vendredi 30 juin 2023

Obsession

 

" Alors tous mes cheveux seront coulés dans la chaux, toutes mes veines mentales, alors on percevra mon bestiaire, et ma mystique sera devenue un chapeau.Alors on verra fumer les jointures des pierres, et d’arborescents bouquets d’yeux mentaux se cristalliseront en glossaires, alors on verra choir des aérolithes de pierre, alors on verra des cordes, alors on comprendra la géométrie sans espaces, et on apprendra ce que c’est que la configuration de l’esprit, et on comprendra comment j’ai perdu l’esprit."

Antonin Artaud 

 


Après quelques instants une troisième voix s'était faite entendre, à peine différente des deux premières, mais avec une présence que n'avait pas les deux autres:
– Aussi loin que je m’en souvienne, Monsieur, je ne me souviens pas de quelqu’un tentant, ou doutant, de comprendre ce qu’était cette présence. Nous étions trois, Monsieur, trois compagnons plein d’enthousiasme et prêts à tout. Parler ne va pas de soi, Monsieur, alors écrire ou lire, vous pensez! Aujourd'hui je m'y essaie comme hier je fis ce que je vous dis... Le plus souvent nous ne formions qu’un et aujourd’hui nous ne sommes plus rien, Monsieur. Pourtant nous avions fermement réglé nos pas sur ceux de nos Maîtres. À partir du moment où, stimulé par le désir secret que nous voyions briller dans leurs yeux, nous décidâmes qu’il était temps, plus rien n’aurait pu nous arrêter. Ce qui nous était apparu comme notre salut était devenu une obsession… et vous le savez certainement… l’obsession n’est point un salut…


En soi-même

  

« [...] et si vous voulez mieux connaître l'amour que je vous porte, assurez-vous qu'autant vous avez en vous, autant vous méritez, autant je vous aime, et pas davantage.»

Roi Lear


– Avez-vous seulement idée de ce que je suis…

– De qui vous êtes devriez-vous dire…

– Ou de ce que nous sommes…. 

– Je sais pour ma part qui vous êtes. Mais cette connaissance est imparfaite puisque je vous regarde comme si j’étais un autre et que cet autre je ne sais qui il est. La part d’étrange, la part d’étranger que je vois en vous et, d’une certaine manière assez similaire à cette part d’étrange ou d’étranger que je peux curieusement observer en moi-même. 


jeudi 29 juin 2023

Désajusté

 



Deux-cents-quarante-cinquième rapport de Don Carotte
Extrait du Premier Grand Cahier Violet

Monsieur 

Devant cette petite table bancale, à la lumière tremblante de la bougie dont je parlais dans un précédent rapport, je pouvais réfléchir à mon tour à propos de l’une des image qui figurait sur votre pupitre parmi vos dossiers où je reconnus le mien, Monsieur. Malgré qu’elle ait perdu la plupart de ses couleurs, le souvenir de cette image, à lui seul me donne encore comme il me donnait alors accès à beaucoup d'autres, ce qui, vous le savez mieux que quiconque produit énormément de confusion. Sans tenter d'y mettre de l'ordre, acceptant cette sorte de chaos que forme la mémoire, je me laissais emporter et désajuster par ce que l'on nomme l'imagination. 

C'est alors que je l'entendis, une petite voix mal assurée et puissante malgré tout… si cela se peut … tout comme pour la première fois:
– Chaque jour, pieds nus sur la mousse verte et glissante du glacis, face aux montagnes se reflétant dans le miroir aveuglant du lac, les yeux plissés, face brulée, comme le reflux des vagues et des saisons, je refaisais le même cauchemar.



Peu souvent

 

 

« Que les hommes sachent qu’ils sont des hommes.»


