mardi 30 mai 2006

Les noces de Cana


Nous étions tous deux, il faut le dire, des êtres incultes. Nous le savions, ce qui qui était signe que nous pouvions changer. Dès lors, de notre propre impulsion et de celle de notre créateur, nous ne ménageames pas nos efforts. Nous nous imaginions le plus possible en train de nous imerger dans les situations les plus folles et les plus marquantes de toutes les époques confondues. Mais toujours, nous le faisions sous la garde d'un ou de plusieurs livres. Ainsi ce jour là*, nous nous étions rendu aux noces de Cana, à l'exact moment ou l'un des artiste invités, en l'occurence Véronèse, en figeait l'image.
Nous nous empressâmes de nous documenter sur cette image, à laquelle, désormais, nous appartenions.

"Derrière chacune de ces œuvres il y a un contrat avec un commettant exigeant, vigilant, qui serrait les cordons de la bourse, contestait les échéances. La pression, la lettre de change ne nuisent pas à l'artiste, elles l'exercent à une discipline, bonne règle de modestie. L'artiste doit être persécuté par les nécessités. "
- Nous arrivâmes à l'énorme représentation des Noces de Cana. Il me dit que si j'étais attentif je n'entendrais plus le bourdonnement de la place derrière nous car, dans le tableau, le silence était en train de se faire. C'était le moment fixé par le peintre : le vacarme des invités et de la fête s'atténuait, une éclipse de son se préparait, me dit-il. " Le passage secret de l'eau lustrale en vin qui se réalise, dans les vases rougit un nouveau liquide. L'homme au centre accomplit sa première manipulation, il déploie pour la première fois l'énergie bouleversante qui préside aux miracles. Il le fait pour mener la fête à son terme. Son regard est déjà absorbé par un autre dîner au cours duquel il prononcera un adieu. C'est un homme à ses dernières Pâques. Pour ce moment de concentration de l'énergie, le peintre fait sentir le silence qui se fige comme le sang répandu dans le monde.
Il me parlait avec précipitation, de façon anodine, m'expliquait en passant des choses pour lui évidentes. C'étaient au contraire des inventions nées d'une impression du moment, des fugues sur un thème qui lui passait par la tête. Je jouais le jeu en me taisant. Je lui fais crédit aujourd'hui encore de son improvisation, il ne préméditait jamais une idée."*

Nous sentîmes, Don Carotte et moi, à quel point point ce que nous pouvions lire, au-delà des faits relatés, par-delà les époques, était proche de ce que nous vivions à l'instant même. Nous ne comprenions pas tout ce que nous lisions, mais c'était troublant... et cela nous rapprocha. Désormais, nous étions comme deux frères issus d'une même imagination.

* Extraits du livre de Erri de lucca
Acide, Arc-en-ciel
Rivages poche

La vie trépidante et ardue de l'ingénu Don Carotte
et de son fidèle compagnon "Ô Sang Chaud"
Lidane Liwl
Edition "Source sûre"

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