vendredi 31 janvier 2020

(31) Toute trace






Extrait du petit cahier Vert de Pinocchio, l'Autre

Quelle est cette présence qui se manifeste dans une image? Aujourd’hui, par moments, il me semble que je suis capable de les maîtriser. Je veux parler des images et non de la présence. Elles ne s’enfuient plus au moindre mouvement ou à la moindre émotion. Je regarde ce portrait surgit des profondeurs et qui, l'espace d'un instant, flotte, impassible, et je me demande qui il pouvait être, il y a à peine trente ans. Mais l'eau de la lagune, sensible au moindre mouvement, déforme et efface toute trace du passé.

jeudi 30 janvier 2020

(30) Comédie permanente





– Qu'en est-il de votre long nez?
– Peu importe...
– Si je vous ai bien compris, la communication serait, par réflexivité, comme vous disiez, une comédie permanente...
– ... dans laquelle seraient conviés et emportés les enfants dès leur plus jeune âge... et qui au mieux se rirait d’elle-même ou, au pire, se prend au sérieux!
– Tout de même!

– Tout de même, comme vous dites...
– Il est cependant des situations où elle est sérieuse!
– Il se peut que ce ne soit que le fait d'un point de vue qui manquerait de distance.
– Et vous, à propos de distance, peut-être êtes-vous trop éloigné de ce qu'ils appellent réalité.

– De qui parlez-vous?

(30) Réflexivité




Certaines  substances immatérielles effectuent un retour complet sur soi par lequel il leur est donné de connaître leur nature véritable*...
– Pfffff... Comment une substance peut-elle être immatérielle?
– Les mots et les choses peuvent contenir des sens différents qui se regardent...
– Des mots qui se regardent! On aura tout vu... et comment cela se fait-il?
– ... grâce à cette réflexivité qui caractérise certains mots, et assure leur indépendance à l’égard de tout ce qui leur est extérieur...
– Comme des coquillages?
– C'est cela... Ils sont clos sur eux-mêmes et conçoivent l’ensemble des formes intelligibles en s’intelligeant.
– Où avez-vous été chercher cela?
– J'étais moi-même une forme intelligible close sur elle-même...  et...
– Et pourquoi votre nez se met-il à grandir?


* Meryem Sebti, Intellection et aperception de soi

mercredi 29 janvier 2020

(29) Spectateur ou monteur



Extrait du petit cahier Vert de Pinocchio, l'Autre

– Un montage est une succession de scène que le monteur aligne dans un certain ordre... et que le spectateur désabusé de la nature humaine...
– Un pessimiste lucide comme vous!
– Peut-être... ce spectateur regarde ce ou ces montages comme des construction dans lesquelles, secrètement, il espère tout de même déceler, à défaut de vérité, une petite part de véritable... C'est alors qu'il cède, qu'il se laisse séduire et prendre par l'attraction de l'image, faisant du regard la pièce maîtresse de son jeu...
– Le jeu de qui? Celui du spectateur ou celui du monteur?

(29) Une sorte de montage



Extrait du petit cahier Vert de Pinocchio, l'Autre

– Notre vie est-elle une sorte de montage?
– C'est bien peu de le dire...
– Qui serait l'auteur de ce montage?
– Celui qui cède à l'attraction du montage...
– Qu'est-ce qu'un montage?
– Si vous voulez, un montage est une succession de scènes que le monteur aligne dans un certain ordre...
– Je ne veux rien si ce n'est savoir qui est ce monteur... qui aurait un tel pouvoir sur nos vies... 





mardi 28 janvier 2020

(28) Mise en scène





– Sommes-nous mis en scène?
– Il n'y a à ce sujet aucun doute...
– N'y a-t'il point quelque espace où pourrait paraître quelque chose de non prémédité?
– La question peut être posée...

