mardi 31 juillet 2018

(31) Épiphanie


« Le surréalisme en effet prend bien sa place dans une série d’émergences dont l’empreinte commune donne sa marque à notre époque : celle d’un dévoilement des relations de l’homme à l’ordre symbolique. Et le retentissement mondial de ses inventions les plus gamines montre assez qu’il préludait à un avènement plus grave, et plus sombre aussi bien, tel le Dieu-enfant dont Dürer a gravé la figure, animant de ses jeux parodiques le monde d’une Mélancolie en gésine. Panique nuée de symboles confus et de fantasmes morcelants, le surréalisme apparaît comme une tornade au bord de la dépression atmosphérique où sombrent les normes de l’individualisme humaniste. »

Jacques Lacan 

 


– Est-ce que vous iriez jusqu'à dire que les mots furent pour vous une découverte épiphanique?
– Eh bien! Vous me surprenez!
– Pourquoi cela? Me prendriez-vous pour un non-sachant?
– Ce doit être un peu cela. J'en suis confus... mais heureux!
– Pourquoi cela? Serait-ce le fait que vous auriez trouvé un alter ego?
– Je crois surtout que je me réjouis de parler avec vous. Si je puis me permettre...
– Permettez... permettez...
– Eh bien, je crois que... l'épiphanie, la vraie... c'est votre apparition...

(31) Le sens


« Ici c’est un mur de langage qui s’oppose à la parole, et les précautions contre le verbalisme qui sont un thème du discours de l’homme "normal" de notre culture, ne font qu’en renforcer l’épaisseur.»

Jacques Lacan
 

– De l'aveu même de ceux qui nous apportent ses indicibles messages, les plus beaux vers ne sont qu'un faible écho des harmonies qu'ils ont perçues.
– Qui dit cela?
– Je ne sais pas.
– Comment connaissez-vous ces mots?
– Je dû les entendre...
– Vos ne vous en souvenez plus, mais vous vous souvenez des mots...
– N'est-ce pas là l'essentiel? 
– Je n'en suis pas sûr...
– Expliquez-moi cela!
– Ce ne sont point les mots, ni même leur agencement qui importe, mais l'effet qu'ils produisent...
– N'est-ce un peu douteux comme affirmation?
– On peut dire cela, mais cela ne change rien à l'histoire. Chacun sait, ou devrait savoir que le même phénomène produit des effets différents puisque les gens sont tous différents...
– Et alors... il me semble que vous tombez dans votre propre piège... si chacun est différent, que les effets produits sont différents, alors les mots sont presque aléatoires tant ils peuvent être perçus comme différent.
– C'est là qu'est le miracle. Il est des paroles qui malgré tout cela suscite dans l'esprit de la majorité, je ne dis pas tout le monde, mais la majorité qui comprenne le sens... je dis bien le sens car le sens, ici, n'est pas dans les mots...
– Où se trouve-t'il?
– Il se trouve dans ces échos que certains entendent et ce qu'ils peuvent susciter...
– C'est votre avis?
– Vous dites cela comme si c'était une limitation.
– C'en est une... en effet.
– Vous avez tort... Si ce n'est qu'un avis, l'effet produit par les mots qui ont suscités cette conversation est resté le même. Au delà de mon avis... et du vôtre...




(31) Quand je serai grand


“ L’homme n’est-il pas lié par ses rêves plus encore que par ses expériences? La logique onirique de l’invention n’est-elle pas la trame même sur laquelle le conteur brode son récit? Le plus fort des déterminismes humains n’est-il pas le déterminisme onirique?“

Gaston Bachelard




– Il m’arrive de penser aux temps anciens où je rêvais à “quand je serais grand”. Et quand, enfin, je le serais, ce ne sera, sans doutes, que pour mieux voir à quel point ce que je croyais être si grand, en quelque vérité, pouvait être si petit.

