mercredi 30 septembre 2015

30 septembre (47) Là d'où il vient

Épisode 47

« On perd son temps à vouloir critiquer ce qui ne peut se changer. »
Walid L. Neil


Cher Joachim
L'histoire n'est pas seulement écrite par les rois, les présidents ou les dirigeants. Elle s'inscrit sur des niveaux qui s'interpénètrent, s'accumulent, disparaissent, réapparaissent et disparaissent à nouveau. Quelques fois les mêmes choses ont pris des formes nouvelles...

Sans Nom 
– Monsieur, si cela ne fait rien, j'aimerai vous poser une question.

Le Roi Errant

– Faites donc, je vous en prie.

Sans Nom  
– Sans vouloir dire du mal... vous rendez-vous compte que vous êtes en train de marcher sur des ruines que vous devriez connaître?

L'homme qui fut Roi

 – Si je puis me repérer tant bien que mal,  je ne puis encore reconnaître ce que je n'ai jamais vu, qui m'est totalement étranger... et pour cause... Vous ne le savez peut-être pas, mais je n'étais jusqu'alors, jamais sorti de mon palais.

San Nom
– Monsieur, il s'agit de l'architecture engloutie d'une grande part de votre royaume. Au-delà de celui-ci l'endroit que je vous propose de rejoindre est profondément original. Il est le fidèle reflet des aspirations des habitants de ce pays où les spectacles de la vie sont aussi divers et simples que ceux de la nature qui les entoure. Ce que vous verrez vous surprendra peut-être, mais souvenez-vous bien de ce que je vais vous dire: c'est de là que vous venez. Il me faut vous dire que votre palais s'est considérablement éloigné des assises qui furent les siennes et la difficulté que vous éprouvez à gravir ce qui fut le socle de sa splendeur ne reflète que de très loin ce que ressentent ceux qui y vivent encore. 

L'homme
– Où sont-ils ?

Sans Nom
 – Ils se cachent.

L'homme aveugle
 – Pourquoi cela ? 

Sans Nom
– À cause de votre autorité. 

L'homme aveuglé
– M'auraient-ils reconnu ?

 Sans Nom
– Certes non et sans vouloir vous faire de la peine, je dois vous dire, c'est une simple constatation, que pour eux le moindre étranger est aussi suspect pour eux qu'il peut l'être pour vous. Et aujourd'hui, il faudra vous y résoudre, vous êtes pour eux un étranger.

mardi 29 septembre 2015

29 septembre (46) Marcher dans l'inconnu

Épisode 46

« L'application de méthodes strictement régies par la raison pure
donne naissance à une dialectique aride et stérile
où le cœur ne trouve aucun goût ni saveur. »

Walid L. Neil

Cher Joachim
Il ne fallut guère de temps à notre Roi pour s'habituer à marcher dans l'inconnu. Il fit preuve d'une capacité d'adaptation qui eut surpris la majorité de ses proches si ceux-ci eussent été au courant de ces événements. Il fallait vraiment savoir qu'il était aveugle pour le croire... encore que, dès le début, le doute s'est établi et subsiste encore... mais cela est une autre histoire.

lundi 28 septembre 2015

28 septembre (45) Rien ne limite l'horizon

Épisode 45

Cher Joachim

Nous pourrions penser que la vue d'un aveugle est d'une monotonie infinie. Autrefois comme aujourd'hui, nous nous imaginions un paysage somptueux au-delà de tout ce qui nous était connu et dire que ce n'était pas imaginable était un contresens. Le premier d'une longue série. Un ciel gris et nu obscurcissait notre regard, certes, mais l'image est trompeuse, vous devriez le savoir. Sous un ciel si bleu un spectacle vous apparait durant des heures, des jours entiers, des mois jusqu'à votre dernier souffle sans que jamais le moindre doute vous effleure à propos de sa vraie nature. Ce qui est un second contresens. Vos yeux de voyageur parcourent les immensités de notre planète en croyant voir ce qu'en réalité ils produisent d'eux-mêmes. J'arrête là le décompte... La matière avec laquelle ces images sont faites est la même pour tout le monde. Elle l'est aussi pour moi. Simplement, nous la recomposons de manières différentes. Devant vous, derrière vous, autour de vous, aussi loin que porte votre regard, dans ce monde merveilleux ou nous sommes enfermés, pour moi, rien ne limite l'horizon. Mais tout près de moi, en travers de mes pieds se dressent ce qui me fera tomber et que je ne saurais voir. Mais il me semble, du point de vue où je suis aujourd'hui, que tout pourrait être interprété différemment. C'est certainement le privilège des anciens que très vite nous sommes devenus... au point que... pour ce qui est du présent... nous ne soyons déjà plus... Mais laissons cela.




 Ainsi en était-il aussi de notre Roi...
Que voyait-t’il dans les méandres de son cerveau?
Je ne peux évidemment pas le deviner...


Sans Nom, non sans mal, prépare celui qui fut une sorte de Roi
– Donnez-moi votre main, Monsieur. Il faut que désormais je vous appelle ainsi, pour ne point éveiller de soupçons. Il va falloir, "comme tout un chacun", vous résoudre à arpenter le monde et surtout y vivre. D'une main légère, attentive et réactive, mettez votre bâton par devant vous, balayez à gauche et à droite en veillant à ne point me frapper ou m'écraser. Écoutez ce qu'il vous transmet et en peu de temps vous saurez de vous-même imaginer ce qu'il rencontre.


dimanche 27 septembre 2015

27 septembre (44) Un simple coup de crayon

Épisode 44
« Fermez les yeux et alors seulement vous verrez,
quand disparaissent les attraits
et quand émerge,
venue des profondeurs,

la forme parfaite d'une idée. »

Walid L. Neil

Cher Joachim

Comme vous vous en doutiez, la moustache de notre Bon Roi est factice. Un petit coup de crayon et l'illusion est presque parfaite...





