mardi 7 août 2007

Une autre nuit


Au fond de la mine, dire que les archives étaient dans un état déplorable était peu peu de chose. Michel, un proche collègue de Marcel, qui fut le premier à y pénétrer, la décrira ainsi :
- J'eus l'impression d'entrer dans la nuit au moment même où l'aurore faisait son apparition, mais au lieu que le jour lentement s'installe, ce fut une autre nuit qui tomba, semblable en tous points à la première mais plus profonde, plus dense... comme « l'on trouve autant de différence de nous à nous-même que de nous à autrui »* Je ne sais pourquoi, tranchant avec ma funeste et naturelle méfiance, je ne m'inquiétais guère de cette nouvelle obscurité. Mes yeux s'y accoutumèrent très vite. Les tentures délabrées, les caisses éventrées, les colonnades brisées, tout cela formait un tout curieusement cohérent dans lequel peu à peu je me fondais. La poussière diaphane flottait dans l'air éclairant au passage des architectures décadentes parmi lesquelles je ne vis aucun des livres que j'étais censé trouver. Tout n'était que poussière et courant d'air. Derrière moi j'entendais des poteaux s'effondrer, des rideaux se déchirer comme les voiles d'un naufrage... Tout cela m'apparaissait comme une respiration organique, allègre et affranchie de toute pesanteur, qui me portait plus que je ne marchais.

* "Il n'est d'homme à qui il sièse si mal de se mêler de parler de mémoire. Car je n'en reconnais quasi trace en moi, et ne pense qu'il y en ait au monde une autre si monstrueuse en défaillance. J'ai toutes mes autres parties viles et communes. Mais en celles là je pense être singulier et très rare, et très digne de gagner par là nom et réputation."
Montaigne, Essais (Des menteurs)

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