(28) Point culminant


« Essayons, c'est difficile de rester absolument pur. Nous nous apercevrons alors de tout ce qui nous lie

Paul Eluard 





Extrait du petit cahier Vert de Pinocchio, l'Autre

– Nous ne sommes point des témoins.
– Que sommes-nous alors?
– Des acteurs... rien que des acteurs...
Il est des dialogues qui dès les premiers mots échangés annoncent sans détours, masqué cependant d'un léger voilage, ce qui en sera le point culminant...


lundi 27 janvier 2020

(27) Solitude et désarroi


« Le flux les apporta, le reflux les emporte.»

Corneille 




Extrait du petit cahier Vert de Pinocchio, l'Autre
  

Comme des corps étrangers au sein d’une famille, solitude et désarroi nous mènent dans ce à quoi je ne peux m’empêcher de penser, mais penser en ces circonstances n’est point faire, au contraire... Je ne pouvais rien faire contre moi-même... comme si cette famille eût été moi-même... Je ne peux certainement pas prendre de décision qui lui soit contraire ou la modifier...


dimanche 26 janvier 2020

(26) Cogito



– Avez-vous perdu la tête?
– L'inverse me paraît plus évident...
– Croyez-vous que le cogito...
– Quel cogito?
– Le "je pense"...
– Je ne pense pas.
– Laissez moi poursuivre...
– Qui poursuivez-vous?
– Je ne poursuis personne, j'essaie de raisonner.
– Vous vous raisonnez!
– Pour Peirce...
– Qui est-ce? Celui que vous poursuivez?
– C'est un philosophe dont me parlait mon maître...
– Votre maître?
– Enfin... mon créateur... mais... rien n'est moins certain... bref, il pense que le cogito cartésien, le «je pense»  ne serait pas exclusivement humain...
– Voilà un homme respectable!
– ... il ne serait pas logé dans l’esprit et ne jouirait pas non plus d’une maîtrise exclusive et immédiate de son objet le plus intime: le soi que, communément, nous pensons responsable de nos pensées.
– Et comment ce charabia pourrait-il être compris par un mammifère de mon espèce?
Peirce illustre cela en nous demandant d’imaginer à quoi ressemble le rouge pour les autres.
– C'est intéressant, mais de qui tenez-vous cela?
J'ai oublié... mais... le sentiment du rouge est un fait...

(26) Lambeaux


« Toute perception d’autrui est une perception imaginaire au sens où elle est introjection et projection, elle m’offre autant un tableau de moi que de l’autre, je vois presque ce que je veux.»

Merleau-Ponty



Extrait du petit cahier Vert de Pinocchio, l'Autre


De ces mondes en lambeaux je ne peux distinguer ce qu'ils furent que si j'imagine ce qu'ils pourraient être... Ainsi ce qui fut fuit, étrange et profond, mémoire frelatée, mystère effacé, tout cela contredit sans fin la longue ligne d'une destinée... comme une infinité de nœuds qui se nouent et se dénouent sans que nous n'y soyons pour quelque chose.


samedi 25 janvier 2020

(25) Horizon



« On ne commande la nature qu’en lui obéissant.»

Francis Bacon


Extrait du petit cahier Vert de Pinocchio, l'Autre


L'horizon sans cesse se déplace... ainsi, tandis que nous voguons au gré des éléments, à l'infini, se perd de vue ce qui s'était fait désiré...


(25) Le rêveur ou le rêvé


« Le temps de notre vie est un enfant qui joue et qui pousse des pions. C’est la royauté d’un enfant.»

Héraclite d’Éphèse





Extrait du petit cahier Vert de Pinocchio, l'Autre
Tout le monde sait que tout le monde rêve, mais personne ne peut dire vraiment quand... ou, plus grave, si nous sommes le rêveur ou le rêvé...



(25) C'est un peu de tout cela...


« [...] L’homme a besoin de communiquer avec autrui pour parvenir à la conscience de lui-même.»