Sans Nom, petit chien bleu
– Habillez-vous, mon Maître, il est que vous quittiez votre palais et découvriez ce qui ne peut s'accepter.

Le roi, qui n'en est plus un mais ne le sait point

– Pourquoi me parler si rudement après m'avoir tant fait saigné ?
Sans Nom
  Il n'est point temps de parler de cela. Et si le temps presse, le moment est propice, profitons-en. Afin de ne pas être trop voyant, emportez les habits de votre valet. Prenez cette béquille pour qu'en tout temps vous ayez un appui qui vous aidera à ne point trop boiter. Veillez à ce qu'elle ne prenne racines... Vous pourriez aussi, d'un léger coup de crayon, gommer cet air de bébé que vous avez conservé. Renoncez à votre couronne et couvrez-vous le chef afin de ne point être vu de ceux que jusqu'alors vous ignoriez.

samedi 26 septembre 2015

26 septembre (44) Un nouveau départ

Épisode 44 

Méphistophélès:
– Bon, c'est un moyen qui ne demande ni argent, ni médecine, ni sortilège : rends-toi tout de suite dans un champ, mets-toi à bêcher et à creuser, resserre ta pensée dans un cercle étroit, contente-toi d'une nourriture simple :
vis
comme une bête avec les bêtes, et ne dédaigne pas de fumer toi-même ton patrimoine ;
c'est crois-moi, le meilleur moyen
de te rajeunir de quatre-vingts ans.

Faust:
– Je n'en ai pas l'habitude, et je ne saurais m'accoutumer à prendre en main la bêche.
Une vie étroite n'est pas ce qui
me convient.

Méphistophélès:
– Il faut donc que la sorcière s'en mêle.


 Le petit chien Sans Nom a pris en charge
le destin de celui qui fut un roi
ou du moins qui l'a cru.
Habillez-vous, mon Maître, il est que vous quittiez votre palais
et découvriez ce qui ne peut s'accepter.

 Cher Joachim

Comme vous vous en doutez, la moustache de notre Bon Roi est factice. Pardonnez ma franchise mais nous nous trompions fortement sur son âge réel... l'avenir nous l'a montré... mais il est vrai qu'à cette époque il était encore imberbe. Pas un poil du haut jusqu'en bas... Tout de même cela me fait un drôle d'effet de le voir accoutré de cette manière.

(43) Un rideau tombe

LAMPITO
 
– Quels sont ces cris ?

LYSISTRATA
 
– Ce que je vous disais tout à l'heure, ce sont les femmes qui s'emparent de la citadelle.
Toi, Lampito, va-t'en chez vous mettre ordre à ce qui vous regarde
et laisse-nous celle-ci en otage. Nous allons nous y barricader
avec les autres femmes qui l'occupent.


– Sire, écoutez mon conseil, ne vous mêlez pas de cela. Ce qui se passe derrière ce rideau ne vous concerne pas plus que tout ce que vous y faisiez tantôt ne concernait que vous.

– Cependant je ne puis les laissez dans une telle détresse ! Écoutez ces gémissements qui me fendent le cœur!

– Croyez-moi, Sire, il y a peu de la détresse à la joie, un tout petit pas...

– Laissez-moi, je veux savoir...

Contre toute attente, le petit chien Sans Nom s'est jeté sur le roi alors que celui-ci se jetait sur le rideau. Ils s'écroulent. Le Roi en hurlant et le rideau en soufflant, mais couvert par les cris du Roi.

– Regardez, vous me faites trébucher et vous faites couler mon sang... vous serez blâmé de la plus sévère des façons, vous pouvez l'imaginer...

– Monseigneur, il y a plus grave, je vous en conjure, suivez-moi, je vous en prie et laissez là ce que vous ne pouvez voir.

vendredi 25 septembre 2015

25 septembre (43) Sans-Nom est son nom

Épisode 43
"Vous n'en mourrez pas, mais Elohim sait que,
le jour où vous en mangerez, vos yeux se dessilleront
et vous serez comme des dieux, sachant le bien et le mal."

Genèse II, 25; III, 1-6, La Pléiade


Cher Joachim
Quand je revois les images que je joins à mon message, images que vous connaissez déjà, je ne peux que m'émerveiller de constater à quel point la lecture que j'en fais aujourd'hui est éloignée de celle que nous fîmes alors. J'espère qu'il en ira de même pour vous... Non pas que je désire que vous ayez la même vision que moi. Loin s'en faut. Mais que quelque chose ait changé dans votre regard me paraitrait un signe encourageant...

Le Roi se retire avec ses conseillères
 Nous allons voir que notre serviteur, ayant œuvré avec succès dans sa quête, est bien prêt d'accéder à ses propres désirs.