lundi 30 juillet 2018

(30) De vives voix



Je repensais alors à cet homme, un marin sans doute, un sac sur l’épaule, que j’avais vu débarquer sur un ponton au milieu de nulle part. Pourquoi pensais-je à lui ? Je crus l’entendre:
– Après que vous cessiez de rêver de voyages, une certaine sorte d’impulsion continue encore pendant longtemps à se conformer au déroulement ludique de votre pensée. Et il arrive souvent que celle-ci finisse par envahir totalement votre réalité et finisse par forcer la porte étroite que vous vous efforcez de fermer.
Je pensais immédiatement qu'il avait perdu l'esprit. Il dialoguait avec lui-même et les voix qu'il donnait à entendre étaient fort différentes les unes des autres.
– Étant donné l’impulsivité inconsciente de ma conscience, source de plaisir et de chagrin, je fus obligé d’admettre qu’il existait également des rapports entre la présence et l’immatérialité, d’une part, et “des états de stabilité et d’instabilité, d’autre part, et de me prévaloir de ces rapports en faveur de l’hypothèse, à savoir que tout mouvement psychophysique dépassant le seuil de la conscience est accompagné de plaisir pour autant qu’il se rapproche de la stabilité complète, au-delà d’une certaine limite, et est accompagné de déplaisir pour autant qu’il se rapproche de l’instabilité complète, toujours au- delà d’une certaine limite, une certaine zone d’indifférence esthétique existant entre les deux limites, qui peuvent être considérées comme les seuls qualificatifs du plaisir et du déplaisir”... »

De fait, après un court instant, ma propre voix, celle de ma pensée, ne se distinguait plus des siennes.
– En visualisant ses gestes, je me mis au diapason et m’efforçais de reproduire son geste en parfaite alliance avec ma pensée. Je hissais la lanterne au niveau de mon regard et me mis avec force, vigueur et sagesse à observer la beauté du phénomène.
Malgré le fait évident qu’une image se formait dans l’ombre de la lanterne, je n’arrivais pas à la distinguer très nettement. En cherchant à décrire et à expliquer ce que j’avais sous les yeux, j’en arrivais à formuler une hypothèse hautement spéculative:
– ... chaque présence possède en elle-même une sorte de lumière qui sans le vouloir fait de l’ombre à son tour... Je ne visais pas à l’originalité et, par ailleurs, les raisons qui m’incitaient à mettre ce principe en question étaient tellement évidentes qu’il n’est guère possible, à l’instar de la lanterne, de ne pas les apercevoir.




(30) Mémoire de perroquet


Il est des phrase magique derrière lesquelles se cachent d'invraisemblables et facétieuses histoires… mais quelle est donc cette histoire, incertaine pourtant, à laquelle on veut nous faire croire que nous appartenons et à laquelle, envers et contre tout, je prétend, tout simple perroquet que je sois, je me promets, si ce n'est  d'en sortir, du moins d'essayer?


– Du temps où je le fréquentais, Don Carotte était une personne plutôt calme de nature. C'est ce que je pense et c'est aussi ce que j'ai ouï dire... Quand, la plupart du temps, involontairement, son cerveau se mettait en marche, lui aussi, c’était afin d’éviter l’explosion. Et même, plus certainement, l’implosion. Alors ce qu'il disait, dans un premier temps, semblait chargé d'incohérence...

– Je n’ai que faire de ces pensées “molles” qui sans relâche arpentent le labyrinthe de mon cerveau comme le feu arpente les viscères de la terre!


Que voulait-il dire par pensées molles? Je n'eus su le dire à l'époque...

(30) Désir


"Désirer est une profonde énigme remarque la philosophie depuis Platon. Car je peux aussi bien désirer ce qui me fait croître, ce qui favorise la vie ou au contraire ce qui m’égare et me nuit."

Fabrice Midal
 





dimanche 29 juillet 2018

(29) Soumis au temps


" Tout ce qui est est soumis au temps, à la mort, vit, croît, décroît et meurt. Ça marche pour les planètes, pour les fleurs, pour nous et donc pour les civilisations. Je ne suis pas de ceux qui croient que les civilisations sont éternelles. Il y a eu des civilisations, elles ont été vivantes, elles sont mortes, elles ont laissé des traces, il suffit de voir les pyramides en Égypte, etc. Ce qui montre que des civilisations sont mortelles, c'est donc qu'elles ont été vivantes.    
Au moment de ce cours, nous sommes au moment de la naissance, il suffit de voir que le christianisme n'est pas un, mais multitude, quelque chose grouille, qui ne se nomme pas encore christianisme, mais qui ressemble à des petites communautés. Il n'y a que des sectes. Alors il faut penser le mot dans une configuration ancienne, pas comme celles d'aujourd'hui, encore que, mais la plupart du temps, une religion, c'est une secte qui réussit. Au départ, vous avez un certain nombre d'individus qui croient ce qu'un autre individu dit sur la vie, la mort, l'amour, sur tout, et cet individu, on y croit ou pas. Si on est un ou deux, dix, quinze ou vingt, on appelle ça une secte, si on est quelques milliers, on appelle ça une religion. Mais que s'est-il passé entre les deux?"


