mercredi 31 juillet 2019

(31) L'effet peluche




... où la règle est simple et se résume à, pour ainsi dire, avec une très légère exagération, marche ou crève...
Selon celle-ci et du fait bien connu que rien n’est plus attendrissant qu’une peluche vivante, l’ânon fut très vite mis à contribution. Le jour même de sa naissance il eût les honneurs de la piste et des applaudissements sous les feux de la rampe. C’est en public et en tremblant qu’il fit des premiers pas. Certes, dans ce lieu, quasi désertique, le public ne pouvait guère être nombreux, mais il le devint et s'il le devint c'était pour voir Candide... On venait de loin... et bien vite on s'aperçut que ce n'était point seulement l'effet peluche qui était à l’œuvre...





(31) Sait-on jamais


« [...] nous décrivent une parfaite conformité entre une subjectivité néolibérale ou une individualité flexible, formées par les valeurs d’autonomie et de créativité et une logique globale du capitalisme tirant profit de l’illusion d’individus qui croient gérer librement leur temps et leur activité pour assurer sa maîtrise sur un temps de travail maintenant identifié à celui de la vie entière.»

Jacques Rancière




Comment savoir ce qui se dit à l’origine de nos histoires, se demande Candide. Sait-on jamais ce qui est la cause... pour autant qu’il n’y en ait qu’une seule! On remonte lentement, puis par à-coups, en se perdant sans cesse et sans jamais être sûr de rien. Il est des évidences qui sont trompeuses.
Si l’on en croit ses notes griffonnées dans ses cahiers, la mère de Candide faisait partie d’un cirque de seconde zone. Une de ces organisations faites de bric et de broc où l’on est content quand on a un peu moins faim, où l'on ne possède rien et où la règle est simple qui se résume presque aux injonctions conjuguées: obéit, travaille, marche et crève... On l'aura peut-être compris, c'est dans ce presque que Candide va disparaître... après y avoir vécu sa prime enfance et une partie de sa jeunesse...

mardi 30 juillet 2019

(31) Résumé


 

La vie de Candide n'est pas simple à résumer. Elle se divise en plusieurs périodes qui toutes se diffractent en de multiples configurations.
Dès sa naissance, sa vie est liée à la fantaisie et au spectacle avec son pacte de plaisir que les gens du cirque tissent avec leurs spectateurs. Puis elle évolue peu à peu vers le genre libertin... Oh rassurez-vous il s'agit de libertinage que l'on pourrait qualifier d'enfantin. Parodie, émotion, réflexion, satire, grivoiserie, édification ou scepticisme vigilant, tout fait sens pour l'enfant qui ne connait encore aucune limite si ce n'est celles de son corps. Puis vient la sombre mise en abîme dans la veine de la philosophie et de l'exclusion... suivie, comme il se doit d'une sorte de rédemption qui n'est autre que la réalisation parfaite de l’imposture...

(30) Homme




  – Sachez, futur jeune homme, réfléchir avant... après cela sera trop tard. Ce qui a été ne peut plus être changé. Jamais nous ne revenons au même. Homme vous serez, mais ce que vous êtes aujourd’hui et ce que vous avez été, vous ne le serez plus. Persistez-vous dans votre demande?
– Je persiste.
– Consentez-vous à ce que nous œuvrions selon notre méthode?
– J’y consens.
– Quelque en soient les conséquences?
– Je les accepte.

 
D’où me venait cette voix, je ne pouvais le savoir. Elle ouvrait cependant la voie à de nouvelles approches dont certaines me promettaient qu'elles allaient me transformer... C'était tentant. Où étais-je? J'avais les yeux bandés. Je n'en savais rien, mais je savais que je n'étais pas là où ils croyaient... D'où me venaient les sentiments étranges et contradictoires qui me faisaient frissonner... je n'en savais pas plus... Peut-être était-ce le fait d'avoir les yeux bandés qui me donnait accès à ce que la vue masque. J'étais loin d'être rassuré et comme toujours en ce type de circonstance la raison défaille et les décisions que nous prenons ne sont pas toujours les meilleures.






(30) Écho


« Un homme à la mer lève un bras et crie: Au secours!
Et l'écho lui répond: Qu'entendez-vous par là?»

Jules Supervielle


Entièrement submergé et soumis à l’emprise sans surprise des vies quotidiennes, l'être humain, par saccades molles, s'invente des vies dans lesquelles il essaie tant bien que mal de s'y projeter. Ainsi, pour autant que l'imposture demeure discrète, il aura l'impression d'être libre...

(29) Liberté, égalité...