Puant et poussiéreux, venu du bout du monde, Sans-Nom venait d'avoir la peur de sa vie. Il avait, presque malgré lui, reniflé les offrandes qui allait être offerte à son maître bien aimé. Il avait instantanément senti le danger qui les guettait, mais il ne pouvait rien dire sans être immédiatement démasqué. Il ne lui était resté qu'une seule possibilité : créer des conditions suffisamment désagréables et scandaleuses pour qu'elles infléchissent l'histoire. 


Sas-Nom prend son courage à quatre pattes et se met à parler
– Mon Bon Maître, les nouvelles que je vous apporte sont pour le moins surprenantes... mais d'abord, promettez-moi une chose : ne touchez pas à ce que l'on vous proposait tout-à-l'heure. Ces petits globes, aussi puissants et plaisant qu'ils puissent être, seraient la cause irrémédiable de votre chute. Ils se passent des choses bien bien étranges dans les bas-fonds de votre royaume et ce n'est pas sans liaison avec le but de notre mission... enfin... en tous cas de la mienne...

jeudi 24 septembre 2015

24 septembre (42) Incertain chef-d’œuvre

Épisode 42

Je désirerai ne pas vous induire en erreur, quant à ce qui concerne cette science ;
il est si difficile d'éviter la fausse route ; elle renferme un poison si bien caché,
que l'on a tant de peine à distinguer du remède ! Le mieux est dans ces leçons là,
si toutefois vous en suivez, de jurer toujours sur la parole du Maître.
Au total... arrêtez-vous aux mots ! et vous arriverez alors
par la route la plus sûre au temple de la certitude
." *


 Le Fou
– Mon Bon Roi, ce chien tremble et n'est guère rassuré... il est manifeste qu'il a peur. Regardez ce regard halluciné qu'il cherche vainement à cacher. Il m'a dit tout-à-l'heure qu'il entendait des voix et que ces voix s'adressaient à vous-même. Or, voyez-vous, si j'ose dire, il me semble que nous ne voyons rien, et surtout ce que nous entendons, ne seraient rien d'autre que le chant de vos sirènes... 

Le Roi
– Je peux le comprendre. Mais dites-moi, quelle est cette odeur putride ? Ces mystérieuses effluves sont-elles les émanations de votre cuisine ou le signe concret de réalités qui nous seraient insaisissables?
 
Le Fou
– Mon Bon Roi, l'idée selon laquelle il existerait certaines sortes de monde parallèle est chose dangereuse, notre cité, à votre convenance, est bâtie sur les fondements de la raison et je crains que ce vous concevez ne soit que le résultat d'un phénomène le plus vulgaire : ce chien errant est sous l'emprise de la peur et il dégage, de par ce fait, ce fumet si peu alléchant.

Le Roi
– Eh bien soit, votre beau discours m'a convaincu. Vous êtes manifestement l'homme de la situation. Il me semble évident que ce sera vous qui allez faire office de goûteur. Démontrez-nous, cher et brillant Orateur, l'inoffensive activité de votre chef d'œuvre.

Le Fou
– Je n'en demandais pas tant... je le ferai sans coup férir et avec grand plaisir; mais, dans ce même ordre d'idée qui vise à la protection de votre Altesse, il me semble que je devrai dès lors aussi me sacrifier et profiter des leçons particulières à propos des zones perceptives émoussées de votre Seigneurie pour juger du bon fondement et des conséquences pour l'instant inoffensives de leurs actes mais qui ne sont pas sans un certain danger. Vous seriez alors tout-à-fait réconforté et pourriez alors, en confiance, profiter pleinement et sans arrières pensée de leur enseignement.

Le Roi
– Je n'ai pas entièrement compris le sens de votre discours mais il n'est certainement pas dépourvu de bon sens. Si j'obtiens l'accord de mes enseignantes il en sera fait selon votre proposition. Permettez que je leur en touche un mot et que nous prenions ensemble, elles et moi, le temps de l'introspection profonde et de la réflexion.


"Cesse donc de te jouer de cette tristesse qui,
comme le vautour, dévore ta vie.
En si mauvaise compagnie que tu sois,
tu pourras sentir que tu es homme avec les hommes :
cependant on ne songe pas pour cela à t'encanailler.
Je ne suis pas moi-même un des premiers ;
mais, si tu veux, uni à moi, diriger tes pas dans la vie,
je m'accommoderai volontiers de t'appartenir sur le champ.
Je me fais ton compagnon, ou, si cela t'arrange mieux,
ton serviteur ou ton esclave." *

* Faust, Goethe, livre de poche
Le Roi se retire avec ses conseillères
 Nous allons voir que notre serviteur, ayant œuvré avec succès dans sa quête, est bien prêt d'accéder à ses propres désirs.
 


mercredi 23 septembre 2015

23 septembre (41) De concert

 Épisode 41

La crise existe comme les monstres sous le lit des enfants. Eric Chauvier

 Le Petit Roi est devenu grand.
Par précaution il veut que le chien goûte d'abord
les plats qu'on lui présente...



Le fou et le chien, de concert:
– Non mon bon Maître, au delà de votre noble raison et de votre inépuisable sagacité, je vous supplie de ne point faire cela ! Cela aurait pour cause que je ne pourrai sans son aide vous faire rapport de ce que j'ai appris et qui est, je le crois, de la plus haute importance.

mardi 22 septembre 2015

22 septembre (40) Un petit curieux

Épisode 40

Pour rappel:
- Je ne suis point souffrant, loin s'en faut et l'on prend bien soin de moi, croyez le bien, mais dites-moi d'abord quel est ce compagnon que vous avez introduit et qui n'eut dû, pas plus que vous même apparaître ici sans voile ? Et puis il me semble aussi, puisque vous vous autorisez quelque remarque personnelle, que votre bosse, selon l'écho qui me parvient, grandirait sensiblement...




