus. Rien de plus facile à maquiller qu'une  image. Mais de quoi parlons nous, de quelle image parlons nous. De celle qui est vôtre:
de votre image? De l'image de votre société? Dont vous faites partie et dont vous êtes  censé être le représentant en adoptant ses coutumes, le comportement qu'elle désire, et  les signes qu'elle essaie d'imposer selon ce qu'elle appelle des temps immémoriaux ou de  façon plus simple: la tradition. Êtes-vous l'image conforme de ce que la société à laquelle  vous appartenez attend de vous?
- Ahhhh! Là on peut dire que vous vous dévoilez. Vous commencez par me traiter de nihiliste  et pour finir, je crois que le nihiliste c'est vous!
- Vous croyez… La croyance est-elle un savoir comme un autre?
- Une personne censée sait bien qu'il ne peut pas y avoir de confusion entre savoir et croire.
- Et pourtant cette équivalence me semble envisageable dès le moment où croire ne vise  pas à être considéré autrement que comme un moyen de partager: croire serait une sorte  de savoir. C'est ce que font les athées ou les agnostiques quand ils disent ne pas croire  en Dieu. Mais qu'en est-il de leurs croyances quand ils disent croire en l'humanité et au  progrès de celle-ci? Qu’en est-il de la croyance en la réalisation d’un commun accord?
Il faudrait alors avoir le courage de mettre sur la table la difficile question de savoir (ou de  croire) qui est le père quand tous se disent frères.
Un silence s'installe.


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jeudi 12 mars 2015

Malgré des points de vues opposés


Les carnets d'Auguste (12)


- Eh bien, je suis, je serais, selon vos dires, un peu “tordu” ou tourmenté. Et vous seriez,  vous, homme qui vous dites simple, épargné par la tourmente, selon votre avis…
Eh bien, je vous vous le dis franchement, je ne crois pas un seul instant que je sois un  homme simple. Je ne suis pas assez orgueilleux pour cela…
Et puisque nous en somme au partage des avis, je vous rappelle que le mot découle du  mot oiseau. Un avis n'égale pas celui d'autrui, il se place à ses côtés, c'est tout. En soi,  un avis ne vaut pas plus que ces oiseaux que je contemple à l'intérieur de ce petit cadre  qui a l'air de tant vous déplaire, ou du moins vous intriguer. Ce n'est pas parce que vous  ne voulez pas réfléchir que le questionnement vous laissera tranquille. Réjouissez-vous,  le questionnement peut mener au-delà du simple avis, et si "l'homme est un passage", il  se pourrait qu'il mène jusqu'à de véritables pensées… Or la pensée, sauf exceptions, ne  peut se passer d'images. Le fait est que vous avez traversé l'entre-deux qui nous séparait.
Et voilà déjà longtemps que nous conversons malgré nos points de vues opposés. Vous  me faites face, nous nous faisons face et attendons tous deux que quelque chose apparaisse,  naisse de ce face-à-face circonscrit à l'intérieur du rectangle formé dans l'enceinte de ces  arbres tout comme je contemplais le ciel, espace sacré immémorial qui m'est inaccessible et qui est pourtant mon origine.


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mercredi 11 mars 2015

Une vérité qui vous fait dire



Les carnets d'Auguste (11)


Seules trois pages étaient remplies de quelques dessins et quelques lignes d’une écriture  presque illisible. Il me fallut plusieurs jours pour le déchiffrer et aujourd’hui encore je ne  suis pas sûr que ma transcription soit conforme à ce qui y est présenté. Je l’ai trouvé  intéressant. Je savais que je pénétrais dans l’intimité de quelqu’un, mais, en le lisant, je ne pouvais m’empêcher de penser que les pensées qui s’y trouvaient ressemblaient aux  miennes.. Ou plutôt que ces pensées auraient pu être miennes... Et puis, petite merveille,  quand je les lisais me venaient d’autres pensées tout-à-fait différentes de celles qui y  figuraient et qui étaient comme une continuation de celles-ci. Je m’enhardis et profitais du  fait que de nombreuses pages étaient restées vierges pour, à mon tour, griffonner quelques  mots jusqu’à ce que le carnet fut presque plein.
- Avez-vous pensé à rechercher la personne qui avait perdu ce carnet pour le lui rendre.
- Oui, mais peu à peu je vous avoue, je sentais qu’il était devenu mien au point que je ne  puis presque plus distinguer ce qui y était déjà écrit de ce que j’y ai moi-même écrit.
- Ainsi, ce qui se trouve dans ce qui est devenu votre carnet est devenu une image dans  laquelle vous contemplez une absence. (silence)
- Là, je ne peux vous suivre dans cette sorte d'élucubration! Je suis un homme simple et  raisonnable.
- Soyez patient, vous êtes tout-à-fait apte à comprendre ce dont je vous parle, même si  vous n'êtes peut-être pas ce que vous croyez être.
- Bien entendu… Depuis quand détenez-vous cette vérité qui vous fait dire que je ne ne  serai pas un homme simple… ce qui revient à dire que je serai un homme orgueilleux alors  même qu'il suffit de vous regarder et vous écouter, puisque les deux semblent être liés,  pour voir et comprendre que, à mon avis, il faut être un peu “tordu”, pardonnez-moi  l'expression, pour prétendre cela… 