Michel Onfray





(29) En mouvement


The Moving Finger writes; and, having writ,
Moves on: nor all your Piety nor Wit

Shall lure it back to cancel half a Line,
Nor all your Tears wash out a Word of it.


The Rubbiyat of Omar Khayam

Le doigt en mouvement écrit, et ayant écrit il bouge . Ni ta piété ni tout ton esprit peut annuler une demi-ligne.
Lire la suite: https://www.brainyquote.com/fr/citation/omar-khayyam_390147
Le doigt en mouvement écrit, et ayant écrit il bouge . Ni ta piété ni tout ton esprit peut annuler une demi-ligne.
Lire la suite: https://www.brainyquote.com/fr/citation/omar-khayyam_390147


–  Le doigt en mouvement écrit et ayant écrit se déplace,
Ni votre Piété, ni tout ton esprit ne peut annuler ne serait-ce que la moitié d'une ligne,
Ni toutes tes larmes ne lavent le monde d'un seul mot...


Cent-vingt-troisième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Rouge

Le sable, l'eau, le soleil, l’univers entier serait fait d'atomes... même nous serions fait d'atomes, c'est ce que nous croyons... parce que nous l'avons appris à l'école..., mais, se pourrait-il que cela ne soit que le début d'une histoire beaucoup plus complexe qui reste à explorer et qui pourrait remettre en cause nos certitudes?*


* Le mystère de la matière noire
https://www.youtube.com/watch?v=PuZupU7KgkU


samedi 28 juillet 2018

(28) Une lettre


" Parfois le passé, ce pays lointain, entre en résonance dans l'ordre de l'imaginaire avec la vie réelle de l'auteur."
Le Prince de Cochinchine, Jean-François Parot, JC Lattès




Ainsi Don Carotte écrivit-il dans son journal ce qui se passait alors:
 

Le jour qui suivit, par voie d'eau, je reçus une lettre. Elle m’était envoyée par un certain M. Cornuz. Je ne connaissais qu’un vieux bouc bourru nommé ainsi et il m’étonnait que celui-ci fut capable d’écrire une lettre ou quoique ce soit d’autre...  De plus comment avait fait pour me trouver était en soi un mystère.

Cher et estimé Don Carotte

Sans aucun doute nous n'avons guère été amis dans toute cette série de rencontres, toutes plus ou moins fortuites et véridiques en apparence, mais je me dois de vous dire combien je les ai apprécié. Certes je ne puis dire que pour moi ce fut une suite continue de victoires sur la grande scène du théâtre de la vie, mais du point de vue qui est le mien et avec le recul que me donnent les années, je vous suis reconnaissant de "tout" ce que vous avez fait pour moi. J'emploie à dessein ce terme ambigu de "tout", car il est des renversements qui pour bizarre qu'ils paraissent n'en sont pas moins emplis de vérité. Vous devez être surpris. Mais, justement, il est des vérités qui sont bonnes à dire et celles qui vont suivre vont vous combler, j'en suis sûr. Ne croyez pas, je vous prie, que je les considère comme des défaites qui feraient suite  à celles que vous connaissez. Je vous l'ai dit, l'âge aidant, à l'aube de ma propre disparition, plus profonde que la vôtre et surtout définitive, c'est une façon nouvelle d'envisager le monde qui me fait écrire ces quelques lignes et le grand crédit que je porte à votre mémoire n'est point étranger à cette situation. Je ne veux point profiter de l'éclat nouveau, que vous ignorez peut-être et qui éclaire votre nom dans le cercle fermé que vous connaissez et dont vous croyez sans doute avoir été chassé. Non, croyez-le, mon repentir est sincère, Sans dessein de me justifier, je crois qu'il est temps pour moi, comme pour d'autres, de refaire connaissance... ainsi je vous prie de bien vouloir me faire l'honneur d'accepter l'invitation ci-jointe. Je ne sais comment vous appeler et vous joindre, mais, en vertu de nos antiques traditions, je fais entièrement confiance au éléments. Je n'y ajouterai pour toute chose que ces quelques mots de Corneille:

« Tandis que vous vivrez, le sort qui toujours change
Ne vous a point promis un bonheur sans mélange.»
[...] ”

Naturellement je me méfiais de ces termes avantageux et de cette reconnaissance aussi tardive qu'élogieuse qui, selon moi, dissimulaient certainement un piège nouveau...

(28) Antiquité vertigineuse


"Tu es un ogre, me disait parfois Rachel. Un Ogre? C’est-à-dire un monstre féerique, émergeant de la nuit des temps? Je crois, oui, à ma nature féerique, je veux dire à cette connivence secrète qui mêle en profondeur mon aventure personnelle au cours des choses, et lui permet de l’incliner dans son sens. Je crois aussi que je suis issu de la nuit des temps. J’ai toujours été scandalisé de la légèreté des hommes qui s’inquiètent passionnément de ce qui les attend après leur mort, et se soucient comme d’une guigne de ce qu’il en était d’eux avant leur naissance. L’en deçà vaut bien l’au-delà, d’autant plus qu’il en détient probablement la clé. Or moi, j’étais là déjà, il y a mille ans, il y a cent mille ans. Quand la terre n’était encore qu’une boule de feu tournoyant dans un ciel d’hélium, l’âme qui la faisait flamber, qui la faisait tourner, c’était la mienne. Et d’ailleurs l’antiquité vertigineuse de mes origines suffit à expliquer mon pouvoir surnaturel: l’être et moi, nous cheminons depuis si longtemps côte à côte, nous sommes de si anciens compagnons que, sans nous affectionner particulièrement, mais en vertu d’une accoutumance réciproque aussi vieille que le monde, nous nous comprenons, nous n’avons rien à nous refuser."

Le Roi des Aulnes, Michel Tournier, Gallimard


Extrait du Grand Cahier Rouge de Don Carotte au dos de l'image ci-dessus



 Qui pourrait dire ce que fait l'enfant Lune sur cette image?
A-t'il la tête dans les nuages?
A-t'il les pieds sur terre ou sur le sommet d'une vague sur laquelle il se déplace?
En de semblables circonstances, il est d'usage de se taire. Rien ne peut dire ce qui se passe dans la tête de celui qui semble perdu... Cependant, je me dois de le dire, c'est un malentendu. J'en suis pleinement convaincu. Un malentendu proche de l'ignorance et surtout du mépris. Rien n'est plus conforme que la sagesse populaire... Et rien n'est plus éloigné de la vérité... encore faudrait-il en donner quelque définition... si tant est que l'on puisse le faire... Je le sais il en faudrait moins que cela pour  être considéré comme fou... ou du moins comme individu non conforme. La non conformité, tout comme la sagesse populaire, n'appartient à personne. C'est en cela qu'elle est populaire. Tout le monde peut se l’approprier. Ce que personne ne manque de faire...




(28) Insaisissable infini


Pour louer la vie et la journée,
attends la fin de l'une
et le soir de l'autre.
 
Jean Racine
 


Extrait du Grand Cahier Rouge de Don Carotte au dos de l'image ci-dessus
 
Où il est question de l'enfant Lune que don Carotte a bien connu.
À l'ombre des étoiles, dans ce décor sans cesse renaissant et s'adaptant parfaitement aux désirs secrets de chacun, l'enfant Lune, rapide et concentré, construit et démonte ce qui dans l'instant lui apparaît. C'est ainsi qu'il apprend à marcher, épuisant jour après jours l'infini insaisissable des formes et des histoires..
Les souvenirs sont des pièges, des arbres aux innombrables branches et dans cet enchevêtrement hors du temps les hommes sont des prisonniers persuadés que l’occulte loi de la mémoire est incontournable...



vendredi 27 juillet 2018

(27) Surgissement


Le Cap'tain cherche une issue à l’enfermement de son âme. Sortie de la brume, surgie du passé une autre créature lui apparaît dont il reconnaît une sorte de vague ressemblance avec les siens ou plus encore: de ce qu'il connaît... ou croit connaître. Luttant contre son instinct et faisant autant confiance au ton de sa voix, la part invisible, qu'à son sourire. Il s’approche de lui... à moins que ce ne fut l'inverse et qu'il se laisse approcher...
 