« Serait -il possible qu’il soit en train d’inventer, que rien de tout cela ne soit jamais arrivé?»
Augustin Bessa-Luís, L’Âme des riches, Métailié



 Sans s’en douter le moins du monde Candide avait ouvert la porte de ce que plus tard il considérera comme le plus grand mensonge possible: celui du paraître, de l’honneur et de l’espoir avec pour chacun le masque d’un mot: liberté, égalité, fraternité.

lundi 29 juillet 2019

(29) Certitude


... Les livres adressés au vulgaire doivent être suffisamment intelligibles s'ils sont lus comme le vulgaire a coutume de lire, autrement dit, leur substance doit se dévoiler à une lecture très inattentive et négligente. En d'autres termes, dans les ouvrages vulgaires écrits à des fins d'instruction, l'enseignement le plus fondamental doit être écrit en grosses lettres à chaque page, ou il doit être l'enseignement le plus clair qui soit, mais il n'en est pas de même pour les livres philosophiques. Spinoza soutenait que l'on peut parfaitement comprendre des livres intelligibles sans que le lecteur sache à qui ils sont adressés. En soulignant le fait que le Traité est adressé à un petit nombre d'hommes, il nous donne la première clé pour la difficulté spécifique de l'ouvrage. Il dit que l'ouvrage est spécialement destiné à ceux qui «pratiqueraient la philosophie plus librement si une unique chose ne s'y opposait, savoir leur opinion que la raison doit être la servante de la théologie».
Ceux qui pensent que la raison ou la philosophie ou la science doivent être au service de la théologie, Spinoza les caractérise comme des sceptiques, ou comme des hommes qui refusent la certitude de la raison, et le vrai philosophe ne peut pas être un sceptique ".


Léo Strauss, La persécution et l'art d'écrire





 

dimanche 28 juillet 2019

(28) Théâtre


Dans la fiction, bien des choses sont dites sans qu’il y ait (fictionnellement) personne pour les dire, et le prisme à travers lequel le monde fictionnel se donne à voir peut révéler un ego qui n’est pas celui d’un locuteur.

Mary Galbraith, « Deictic Shift Theory and the Poetics of Involvement in Narrative », p. 32


 

... rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Noir bordé d'Or

Cependant, on a beau chercher, on ne trouve ni dans l’histoire de Candide, ni dans les transcriptions et les rapports des surveillants, d’informations sur la véracité ni sur les choix qui ont présidé au découpage des éléments. On se prend aussi à penser que sur une matière telle que la représentation de la conscience dans le récit, de grandes lacunes laissent trop de place à une certaine facilité...



(28) Prolongement


« Notre intelligence est le prolongement de nos sens. Avant de spéculer, il faut vivre, et la vie exige que nous tirions parti de la matière, soit avec nos organes, qui sont des outils naturels, soit avec les outils proprement dits, qui sont des organes artificiels. Bien avant qu’il y eût une philosophie et une science, le rôle de l’intelligence était déjà de fabriquer des instruments, et de guider l’action de notre corps sur les corps environnants. La science a poussé ce travail de l’intelligence beaucoup plus loin, mais elle n’en a pas changé la direction. Elle vise, avant tout, à nous rendre maîtres de la matière. Même quand elle spécule, elle se préoccupe encore d’agir, la valeur des théories scientifiques se mesurant toujours à la solidité de la prise qu’elles nous donnent sur la réalité. Mais n’est-ce pas là, précisément, ce qui doit nous inspirer pleine confiance dans la science positive et aussi dans l’intelligence, son instrument? Si l’intelligence est faite pour utiliser la matière, c’est sur la structure de la matière, sans doute, que s’est modelée celle de l’intelligence. Telle est du moins l’hypothèse la plus simple et la plus probable. Nous devrons nous y tenir tant qu’on ne nous aura pas démontré que l’intelligence déforme, transforme, construit son objet, ou n’en touche que la surface, ou n’en saisit que l’apparence. […] Il est impossible de considérer le mécanisme de notre intelligence, et aussi le progrès de notre science, sans arriver à la conclusion qu’entre l’intelligence et la matière il y a effectivement symétrie, concordance, correspondance.»

Henri Bergson


Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se  posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du  problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut pas y avoir de connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit*.  Alors répondez à notre question: D'où venez-vous?