 – Je n'y puis rien mon Illustre Seigneur, je n'ai point introduit ce petit chien au demeurant fort curieux. Curieux, il l'est, mais aussi et surtout, il rend curieux. J'avoue que depuis qu'il est à mes côtés. je vois les choses sous un autre angle..., il me suit depuis que je suis entré et pour répondre à votre question et sans vouloir vous manquer de respect, personne n'a jamais vu un chien qui supporte le voile. Il dit aussi vous connaître et même prétend que vous avez commerce avec lui. Comment est-il entré ? je ne le sais, mais si j'en juge selon son aisance il semble bien connaître les lieux. Quant à ma bosse elle se porte bien et je n'y ai remarqué aucun changement.– Une petite voix, mai très claire,  me chuchote à l'oreille de me méfier. Donnez-moi, je vous prie, quelques détails à propos de ces bouchées que vous aimeriez que je mange. Il faut que je vous dise que ne suis plus aussi candide que vous vous plaisez à penser. Peut-être faudrait-il que quelqu'un goûte à ces mets délicats que vous me préparez. Donnez-en une à votre compagnon !

lundi 21 septembre 2015

21 septembre (39) Pour acquérir pleine connaissance

Épisode 39

Cher Joachim

Je vous remercie de votre nouvelle lettre. Je respecterai votre souhait, elle ne paraîtra point aux yeux de tous, même s'ils ne sont qu'une toute petite poignée. Si je m'en tiens au sujet que vous aimeriez que je traite– ma disparition–  je répondrais cela:
Il y a au fond de nous une immensité dans laquelle nous ne discernons que ce que nous croyons connaître. Dans cet immensité, comme un double du monde extérieur, se livrent des combats inégaux desquels nous ne sortons pas indemnes. C'est pour cette raison qu'un jour j'ai décidé de disparaître à vos yeux...
De plus, je crois que j'aimerai mieux comprendre ce qui s'est réellement passé, c'est pourquoi je me remémore cette histoire qui, j'en suis presque sûr, vous agace un peu et qui moi m'amuse...


– Monseigneur, j'ai fait diligence et voici sur ce couvert
les délicates substances que vous m'avez commandé.

– Cher et excellent Maître que j'adore et que je vénère, je vous propose ces quelques globes qu'il vous faudra ingérer à votre bon plaisir pour acquérir pleine connaissance à peu de frais et avec grande économie de temps. Si vous n'êtes pas satisfait, je m'engage à changer leur composition en profitant des observations qu'il vous paraîtra juste de me communiquer. Vous ferez ainsi une suite d'expériences inoubliables dont le mérite sera prouvé par les résultats. Quant à moi je vous garantis que la recette dont je vais donner l'idée et l'usage vous transportera au-delà de ce que vous pourriez concevoir de plus beau et satisfera tout autant votre compagnie, si ce n'est plus que vous-même... Il me semble, si je puis me permettre... enfin quelque chose me dit que vous seriez légèrement... comment dire... moins grand. Se pourrait-il que vous soyez souffrant mon Bon Seigneur ? Dans ce cas il est urgent que vous preniez soin de vous et que vous vous nourrissiez de ce que...


– Je ne suis point souffrant, serviteur loquace, loin s'en faut et l'on prend bien soin de moi.
Croyez le bien. Mais dites-moi d'abord quel est ce compagnon que vous avez introduit et qui n'eut dû, pas plus que vous même apparaître ici sans voile ? 
Et puis il me semble aussi, puisque vous vous autorisez quelque remarque personnelle, que votre bosse, selon l'écho qui me parvient, grandirait sensiblement...

dimanche 20 septembre 2015

20 septembre (38) Un couvre-chef et de délicates substances

Épisode 38


Cher Joachim 

Je ne crois pas que  je vous aie raconté l'entier de l'histoire. Ma mémoire comporte un certain nombre de lacune que, malgré les efforts constant que je produis, je puisse combler. Ainsi je ne me souviens pas du moment exact de votre départ. Toujours est-il que l'évolution de notre homme fut plus surprenante que nous ne le pensions jusqu'alors. Tout-à-fait par hasard j'ai reçu, peu avant le moment ou moi-même je suis parti, un certain nombre de documents qui je vous l'avoue m'ont surpris au plus haut point. Une partie de ces documents ont été rédigé par celui qui a fini par être appel le "Fou du Roi". Il est évident qu'à la lecture de ces feuillets presque tout ce que nous avions envisagé s'est transformé... C'est le moins que l'on puisse dire... Vous jugerez sur pièces...


– Monseigneur, j'ai fait diligence et voici sur ce couvert les délicates substances que vous m'avez commandé.
 

– Vous-même, vous êtes-vous couvert pour cette fois-ci?
Il me semble que votre voix cristalline n'est guère transformée par le filtre du voile et qu'ainsi je puis déduire que vous pourriez ne pas être voilé.

  Roi Bienaimé, je vous prie d'être indulgent, croyez-vous qu'il soit pratique de se déplacer rampant sous la couverture sans cesse en proie à l'inquiétude de s'y prendre les pieds et de vous faire le déshonneur de m'étaler médiocrement devant vous comme il m'est arrivé tout-à-l'heure. Mais soyez rassuré, autant que je le puis, je cache à mon regard ce qui ne doit point se voir.