 
– En tout cela subsiste ça et là quelques bribes de vérités ou du moins quelques choses de moins faux que ce que je pouvais  penser il y a bien longtemps.
– Dans cet autrefois, existait-il encore, à l’horizon, quelque territoire inconnu qu'il nous était encore permis d'imaginer?
– Oh, bien des territoires aux propriétés inconnues, bien loin celles qui sont devenues la norme d'aujourd'hui... Dans les contreforts à peine visibles à travers des nuages, de simples rochers au milieu de nul part, présageaient d'immenses étendues de falaises basses ou hautes au-dessus de rivières, de lacs, d'étangs et de fleuves auxquels nul nom ne les avaient encore enfermés...

(27) Détournement


« Lorsque l’homme tout entier aura atteint le bonheur,
il n’y aura plus de temps, parce qu’il sera devenu inutile.»
Kirlov in «Les possédés» F. Dostoievsky


Extrait du Grand Cahier Rouge de Don Carotte au dos de l'image ci-dessus
Où il est question du Cap'tain que don Carotte a bien connu autrefois.


Si, alors que je n'étais qu'un enfant, quelqu'un avait pu m'expliquer en détail tout ce qui m'entourait, toutes proportions gardées, mon attention aurait probablement été détournée de ce que nous appelions des images... Comme le Cap'tain j'aurais alors été dirigé vers ce qui s'appelle les "faits historiques" ou ce qu'il appelait le concret.  Et pourtant il me semble évident que ce genre de préoccupation intellectuelle m'aurait fermé au contact direct et à cette réaction spontanée que provoquaient en moi les images mystérieuses que je découvrais dans les livres du Cap'tain. Ici, je ne me trouvais pas seulement debout, les deux pieds sur terre, devant le fruit d'une imagination humaine individuelle, mais en présence de visions accumulées par des générations innombrables, et basées, à quelques écarts près, sur une expérience intérieure et une réalité spirituelle en face desquelles je croyais mon intellect impuissant et sans jugement.




(27) Le cours du temps



 Extrait du Grand Cahier Rouge de Don Carotte au dos de l'image ci-dessus
Où il est question du Cap'tain que don Carotte a bien connu autrefois.

Au faîte de sa carrière, le Cap'tain souvent médite à haute voix... Personne ne savait à qui il s'adressait.
– Sans la constante conscience de la réalisation: notre seigneur et maître croit, chantant avec son cher conseiller invisible au plus profond de sa forêt, retourner aux origines de l’être suprême. La pureté de sa parole s’étant défaite de l’impure critique, il ignore l’avènement du réseau des idées qui ferait de l’ensemble de sa pensée artistiques un seul Temps au sein duquel le peuple des élus pourrait traduire à volonté la potentialité infinie, et faire entendre, à travers l’ensemble, l’unité d’une seule et véritable polyphonie, dans laquelle se fondent toutes les autres...

– Chut, il me semble les entendre...


Comme chacun, sans trop de décence, il remonte le cours du temps, il évoque en chambre de dégrisement le sombre désir qui nous étreint : celui du savoir, étrangement mêlé de mystère et de science.







jeudi 26 juillet 2018

(26) Passage


“Toujours, quand les idéaux d’une génération ont perdu leurs couleurs, leur feu, il suffit qu’un homme doué d’une certaine puissance de suggestion se lève et déclare péremptoirement qu’il a trouvé ou inventé la formule grâce à laquelle le monde pourra se sauver pour que des milliers et des milliers d’hommes lui apportent immédiatement leur confiance; et il est de règle constante qu’une idéologie nouvelle - c’est sans doute en cela que réside son sens métaphysique - crée tout d’abord un idéalisme nouveau. Car celui qui apporte aux hommes une nouvelle illusion d’unité et de pureté commence par tirer d’eux les forces les plus sacrées: l’enthousiasme, l’esprit de sacrifice. Des millions d’individus sont prêts, comme par enchantement, à se laisser prendre, féconder, et même violenter, et plus ce rédempteur exige d’eux, plus ils sont prêts à lui accorder. Ce qui, hier encore, avait été leur bonheur suprême, la liberté, ils l’abandonnent par amour pour lui, pour se laisser conduire passivement; le ruere in servitium de Tacite se vérifie une fois de plus: une véritable ivresse de solidarité les fait se précipiter dans la servitude et on les voit même vanter les verges avec lesquelles on les flagelle.”