Candide écoute avec attention les questions et les commentaires de ceux qu'il appelle intuitivement les surveillants, mais il ne peut s'empêcher de penser activement. Les questions lui semblent banales et il n'éprouve aucune peine à y trouver réponse. Cependant il se tait... Ainsi, il est véritablement présent mais, dans le même temps, il est ailleurs. Et dans cet "ailleurs", sa mémoire lui présente une scène qu'il vit pleinement tout en sachant que cette scène se déroule dans un autre temps qui ressemble substantiellement à un récit fictionnel, mais dont il ressent profondément la correspondance, même si les rôles sont inversés, avec ce qu'il est en train de vivre dans le monde réel... peut-être ce qu'il considère ou reconnait comme tel et dont personne ne trouvera traces nulle part si ce n'est dans les récits qu'il fera ou qu'il pourrait faire.


*Gaston Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique, p. 14




samedi 27 juillet 2019

(27) Humanisme


« L'art floral consiste à unir en une composition cohérente des fleurs différentes, des roses rouges, blanches, jaunes ou noires, dans un ordre savant qui échappe au premier regard mais qui enchante l’œil...»


– Alors jeune Candide, auriez-vous l'amabilité de nous parler de l'Humanisme.
Candide:
L’humanisme, vous le comprendrez, m’est étranger...
– Il a de l'esprit, mais c'est un effronté qui oublie la majuscule!
– Le fait-il volontairement ou par lacune?
Le jeune Candide reprend:
– Cependant le peu que j'en connais fait que j’aimerais en connaître plus.
– Ne serait-ce point une sorte de moyen détourné, une sorte de feinte du même genre que le cheval de Troyes ou mieux une redite plus ambitieuse encore que la folie de Prométhée?
– Voyons mon ami, soyez bienveillant! Il est encore bien jeune!
– C’est ce qu’il parait et non ce qu’il est.

– Qu'insinuez-vous?
– Je crois qu’il veut simplement, mais pleinement, prendre notre place.
Candide:
– En vérité c’est un mensonge!
– Un mensonge qui dit la vérité ça ne veut rien dire.

Candide:
 – Cela veut dire qu’en vérité il y’a mensonge...
– Vous êtes un emberlificoté!
– Et un emberlificoteur !

Candide:
 – Puisqu'il en est ainsi, je ne vous dirai point ce qui me passe par la tête...
– Nous le savons déjà!

 Candide:
 – Comment pourriez vous le savoir?
– C’est l’auteur qui nous le dit!

Candide:
 – Et qui est-il?
– C'est un secret...





« Partant d’un état dans lequel les cases sont désordonnées, le défi consiste à ordonner les cases en les faisant coulisser dans un espace vide. Le problème qui se pose est de savoir si l’on peut gagner à ce jeu solitaire en partant de n’importe quelle configuration de départ. De prime abord, l’idée que le jeu possède une portée ontologique semble déconcertante. En effet, le jeu ne représente-t-il pas justement ce qui n’engage que de façon limitée et temporaire?»





vendredi 26 juillet 2019

(26) Labyrinthique


– Son cerveau est un labyrinthe au fonds duquel se terre un mystère qui les effraie...



– Est-ce là votre vêtement de tous le jours?
– Je ne sais pas trop ce que vous aimeriez que je dise et de toutes façons ce n'est pas moi qui choisit comment je suis habillé...
– Qui donc pourrait...
– Là n'est pas la question...
– Justement quelle est la véritable question?
– C'est à vous de nous le dire. Que comprenez vous à nos questions?
– Je comprends que vous avez encore des questions...
– Qu’est ce qui vous fait penser cela?
– Je ne sais pas? Le mot... les mots me sont venus à l’esprit ...
– Comment sont-ils venus?
– C’est un mystère.
– Qu’est ce qu’un mystère
– Quelque chose que l’on a peine à reconnaître...
– Pour reconnaître il faut connaître...
– Justement.
– Justement quoi?
– C’est ce que je disais.

– Et que disiez vous
– Que le mystère était une chose connue puisque nommée puisque identifiée et que l’on peinait à reconnaître...
– Parce que?
– Parce que nimbée de mystère...
– Ainsi la chose ou le fait ne serait pas le mystère en lui même mais un sorte de voile qui le soustrait à la compréhension.
– Il va nous poser des problèmes...
– Il n’est pas ce que nous recherchons...
– Son cerveau est un labyrinthe au fonds duquel se terre un mystère qui les effraie...