Watzlawick





– Les hommes ont-ils une âme?
– C'est ce qu'ils disent...
– En est-il de même pour les animaux?
– Tout dépend de la définition à laquelle on se réfère...
– Selon la singularité de chacun?
– C'est selon ses désirs, sa volonté, ses capacités, sa culture ou son bon vouloir... sans compter son inconscient... C'est un peu de tout cela...
– Mais alors rien ne peut être sûr!
– C'est cela même... 

vendredi 24 janvier 2020

(24) Jusqu’à ce que...


« Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n’avais pas le temps de me dire : «Je m’endors.» Et, une demi-heure après, la pensée qu’il était temps de chercher le sommeil m’éveillait; je voulais poser le volume que je croyais avoir encore dans les mains et souffler ma lumière; je n’avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier ; il me semblait que j’étais moi-même ce dont parlait l’ouvrage [...]»

Proust, À la recherche du temps perdu 



Il est des souvenirs mal enfouis dans une sorte d'exil qui se désagrègent au gré du vent et des passages. D’autres plus profonds savent se faire oublier pour mûrir en secret jusqu’à ce que...


jeudi 23 janvier 2020

(23) Un sommet



– La violence organique de la nature n'est rien en comparaison avec celle de l'homme...
– Mais...
– Naturellement je sais fort bien qu'il fait partie de cette nature...
– Mais...
– Mais comme le disait notre maître: l'homme a tendance à se prendre pour le sommet de la création...

(22) De loin


« Si l’arbre savait ce que la hache lui réservait, jamais il n’aurait consenti à fournir une branche pour en faire un manche...»




mercredi 22 janvier 2020

(22) À la limite des mondes


« Le monde qui est devenu de l'Un, se distingue de sa Cause en ce sens qu'il a une dimension, un mouvement et une contenance, et porte en lui-même ses propres mesures.»

Schwaller de Lubicz, Le miracle égyptien, Flammarion



Extrait du journal de l'enfant Lune

Le monde qui est le mien ne peut être compris de l'intérieur, pas plus qu'il ne peut être compris de l'extérieur. Encore faudrait-il, pour que cela fut possible, avec quelque certitude, pouvoir cerner les limites de ces deux mondes qui, je le pense pourraient n'en former qu'un...

mardi 21 janvier 2020

(21) L'invasion structuraliste





« Mais l'historien se tromperait s'il en venait là: par le geste même où il la considérerait comme un objet, il en oublierait le sens, et qu'il s'agit d'abord d'une aventure du regard, d'une conversion dans la manière de questionner devant tout objet. Devant les objets historiques —les siens— en particulier. Et parmi eux très insolite, la chose littéraire.»

Jacques Derrida



 – Lui aussi je l'ai rencontré...
– De qui parlez-vous?
– Je vous parle de Pinocchio...
– Et alors, que s'est-il passé?
 

lundi 20 janvier 2020

(20) Il était une fois...


« Il était une fois...
– Un roi ! – vont dire mes petits lecteurs.
Eh bien non, les enfants, vous vous trompez. Il était une fois... un morceau de bois.
Ce n’était pas du bois précieux, mais une simple bûche, de celles qu’en hiver on jette dans les poêles et dans les cheminées.
Je ne pourrais pas expliquer comment, mais le fait est qu’un beau jour ce bout de bois se retrouva dans l’atelier d’un vieux menuisier, lequel avait pour nom Antonio bien que tout le monde l’appelât Maître Cerise à cause de la pointe de son nez qui était toujours brillante et rouge foncé, comme une cerise mûre. Apercevant ce morceau de bois, Maître Cerise devint tout joyeux et, se frottant les mains...»


Collodi



– Avant que je ne vous avale, j'aurais quelques petites questions à vous poser.
– Faites donc!
– Comment vous appelle-t'on?
– Je m'appelle tel que me l'on dit les voix: Pinocchio... et tel que je m'appelle: Pinocchio, l'Autre!
– Que savez-vous de vous-même?
– Peu de choses, il est vrai...
– Auriez-vous oublié votre histoire? Cet oubli ou ce gommage me semble terrifiant... et pourtant, à la réflexion, peut-être... nécessaire! 