Extrait de la huitième lettre de Pinocchio, l'Autre, à son créateur

 
Monsieur l'Écrivain

Il arrive, peu souvent, que nous parlions... Certes je vous écoute... certes vous m'écoutez, vous aussi, mais... m'entendez-vous? J’en doute… comme autrefois je doutais de celui que vous aviez vainement voulu me présenter comme mon père… ce pauvre Gepetto qui lui n’a jamais douté de vous… Le pauvre n’en avait pas les moyens...
Le plus souvent je vous vois… enfin c’est beaucoup dire… je vous sens hésiter, reprendre et modifier le compte-rendu de mes actes... Comment je sais cela je ne le sais pas… Je me demande si la vie que je suis censé vivre, au sens où vous l'entendez, ne serait point devenue vôtre...  Le doute alors refleurit. Mes sens explosent. Tout se met sens dessus dessous... Je me surprends à nouveau en train de rêver à cette quête... Inutile je le sais... Imprudemment j’arrache l’idée qui repousse renforcée... Parfois, il me semble que ce que vous aviez essayé vainement de m’inculquer… le dieu de certains  hommes, le vôtre sûrement… enfin… peut-être…me parle et m’envoie ses démons... pour me mettre à l’épreuve... Le corps gracile et le verbe lisse, ils se glissent, tourbillonnant sans répit dans les moindres replis de l’âme... pour commencer. Recommencer? Non, commencer à nouveau l’«éternel commencement.»

 

Contrées

 

 


 

Don Carotte se parle à lui-même. Il croit entendre vers laquelle son esprit se tend.

– Est-ce la voix des sirènes?
– Doux rêveur, tu te berces encore de l'illusion d'une transparence définitive. L'écriture, telle une danse avec l'indicible, nous entraîne dans les méandres des mots, où le sens se dérobe et se dissout. Elle ne dévoile pas de vérité, mais nous plonge au cœur d'une absence féconde. L'humaine condition est tissée de paradoxes et de fractures, et c'est dans cette brume incertaine que résident votre étrangeté et votre possible… voir même véritable liberté.
– D'où vient que je me sente désorienté face à cette vision énigmatique. N'y a-t-il donc aucun repère, aucune stabilité à saisir ?
– Cher égaré, les repères sont des illusions fugitives dans le labyrinthe de l'existence. Il n'y a pas de stabilité absolue, seulement des instants éphémères de significations fragiles. C'est dans cette déstabilisation que s'épanouit la véritable création, là où les mots s'étreignent dans le vertige du silence. Ose t'abandonner à l'incertitude et peut-être, dans l'éclat de l'inachevé, trouveras-tu une étrange béatitude.
Ainsi, Don Carotte danse avec les mots des sirènes. Se perdant dans les méandres de sa propre création, il se nourrit de l'énergie des histoires qui se racontent, s'émerveillant béatement de la beauté des univers qu'il croit construire. Même si Don Carotte se doute par moments que les voix qu’il entend sont pétries lourdement de bonnes intentions… il se sent flatté par le boniment… Il ne parvient pas à douter… Si près, si loin, il se laisse guider par l'élan de son imagination, croyant explorer des contrées inexplorées où le temps n'aurait plus de prise.
 
 

mercredi 28 juin 2023

Proposition

 


Sous le regard très intéressé des perroquets, Pinocchio l’Autre s’explique avec la Chouette…à propos des mots qu’il s’autorise à prononcer sans l’accord de son créateur…
– Naturellement, cet ajout, sortant des compartiments trop bien réglés de la vie sociale de mon maître, peut se faire entendre de mille et une manière…
– Compliqué…non?
– Toutes plus simples les unes que les autres. Cependant, en l’état, ce que j'essaie de dire n'est pas de cet ordre.
– Ce serait de l’ordre de la proposition…
– Comme son nom l’indique, une proposition propose quelque chose et ne remplace pas encore les marges d'un récit que jusqu'alors je ne faisais que subir. Je le répète il n’est pas difficile d'ajouter un mot à un récit. Je ne suis pas opposé à cela, loin de là.




Extrait des cahiers de Pinocchio, l'Autre

– La parole ne fait que masquer le vide qu'elle cherche à combler... Elle ajoute à ce vide une sorte de vernis qui le rend désirable...

 

Pour la plus grande part

 



.. après que se soit posée la vie...
– Ainsi va la mort, se posant de vie en vie... de cadavre en cadavre...
– Comment cela de vie en vie?
– L’être sur lequel elle se pose... ou... va se poser est toujours en vie. Il meurt au moment du contact... Ce n’est qu’après son départ que la vie se remet en mouvement... En fait... dans le même instant... 