(26) Un animal de compagnie


« Déjà le pavé tremble et le piédestal penche, car tout a ses retours. Le reflux est de droit, jamais le genre humain ne reste au même endroit...»
 Victor Hugo, La colère du bronze

 
– Avez-vous déjà eu un animal, disons... un chien de compagnie?
– Je ne crois pas que d'autres animaux que...
– Pourquoi vous êtes-vous arrêté?
– J'allais dire une chose à propos de laquelle un doute m'est subitement apparu.
– Nous aimerions que vous nous en parliez!
– ...
– Alors?
– Selon Claude Lévi-Strauss: la pensée n’est pas que dans le langage et la rationalité, elle est partout à l’œuvre. Enfin quelqu'un qui marche à mes côtés... Il faudrait laisser à chacun de nous, au-delà des normes, la possibilité d'une vérité qui lui serait propre.
– Vous ne répondez pas à notre question!
– Mais il cite Claude Lévi-Strauss!
– Je ne crois pas que d'autres animaux que...  les hommes puissent avoir des chiens de compagnie.
– Ainsi, vous aviez des doutes?
– Il en avait et pour cause... Ainsi vous considérez les Hommes comme des animaux comme les autres?
– Le mot avait failli m'échapper et ce que sous votre insistance que j'ai fini par le prononcer.
– Il a du cran ce petit...
 - Comment la pensée peut-elle être présente sans aucun mot ne la véhicule?
– Voilà bien une question qui ne peut se passer des mots qui la structure... Mais la nature est ainsi faite que l’enthousiasme de Platon, le petit chien bleu, génère immédiatement un léger déséquilibre qui n'a précisément rien à voir avec la pensée ni avec l'espèce, ni avec la vérité, si ce n'est la part qu'elle peut avoir avec la gravité...

(26) Doutes et ouverture


« Ainsi Hegel voyait il la fin de l’Histoire sous la forme d’un livret fermé: Mallarmé lui, l’ouvre, le disperse, le retourne et le rend à l’espace où nous apparaissons pour vivre, nous écrire, nous lire et mourir.»

Philippe Sollers, L’écriture ou l’expérience des limites, Points 




– Alors pour en revenir à votre créateur...
– J’ai des doutes.
– Il a des doutes!
– Est-il douteux ?
– Non, douteur.
– Vous ne croyez pas en votre créateur?
– Ce n’est même pas cela.
– Alors qu’en est-il?
– Pour croire en quelque chose il faut...
– Que faut-il?
– Il faut que cette chose existe... or...
– Or?
– Or cette chose existe puisque nous en parlons!
– Ah! Le voilà devenu raisonnable!
– Et résonné!
– Elle, cette chose, existe comme une hypothèse en laquelle, pour l’heure...
– Pour l’heure?
– Je n’y crois pas.
– C’est un incroyant!
– Serait-ce un curieux?
– Non, il l'est, mais... un peu... seulement...
– Curieux ! Je vous dit qu’il est curieux et ma foi... de foi il n’en a pas!
– Êtes-vous croyant, futur jeune Homme?
– Je croyais vous avoir répondu.

– C'est un incroyant!
– Il me semble honnête cependant...
– Futur jeune Homme, enfin... cela aussi est une hypothèse... il nous faudrait encore vous interroger, mais plus profondément.

– Nous allons nous revoir! 



jeudi 25 juillet 2019

(25) Créateur



– Que s’est-il passé pour que maintenant vous ne sachiez plus grand chose?
– Précisément, j’ai appris, si j’ose dire, de fait c’était dans un rêve, face à celle qu’on nommait la Grande Archimère de la Lumière, elle me dit, dans un temps qui me parut infini, que je n’étais qu’une image et qu’il fallait que je me mette en marche pour...
– Pour?
– Je ne suis pas sûr de l’avoir bien entendu...
– Et que supposez vous avoir mal entendu ?
– Lorsque je me réveillais j’avais vaguement en tête ce qu'elle me disait, mais ce n'était pas ou plus un rêve. C’était comme si elle était encore présente dans ma tête.Bien sûr je gardais cela pour moi. J’étais discret pour éviter de passer pour un fou et j’évitais d’en parler autour de moi...
– Revenez à ce qu’elle vous dit!
– Elle me disait qu’il fallait que je me mette en marche pour aller à la rencontre de mon créateur. Cela me parut bizarre...
– Pourquoi
– Je ne savais pas ce qu’est un créateur.
– Et maintenant?
– Je sais ce qui se dit...
– Mais, il y a une sorte de mais inaudible à la fin de votre réponse?
– Vous avez raison.
– En quoi puis-je avoir raison? 

– Il y a encore un mais...
– Quel est ce mais?
– Il y a ce qui se dit et...
– Et?
– Et ce qui est...


(25) Un certain tout


« Il en est de la mentale situation comme des méandres d'un drame.»