Stefan Zweig, Conscience contre violence, Le Castor astral



Extrait des Mémoires du Cap'tain

  
Le Cap'tain, au gré de ses métamorphoses et des rencontres, se demande souvent à quel degré de souche se fera son prochain héritage. Sera-t’il considéré comme descendant de lui-même ?

– C’est probablement pour cette sorte de raison que je suis ici de mon plein gré, bien que d’une certaine manière, j’y ai été amené...
 

– Je ne faisais et ne fais toujours que passer. Je ne m’approprie rien et finalement je les fais vivre. On peut dire que je les distrais autant qu’ils me distraient.




(26) Outrances







On trouve aussi dans ces vestiges beaucoup de légèreté et de tristesse, certes, le plus souvent exprimé de façon outrancière et quelques fois grossière, mais l’éclat et parfois l’enflure du style ne font que renforcer le caractère pathétique des situations théâtrales. Il n’avait qu’un seul et unique but, l’amélioration matérielle et morale du noble peuple grégaire.







(26) Peu de temps auparavant



 Peu de temps auparavant, nous étions tous des enfants qui croyions que nos pensées pouvaient influencer le monde. Nous avons traversé le ciel, pénétré et vaincu la nuit la plus noire...
Les incessants flux et reflux desquels nous devions nous protéger n’arrangeaient pas nos affaires.
En outre, comme par un fait exprès, le monde dans lequel nous nous trouvions n’avait de cesse de tourner et de se retourner...


Extrait des Mémoires du Cap'tain



– Si l’homme, au début de ce siècle, et plus encore dans les siècles passés, était encore considéré comme un être à part dans la nature, c’est bien entendu en raison du poids de ses propres convictions... 
– Comment eut-il pu en être autrement?
– Qui pourrait y opposer la moindre contradiction?
– Nombreuses sont les questions auxquelles nous ne pouvons prétendre répondre...
 – Quand même, comment expliquez-vous cela?
– L'homme, les hommes... ont des convictions qui dépassent le cadre de ce qu'ils appellent la nature.
– Vous voulez parler de leurs fameuses idées.
– C'est cela t surtout de celles, religieuses, qui leur confèrent une âme...
– Mais, nous le savons bien, ils ne sont point les seuls à en posséder une.
– Cela, nous le savons, mais eux...
– Eux?
– Ils ne le savent point. Ils sont sûrs d'être les seuls... à être d’essence divine.

mercredi 25 juillet 2018

(25) Les mémoires du Cap'tain


Si la validité d’une théorie dépend du fait de sa reproductibilité alors il se pourrait que rien ne puisse être validé...

Il me semble que non seulement les actions sérieuses des hommes légers et allègres, mais encore leurs divertissements sont dignes de mémoire. Cette opinion m’est venue à la suite d’un voyage auquel j’ai participé malgré moi et que je vais rapporter.
 


Extrait des Mémoires du Cap'tain


Extrait du Grand Cahier Rouge
Annotation de la main de Don Carotte au dos de l'image ci-dessus

 Le monde du Cap'tain, que j'ai bien connu, n’est pas un espace scientifique, c'est un monde en marge fait de voyages et où le monde normal perd pied...
Qu’en est-il du discours véhiculé par les rituels ou par les documents qui la fonde? C'est une question embarrassante. Bien malin serait celui qui pourrait le dire... mais il est des faits sur lesquels on peut s’appuyer. Par exemple il est incontestable que la raison y a sa place. Une place de premier choix, mais...