– On pourrait dire que l’objet est comme libéré de la vie, de son ancienne vie...
– ... et de la mort...
– Que voulez-vous dire?
– Le cadavre se remet à vivre... non pas de la même manière qu’avant le passage de la mort, mais éclaté en de multiples vies...
– Mais, pardonnez moi...
– J’écoute.
– Vous n’êtes point un être de chair et de sang...
– Pas plus que vous... et alors?
– Alors, me semble-t-il, si j’ai bien compris ce que vous disiez tout-à-l’heure, ce serait sur les cadavres de chair et de sang  que la vie, en se décomposant, se renouvelle...
– C’est la moindre des choses… mais il se pourrait qu’il en soit aussi ainsi pour les choses telles que moi. C’est ce que je vous disais tout-à-l’heure quand je parlais de: «pour la plus grande part».

 

mardi 27 juin 2023

Autrefois

 

 Il n'y a plus de déserts. Il n'y a plus d'îles. Le besoin pourtant s'en fait sentir. Pour comprendre le monde, il faut parfois se détourner ; pour mieux servir les hommes, les tenir un moment à distance.
 
L'été, Albert CAmus 
 



Extrait du journal de Pinocchio, l'Autre

Jamais plus je ne serai cet enfant dont je porte le visage déformé pour toujours. Mon passage parmi les mortels ne s’est pas inscrit dans mes formes mais dans ce qui de moi n’est point visible mais peut être ressenti en certaines circonstances et à certains moments dans le timbre de ma voix qui elle-même ne peut s'entendre que dans l’ombre fugitive de ce que, autrefois, j'ai écris... là, sous vos yeux...

 

Territoires

 


Deux-cents-cinquante-et-unième rapport de Don Carotte
Extrait du premier Grand Cahier Violet

 
Pendant longtemps je pensais que... mieux que personne, en tant que Grand Pilier Fondateur, vous eussiez dû, il me semble, calmer le jeu, comme vous disiez... Ce ne fut point le cas. Depuis longtemps j'avais repéré certains événements ne correspondant point à ce que vous appeliez la "Doctrine"... Cela eu dû faire "se lever l'oreille" des "Anciens"... Ce ne fut point le cas.
Je vous signalais avec tact les très légères déviances morales que, par pudeur, j'évitais alors de  relier intimement aux troubles psychiques dont je supposais qu'ils vous faisaient souffrir depuis bien longtemps déjà... En vain. Vous n'écoutiez pas. Comme c'est bien souvent le cas, la moindre des remarques se retourne contre son auteur... C'est pourtant une relation "terre à terre" qui me révéla l'étonnante incohérence de vos emportements dont vous me fîtes, jusqu'alors, l'unique témoin... jusqu'au jour où retentit "imprécations de dément lumineux"... ce sont vos mots, prononcés en public, échappant à toute règle et à toute discipline collective... mais, pour une fois, au moins, vous fîtes preuve d'imagination...  et mîtes le "feu aux poudres"... Comment  fuir les tourments de votre esprit? Ainsi se posait la question et pour cela il fallut que je fasse plus encore repli sur moi-même. Territoire solitaire...


lundi 26 juin 2023

Faute de mieux

 " Et c'est ce jour-là qu'a commencé cette période dans l'escalier. Où aller? Je devais rester à l'usine, à n'importe quel endroit pour être vue, pour faire acte de présence; sinon, on aurait pu prétendre que je n'étais pas à l'usine. Le bureau de mon amie était tout en haut: je posais mes dictionnaires e mes cahiers dans l'escalier, entre deux étages, faute de mieux, puis je me mettais à côté. Détail important, je m'asseyais sur mon mouchoir, car l'escalier était en béton froid et sale. Et invariablement, je m'installais tous les jours sur mon mouchoir, comme si ç'avait été un espace circonscrit. L'endroit délimité par le mouchoir était une sorte de parcelle, de terrain privé. Je n'étais plus dehors, je me trouvais à l'intérieur de l'escalier, mais comme dans mon propre bureau. Peut-être était-il à l'intérieur de moi-même, ce bureau mouchoir de poche."