Mallarmé, Divagations


– L’espace que vous proposent les images n’est-il point suffisant pour que tout puisse y prendre place?
– Je ne sais ce qu’est ce tout dont vous avez prononcé le nom, mais n’est-il pas vrai que les images soient des espaces limités...
– Pardonnons lui, cela pourrait ne pas être une question!
– D’ailleurs il a oublié, volontairement ou non, le point d’interrogation!
– Ce n’est point rédhibitoire... Allons, profitons de la situation! 

– Dites-nous ce que vous savez de l’image!
– À vrai dire, maintenant... plus grand chose...
– Que s’est-il passé pour que maintenant vous ne sachiez plus grand chose?


(25) Interrogatoire





– Avant tout, cher et déjà Bien-Aimé Candidat, en notre âme et conscience nous nous posons des questions à votre sujet. Pour commencer, bien que vous ayez clairement manifesté votre intention de vous joindre à nous, étant donné ce que vous êtes, auriez-vous l'amabilité de nous dire avec sincérité pourquoi vous aimeriez devenir ce que nous sommes?
– À vrai dire... je ne sais comment le dire...
– Avez-vous été influencé ou, pour le dire autrement, avez-vous entendu parler de nous?
– Un peu des deux...
– Avez-vous lu quelque livre?
– Euh, je ne sais ni lire ni écrire.
– Il se moque de nous!
– Non, faites silence, je crois qu'il a de véritables dispositions.
– Aimez-vous les voyages?
– Cela dépend...
– Vous devez savoir que des voyages il y aura...
– Et de nombreux!
– Croyez-vous, lors de l'un ou l'autre de ces voyages, que nous pourrions sortir de nos images?
– De quoi parlez-vous?
– Ici, normalement... enfin... la Tradition veut que ce soit nous qui posions les questions. Vous comprenez? 

– Je comprends.
– Mais pourquoi avoir posé cette question d'image? 
– C'est bizarre... je ne sais et visiblement vous non plus ne savez pas de quoi il parle, mais prenons l'air inspiré et faisons comme si nous savions de quoi il retourne.

(25) Demande





 

– Très Jeune Candide...
– Il me fait très bonne impression.
– Consentez-vous... persistez-vous à vouloir devenir Homme?
– Il ne sait pas ce qui l'attend!
– Si votre demande est acceptée, sachez, futur jeune Homme, réfléchir avant... après il sera trop tard.
– Ce qui a été ne peut plus être changé.
– Tout change pourtant!
– Jamais nous ne revenons au même.
– Homme, si nous le voulons vous serez...
– Mais ce que vous êtes aujourd’hui...
– Et tout ce que vous avez été, vous ne le serez plus.
– Il ne vous en restera que le souvenir!
– Et celui-ci disparaîtra peu à peu...
– Persistez vous dans votre demande?
– Je persiste.
– Consentez-vous à ce que nous œuvrions selon notre méthode ?
–J’y consent.
– Quelque en soient les conséquences?
– Je les accepte.

– Il va vous falloir au préalable répondre à nos questions... 

mercredi 24 juillet 2019

(24) Célébration




– Célébrons futur jeune homme!
– Seul l'homme, dit Feuerbach, célèbre les fêtes de la vision théorique.



(24) Commencement


Le rapport de l'homme au monde qui interroge toute philosophie renvoie à une dichotomie entre le sujet et les objets. Les substances extérieures étant closes sur elles-mêmes, l'identité des corps a été érigée en un principe logique. A partir de ce principe, Descartes a pu proposer à la réflexion qui nous caractérise de se centrer sur elle-même et de mettre le monde entre parenthèses. Fermer les yeux, ne pas suivre le message des sensations si varié et subtil puisse-t-il être, enfin s'appliquer à un doute méthodique total et intransigeant de manière à trouver, ne serait-ce qu'une certitude non mensongère car rationnelle, permettrait de saisir des lois de la Nature utiles à l'homme. «Je pense», il ne reste plus que cette base, sous-entendu, quelles que soient mes conditions d'être-au-monde, ce «je pense» est irréductible.
Béatrice Déglise-Coste, Représentations du monde et symbolique élémentaire


– Alors comment notre monde, ou mieux encore, comment l'Univers a-t-il commencé?
– S’il a commencé un jour!
– Il faut bien!
– Rien n’est moins sûr. Nous qui sommes mortels, si, si, nous le savons, croyons... ou pensons... que le monde est à notre image...
– Mais nous faisons partie de ce monde!
– Une toute petite partie... infinitésimale...
– Il y a le mot infini dans infinitésimal...
– C’est l’infini... mais en sens contraire.
– L’infini n’a pas de sens...
– Le monde serait un non sens!
– En quelque sorte.
– Il a bien dû avoir un commencement
– C’est hypothèse ou une opinion... mais ce ne peut pas être une certitude et en plus...
– En plus ?

