dimanche 1 avril 2007

La très véridique histoire du colonel Ortho (308)


Lui aussi, de très loin, avait vu la scène. "Toute" la scène, y compris ce qu'elle avait vu et entendu qui eut dû rester scellé en son coeur. C'est alors qu'il sentit la présence de son maître et par là le poids de sa mission.
- "Qu'ai-je à faire de ses embrassements, quand il me ravit la qualité d'homme ?
... - Plût au ciel et à Dieu que je ne te l'eusse jamais donnée ! je n'entendrais pas tes paroles, je ne verrais pas tes emportements.
- Si vous ne me l'aviez pas donnée, je n'aurais pas à me plaindre de vous; mais une fois donnée, je vous reproche de me l'avoir ôtée. Donner est l'action la plus noble et la plus glorieuse, mais donner pour ôter est la plus grande des bassesses.
... - Me voilà bien récompensé pour avoir fait de toi, d'un humble et pauvre prisonnier, un prince !
- De quoi donc ai-je à vous rendre grâce en ceci ? Tyran de mon libre arbitre, que me donnez-vous, quand vieux et caduc vous allez mourir ? Me donnez-vous rien qui ne m'appartienne?
Vous êtes mon père et mon roi ; donc, toute cette grandeur, la nature me la donne par droit de naissance ; donc, je me trouve dans cette haute situation, mais sans vous rien devoir, et je pourrais même vous demander compte du temps où vous m'avez pris la liberté, la vie et l'honneur. Remerciez-moi donc de ne rien vous redemander, quand c'est vous qui êtes mon débiteur." *

*Calderón, La vie est un songe

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