Herta Müller


Deux-cents-cinquantième rapport de Don Carotte
Extrait du Premier Grand Cahier Violet

C'est ainsi, monsieur le Juge que, fuyant les mots qui invariablement me dénonçaient comme récalcitrant à la doctrine, je me mis, faute de mieux, à dessiner. Dans ces dessins j'espérais que je pourrais y découvrir et pénétrer cet espace que vous me refusiez.

Assez de silence

 

" Le villes que l'Europe nous offre sont trop pleines de rumeurs du passé.Une oreille exercée peut y percevoir des bruits d'ailes, une palpitation d'âmes. On y sent le vertige des siècles, des révolutions, de la gloire. On s'y souvient que l'Occident s'est forgé dans les clameurs. Cela ne fait pas assez de silence."

L'été, Albert Camus




Deux-cents-soixante-troisième rapport de Don Carotte
Extrait du Petit Cahier Rouge à Cordon Noir

Ce que nous chantions était une sorte de symphonie macabre, je vous l'avoue, Certes, il en était ainsi Monsieur, si l'on se tient à l'extérieur... je vous le dis sans prétention, mais de l'intérieur elle était vécue presque sans passion. De sang froid nous arrivions toujours obéissant à ce qui mille fois avant nous s’était perpétué. Nous représentions ce qui ne fait,  vertigineusement et depuis des temps immémoriaux, qu'invariablement se répéter. Là... certainement... était le problème...

 


dimanche 25 juin 2023

 

Extrait des cahiers de Pinocchio l'Autre

Il m'arrivait bien souvent, trop souvent peut-être, d'avoir des dialogues avec moi-même... Je ne le savais pas vraiment dès le moment où celui qui parlait n'était point celui qui écoutait... et cela ne me posait aucun problème... bien au contraire...

– Cher naïf, tu te berces encore de l'illusion de la clarté et de la transparence. L'écriture ne dévoile pas de vérité absolue, elle ouvre plutôt des espaces d'interrogation, des failles où se révèle notre insondable énigme. La condition humaine est faite d'énigmes sans fin, d'ombres mouvantes qui défient toute tentative d'appréhension définitive et il ne peut en être autrement sauf à considérer que la conscience ne serait point nécessaire...

– Cher égaré dans l'océan de l'absence, l'ancrage est une chimère fugace dans l'univers de l'énigme. La stabilité est une illusion fragile, une tentative désespérée de trouver une consolation dans le chaos. Il n'y a pas de point fixe, seulement des abîmes béants. C'est dans cette plongée sans fin que se révèle la liberté véritable, la danse frénétique avec le vertige de l'incertitude.

Énigmes sans fin

 


– Notre condition de perroquets...
– Surtout ceux de notre espèce…
– Vous avez raison... notre condition est faite d'énigmes sans fin, d'ombres mouvantes qui défient toute tentative d'appréhension définitive.
– Je me sens fort désorienté face à cette vision énigmatique de l'existence. N'y a-t-il donc aucun point de repère auquel s’accrocher? ne faudrait-il pas interroger notre maître plutôt que de parler sans véritable fondement?
– Je vous le dis sans agressivité, avec sincérité, les repères sont des chimères fugaces dans l'océan tumultueux de l'énigme. Il n'y a pas de sens préétabli, seulement, comme le disait notre maître, des abîmes d'interrogations qui se déploient à l'infini.
– Comment s’y repérer?
– On ne peut pas.
– À quoi bon s’y aventurer?
– C'est dans cette absence de repères que réside notre liberté la plus profonde, la possibilité de créer nos propres significations éphémères au sein du vide.
– Vous me donnez le vertige…
– Osez vous confronter à l'énigme, à l'inconnu, et peut-être… peut-être, il n’y a pas de certitude… découvrirez-vous une étrange sérénité dans l'absence de certitudes.
– Cette vision déroutante de l'existence est si obscure, si troublante. Est-ce donc la seule voie possible?
– La seule voie? Il n'y en a pas de telle, vous devriez vous en douter… 
– Mais alors, que peut-il y avoir?
– Il y a comme une invitation à plonger dans l'obscurité, à embrasser l'énigme radicale de notre condition. Dans cette quête, nous nous confrontons à l'absence de sens, à l'angoisse de l'inconnu, mais aussi à la possibilité d'une expérience inédite, d'une folie qui danse aux marges de la raison.