(23) Vaniteux


– Les livres, y compris les idées, les mots, les lettres, les images, ne sont rien d’autre que des tentatives...
– Des tentatives de quoi?
– Il serait vain et sûrement vaniteux de le dire...
– Dites quand même!
– De créer le monde...
– En effet... Ne serait-ce pas plutôt de créer un monde?
– Ce n’est pas moins vaniteux.
– Pourtant... un monde n’est pas le monde.
– Il n’y a pas vraiment de différence...
– Le monde... le vrai, a-t-il été créé ?
– Que voulez-vous dire?
– Vous avez sûrement très bien compris!
– Et vous allez demander qui l’aurait créé?
– Pas forcément!
– Pourquoi ?
– Parce qu’il n’est pas sûr qu’il ait été créé...













mardi 23 juillet 2019

(23) La salle des Miroitements


« En tous les cas, est-il nécessaire de rappeler que sous e vocable plaisant et anodin de la promenade se cache, chez lui comme chez d'autres, une lourde charge du destin? La marche s'inscrit toujours dans une contexte existentiel et géographique distinct, qui la rend originale, donc intéressante, geste de vie ou de survie dans un monde qui se refuse ou qui s'ouvre de manière lumineuse et inattendue.»

Bertrand Levy, La promenade de Robert Walser




– Qu'est-ce encore que cela?
– Il me semble que son nom est Kadi...
– Est-il une des ces créatures nées de votre imagination?
– Je n'en ai aucune idée...
– Tel n'est donc pas le cas!

Derrière les paupières mi-closes de Kadi se déroulaient d’innombrables scènes que lui seul pouvait voir et il n’était pas rare que se mêle à elles des personnages ou des décors qui se trouvaient à proximité. Toujours à leur insu. Il agissait alors comme une sorte de metteur en scène ou d’acteur ou des deux à la fois... ce n’était point par défaut de raison que tout finissait par s’unir, mais au contraire par une sorte d’excès: une rationalité extrême et une obéissance rigoureuse aux lois de la nature telles qu’elles lui apparaissaient et où nul n’eut pu se hasarder sans son autorisation ou son désir. Personne n’était capable d’imaginer combien de tragédies tout autant que de comédies se déroulaient dans le silence apparent des deux scènes et l’arrière fond de la salle des Miroitements. C’est ainsi qu’il la nommait et c’est ainsi qu’elle se manifestait. La moindre parcelle lumineuse agissait comme un appel qui se transmettait d’un côté à l’autre tout en se démultipliant infiniment.  Tout autre que lui n’y eût trouvé que confusion et chimères, mais pour lui, qui depuis toujours vivait avec, rien n’était plus naturel... 


lundi 22 juillet 2019

(22) Kadi


« Si je démontrois que l'homme n 'est vraiment que le produit de son éducation, j'aurois sans doute révélé une grande vérité aux nations. Elles sauroient qu'elles ont entre leurs mains l'instrument de leur grandeur & de leur félicité, et que pour être heureuses et puissantes, il ne s' agit que de perfectionner la science de l'éducation.»

Claude-Adrien Helvétius, De l'homme, de ses facultés intellectuelles et de son éducation [1773]


– Pourquoi faudrait-il qu'il y ait toujours ce zeste de mystère à la limite du fantastique pour que vive l'imagination? Je ne sais pourquoi je me trouve ici, bien loin de tout ce que je connais et pourtant je hais les mystères et les aventures. Peu m'importe la transfiguration du réel,  la dimension mythique, la poésie, le sens sous-jacent ou l'Histoire... Il y avait... il y a encore dans ma démarche quelque chose de léger qui attire le regard. C'est ce qui me sauve et c'est là que se trouve la cause... Pour ce que tout cela eût comme conséquence, je me serais bien passé de son regard, de son amour et de ce qu'il fit pour moi. Il m'a appelé Candide et je ne suis que le produit d'une imagination débridée qui a fait de moi sa chose et peut-être plus encore... Depuis, prisonnier de sa puissante magie, c'est ainsi qu'il se voit... ma vie est enchevêtrée à la sienne, sans que je puisse rien faire que je n'aie eu son agrément. Je suis attentif à tout même si mes oreilles ne sont point encore dressées et que mes mes yeux semblent constamment avoir l'air d'être fermés... Ce n'est pas le cas, loin de là, et mon vrai nom est Kadi...