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mardi 10 mars 2015

Ce qui nous fait bouger

Les carnets d'Auguste (10)


- Nous ne pouvons citer entièrement ou alors il faudrait citer l'entier du livre, l'entier de l'image et non seulement ce que nous décidons de mettre dans le cadre, qui pourtant constitue un tout.
- J'entends bien ce que vous me dites, mais quel est le rapport avec ce dont nous parlions: la contemplation, l'image et sa projection dans le temps, le rapport entre l'animal et l'anima, c'est-à-dire l'âme qui serait alors ce qui nous meut, ce qui nous fait bouger, ce qui nous met en mouvement comme je contemplais, moi aussi, votre main qui dansait tout-à-l'heure au-dessus d’un carnet semblable au mien et dans lequel est posée une question:
“N'est-ce pas grand défaut que de vouloir tout embrasser d'un seul et unique regard?”
- Vous ne croyez pas si bien dire…. Mais laissez -moi vous exposer quelques arguments et vous verrez peut-être que tout cela n'est pas sans rapport avec ce que vous me faites le plaisir non seulement d'écouter mais aussi d’imaginer et de commenter. Auparavant, laissez-moi vous poser, moi aussi, une question:
- D’où vient ce carnet que vous avez entre les mains et qui ressemble tant au mien?
- Je l’ai trouvé sur ce banc il y a de cela quelques jours...

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Un segment de réel



"Un segment de réel vibre différemment selon la structure du milieu. Un trait anatomique ou tempéramental, un geste ou une phrase résonnent différemment selon la signification qu'ils prennent dans un esprit et pas dans un autre, dans une culture et pas dans une autre."

De chaire et d'âme
Boris Cyrulnik

lundi 9 mars 2015

Miroir

 "Les mot qui émanent de leurs bouches
sont aussi censés que les flatulences
qui s'échappent de leurs arrières trains..."

"Le savoir commence par les sentiments, par l'expérience.
Moi je dis que le savoir commence par l'amour.
La nature seule peut nous guider.
Elle commence par une cause et finit par une expérience, alors commence par une expérience afin de trouver la cause..."

 "Un reste de feu s'était réfugié dans un petit morceau de charbon, sous la cendre tiède, et là se nourrissait chichement, en comptant chaque bouchée, du peu de matière qu'il y avait encore. Survint alors la cuisinière. Ayant besoin d'accomplir, comme à  l'ordinaire, son office culinaire, elle posa un fagot de bois dans l'âtre et, avec une allumette, ressuscita d'abord une flammèche de feu presque mort. Le bois ayant bientôt commencé à brûler, elle place la marmite au-dessus et s'en va sans se poser de question.
Se réjouissant du bon bois sec qu'on avait mis sur lui, le feu se mit à grandir, à pourchasser l'air dans les interstices entre les bûches, musardant et se glissant partout gaiement. Après quoi il commença à se pousser hors du fagot, comme on se pencherait plaisamment à la fenêtre, et, de là, il se mit à lancer ses flamboiements rutilants, dissipant les ténèbres épaisses de la cuisine. Et les flammes, devenues grandes, exultaient du bonheur de de jouer avec l'air alentour, tandis que de leur doux murmure s'élevait une musique suave.
Voyant combien il s'était élevé plus haut que le fagot, et qu'il était maintenant devenu fort grand, le feu, jusque là docile et tranquille, s'enfla d'un insupportable orgueil, au point de se persuader qu'il allait pouvoir attirer tout l'air ambiant jusqu'à cette pauvre brassée de bois. Il se mit alors, à emplir tout le foyer de crépitements, d'éclats et d'étincelles, et à unir en une seule gerbe dressée vers les airs ses flammes les plus puissantes, les plus fières...
qui vinrent heurter le cul miroitant de la marmite !
Le miroir était très fier d'accueillir en lui un reflet ; mais une fois celui-ci parti, le miroir se trouva fort misérable."