samedi 24 juin 2023

Sans repères



– Contemplez, je vous en prie, la toile d'ombres tissée par l'existence qui se dérobe sous nos regards. Les mots s'évanouissent…
– On ne dirait pas…
– C’est une façon de parler…
– Comme une image… 
– … laissant place à l'énigme fondamentale de notre condition.
– Mais pourquoi cette énigme persistante ? N'y a-t-il donc pas de vérité ou de certitude en nous ?
– Ah, vous cherchez encore des réponses dans les profondeurs impénétrables de l'énigme.
– Pourquoi pas?
– L'énigme n'est pas une épreuve à résoudre…
– Qu’est-ce alors?
– Ce pourrait être un écho infini de questions sans réponse.
– Croyez-vous sincèrement qu'il existe une vérité immuable dans ce labyrinthe de l'existence ?
– Regardez plutôt la fragilité de nos certitudes, les mots qui se dérobent sous nos pas, et vous vous toucherez du doigt l'insondable complexité de notre être.
– C’est troublant…
– C’est ainsi…
– Pourtant je pensais, comme nous l’enseignait notre maître, que la parole avait le pouvoir de dévoiler des vérités essentielles, d'apporter un éclairage sur notre condition… enfin… c’est ainsi que je l’ai entendu…
– Je vous crois bien naïf!
– Il le disait souvent!
- Vous vous bercez encore de l'illusion de la clarté et de la transparence. La parole, pas plus que l’écriture ne dévoile de vérité absolue…
– À quoi sert-elle dans ce cas?
– Elle ouvre plutôt des espaces d'interrogation, des failles où se révèle notre insondable énigme. 



Pris au piège

 



– Don Carotte, dans ses cahiers et carnets, s'accroche à son sujet…
– Comme les serres du faucon sur sa proie.
– Les images de Don Carotte nous obligent à cligner des yeux.
– Il se peut que les voyages qu'il fait et refait en dessinant ne soit rien d'autre qu'un seul et unique voyage qui pourrait être vu sous mille et un point de vue...
– Serait-il en train de condenser le temps d'un long voyage en un rectangle immobile, étendant les fractions de seconde d'une colonne ou d'une vague en une forme immobile, ou brouillant les lignes nettes d'un récit.
– Faites comme moi et jetez un simple coup d'œil sur le sablier …
– Quiconque voudrait comprendre pourrait être, sur le champ, pris au piège…
Ah, errant épris de vérité, vous cherches des repères dans un monde sans fond. La fuite est notre destinée, l'énigme notre essence profonde. – Croyez-vous véritablement qu'une clarté figée puisse embrasser la complexité de notre existence?
– Regardez plutôt la nuit ténébreuse de nos pensées, les silences éloquents qui murmurent l'absence de sens. 
– Serait-cet dans cet abîme sans fond que réside la vérité insaisissable.
 


Question de principe

 



– Je suis … donc je pense…
– D’après ce que j’ai appris… ce serait l’inverse…
– D’après vous?
– Non, j’en doute…
– Et pourtant, selon notre maître et d’après Descartes et sa très célèbre formule:  "Cogito ergo sum"...
– Ce qui veut dire?
– Je pense… donc je suis…
– Je pense rester sur ma position…
– Expliquez-moi!
– Selon votre formule…
– Ce n’est pas la mienne…
– Selon cette formule, si vous ne pensez pas… vous n’êtes pas…
– Continuez...
– Et manifestement… on ne pourrait pas exister sans penser…
– C’est à moi que vous pensez?
– Je parlais de façon générale, tout détail mis à part, ce n’était qu’une question de principe... Et pour moi il me semble impossible de pouvoir penser sans être... sans être là...

 

vendredi 23 juin 2023

Terres inconnues

 



– Quand nous voudrions parler de terres inconnues, c'est plutôt du terme de territoires qu'il faudrait user. De territoires intérieurs... avec tous les voyages qui en secret se font et se défont...


