lundi 31 août 2015

31 août / ... et vous voilà libres...

"C'était une nuit qui semblait faite sur mesure :
une obscurité compacte dont à chaque geste
on sentait presque le poids. Et le bruit de la mer,
ce souffle de la bête féroce qu'est le monde,
vous remplissait de crainte :
un souffle qui venait s'éteindre à leurs pieds."*

Cher Joachim
Bien au-dessus de moi, au sommet de la falaise faiblement éclairée par l'aube naissante, une ombre mouvante attire le regard. Quelques pâles herbes au milieu des tiges mortes et des mousses sèches en suspension se balancent dans le vide dans l'attente indécise d'être à leurs tours emportées dans le vide qui les attend et d'où je les regarde. Il m'a semblé voir plus que cela mais la nuit a été longue et cela fait plus d'un jour que je n'ai pas dormi. Derrière moi un peu d'eau vive suinte parmi la mousse et la roche humide. C'est là que se trouve la source qui me maintient en vie. Il m'a fallu de longs jours pour que mon corps accepte cette eau, avant qu'elle le remplisse et le contente plus qu'elle ne le vidait. Il me fallu plus longtemps encore pour découvrir que ce qui me mettait "en fantaisie" et obligeait mon corps désarticulé à se mettre à danser comme un obscène pantin: une petite herbe aux vertus bienfaisantes et allégeante quand elle est prise en petite quantité et aux pires tourments dès que cette mesure est dépassée. Et dans ce cas, très vite me revienne à l'esprit le discours, pardon de vous citer encore celui que sans cesse vous me rappeliez autrefois, mais, je ne peux y penser sans que notre amitié passée ne me revienne à l'esprit.
Aujourd'hui encore je ne sais si ce discours est un appel à la rébellion... ou.... 

« Celui qui vous méprise tant, n'a que deux yeux, n'a que deux mains, n'a qu'un corps, et n'a autre chose que ce qu'a le moindre homme du grand nombre infini de vos villes ; sinon qu'il a plus que vous tous l'avantage que vous lui faites, pour vous détruire. (...) Vous semez vos fruits, afin qu'il en fasse le dégât. Vous meublez et remplissez vos maisons pour fournir à ses voleries, vous nourrissez vos filles, afin qu'il ait de quoi saouler sa luxure ; vous nourrissez vos enfants, afin qu'il les mène pour le mieux qu'il leur fasse, en ses guerres ; qu'il les mène à la boucherie; qu'il les fasse les ministres de ses convoitises et les exécuteurs de ses vengeances, vous rompez à la peine vos personnes, afin qu'il se puisse mignarder en ses délices et se vautrer dans les sales et vilains plaisirs. Vous vous affaiblissez, afin de le faire plus fort et roide, à vous tenir plus courte la bride ; et de tant d'indignités, que les bêtes mêmes, ou ne sentiraient point, ou n'endureraient point, vous pouvez vous en délivrer, si vous essayez, non pas de vous en délivrer, mais seulement de le vouloir faire. Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres.»**
   
 * La mer couleur de vin
 Leonardo Schiaschia,
Extrait de : Le long voyage


** in La Boëtie, Discours de la servitude volontaire

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