(20) Indéchiffrable


« L'allégresse et la joie se rapprocheront, la douleur et les gémissements s'enfuiront.»

Rabbi Nahman de Braslav 
 


Comme un indéchiffrable écho perdu dans les nuages, déformé tour à tour reformés, apparaissant, disparaissant, prenant leurs formes donnant l'impression que le ciel parlerait une langue animée par le vent et filtrée par la lumière du levant, ce qu'entend par moment Pinocchio l'Autre est une impossible histoire jetée dans le monde par une voix qu'il rêve, par simple jeu, du moins le croyait-il, de faire sienne...

dimanche 19 janvier 2020

(19) Tournis


« Ris, ne te gêne point, ami très cher, ô philosophe!
Je te vois d'ici lisant ces lignes au fond du fastueux cabinet encombré de la dépouille des âges où, parmi les tableaux anciens, les émaux, les tapisseries, pareil à un Faust qui serait bibelotier, tu passes au creuset de la science moderne ce que l'humanité gardait encore de mystères, et uses tes jours, poussé par je ne sais quel contradictoire et douloureux besoin de vérité, à réduire en vaine fumée les illusions de ce passé dont le reflet pourtant reste ta seule joie; je te vois d'ici, et je devine la compatissante ironie qui, durant une minute, va éclairer ton numismatique profil.»

Paul Arène, La chèvre d'or



– Cessez de me tourmenter!
– Il n'en est rien... Tout est de votre ressort.
– Je n'y puis rien! En cet angoissant vertige, tout tourne autour de moi...
– Depuis ses éternels commencements, le monde ne fait que tourner... Efforcez-vous d'y conserver quelque assise... Et je m'efforcerai, moi, de vous en croire capable.


(19) Ce qui s’oublie


« J'aurais voulu vivre et mourir libre, c'est-à-dire tellement soumis aux lois que ni moi ni personne n'en pût secouer l'honorable joug; ce joug salutaire et doux, que les têtes les plus fières portent d'autant plus docilement qu'elles sont faites pour n'en porter aucun autre.»

Jean-Jacques Rousseau


 
 
Extrait du journal de Pinocchio


Sens dessus dessous, renversant le joug écrasant de l'obéissance, loin de cette horreur, ce qui s’oublie se niche dans les fissures du monde de ce qui tente de se construire. Ces fissures loin de constituer un danger en sont les fondements indispensables à sa respiration et à son expansion.


samedi 18 janvier 2020

(18) Loin, très loin





Extrait du journal de Candide


Loin, très loin derrière la limite ultime du mensonge, s’érige en même temps que nos noms, un amoncellent de pierres disjointes, de ferrailles descellées, de cadavres en décomposition où les herbes à moitié sèches trouvent une sorte de léger renouveau. Chaque matin, de minuscules bourgeons, à peine esquissés et abreuvés par la rosée du matin, tentent de fleurir avant de mourir. Il en est ainsi de notre mémoire: sans cesse en mouvement, elle se transforme au gré de de ce qui la constitue...


(18) Jusqu’à ce que...






Extrait du journal de Pinocchio

Il est des souvenirs mal enfouis ou des mots en exil qui se désagrègent au gré du vent et des passages. Il en est d’autres plus profonds qui savent se faire oublier pour mûrir en secret jusqu’à ce que...

vendredi 17 janvier 2020

(17) Au gré des vagues




Il est des objets qui subitement, au gré des vagues, des marées ou des courants, réapparaissent... On dirait qu’ils sont porteurs d’un message bien éloigné de leur signification première...

(17) Irrationnel


« L’entité qui soutient l’univers, étant simplement le principe de Raison, une chose irrationnelle ne peut pas exister dans la réalité, mais uniquement dans la confusion de la pensée humaine.»

