mercredi 8 mars 2006

Regard


Son regard saisit un instant celui d'O'Brien. O'Brien s'était levé. Il avait enlevé ses lunettes, de son geste caractéristique, il les rajustait sur son nez. Mais il y eut une fraction de seconde pendant laquelle leurs yeux se rencontrèrent, et dans ce laps de temps Winston sut - il en eut l'absolue certitude - qu'O'Brien pensait la même chose que lui. Un message clair avait passé. C'était comme si leurs deux esprits s'étaient ouverts et que leurs pensées avaient coulé de l'un à l'autre par leurs yeux. « Je suis avec vous » semblait lui dire O'Brien. « Je sais exactement ce que vous ressentez. Je connais votre mépris, votre haine, votre dégoût. Mais ne vous en faites pas, je suis avec vous ». L'éclair de compréhension s'était alors éteint et le visage d'O'Brien était devenu aussi indéchiffrable que celui des autres.
C'était tout, et Winston doutait déjà que cela se fût passé. De tels incidents n'avaient jamais aucune suite. Leur seul effet était de garder vivace en lui la croyance, l'espoir, que d'autres que lui étaient les ennemis du Parti.

Georges Orwell
"1984"

Aucun commentaire: