mardi 7 mars 2006

Érasme
















C'était sans doute cela, sa principale caractéristique : un poids exact de pertinence, ni trop ni trop peu. Avec cependant ce qu'il fallait d'incongru pour pimenter le plat. C'est pourquoi, je le répète, son visage ingrat était ennobli par un air réfléchi et par le perçant de son regard outremer. J'aimais aussi ses mains maigres et fragiles...
J'ai du mérite à écrire ce dithyrambe aujourd'hui. Mais, pour l'intelligence de ce qui va suivre, il faut que je m'efforce, parfois en serrant les dents, de me projeter à nouveau dans la grande chambre de Torresani, face à Erasme. Et de poursuivre la description non pas de l'homme tel qu'il était, mais tel que, jeune homme ébloui, je le voyais. Même s'il aimait à dire qu'il n'écrivait pas, mais qu'il « déversait », son style spontané était simple et fluide, comme lavé par une eau lustrale qui l'aurait nettoyé de toute afféterie comme de toute lourdeur professorale.
...
Cela étant, lorsqu'il parlait de ses écrits, de leur conception comme de leur rédaction, c'était toujours la même métaphore qui revenait, celle d'une grossesse suivie d'un accouchement : « Ou je conçois, ou j'accouche, ou je suis en gésine ! » précisait-il.
Il est vrai que c'est la même image qui lui venait à l'esprit quand il évoquait ses fréquentes diarrhées, « Je restai sans force après cette parturition » -, ce qui n'était pas vraiment flatteur pour ses ouvrages.

Le manuscrit de la Giudecca
Yvon Toussaint

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