Willeime


Extrait du journal de Candide

 
Mes souvenirs, à condition qu’ils fussent miens... ce dont je ne cesse de douter, formaient un ensemble que je qualifierai de solide malgré le fait qu’il soit passablement décousu, instable et aléatoire. Pour peu que le regard s'écarte légèrement, que notre esprit s'égare quelque peu ou que vienne à notre esprit une idée et voilà que l'ordre de notre monde s'effondre...

jeudi 16 janvier 2020

(16) Presque une certitude


« La plupart des linguistes avancent que la fonction principale du temps verbal est d'établir et d'ordonner les coordonnées temporelles des événements rapportés dans un discours et de les situer dans le temps par rapport à un point de repère qui est le plus souvent le moment de l'énonciation. Dans le récit, le type de discours qui nous intéresse ici, la référence temporelle s'établit dès le début du texte, bien qu'elle ne soit pas nécessairement explicitée, et reste en vigueur pendant de longs segments de narration, ou bien au cours du texte entier. Le fait que dans un récit le moment de l'énonciation et le point de repère ne sont certainement pas le moment présent, permet de localiser l'événement par rapport à un moment d'énonciation différent, que ce soit celui de l'énonciateur du texte ou celui d'un énonciateur dans le texte.»

Vetters, cité par Katarina Milić



Extrait du journal de Pinocchio, l'Autre

 
J’avais en un instant retrouvé toutes mes capacités y compris celles de voir dans l’obscurité. J'avais à nouveau confiance dans le fait de pouvoir devenir celui que je désirais être. L’angoisse du questionnement s’était transformée en jeu et dans ce jeu là je sentis que j’avais la main. J’avais capté, avec un surprenante assurance, presque une certitude, que ceux qui m’interrogeaient, à quelques petites exceptions près, n’en savaient pas plus que moi. Cela eût dû m’inquiéter... mais... cela ne se fit point.

(16) Choix


« Celui qui sollicite l’honneur d’appartenir à cette illustre maison que serait l'humanité doit sans doute justifier sa demande non seulement par une conformité physique et morale presque sans faille, une œuvre de quelque importance, mais également par la position relativement ferme et assurée de son caractère à laquelle il est parvenu dans sa propre pensée et au sein du milieu dans lequel il est appelé à vivre.»

Pinocchio, l'Autre



Extrait du journal de Pinocchio, l'Autre

 
Le choix des mots est un choix difficile s'il en est. On a beau dire, la parole ne se dit pas d'elle-même et le texte ne s'écrit pas tout seul. J'avançais parmi les mots comme un aveugle dans sa nuit et le moindre son ou la moindre lettre de travers menaçait de tout faire s'écrouler...



mercredi 15 janvier 2020

(15) Un futur inaccessible


La lumière du haut n'empêche nullement celle du bas.
Mais, qui pourrait savoir ce qu'elles ont en commun?



– En ces temps-là, sur le chemin des jours et des nuits, nous ne savions pas où nous étions mais nous nous savions déjà bien au-delà de ce futur qui, à ce moment-là, nous donnait la furtive mais nette impression d’être si lointain... probablement inaccessible...

(15) À l’image que nous nous en faisons


« Le principe de Raison proclame que toutes les choses ont une cause. En vertu de cette loi, rien ne saurait exister seul, uniquement parce qu’il est. Toute chose découle d’une autre qui lui est extérieure. Cet énoncé est malheureusement confronté à un grave problème. Par définition, l’univers contient tout. Si, rien ne peut être en dehors, rien ne peut le soutenir. Si l’univers n’a pas de raison indépendante d’exister, le néant absolu aurait dû combler l’éternité. Pourtant, une réalité a émergé. Chacun peut s’en rendre compte. La réalité est peut-être très différente de l’image que nous nous en faisons, mais nos existences témoignent d’une certaine forme de présence, définitivement incompatible avec une totale inexistence.»