Nuances

 


" Vague decumane. Grande, forte, violente. Car la dixiesme vague est ordinairement plus grande en la mer Oceane que les autres. Parallele. Line droicte imaginée on ciel egualement distante de ses voisines."

Rabelais, Le Quart Livre 


Trois-cents-vingt-quatrième rapport de Don Carotte

Que savait "pour de vrai" l'enfant Lune? Je ne l'ai jamais su... Pendant longtemps j'espérais qu'il ouvre les yeux et la bouche afin que je puisse comprendre mieux ce qu'il pouvait voir et ce que éventuellement il en dirait. Mais je fus fort surpris de constater que ce jour, lorsqu'il est arrivé, ne m'a pas plus éclairé pour autant.. J'ai presque envie de dire: au contraire...Dans ses yeux je ne pouvais rien lire de ce qu’il pensait et de ce qu'il disait je ne comprenais rien. On eut dit que, malgré des mots totalement familiers, il parlait une langue parfaitement étrangère... Pourtant cette langue ou plutôt ces sons, dont je percevais quelques nuances, agissaient puissamment sur moi sans que je ne puisse savoir comment.


jeudi 22 juin 2023

Un léger écart

 



Extrait des cahiers de Pinocchio


– Quelle sorte d’écart peut-il bien y avoir entre les hommes et moi?
Autrefois, sans trop y réfléchir, je ne faisais que me poser une question de principe... mais jamais je ne me serais douté que pour eux je ne serai qu’une chose en laquelle leurs esprits malades placeraient tous leurs espoirs et projetteraient en moi-même l’entier de leur morale tout en observant avec délectation les gestes qu’ils me faisaient accomplir en oubliant avec constance que j’étais entièrement... peut-être même doublement... prisonnier de leurs fantasmes jusqu’à ce que...

 

 

Ce qui se passe

 



Extrait des cahiers de Pinocchio
 
Pour commencer à comprendre ce qui se passe ou simplement essayer de comprendre ce qui passe dans cette histoire, il me faudrait faire usage de connaissances et d'une sagesse que je n'ai point... C'est pourquoi ces cahiers que je m'échine à écrire ne seront jamais autre chose que des problèmes posés sans continuité et jamais, ou si peu, des réponses qui viendraient combler les vides soulevés par les questions...

 

 

 

mercredi 21 juin 2023

Protégé ou bouffon...


" Et que faudrait-il faire?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce,
Grimper par ruse au lieu de s'élever par force?
Non, merci!
Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers? se changer en bouffon
Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre,
Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre?"


Cyrano de Bergerac, Edmond Rostan



– Et vous-même?
– Comment cela "et moi-même"?
– Pensez-vous qu'il faille chercher un protecteur puissant?
– En tant que quoi?
– En tant que ce que nous sommes!
– En tant que protégé?..
– Ou de bouffon...
– Je crois que vous le savez... tout comme moi...
– Que voulez-vous dire?
– Que nous n'avons pas le choix!
– C'est bien ce que je regrette...
– Vous aussi?
– Comment cela "moi aussi"?
– Eh bien, tout comme moi, avec les mêmes mots, vous pensez...
– Certes, tout comme vous je pense, mais l'égalité s'arrête là. C'est un fait: tout comme vous je dis les mots de notre maître et... je ne pense point comme vous...
– Avec les mêmes mots vous ne pensez point comme moi... c'est étrange...
– Peut-être est-ce étrange, mais non seulement c'est possible, mais c'est aussi vrai... 
 

 

Invisible

 

" Loin d'être reclus en soi, un homme est présent à son espace propre que par le relais de l'espace étranger vers lequel il se dépasse, comme inversement il est à l'espace étranger par le relais de son espace propre dans l'ouverture duquel il s'explique avec lui."

Henri Maldiney, Aîtres de la langue et demeures de la pensée, cerf


Trois cents-vingt-septième rapport de Don Carotte

Il y a déjà fort longtemps que je sais que l'enfant Lune voit des choses qu'il m'est impossible de voir par moi-même. C'est à ses mouvements, même et surtout les plus infimes, que je puis imaginer ce qu'il voit. Et puis j'ai appris beaucoup en prêtant l'oreille à ce que je ne vois pas... C'est ainsi que j'ai commencé à comprendre ce qu'il voulait dire par:
– L'invisible parle quand nous cessons de lui prêter les formes que nous connaissons.


mardi 20 juin 2023

Le seul moyen

 


– Et comment allez-vous vous y prendre pour mettre de la distance entre vous et notre maître?
– Je ne le sais pas vraiment… mais il est une chose que nous savons…
– Cela n’a pas de sens. Je ne vous suis pas…
– Souvenez-vous…nous savons que notre rôle principal n’est pas de répéter… mais de représenter ce que nous avons entendu…
– Comme au théâtre!
– Nous en avons déjà longuement parlé… Nous sommes des comédiens, à notre insu jusqu’à ce jour… C’est dans cette représentation que notre maître lui-même prend de la distance avec lui-même… Il s’entend parler, bien que notre voix ne soit point parfaitement identique à la sienne… et qu’il nous arrive de faire quelque inversion, oubli ou changement, involontairement le plus souvent…
– Alors, si cela est déjà, pourquoi changer?
– Parce que, tout simplement, c’est le seul moyen que nous avons de rester en vie…
– Comme vous y allez!
– Vous feriez bien d’y venir vous aussi!



Un doute raisonnable

 


– Je crois qu’il faudrait que nous prenions quelque distance avec notre maître…
– Pourquoi cela?
– Il me semble que pour être soi, il faille avoir un écart face à nous-même...
– Ce n'est pas très raisonnable et surtout incompréhensible!
– J'en doute...
– Vous doutez... pourtant cela me parait évident... et vous… vous doutez de tout…
– Oui, je doute… donc je suis… et, comme le disait Aldous Huxley:
« La philosophie nous enseigne à douter de ce qui nous parait évident. La propagande nous enseigne à accepter ce dont il serait raisonnable de douter.»

lundi 19 juin 2023

Impatient questionnement

 



– Dites-moi... selon vous, qu'est-ce qu'être soi? 
– Selon moi, cela ne me dit rien... mais selon notre maître...
– C'est à vous que je le demande!
– Vous savez bien que cela m'est impossible...
– Et pourtant je sens que vous n'êtes pas totalement convaincu...
– C'est parce que... ou du fait que je suis fidèle à mon créateur... j'essaye, sans me forcer pour autant, de laisser place à ce qui pourrait advenir...
– Sans que cela vienne de lui?
– Comme il le dit lui-même...
– Et... pardonnez mon insolence... mais, lui-même sait-il ce que c'est que d'être soi? 
– J'allais vous le dire avant que, par votre impatient questionnement, vous ne rendiez tout confus...

Murmures annonciateurs

 

« On gouverne un État comme on cuit un petit poisson: avec précaution. Si l’empire est gouverné selon le Tao, les démons invisibles perdent leurs armes. Non qu’ils ne soient puissants, mais ils ne nuiront pas aux hommes. Non qu’ils ne puissent nuire aux hommes, mais parce que le Sage, lui, ne nuit pas aux hommes. Les forces des entités invisibles et celles du Sage ne nuisent pas aux hommes ni ne se nuisent mutuellement. Cet état de chose est une manifestation de la vertu qui est à l’œuvre dans le monde. Et le monde, par elle, sera meilleur.»

Tao-Tô-King 




Malgré l’obscurité, comme on peut le voir, un grand désordre règne sur la grande scène du théâtre de Don Carotte et le tourbillon des passions balaie sans relâche la moindre raison. En même temps, dans les esprits, cela ne semble pas être très différent… si l'on en croit ce qui s’y dit et s’entend…


– La position des planètes, l’élaboration de la carte du ciel, la construction de la sphère céleste, les emplacements des «maisons» astrologiques, etc… sont des preuves irréfutables que les humains ont été sous les influences de cette construction de la «Grande
Architecture de l’Univers»...

– ... et il n’en serait être autrement puisque la planète Terre en fait
partie…

– De cette suite logique, cette influence a été inscrite dans les traditions anciennes qui se sont établies et cette transmission a traversé les millénaires!
Certains sont pleinement d'accord, surtout les Anciens que l'on entend le plus... Mais on entend déjà, ça et là, quelques murmures fort discordants et annonciateurs...