mercredi 8 août 2007

Par nature


Michel et Marcel ne se connaissaient guère. Ils travaillaient pour le même office, leurs relations se limitaient à cela. Il était arrivé que leurs dossiers se croisent et qu'ainsi l'un ait à reprendre un dossier de l'autre sans que cela ait posé le moindre problème tant leurs façons respectives d'envisager leur travail et leur "servitude volontaire" étaient semblables, mais aucun des deux n'avait la moindre idée sur ce que pouvait penser l'autre. Ils n'étaient pas là pour ça. Il ne pouvait en être de pareille façon en cette situation. S'il voulait retrouver Marcel, Michel allait devoir se remémorer tout ce qu'il avait appris de Marcel, y compris et surtout ce qui lui avait échappé de premier abord. Surtout il dut dès ce moment s'aventurer hors du cadre rassurant de l'office. Fort heureusement pour lui, son éducation avait été telle qu'elle lui fut d'un grand secours. Très jeune enfant, contrairement aux coutumes des gens de sa condition, il avait été confié à une nourrice « à un pauvre village des siens » afin de s'y accoutumer « à la plus basse et commune façon de vivre »*. Il en avait retiré un e capacité hors du commun de s'adapter à toutes situations. Y compris celle de se retrouver dans un bâtiment qui menace ruine et duquel la mémoire elle-même semble s'être retirée.

Montaigne, Essais, III, 13

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