– Ne relâchez pas votre effort et venez avec prudence et sans un regard me livrer ce que nous attendons.

– Il en sera fait selon votre volonté...

– Monsieur, arrêtez-vous, j'apprends à l'instant que vous seriez un fieffé coquin. Il me semble que j'avais fortement manifesté le désir de vous savoir décoiffé de ce couvre-chef délirant. 

– Vous avez raison, Monseigneur, et pourtant vous avez tort.

 
Quelle est cette embrouille ? Est-ce là un nouveau jeu de mots auquel je n'entends rien ?


– Non Monseigneur, cela y ressemble mais cela n'est point.

 
– Expliquez-vous !


– Je suis simplement décoiffé, Monseigneur. J'ai depuis si longtemps le devoir de vous obéir et ainsi porter cette coiffe qui maintenant vous dérange que ma chevelure s'y est adaptée. J'ai beau faire l'effort de lui faire violence elle n'obéit pas et retrouve en peu de temps la forme à laquelle nous l'y avons contraint. Et pour ma part je ne suis même pas débarrassé des clochettes.
Au moindre de mes mouvement elles se mettent à tinter dans les espaces secrets de mes boyaux, ce qui va me rendre fou et fait que je ne trouve guère le repos.

samedi 19 septembre 2015

19 septembre (37) Le voile tombe

Épisode 37

" Celui qui lit toujours ne sera jamais lu. "
Jean-Joseph Jacotot 

Marcel poursuit son voyage et pour le moment c'est dans ses archives qu'il chemine... Il revoit mi-amusé, mi agacé ce qu'il considère comme une danse: les relations qui s'installent dans une société refermée sur elle-même.
 



– Quel est donc cette coiffe ridicule dont tu es affabulé et que j'entends si distinctement tintinnabuler et qui me vrille les oreilles ?

 – C'est la coiffe distinctive de notre ordre, mon bon Seigneur, mais je dois vous dire, par correction, que je ne suis point affabulé mais affublé et cette différence est essentielle pour nous. Je me dois de vous le rappeler : ce n'est pas le même état. Quant aux clochettes c'est justement pour ne point vous surprendre et me faire entendre de loin.

– Comment cela ? Es-tu fou de vouloir me faire la leçon ?


– Oui Monseigneur à qui je dois tout. Fou, je suis, et de toutes les manières que je maîtrise à la perfection. Non seulement je suis fier de l'être mais je considère que c'est là mon devoir.


– Aurais-tu, par quelques excès naturel et conforme à tes qualités, osé te défaire du grand voile ? 


– Je crois, "Monseigneur-et-Lumière", si miséricordieux, que mon pied s'est négligemment empêtré dedans si bien que pour éviter de tomber j'ai écarté les bras si brusquement que le voile a glissé jusqu'à se répandre. Mais je dois à votre Seigneurie de lui dire que je me suis aussitôt tourné face devant derrière si bien que dans le ciel de l'alcôve, si j'ai bien vu, plusieurs lunes font carrière autour de leur soleil...

– Te moquerais-tu encore ?


– Je suis fou, je l'ai dit et vous le savez, mais je ne suis point complètement inconscient.

 – Tu es bien chanceux que j'aie l'humeur légère et que je ne puisse paraître devant toi et te châtrer en mont état. Va quérir, sans te retourner, de quoi nous rafraîchir et nous restaurer promptement !
Et veille à être discret !
– C'est l'essence même de mon être, Seigneur... Encore une petite correction je vous prie... vous vouliez dire, châtier et non châtrer...

 – Va sinon ce pourrait être la même chose ! Deux en une !

– Au secours ! Le roi aussi est un ...

vendredi 18 septembre 2015

18 septembre (36) Magiciennes?

Épisode 36

Cher Joachim

Je souris quand je relis ce que j'avais écrit dans mes rapports concernant le personnage que vous connaissez... Savait-il à quel point nous étions présent? Je ne le crois pas...

– Dites-moi, mes chères amies, que vous n'êtes point magiciennes, cela me réconforterait grandement...

– Nous ne pouvons prétendre à cela, mon bon Maître...


– Je ne suis pas sûr de comprendre ce que ces mots recouvrent. Il ne s'agit pas au moins de magie noire ? Comprenez que dans ma situation cela pourrait causer quelques troubles dont il me semble... que je devrais porter... que l'on...


– Pardonnez-nous votre majesté, mais cessez vos bavardages, les mots ne doivent rien recouvrir mais tout au contraire découvrir. Prenez- donc place en l'état dont nous vous parlions il y a si peu et pour vous rassurer sachez aussi qu'il n'existe point de magie noire ou blanche. Laissez-nous remuer les couches profondes
de votre inconscient et alors vous saurez de vous-même que tout ce qui est véritable n'est que magie. Sachez aussi que c'est elle qui vous aidera à vous échapper de votre déplorable trame dans laquelle vous êtes enfermé, prisonnier. Allons, faites le premier pas et nous ferons le second...

– Qu'il en soit fait selon votre volonté, mais rappelez-vous le devoir que vous vous vous êtes imposé. Nous ne saurions accepter le mensonge, l'ignorance ou la trahison. Nous ne ferons preuve d'aucune mollesse face à ces...