Willeime, L'amour de la raison universelle



– Êtes-vous... vous aussi... gravé dans le socle du réel?
– Peut-être comprendrez-vous qu'il m'est impossible de comprendre ce que vous essayez de dire... Pour ma part, je ne suis le porte-parole de personne et, en premier lieu, si j'avais voix au chapitre, comme on vous le fait dire, je dirai, à mon tour, que si le réel existe ce ne peut nullement être un socle...



mardi 14 janvier 2020

(14) Tout est là


« Selon une étymologie purement grecque, «Eurôpè» (ευρωπη) proviendrait de deux mots grecs : eurýs et ṓps. Le premier, eurýs, signifie soit large, qui s’étend en largeur, soit vaste, qui s’étend au loin ; le second, en grec ancien ṓps, signifie soit regarder en face, soit œil. Eurôpè, «[celle qui a] de grands yeux», devint un prénom féminin donné à plusieurs personnages mythologiques grecs, et notamment à la fameuse fille d’Agénor enlevée par Zeus déguisé en taureau.
Cette étymologie, qui n’est pas la seule possible, a une indubitable valeur symbolique. Elle interroge la place du regard, de l’image, voire de l’art dans la constitution de l’identité et de la différence européennes. Brûlante aujourd’hui, cette question n’est pas nouvelle. Les premiers historiens de l’art opéraient par des emboîtements successifs. Ainsi, pour Giorgio Vasari, l’art renaît après les siècles de survie souterraine en Italie, ou pour être plus précis en Toscane, ou pour être plus précis encore à Florence. La quête d’un centre hantera les esprits jusqu’à l’époque des Lumières avec pour résultat l’utopie du «Museum», dont le Louvre est l’héritier direct. L’Atlas « Mnémosyne » imaginé beaucoup plus tard par Aby Warburg proposa en revanche la virtualité d’un réseau d’images s’enchaîne idéalement à perte de vue.»

Victor Stoichita, Textes, textures et images




Extrait du journal de Candide

– Je me sentais bien. Mon esprit s'était fait léger. J'oubliais complètement où j'étais. Peu importe si “tout est là”. Je fermais les yeux à moitié, jouant avec la lumière. Le soleil s'était dédoublé sans que ma raison ne m'alarme, au contraire. Un des soleils projetait une ombre qui m'attirait sans que je puisse y résister. Il suffisait que je lève le pied pour que l'ordre du monde se mit à danser.




(14) Tôt ou tard


« L’homme comme organisme avait déserté le règne de la nature, mais la nature était revenue en force comme la toile de fond sur laquelle l’humanité primitive disposait ses pauvres mirages.»

Philippe Descola, Anthropologie de la nature
Leçon inaugurale au Collège de France 





Extrait du journal de Candide


Tôt ou tard, l'image se révèle. Elle est selon moi, par essence, trompeuse... Enfermé et abrité de manière fortuite dans un monde dont je ne connaissais presque rien, j’étais, pour le plus grand bien de mes sens, plutôt silencieux. Rien ne me prédestinait à devenir l'objet... –ou le sujet d'une histoire–... plongeant le lecteur au croisement d'ordres et de milieux aussi divers qu'étranges... On me présentait comme une sorte de caractériel, un mélange inhabituel. Puis on me fit de force, mais presque à mon insu, jouer un personnage. Je l'incarnais et j'avais comme mission, qu'il eut fallu considérer comme un honneur, de mener une enquête. Une enquête? À quel propos? Je ne le savais guère... Je me demande encore pourquoi... et ce fut là le véritable début de la quête... ma quête...

lundi 13 janvier 2020

(13) Sur le fil


« L’âge d’or a cessé, et, dans ce paradis des forêts américaines, comme partout ailleurs, une triste et longue expérience a enseigné à tous les êtres que la douceur se trouve rarement unie à la force.»

D’après les extraits de la Relation historique aux régions équinoxiales, A. de Humboldt, Voyages dans L’Amérique équinoxiale, tome 1, Paris, François Maspero, 1980, p. 87) 





Extrait du journal de Candide


C'est comme un fil tendu entre hier et aujourd'hui sans que l'on puisse le moins du monde les distinguer.