(22) Un monde nouveau





Cela se passait dans un désert habité de sable et de souvenirs incertains. Du lit déserté d'un fleuve ancien tombait une nuit profonde. Instantanément elle fait suite au jour le plus aveuglant. La tête enfouie dans son masque de sable, un âne perdu pleure. De ses yeux mal réveillés, coulent des larmes amères qui, bien loin d'arroser ce néant, perdurent mais ne font que passer et rejoindre ce qu'elles viennent de quitter.

– Pour la première fois de ma vie, je n'arrivais pas à me réveiller tout-à-fait... D'étranges paroles et les voix que j’entendais dans mon rêve m'accompagnaient en plein midi. Elles ne contredisaient plus mes pensées, mais il arrivait que, par moment elles cheminent avec une telle allégresse que j'avais peine à les suivre. On eut dit que ces mots étaient animés d'une intention qui me dépassait. Dès le moment où j'en pris conscience, un sentiment d'inquiétude me gagna. Je ne pouvais formuler le moindre mot sans m'inquiéter du sens dans lequel il allait m'emmener tout entier. En quelque sorte ma pensée était devenue aveugle et chaque geste que je faisais me racontait la surprise et l'émerveillement d'un monde nouveau pour moi. 

(22) "Pour de bon"





– Relevez le menton! Relevez-vous! Prenez de la hauteur...
Je ne savais comment faire... Le ton était bienveillant mais les bâtons fermes... trop fermes... L'un me brisait les reins et l'autre me coinçait le museau...
– Nous entendons tout ce que vous pensez!
Cette fois je me réveillais "pour de bon", comme l'on dit dans ma campagne... et je me demandais ce que pouvait signifier ce rêve étrange.

dimanche 21 juillet 2019

(21) Réveil


« Je ne me souviens pas de mon enfance; je fus probablement malheureux comme tous les ânons, joli, gracieux comme nous le sommes tous; très certainement je fus plein d’esprit, puisque, tout vieux que je suis, j’en ai encore plus que mes camarades. J’ai attrapé plus d’une fois mes pauvres maîtres, qui n’étaient que des hommes, et qui, par conséquent, ne pouvaient pas avoir l’intelligence d’un âne.»

Mme la Comtesse de Ségur, Mémoires d'un âne



Récit curieux, en désordre, et mémoires furieuses d'un Assagi, ou le Grand Gribouilli, page 2


 Ce que fait cet homme est étrange, me disais-je avec excès...
– Nous te surveillons... nous sommes les deux surveillants, cesse de penser jusqu'à ce que tu sois capable de te surveiller toi-même!
Il n'était plus seul. Il me l'avait dit. Je sentais maintenant leurs présence à ma gauche et à ma droite, et naturellement celles de leurs bâtons. Comment eussé-je pu faire autrement?
J'étais dans un désert habité de souffle et de présences invisibles. Là dans cette une nuit profonde, je distinguais vaguement, dans le coin de mon œil un petit espace de lumière. Je me réveillais. J'avais rêvé. J'avais mal à mes côtés et leurs voix me poursuivaient.






(21) Perception


« Le rapport de l'homme au monde qui interroge toute philosophie renvoie à une dichotomie entre le sujet et les objets. Les substances extérieures étant closes sur elles-mêmes, l'identité des corps a été érigée en un principe logique. A partir de ce principe, Descartes a pu proposer à la réflexion qui nous caractérise de se centrer sur elle-même et de mettre le monde entre parenthèses. Fermer les yeux, ne pas suivre le message des sensations si varié et subtil puisse-t-il être, enfin s'appliquer à un doute méthodique total et intransigeant de manière à trouver, ne serait-ce qu'une certitude non mensongère car rationnelle, permettrait de saisir des lois de la Nature utiles à l'homme.»

Béatrice Déglise-Coste, Représentations du monde et symbolique élémentaire





Récit curieux, en désordre, et mémoires furieuses d'un Assagi, ou le Grand Gribouilli

Voici sans doute la plus belle... et tragique aventure à laquelle j'aie pu jamais participer. Les véritables histoires réservent quelques surprises. Dans celle-ci il y en eut, sans que pour cela elle ne mérite la moindre considération du point de vue de l'Histoire... Il ne reste de tout cela que quelques mots, ceux que le lecteur imprudent, un peu perdu, je l'espère, aura... a sous les yeux. Je défendais alors l'honneur de ceux qui sans aucun grade étaient considérés comme des moins que rien. La moindre parcelle de savoir que nous arrachions ne pouvait être trouvée ailleurs que parmi ce qui n'intéressait personne. Il ne se faisait rien de si glorieux pour nous qu’à cette heure où nous recevions quelque savoir. Le titre de curieux, sous lequel nous courrions jusqu’ici toute la terre, ne devait nous empêcher que l'on ne nous accordât la grâce d'une leçon... Seul, peut-être, parmi tant d'autres, j’eus cette chance. La leçon, même si elle ne ressemblait en rien à ce que je pouvais imaginer, je l'ai eue... Comment et pourquoi je l'ignore. Ma mémoire a pris le relais et maintenant, peut-être depuis toujours, se joue de moi. Je ne sais pas vraiment quand ni comment cela a commencé. D'ailleurs au point où j'en suis de ce récit, rien encore n'a vraiment commencé. Nous n'en étions qu'à de simples exercices, comme ils disaient... Il était question de porte basse... Je me penchais et avançais du mieux que je pouvais, mais j'avais perdu l'aisance de mes mouvement d'antan. Déjà j'étais devenu quelqu'un d'autre. À peine avais-je eu le sentiment, mais aussi la fierté, d'avoir grandi qu'il me fallut me faire tout petit... Tout cela avait l'air d'un jeu, mais, pour ma part, le bâton, se prenant pour un sceptre, de mon point de vue, n'en faisait point partie et c'est pourtant lui qui semblait donner la mesure...



(21) La manière



– Il va falloir trouver votre équilibre jeune Candide. Le chemin est long jusqu'à l'homme... que vous désirez être... N'est-ce point ce que vous désirez? Pour cela, un peu de tenue, beaucoup de discipline, de raison et d'équilibre vous seront nécessaire... la manière, et surtout la prestance vaut plus que tout le reste...

(21) Un petit pas


« Aussi haut que vole un oiseau, il finit par se poser...»




– Un seul pas à la fois, mon enfant... et très petit pour commencer! Tu vois ce n'est pont si facile de ne marcher que sur deux pattes...

Patratas, la fourche du premier homme encore avait langué... et si la langue fourche c'est l'esprit qui récolte...

 

samedi 20 juillet 2019

(20) Gloire archaïque


« C’est dans la préhistoire que l’être humain prend pied, c’est là qu’il a ses racines, et non dans sa masure de paysan ni à l’école de son village. Jamais, en réalité, l’homme n’a quitté ce seuil de l’Histoire où la réflexion a fait ses premiers pas, repoussant inexorablement les joies primitives, comme la cohabitation avec des bêtes sauvages à la fois apprivoisées et chassées, utiles et condamnées. Un mélange, en somme, d'os, de peaux malodorantes, de liberté sexuelle et de domination cruelle, d'agressions, de viols et de torture, de tout ce qui la gloire archaïque de l'homme.»

Augustina Bessa-Luís, L’Âme des riches,  Métailié






Huit-cent-douzième rapport de Don Carotte
Extrait du Petit Cahier Noir Doré sur Tranche


 Le rideau à nouveau s'est ouvert. Le premier homme, de concert et sous la surveillance inquiète du second a repris ses esprits et joue avec ardeur et fidélité ce que le rôle lui demande... L'enfant Candide, l'air de rien, en de si brefs instants grandit démesurément. Ce qui lui vaut estime et admiration. Il ne condamne ni n'excuse ces mœurs qu'il observe avec réserve et , déjà, garde le silence. Sans le savoir, il joue, loin des attentes d'un quelconque bonheur, "ce qu'il croit être" bien loin des passions de l'âme, comme il l'écrira plus tard dans ses propres carnets.




(20) À ce qui est arrivé...


« La forêt est grande, l’obscurité aussi. Mais parfois, au fond du bois il y a ce petit hibou qui refuse de se taire. Je ne suis rien de plus. Et d’ailleurs c’est tout ce que j’ambitionne d’être.»


 
Derrière le rideau de la Grande Scène, à l'abri des regards et des oreilles de l'enfant le dialogue continue.
L'homme second:
– Vous avez dit Mousieur...
 Le premier homme: 
 – Ce n'est pas possible! 
L'homme second: 
– Si, vous l'avez dit... et bien d'autres choses encore que je n'ose répéter! Vous savez ce que  cela signifie...

Le premier homme: 
– Je n'y crois pas.
 L'homme second:
 – À ce qui est arrivé on ne peut rien changer et il est des mots qui, plus que les autres, révèlent vos origines... Celui-là vous a échappé... et ce n'est pas tout...
Le premier homme:
– Bon, cela m'a échappé mais l'enfant n'y a rien vu!
L'homme second:
– Non, mais il a entendu!
Le premier homme:
– Est-ce là le papier sur lesquelles sont écrits les mots de l'histoire? Donnez les moi! Si cela se trouve... c'était écrit...