vendredi 13 janvier 2006

Des frissons dans la bibliothèque


Le pantin, perdant courage, était à deux doigts de se jeter à terre et de se rendre quand, promenant son regard alentour, il vit luire au loin dans les arbres vert sombre une maisonnette blanche comme la neige. "Si j'avais assez de souffle pour l'atteindre, je pourrais m'en tirer", se dit-il. Et, sans hésiter plus longtemps, il reprit sa course à toute allure à travers le bois ; et les brigands étaient toujours à ses trousses. Après une course éperdue qui dura près de deux heures, il finit par arriver tout essoufflé à la porte de la maisonnette, et frappa. Pas de réponse.
Il frappa une deuxième fois plus fort, car il entendait de plus en plus distinctement les pas de ses tortionnaires et leur respiration rauque et saccadée.
Même silence.
Comprenant qu'il était vain de frapper une troisième fois, il se mit à donner des coups de pied et des coups de tête désespérés dans la porte. Apparut alors à la fenêtre une belle enfant qui avait les cheveux bleus et le teint blanc comme une poupée de cire, les yeux clos et les mains croisées sur la poitrine. Sans le moindre mouvement des lèvres, elle lui dit d'une voix qui était si faible qu'elle semblait venir de l'autre monde:
- Il n'y a personne dans cette maison. Tout le monde est mort.
- Mais toi, s'écria Pinocchio tout en larmes, toi, du moins, ouvre-moi par pitié !
- Moi aussi je suis morte.
- Morte ? Mais alors, que fais-tu à cette fenêtre ?
- J'attends que le corbillard vienne me prendre.
Elle avait à peine achevé ces mots qu'elle disparut, et que la fenêtre se referma sans bruit.
- Oh ! belle enfant aux cheveux bleus, cria Pinocchio, ouvre-moi par charité ! Prends pitié d'un pauvre garçon poursuivi par des bri...
Il ne put finir sa phrase : il sentit les autres le saisir au collet, et les entendit grommeler de leurs voix sinistres :
- Maintenant nous te tenons !
Le pantin, voyant déjà la mort brandir ses foudres sur lui, fut saisi d'un tremblement si violent, si impérieux, qu'on entendit craquer les jointures de ses jambes de bois et tinter les quatre sequins dissimulés sous sa langue.

Carlo Collodi
"Les aventures de Pinocchio"
Traduction de Nicolas Cazelles
Babel

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