(25) Inexorablement


" Comme Le Torrent
Se précipite Vers La Mer,
Comme Le Soleil Et La Lune Glissent
Par Delà Les Montagnes Du Couchant,
Comme les Jours Et Les Nuits
Les Heures Et Les Instants S'enfuient,
La Vie Humaine S'écoule Inexorablement."


Padmasambhava (VIIIe Siècle)


  

Croquignole, Filochard et Ribouldingue le savent aussi ...
La vie s'écoule inexorablement...



 

mardi 24 juillet 2018

(24) Un certain point de vue


« Cette pensée, de l'horizon infini, porte en elle je ne sais quelle horreur secrète; en effet, on se trouve errant dans cette immensité à laquelle sont déniés toute limite, tout centre, et par là même tout lieu déterminé. [...] Il n'est pas bon pour le voyageur de s'égarer dans cette infinité.»

Johannes Kepler, De stelle nova in pede Serpentari in Opera Omnia


– Avez-vous remarqué combien peut changer notre vision des choses?
– Vous voulez dire selon le point de vue que l'on adopte?
– C'est cela... et plus encore... 
– Je vous trouve bien mystérieux... serait-ce dû à l'errance de vos pensées?



(24) Un protecteur ?


" Et que faudrait-il faire?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce,
Grimper par ruse au lieu de s'élever par force?
Non, merci!
Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers? se changer en bouffon
Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre,
Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre?"


Cyrano de Bergerac, Edmond Rostan



– Et vous-même?
– Comment cela "et moi-même"?
– Pensez-vous qu'il faille chercher un protecteur puissant?
– Vous le savez comme moi...
– Que voulez-vous dire?
– Que nous n'avons pas le choix!
– C'est bien ce que je regrette...
– Vous aussi?
– Comment cela "moi aussi"?
– Eh bien, tout comme moi vous pensez...
– Certes, tout comme vous je pense, mais l'égalité s'arrête là. Je ne pense point comme vous...

lundi 23 juillet 2018

(23) Tout seul


« Comme nous avons su d’emblée nous y prendre pour préserver notre ignorance, pour jouir d’une liberté, d’une absence de scrupules, d’un manque de prudence, d’une hardiesse, d’une gaieté d’esprit dans notre vie à peine concevables, pour jouir de la vie! Et c’est uniquement sur ce fondement d’ignorance, désormais inébranlable et granitique, que la science a eu jusqu’à présent le droit de s’élever, la volonté de savoir sur le fondement d’une volonté bien plus vive, de la volonté de ne pas savoir, d’incertitude, de non vrai.» 

Friedrich Nietzsche, Œuvres, Par-Delà le bien et le mal
Prélude à une philosophie de l’avenir, Chapitre II




– D'un bout à l'autre de la vie , il n'y a qu'un tout petit pas qu'il n'est point difficile de franchir... il se fait tout seul...

(23) Étrange simplification



« Dans quelle étrange simplification et falsification vit l’homme! On n’en finit pas de s’émerveiller, pourvu qu’on se soit d’abord fait les yeux qui permettent de voir cette merveille! Comme nous avons rendu tout ce qui nous entoure clair, libre, facile et simple! Comme nous avons su octroyer à nos sens un passeport pour tout ce qui est superficiel, à notre pensée un désir divin de bonds malicieux et d’erreurs de raisonnement!» 
 
Friedrich Nietzsche, Œuvres
traduction Patrice Wotling 




(23) Point de souvenirs


« Mick s'assit sur les marches, la tête sur les genoux, et rentra dans l'espace du dedans. Pour elle, il y avait deux espaces, l'espace du dedans et l'espace du dehors. L'école, la famille, les événements du quotidien s'inscrivaient dans l'espace du dehors.»

Carson McCullers, Le cœur est un chasseur solitaire (1940)
p165 Pochotèque, traduction Jacques Tournier


Il n’est point de souvenirs dans le pays où l’enfant Lune vit, mais il n'en point de même dans le pays de Pinocchio, l'Autre.

 – Bientôt les éclairs firent leur apparition...

