mardi 2 octobre 2007

Voyage dans la Lune


Nous étions là, face au ciel, admirant l'emballement progressif de la course du soleil, à l'affût du moindre rayon vert quand Marcel, sans se détourner se mit à raconter :
- "... et moi, leur dis-je, qui souhaite mêler mes enthousiasmes aux vôtres, je crois sans m'amuser aux imaginations pointues dont vous chatouillez le temps pour le faire marcher plus vite, que la lune est un monde comme celui-ci, à qui le nôtre sert de lune. Quelques-uns de la compagnie me régalèrent d'un grand éclat de rire. « Ainsi peut-être, leur dis-je, se moque-t-on maintenant dans la lune, de quelque autre, qui soutient que ce globe-ci est un monde. » Mais j'eus beau leur alléguer que Pythagore, Epicure, Démocrite et, de nôtre âge, Copernic et Kepler, avaient été de cette opinion, je ne les obligeai qu'à rire de plus belle. Cette pensée cependant, dont la hardiesse biaisait à mon humeur, affermie par la contradiction, se plongea si profondément chez moi, que, pendant tout le reste du chemin, je demeurai gros de mille définitions de lune, dont je ne pouvais accoucher ; de sorte qu'à force d'appuyer cette croyance burlesque par des raisonnements presque sérieux, il s'en fallait peu que je n'y déférasse déjà, quand le miracle ou l'accident, la Providence, la fortune, ou peut-être ce qu'on nommera vision, fiction, chimère, ou folie si on veut, me fournit l'occasion qui m'engagea à ce discours : Étant arrivé chez moi, je montai dans mon cabinet, où je trouvai sur la table un livre ouvert que je n'y avais point mis. C'était celui de Cardan ; et quoique je n'eusse pas dessin d'y lire, je tombai de la vue, comme par force, justement sur une histoire de ce philosophe, qui dit qu'étudiant un soir à la chandelle, il aperçut entrer, au travers des portes fermées, deux grands vieillards, lesquels après beaucoup d'interrogations qu'il leur fit, répondirent qu'ils étaient habitants de la lune, et, en même temps, disparurent. " *
- Voyez-vous Michel ? Quand nous parlons de choses légères, nous laissons s'installer un monde léger. Sans bruits et sans remous il s'installe et se nourrit de tout ce que nous pouvons lui accorder pour autant qu'il ne nous choque qu'à mesure exacte de ce que nous souhaitons. C'est exactement ainsi qu'est née la Forteresse.
Je ne comprenais pas ce qu'il voulait dire. Le monde qu'il décrivait était l'exact contraire de l'exemple qu'il venait de présenter. Sombres remous et bruits discordants tel était ce que j'entendais sans comprendre.
- C'est exactement ce que je viens de te dire ! me dit Marcel, calme et souriant. Ce que je te dis ne te convient pas. À cause de cela il devient irréel et disparaît comme les deux vieillards, soi-disant habitants de la lune. As-tu réfléchi au fait que tu n'as pas le droit d'être là où tu es ? Je devrais dire là où tu te trouves, mais je doute que ce soit le cas... Il se peut que le Conseil de la Forteresse considère cet endroit comme une lune. Une chimère à laquelle tu accordes une part de ta foi et qui va leur manquer. Sais-tu qu'ils se nourrissent de ta foi ?


* Voyage dans la Lune & Histoire comique des états et empires du Soleil, Cyrano de Bergerac

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