« Supposons que nous nous perdions a contempler l'infinité du monde dans le temps et dans l'espace, soit que nous réfléchissions à la multitude des siècles passés et futurs, soit que pendant la nuit le ciel nous révèle dans leur réalité des mondes sans nombre, ou que l'immensité de l'univers comprime pour ainsi dire notre conscience; dans ce cas nous nous sentons amoindris jusqu'au néant; comme individu, comme corps animé, comme phénomène passager de la volonté, nous avons la conscience de n'être plus qu'une goutte dans l'océan, c'est-à-dire de nous évanouir et de nous écouler dans le néant. Mais en même temps, contre l'illusion de notre néant, contre ce mensonge impossible, s'élève en nous la conscience immédiate qui nous révèle que tous ces mondes n'existent que dans notre représentation; ils ne sont que des modifications du sujet éternel de la pure connaissance; ils ne sont que ce que nous sentons en nous-mêmes, dès que nous oublions l'indivi-dualité; bref, c'est en nous que réside ce qui constitue le support nécessaire et indispensable de tous les mondes et de tous les temps. La grandeur du monde tout à l'heure nous épouvantait, maintenant elle réside sereine en nous-mêmes; notre dépendance à son égard est désormais supprimée; car c'est elle à présent qui dépend de nous.»
Arthur Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, puf, p. 264-265
Et la voix de Sang Chaud atteint Don Carotte… fort occupé à tenter de mettre en un certain ordre ce qui subsiste de la disparition, peut être le naufrage, du cirque.
Autour d’elle, l’océan gronde sans relâche. L’île en équilibre instable souffle pesamment, respiration du monde ou grondement d’une bête ancienne. Le ciel n’est jamais tout à fait le même: parfois livide, parfois, peu souvent, d’un bleu cruel.
Portées
non par le hasard, mais par quelque mystérieux dessein, pendant que cette
île, immobile et bouillonnante, observait de loin ce théâtre sans rideau en plein naufrage était le réceptacle de
leurs divagations, les voix de Don Carotte et de Sang Chaud passent de l’un à l’autre, écho tangible de leur conscience flottante. Le vent passe entre eux comme un messager.
Il joue dans les cordes, il siffle aux jointures, il parle dans les pierres.Et parfois, oui, parfois, il apporte des voix.
Je ne suis plus que ce regard,
où se noient les repères,
entre feu et sel,
entre ciel et terre,
entre l’idée d’un homme
et l’homme sans idée.
où se noient les repères,
entre feu et sel,
entre ciel et terre,
entre l’idée d’un homme
et l’homme sans idée.
Don Carotte, à jamais porteur de la demande… ne peut continuer sans autre mot de passe que celui qui résout l’énigme… rien ne lui vient à l’esprit… et ils en sont dépendants…
– Votre lyrisme, Don Carotte, nous mène tout droit vers l’abîme… ou le néant. Il s’élargit comme une houle, plus ample, plus sensoriel, plus mystérieuse encore que le dédale de votre esprit… ce qui nous amoindrit. Ne prolongez en rien ces discours fumeux. Lancez-vous! Peu importe votre verve ou votre verbe… si c’est au prix de notre présence… Cette scène, à laquelle vous vous accrochez n’est qu’une image. Certes elle donne souffle aux paysages et aux voix mais elle va…
Don Carotte n’entend point la fin de ce qui lui arrive par la voix de Sang Chaud mais voit venir de loin des racines qui, elles, ne lui disent rien… et pourtant il les connaît.

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