(23) Aveuglement


« Mr Singer était dans les deux espaces. Les pays étrangers, les projets et la musique occupaient l'espace du dedans. Les chansons qu'elle imaginait. La symphonie. Quand elle était seule dans l'espace du dedans, la musique qu'elle avait entendue le soir de la fête lui revenait. Cette symphonie poussait lentement comme une grande fleur dans son esprit. Quelquefois, pendant la journée, ou le matin à l'instant de son réveil, une nouvelle partie de la symphonie lui apparaissait brusquement. Il lui fallait alors s'isoler dans l'espace du dedans, l'écouter plusieurs fois et tenter de la refondre dans les passages qu'elle se rappelait. L'espace du dedans était un endroit très secret. Au milieu d'une maison pleine de monde, Mick pouvait y rester enfermée à double tour. »

Carson McCullers, Le cœur est un chasseur solitaire (1940)
p165 Pochotèque, traduction Jacques Tournier




– Bientôt les éclairs firent leur apparition... et loin de nous éclairer ne firent que nous aveugler.

dimanche 22 juillet 2018

(22)




Les lourds nuages noirs avaient déversés sur nous tout ce qu'ils peuvent puis au loin s'en étaient en allés.

(22) Tels des soleils




Du fond de la mer vers nous montaient, monstrueux, tels des soleils... de globuleuses méduses dont la lumière incertaine eut fait dresser les poils sur les bras du premier venu. Ce que l'enfant Lune n'était pas...

(22) En parfaite harmonie




Du fond de la met vers nous montaient, tels des soleils... de bien étranges plantes pour lesquelles l'enfant Lune ressentait de l'affection et avec lesquelles il se sentait en parfaite harmonie.

samedi 21 juillet 2018

Un sourd roulement


À mesure que nous avancions le ciel était de plus en plus chargé. Il ne faisait plus aucun doute que nous allions être rincé. Les lourds nuages noirs s’accumulaient et déjà nous entendions au loin le sourd roulement de l’orage. Bientôt les éclairs firent leur apparition et loin d’éclairer ne firent que nous aveugler. Malgré cela Pinocchio, l'Autre, ne perdait nullement son sourire.






Autre chose


"Les lois qui régissent l’univers sont naturelles, c’est le fait de ne pas comprendre qui fait entrer en scène le surnaturel. Pour certains d’entre nous, quand nous ne comprenons pas, quelque chose ou une partie de nous-même, en nous-mêmes se met à danser, à s’exciter, à demander, comme un enfant, avec la même exigence impatiente et véhémente... généralement peu importe la réponse, pourvu qu’il y en ait une..."

J.R. Dos Santos, La formule de Dieu



Extrait du Grand Cahier Rouge
Annotation de la main de Don Carotte au dos de l'image ci-dessus

Il faudrait qu’il y eut autre chose... quelque chose d’une nature complètement différente... quelque chose cependant qui puisse être comprise dans son sens le plus complet. Cependant ce simple fait suppose que la différence n’est pas complète car alors elle ne pourrait être comprise...

vendredi 20 juillet 2018

Destinée


Il est des croyances qui dépassent toutes les autres, mais toutes les formes de tromperies et de déni ne sont point seulement mystification.



– Quelle est donc cette Destinée à laquelle nul ne peut prétendre échapper? Elle qui est censée présider aux choix de vie, se pourrait-il qu'elle puisse prédire un futur pour toujours au-delà de ce qui, pourtant déjà scellé, bouge et agit encore. 

Tout reprend sa place



–  Peu à peu tout reprend sa place. Les acteurs avec lenteur prennent conscience qu’eux aussi pourraient prendre en main leur propre destin et démasquer l’auteur. Il leur suffirait de relever la tête… Les rôles s'inversent. Chacun à son tour écrit et réécrit l’histoire. Les masques se mélangent. L'histoire se déglingue. Rien ne fonctionne plus. Au-delà de la scène, dans le noir où leurs regards se perdent, la rumeur enfle. Les murmures grondent et certains s’ennuient. Le désordre s’installe et finit par régner. Rien ne va plus… mais le fantôme passe.



jeudi 19 juillet 2018

(19) De tous temps


" L'imagination c'est la capacité de se mettre à la place d'autrui."



Au plein milieu de la nuit, sous le regard du rapace, l'enseigne de la Lampe Rouge, lumière des bordels, de tous temps et depuis le commencement, l'empire des fables et illusions, l'envie secrète, de sang chaud ou froid, agissant par amplification rhétorique, étend son pouvoir...