– Calmez-vous Monseigneur et ne soyez pas si prétentieux. Vous n'êtes même pas en chemin que vous vous égarez déjà.
Quant à la mollesse, nous nous jugeons que sur pièce...

jeudi 17 septembre 2015

Cher Joachim

Je ne peux résister à l'envie qui me prend de partager avec vous ce petit texte de Philippe Jaccottet que j'ai accueilli avec bonheur cet après-midi.
« Je pense quelquefois que si j'écris encore, c'est, ou ce devrait être avant tout pour rassembler les fragments, plus ou moins lumineux et probants, d'une joie dont on serait tenté de croire qu'elle a explosé un jour, il y a longtemps, comme une étoile intérieure, et répandu sa poussière en nous. Qu'un peu de cette poussière s'allume dans un regard, c'est sans doute ce qui nous trouble, nous enchante ou nous égare le plus ; mais c'est, tout bien réfléchi, moins étrange que de surprendre son éclat, ou le reflet de cet éclat fragmenté, dans la nature. Du moins ces reflets auront-ils été pour moi l'origine de bien des rêveries, pas toujours absolument infertiles.»

17 septembre (35) Il est des vérités...




Épisode 35
 
 "...qu’il dorme et qu’il se lève, nuit et jour,
la semence germe et pousse, il ne sait comment..."
 Marc 4.27

Cher Joachim

Il est des vérités auxquelles je n'ai point accès. Il est des périodes où j'ai beau lire et repasser sans cesse le film, je ne comprend toujours pas comment cette histoire a pu nous échapper...


–  Cher et vénéré Seigneur en qui toute chose finira par germer, il faudra vous armer de patience et considérer de juste manière notre bon plaisir. Tout viendra à point pour qui sait attendre. Laissez de côté ce penchant déplorable pour la pédante morale en nous accordant avec plaisir de vous défaire d'une part de votre prestige et de votre matérielle richesse. Il est des vérités qui n'apparaissent qu'à ceux qui savent se mettre à nu... et laissez en moi germer ce qui en vous ne le pourrait...

mercredi 16 septembre 2015

16 septembre (34)

Épisode 34
 
Il n'y en a pas long maintenant :
je connais bien tout cela, son livre est plein de fadaise.
J'y ai perdu bien du temps, car une parfaite contradiction
est aussi mystérieuse pour les sages que pour les fous.
Mon ami, l'art est vieux et nouveau.
Ce fut l'usage de tous les temps
de propager l'erreur en place de la vérité par trois et un, un et trois :
sans cesse on babille à ce sujet, on apprend cela comme bien d'autres choses :
mais qui va se tourmenter à comprendre de telles folies ?
L'homme croit d'ordinaire, quand il entend des mots,
qu'ils doivent absolument contenir une pensée.

Goethe
Faust (Cuisine de sorcière)
 
 
– Cher Maître et Seigneur à qui nous devons bien plus que ce que nous sommes, l'histoire que vous désirez connaître est une bien belle histoire. Sachez en préambule que vous serez bien étonné d'apprendre qu'en vérité c'est aussi la vôtre.Cette histoire a pris place depuis bien longtemps dans la vie des hommes et face à elle, chacun de nous s'interroge à la manière d'un être se regardant dans le miroir...
– L'auriez-vous oublié... non... vous le savez ma bien belle amie, je ne puis comprendre cela, je vous l'ai dit et vous l'avez constaté de vous-même, je suis aveugle.
– Certes vous êtes aveugle de vos yeux, mon cher Maître, mais vous ne l'êtes certes pas de l'autre côté du miroir, celui de l'Esprit, qui ne se voit guère mais qui s'entend et se ressent. Or c'est de
ce domaine que nous allons vous entretenir. Du fait de votre petit problème, vous avez, bien malgré vous, une sorte d'avantage qui pourrait s'avérer considérable.Selon les légitimes exigences de la raison, vous ne pouvez échapper à l'histoire des hommes, mais ce qui frappe l’Histoire elle-même d’une sorte d’insignifiance est qu'elle sert de trop divers intérêts... Il vous faudra vous armer de patience et faire de nombreuses pauses pendant lesquelles il faudra laisser votre corps, alternativement dans longues poses actives et d'autres pendant lesquelles vous devrez le laisser progresser sans aucun effort. Ne craignez rien nous allons vous prendre en mains et ne vous laisserons vous perdre en aucune manière.Il faut d'abord que vous sachiez, nous vous l'apprendrons aussi d'une bien belle et autre manière, qu'il y a en l'homme deux natures : celle du corps et celle de l'esprit.
- Croyez-vous que nous puissions séparer ces deux choses comme il faille séparer le bon grain de l'ivraie ?
 

mardi 15 septembre 2015

15 septembre (33) Ces chères petites Dames

Épisode 33

 Cher Joachim

Je ne suis pas sûr que je puisse encore vous écrire. Une sorte de lassitude, alternant de moins en moins souvent avec de joyeuses bourrasques, combinant la ruse, l'imposture et l'effronterie, s'est installée. Pour dire vrai,  j'ai l’impression de ne pas être lu. Encore que cela n'aurai point d'importance si, de plus, je n'avais la désagréable impression d'être sur une échelle, les pieds enfoncés dans les entrailles de cette terre et la tête se perdant dans les formes infinies des nuages.
Heureusement, ma mémoire, même si je 'en suis plus sûr, m'emporte encore... Et vous, êtes-vous encore porté par tous ces souvenirs éparpillés que nous avions pour mission de réunir ?..
Ainsi en est-il de notre ami devenu Roi sans que nous l'ayons conçu...



