mercredi 24 mai 2006

Orphée


C'est Orphée, quand il y a chant. Il vient et il va.
Cette parole semble faire seulement écho à l'antique pensée selon laquelle il n'y a qu'un seul poète, une seule puissance supérieure de parler qui « çà et là se fait valoir à travers les temps dans les esprits qui lui sont soumis ». C'est ce que Platon appelait l'enthousiasme, et plus près de Rilke, Novalis, sous une forme dont les vers d'Orphée semblent le rappel, l'avait à son tour affirmé :
« Klingsohr, éternel poète, ne meurt pas, reste dans le monde. »
Mais Orphée, précisément, meurt, et il ne reste pas : il vient et il va. Orphée n'est pas le symbole de la transcendance orgueilleuse dont le poète serait l'organe et qui le conduirait à dire : ce n'est pas moi qui parle, c'est le dieu qui parle en moi. Il ne signifie pas l'éternité et l'immuabilité de la sphère poétique, mais, au contraire, il lie le «poétique» à une exigence de disparaître qui dépasse la mesure, il est un appel à mourir plus profondément, à se tourner vers un mourir plus extrême:
Ô puissiez-vous comprendre qu'il lui faut disparaître!
Même si l'étreignait l'angoisse de disparaître.
Tandis que sa parole prolonge l'ici-bas,
Il est déjà là-bas ou vous rie l'accompagnez pas...
Et il obéit en allant au delà.

L'espace littéraire
Maurice Blanchot
Folio essais

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