mercredi 18 janvier 2006

Montalbano


Pippo Ragonese, commentateur politique de Televigàta, était doté de deux choses : une face de cul de poule et une imagination tordue qui le portait à inventer des complots. Ennemi déclaré de Montalbano, Ragonese ne rata pas l'occasion de l'attaquer encore une fois. Il soutint en effet que derrière le soi-disant vol à la tire des deux petites vieilles, il y avait un dessein politique précis, œuvre d'extrémistes de gauche pas encore identifiés. Ceux-ci, par ces actions terroristes, tentaient de dissuader les croyants d'aller à l'église en vue de l’avènement d'un nouvel athéisme. L’explication du fait que la police de Vigàta n'avait pas encore arrêté le pseudo-voleur à l'arraché, on devait la chercher dans le frein inconscient que constituaient les idées politiques du commissaire, certes pas orientées ni au centre ni à droite. « Frein inconscient », souligna bien deux fois le joumaliste, pour éviter tout malentendu ou plainte en diffamation.
Mais Montalbano ne se fâcha pas, en fait, il en rigola bien. Il ne rit pas cependant le lendemain lorsqu'il fut convoqué par le questeur Bonetti-Alderighi. Lequel, devant un Montalbano sidéré, n'épousa pas la thèse du journaliste, mais, en un certain sens, s'y fiança, invitant le commissaire à suivre « aussi » cette piste.
- Mais, monsieur le Questeur, réfléchissez : combien de pseudo-voleurs à l'arraché faut-il pour dissuader toutes les petites vieilles de Montelusa et sa province d'aller à la première messe ?
- Vous-même, Montalbano, avez employé juste à l'instant l'expression « pseudo-voleur à l'arraché ».
Vous conviendrez, j'espère, qu'il ne s'agit pas du modus operandi typique d’un voleur à l’arraché.

Andrea Camilleri
"La démission de Montalbano"
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