– Vous le savez, mes chères petites Dames, je suis, par ma naissance, grades et qualités, incapable de vous voir. Ainsi va la vie. Certains d'entre nous sont capable de voir au loin et d'autres de voir à l'intérieur des choses. Qui pourrait dire ce qu'il vaut mieux ? En ce qui me concerne, sans être sot, dépravé ni ambitieux, si je n'en ai pas le choix et n'en courbe pas la tête, je vous reçois sans l'ombre d'une hésitation. Si cela ne peut me plaire du moins cela me va et il m'arrive d'en ressentir quelques plaisirs. Et puisque nos relations se sont si bien installées, voulez-vous, mes chères petites Dames, m'accordez quelques tours de ce manège dont vous m'entretenez si bien ? Ainsi sans me trémousser trop et sans les tristes inconvénient des bagages non plus que des cahots de la route j'aurais la sensation de voyager. Voulez-vous aussi aussi pour moi baisser le rideau de votre théâtre ? Car si je peine à voir je peine encore plus d'être vu. Vous me parlerez aussi, quand nous marquerons la petite pause pour nous restaurer de cet Adam que vous semblez connaître si bien.

lundi 14 septembre 2015

14 septembre (32) Non concordance des temps

 Épisode 32


– "S'il courtise les Muses, c'est qu'elles sont femmes,
et qu'il est accoutumé d'en conter à toutes,
depuis le sceptre jusqu'à la houlette,
depuis la couronne jusqu'à la cale" *


Cher Joachim

Vous arrive-t-il de penser encore à cet idéal que nous avions en commun. Je dis bien celui que nous avions bien avant que nous l'ayons mis en action. Je sais bien que je devrais dire: bien avant que nous ayons "essayé" de le mettre en action... J'ai longtemps cru que notre erreur avait été de ne pas avoir été en concordance avec les temps... Comme si le verbe agir n'avait pas été conjugué dans le même temps que le verbe être... Il y a des gens qui ne sont guère doué pour la grammaire, et ce fut notre cas. Certes il se peut que vous pensiez différemment et je me réjouis de connaître votre point de vue, mais le connaitrais-je un jour? Je n'ai plus de nouvelles de vous depuis longtemps déjà et "mon" perroquet ne vient plus guère. Sans doute est-il trop occupé à penser. Eh oui Joachim, il pense. Et ma foi, pas trop mal, sans être excessif il me semble, pour le peu que je l'ai entendu la dernière fois où il me visita. Sans vouloir faire de rapprochement hasardeux, il m'avait semblé que certaines de ses pensées eussent pu être les miennes... et puis il m'est apparu qu'elles étaient à l'image de cet homme que nous avions installé au sommet de notre communauté et qui eut du être à l'image de notre idéal. J'ai failli dire au sommet de "l'ordre" que nous voulions instaurer... J'en frémis, croyez-le. Saviez que ce petit bonhomme, peu après que vous soyez "parti", personne ne sait où, s'est mis très rapidement à grandir. Beaucoup plus rapidement que nous ne le pensions.


Cher Joachim, jamais je ne me serai douté qu'il eut de si grandes capacités de s’accommoder de la présence de nos courtisanes... De plus, je me dois de vous le dire, au lieu que ces rencontres se fissent là où nous l'avions décidé, elles se firent en tous lieux et en toutes circonstances, c'est peu dire que le désordre se répandait comme une traînée de poudre... Cependant je dois à la vérité de dire que c'est précisément pour cela qu'advint ce que vous savez.

dimanche 13 septembre 2015

13 septembre (31) ...la langue comme "une"

"Souffrez, s'il vous plaît, monseigneur, que je ne vous flatte point,
et qu'en fidèle historien je raconte nuement les chose comme elles sont."

Vincent Voiture ( Lettres, 1649)


Cher Joachim

Chaque jour qui passe apporte son lot de mystères. J'ai longuement hésité à mettre un pluriel au mot mystère, et finalement, par modestie, je m'y suis résigné même si les mystères pourraient, par définition, être réunis sous une appellation commune... Cela ne vous rappelle rien, Joachim?
Au fond, n'était-ce pas là, toutes proportions gardées, le but que nous nous étions fixés?
N 'était-ce pas cette appellation "commune", comme "un", qui était le moteur de notre jeunesse?
Vous et moi savons ce qui est advenu... Encore que vous ne sachiez pas tout... ni moi non plus...
Encore une fois, et c'est le mystère qui se poursuit, nous ne pourrions connaître mieux ce qui qui s'est réellement passé qu'en mettant ensemble ce que nous savons... Or nous savons que cela n'a pas été possible... et recommencer de la même manière mènera, invariablement(?) au même résultat.
Souvenez-vous, cher Joachim, combien nous pouvions être arrogants sans le savoir... Sans le savoir? Vraiment? Souvenez vous de "notre" créature... Oui, oui. je vous parle de celle qui nous a échappé...
Bien que pendant si longtemps fidèles au pavé mosaïque,  et ignorant superbement les"variables du temps", nous nous sommes presque persuadés du contraire...
Cette créature que nous avions créé de telle façon que la pierre angulaire de son palais résonne comme la claire langue de Molière...
Combien de fois, face au vide et au silence qu'il imaginait rempli d'une nuée de spectateurs subjugués, se donnait-il en spectacle en maniant une langue qu'il croyait sienne et par des gestes qu'il ne faisait que répéter... 
Vous le savez Joachim: le voile du néant met à couvert les passions l'imposteur.