(Légèrement adapté de) Léonard de Vinci

Tout embrasser d'un seul et unique regard?

Les carnets d'Auguste (9)

Augure est un mot qui signifie, entre autres significations: le "nom animé".
N'est-ce pas là une vraie merveille?
- Oui, mais ce n'est pas vraiment ce que j'ai appris à propos du mot augure.

Pour nous qui n'avons pas votre culture, avant tout, ce mot a un rapport très net avec la divination. Pratique dont on sait, ou à propos de laquelle, tout de même, tout homme raisonnable et raisonné, sait qu'il s'agit de croyances et non de sciences.
- Il se pourrait, mon cher semblable, que la croyance ou les croyances soient des savoirs comme les autres… simplement il ne faut faut pas les confondre, un lion et un agneau ne doivent pas être confondus pour des raisons évidentes, même s'ils ont tous deux, quatre pattes, un pelage, un système digestif, un cerveau et sont tous deux des animaux…
... comme nous..
- Comme nous?
- Oui, comme nous. Nous sommes des êtres animés (comme l'augure) et donc par définition:
dotés d'un âme (anima).
- N'allez-vous pas un peu vite en besogne ? L'homme n'est-il que cela? Et l'âme peut elle être confondue avec l'animal ?
- Vous avez raison "Ce qu'il y a de grand dans l'homme, c'est qu'il est un pont et non un but: ce que l'on peut aimer en l'homme, c'est qu'il est un passage… (silence)
- Il me semble que vous tronquez la citation de Nietzsche… Il dit, ou plutôt il fait dire à Zarathoustra, image de lui-même, que l'homme est un passage… mais il ajoute: un passage "et" un déclin… Pourquoi n'avez pas énoncé cette citation en entier?
- Nous ne pouvons citer entièrement ou alors il faudrait citer l'entier du livre, l'entier de l'image et non seulement ce que nous décidons de mettre dans le cadre, qui pourtant constitue un tout.
- J'entends bien ce que vous me dites, mais quel est le rapport avec ce dont nous parlions:
la contemplation, l'image et sa projection dans le temps, le rapport entre l'animal et l'anima, c'est-à-dire l'âme qui serait alors ce qui nous meut, ce qui nous fait bouger, ce qui nous met en mouvement comme je contemplais, moi aussi, votre main qui dansait tout-à-l'heure au-dessus d’un carnet semblable au mien et dans lequel est posée une question:
“N'est-ce pas grand défaut que de vouloir tout embrasser d'un seul et unique regard?”


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dimanche 8 mars 2015

Contemplations

Les carnets d'Auguste (8)
- Je crois que vous ne prenez pas en compte le fait qu’en réalité, je vous ai fait la réponse la plus simple qui soit. Nous avons, vous et moi, la même chose en tête. Nous sommes constitué de la même manière (matière). Nous nous ressemblons fortement.
- Certes, pour l'essentiel, nous nous ressemblons, mais je ne crois pas que l'on puisse
nous confondre.
- Vous avez raison, nous n'avons, visiblement pas le même âge. Nous ne nous habillons pas de la même manière, la couleur de nos cheveux diffère, nous n'utilisons pas tout-à-fait les même mots et nos pensées ne sont pas les mêmes. Et pourtant, il se peut que j'aie été ce que vous êtes et que vous serez peut-être ce que je suis…
L'homme s'emporte quelque peu et brusquement interroge:
- Cela ne me dit pas ce que vous faisiez tout-à-l'heure?
- Mon ami, vous permettez que je vous appelle ainsi, vous me posez enfin une question à laquelle je puis répondre sans détour... Je contemplais.

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vendredi 6 mars 2015

Lumineuse et honteuse clarté

Les carnets d'Auguste (7)

L'homme assis sur le banc d'en face ne tient plus en place. Il brûle de savoir ce que peut bien faire cet étranger, mais il n'ose pas. La peur s'est installé dans son esprit:
- Que va penser cet homme si je l'aborde sans avoir été présenté?
Quelle image va-t'il avoir de moi?
Ne va-t'il pas s'imaginer quelque chose d'infamant ?
Il hésite, tourne la tête, de peur que son regard ne le trahisse. Quelle est cette confusion qui s'est emparée de son esprit et le fait, il en est persuadé, de rougir d'une lumineuse et honteuse clarté. Il rouvre les yeux, et, en effet, l'homme d'en face le regarde.

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jeudi 5 mars 2015

Incertaine démarche

"Car nommer c'est distinguer..."
"si vous êtes une table, vous n'êtes pas une chaise,
si vous êtes une vache, vous n'êtes pas un cochon.." *

Les petits carnets d'Auguste (6)

La (dé)marche de l'homme est incertaine.
Il semble hésiter, regarde autour de lui, se baisse et ramasse deux ou trois branches qu'il casse jusqu'à obtenir quatre segments relativement droits et retourne s'asseoir sur ce qu'il considère être "son" banc. Avec les bouts de ficelle, il noue soigneusement les quatre bâtonnets pour obtenir une sorte de cadre qu'il se hâte d'élever devant ses yeux. Les pigeons, chassés par une corneille envieuse, s'envolent dans un tumulte évoquant les pages d'un livre qui se tournent toutes en même temps. Les oiseaux, quittant leurs démarches claudicantes, montent très haut, planent un peu, s'inscrivent dans une courbe harmonieuse qui le fait revenir là où ils étaient partis. Pour un instant, leur trajectoire s'inscrit par la droite dans le rectangle de notre homme. Un sourire s'installe sur son visage. Il pose l'objet sur ses genoux, reprend son petit carnet et ses doigts se remettent à danser.

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* Alain Finkielkraut sur Roger Cukierman (01/03/2015)

mercredi 4 mars 2015

Les miettes dispersées d'un repas disparu

Les causes et les effets de la nature
donnent bien de la peine à celui qui voudrait penser.
Les principes en sont si bien cachés,
que sans témérité, la raison humaine
ne peut presque pas songer
à les découvrir. 

Les petits carnets d'Auguste (5)

Pendant ce temps, un autre homme s'est installé sur le banc d'en face. L'homme pose son petit carnet, sort de sa poche quatre bouts de ficelles, se lève et marche en direction du monumental jeu d'échecs tracé à même le sol, il essaie d'éviter les pièces éparpillées dont certaines sont renversées. Il enjambe soigneusement les pigeons à la démarche claudicante qui picorent les miettes dispersées d'un repas disparu.


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mardi 3 mars 2015

Esprit stérile et mal cultivé


– L'esprit stérile et mal cultivé voudrait que chaque être engendre son semblable...
Je ne me propose que de combattre l’opinion commune qui nous attribue de telles pensées...

À l'abri de deux grands arbres

Les petits carnets d'Auguste (4)
 
L'image a-t'elle une âme?

Plantons un décors:
Un parc public, à l'abri de deux grands arbres séparés par un chemin bordé à gauche et à droite de bancs publics. Au fond une imposante sculpture de marbre représentant un homme assis tenant un livre ouvert sur ses genoux, une main posée sur le livre, on ne sait si elle écrit ou si elle sert de guide à la lecture. Le regard de cet homme est levé vers le ciel. Au loin, derrière l’homme de pierre, on peut voir un lac sur lequel se reflètent le ciel et les montagnes. Un homme est assis sur un banc. Il écrit dans un petit carnet. Il est absorbé par ses pensées et par le mouvement presque imperceptible de ses mains qui dansent sur les pages qui se couvrent de petits dessins.
Tout langage est une création...

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La fragilité du voyage

Les petits carnets d'Auguste (3)


La fragilité d'un voyage, dans et par l'image, dans et par le temps, rejoint la fragilité de l'instant par le fait qu'ils sont (l'image et le temps) insaisissables ou indéfinissables, c'est-à-dire infinis.
Chacun de nous verra les images à sa façon, selon ses qualités…
Une image pourrait n'être qu'un déséquilibre, une perturbation de la durée, qui annoncerait ce qui s'est passé ou ce qui va, ou peut, se passer dans une interrogation qui exprime l'incertitude. On ne sait pas, on ne peut savoir ce qui va se passer. On ne peut que le deviner…

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lundi 2 mars 2015

Une joyeuse confiance en l’avenir

Les petits carnets d'Auguste (2)



Une image serait un instant qui dure,
avec le paradoxe suivant:
l'instant, dont la nature est d'être bref est devenu
un instant qui dure
en se rendant presque indépendant du temps.
On pourrait dire que cet instant figé
voyage dans le temps.
Cet instant, figé dans le temps,
“nous” fait voyager dans le temps.


Les petits carnets d'Auguste (1-5)

dimanche 1 mars 2015

Les images ont-elles une âme?

Les petits carnets d'Auguste (1)



Image, trésor caché de la mémoire
si proche d’une origine inatteignable.
Ce qui qualifie l’image est
le regard que l’on porte sur elle.


Passage entre les mondes.
Va et vient continu entre la vie et la mort.
Discours du temps errant dans le temps.

Les petits carnets d'Auguste (2)