(13) Entre


« En fait, la vérité que Nietzsche évoque sans l'atteindre réside dans l'idée qui surmonterait toutes ces pensées fragmentaires, en sautant de l'une vers l'autre, et en hissant leur rassemblement au-dessus du quantitatif, voire au-dessus d'une vague complétude indéfiniment complétée, c'est-à-dire plutôt dans une ouverture toujours recommencée vers la vérité universelle qui demeure pourtant inconnue, celle de l'infinité du temps, c'est-à-dire pour Nietzsche celle de l'éternel retour de toutes les choses. Et cette vérité, à peine dicible, ne sort pas seulement d'une métaphore, d'un puits profond, mais d'un jeu éternel entre ce qui donne et ce qui se retire, entre ce qui crée et ce qui détruit, entre ce qui dépense...»

Claude Stéphane Perrin 




dimanche 12 janvier 2020

(12) Force et faiblesse


« La force de notre faiblesse, c'est que l’impuissance sépare, désengage, émancipe.»

Jacques Derrida






(12) Dieu sait où




Extrait du journal de Candide



 Il était, au sens propre, agité d’un irrépressible mouvement dépendant du rythme des mots et des phrases qu'il prononçait et répétait à l'envi, une danse en laquelle, j'en eu de suite la certitude, il habitait et qui l’entraînait «Dieu» sait où... sans qu’apparemment, si j'en crois le peu que j'aie pu entendre, il ne le sache jamais...

samedi 11 janvier 2020

(11) Point de vue


« La conscience est la dernière phase de l'évolution du système organique, par conséquent aussi ce qu'il y a de moins fort dans ce système... Si le lieu des instincts, ce lieu conservateur, n'était pas plus puissant que la conscience, s'il ne jouait pas, dans l'ensemble. un rôle de régulateur, l'humanité succomberait fatalement sous le poids de ses jugements absurdes, de ses divagations, de sa frivolité, de sa crédulité, en un mot de son conscient...»

Nietzsche




– Comme chacun le sait... ou... pourrait le savoir... pour certains l'histoire va trop vite... et naturellement, pour d'autres c'est l'inverse. Tout dépend du point de vue où l'on se trouve et de la position sociale que l'on occupe.... ou que l'on désire occuper.



vendredi 10 janvier 2020

(10) De plain-pied


« Entre le temps du moi, immanent ou vécu, et le temps transcendant, celui des autres et des choses, l'harmonie peut être rompue: il peut se produire un déphasage dans le sens d'une avance ou d'un retard.»

Henri Maldiney, Penser l'homme et la folie, Millon


– Ce qui est là devant nous ne se préoccupe guère des mots qui sont censés le décrire...
– ... ou le faire exister...
– Chacun dans son monde...
– ... nous sommes de joyeux enfants...
– ... de plain-pied dans un chaos monstrueux...







(10) Narquois






Journal de Candide

Ce qu'il a de plus déterminant dans les cahiers de l'enfant Lune et surtout dans sa présence est une une sorte de détachement dans lequel se mêlent un peu de poésie, un peu de familier, un étonnement permanent et une petite part, qui me parait assumée, de narquois qui s'entremêlent au point de ne pouvoir être dissociés qu'avec peine... 

jeudi 9 janvier 2020

(9) Qu'une idée







Journal de Candide

Comment et pourquoi est-elle survenue, d'où vient-elle, comment ais-pu l'entendre et la mémoriser, je ne sais pas, toujours est-il que ma conclusion est: "que l'inscription matérielle, pétrie de contingence, seule rend possible la réitérabilité essentielle à l'idéalité; le plan transcendantal des idéalités est pris dans  l'oxymore d'une contingence nécessaire: en effet, il apparait que seule l'inscription dans la singularité de la matière, vouée à l'accident, permette à l'idéalité d'assurer sa transcendance"*.  Mis à part les mots, qui ne sont pas les miens et qui résonnent encore dans mes oreilles, je me souviens aussi du fait que dès lors je me mis à penser. Il me devint évident, sans artifice et sans gloire, que je n'étais, moi aussi, qu'une idée...




* Fabrice Métais, Toucher l'autre par le monde