 « De ce que je ne puis composer je puis pour moins en faire le festin.»

- Où êtes-vous manants, galantes en charge de moi ?
Grossiers, discourtois et irrévérencieux malappris !
Quand le bâton se lève il n'y a plus guère de temps à perdre en soumissions sans distinction de taille ou de nombre. Mon ventre crie et passe commande. L'orage, sans doute, menace.
- Prenez garde que de tout cela ne résulte le désagrément d'un vent qui se lève, décime les plaines et ne stimule ardemment les variables du temps.
Je ne veux, que dis-je, je ne peux "sauter par dessus les joies de la terre" avant que d'aller rejoindre celle qui m'attend.
- Le temps presse. Combien se trouvera-t'il d'honnêteté que je n'aie imaginée, si éloignée de cette perfection ?
Aux adeptes du rigorisme doux, auxquels j'appartenais, s’opposent ceux du rigorisme dur dont je souhaiterai partager les bienfaits. Cependant je ne puis que constater pour mon malheur le peu d'autorité que j'ai sur eux.
L'injustice est grande. Mes gens se gaussent de moi et font des gorges chaudes des extraits mutilés et des citations tronquées qu'ils recueillent de ci de là. La parole privée de ses résonances et de son ambiguïté méprise à l'envi la piété et la raison.
Malgré moi et à mes dépends, ils font de moi ce qui m'attriste le plus : un doux rêveur.
Il faut en toute bonne volonté, sans couleurs, sans artifices, sans allégeance corrompue et avec une extrême lucidité que cela change.»

samedi 12 septembre 2015

12 septembre (30) Ce qui jusque là lui était invisible

 Épisode 30

Viens par ici ; ouvre la bouche :
voilà qui va te donner la parole, mon chat :
ouvre la bouche ;
rien de tel pour vous remettre la tremblotte d'aplomb,
et comme il faut.
Tu ne connais pas tes amis.
Ouvre à nouveau tes babines.

Shakespeare
La tempête
Acte II, scène II ( Stéphano )

Cher Joachim

C'est une chose bien étrange que d'écrire une lettre. Nous nous mettons à parler à quelqu'un qui n'est, le plus souvent, pas là. Son absence elle-même est une "drôle de chose, puisque , d'une certaine manière, cette absence est une présence... À tel point qu'il n'est pas rare que nous... que je me mette à parler à haute voix et , c'est là le plus surprenant, à entendre la voix de cet absence... Comme si nous bavardions "pour de vrai". Naturellement, je ne suis pas vraiment due de cette présence et surtout des mots qu'elle semble prononcer. Je sais fort bien qu'il s'agit là d'une sorte d'imposture, mais tout de même...
Revenons aux propos que nous "échangions" hier. Rappelez-vous:
Notre "Bon Roi" et son gardien qui, de fait, était le nôtre... Et que notre "Bon Roi" tentait d'éduquer selon les principes qu'il croyait être siens et que nous croyions être nôtres...


 « Avant de vous laisser retourner accomplir votre devoir, j'aimerai que vous répondiez encore à une petite question qui, je vous l'avoue, m'intrigue énormément. Vous m'avez dit que vous aviez ressenti avec certitude qu'il avait cessé de penser. N'est-il point ? »
– C'est tout-à-fait exact.
« Sachant que vous n'êtes, à votre corps défendant, pas équipé de l'organe nécessaire à cette opération, comment avez fait pour en arriver à cette conclusion ? »
– C'est très simple, mon bon Maître, nous avons observé qu'il devenait sensible à son environnement.
« Comment cela ? »
– Eh bien, par exemple, au départ de note longue route, à peine passés les premiers temps d'une relative surprise due au changement, à mesure que la température montait, il nous est très vite apparu qu'il était persuadé de traverser un région morne et aride qui ne présentait aucun intérêt et surtout qui lui semblait totalement inhabitée parce que dans son esprit elle était inhabitable. Il marchait en regardant uniquement dans notre direction sans s'intéresser à rien d'autre. Et pour cause, dans son esprit, rien d'autre ne pouvait exister. Cela fut ainsi jusqu'au jour où il nous devenu évident qu'il commençait à voir ce qui jusque là lui était invisible.

« Qu'avait-il vu selon vous et surtout comment savez-vous qu'il a vu ? »

Ho ! Un esprit à lui qui vient me tourmenter
Pour avoir été long à ramener du bois.
À plat ventre : espérons qu'il ne nous verra pas.

Shakespeare
La tempête
Acte II, scène II ( Caliban )

– Il parvenait à hauteur d'une rosette de feuilles épaisses et magnifiques comme il en existe des centaines dans cette région. Ce qui est pour nous une vraie source d'admiration ne suscitait en lui qu'une sorte d'indifférence. Le seul intérêt qu'il leur témoignait était l'ombre quelles projetaient et dans laquelle il lui arrivait de s'asseoir. Ce jour-là au lieu de s'y précipiter nous le vîmes reculer d'un pas, l'air stupéfait. Manifestement il avait vu ce que jusqu'ici il n'avait su voir : deux petits habitants littéralement terrorisés par sa présence...