lundi 14 avril 2025

 
 

 
Lucien se sent bien seul face aux images qu’il essaye de comprendre et qu'il découvre dans les différents cahiers et carnets qui viennent s'ajouter à ceux qui lui ont servi à rédiger son rapport.
– Que dire de cette vision… Sur cette île de basalte, où le silence n'est brisé que par le cri d’invisibles goélands et le ressac incessant, au milieu de cette stérilité minérale qui, sous mes yeux, semble défier toute forme de vie… et voilà qu’ils sont témoins de cette étrange procession.
Un enfant, un être fragile, coiffé d'un improbable chapeau bleu, flottant sur le dos d'une chimère ailée. Un âne? Un cheval spectral? Ses membres tendus dans un effort silencieux, ses ailes sombres tranchant la pâleur du ciel. L'enfant, cramponné à une simple perche, son visage… si serein au milieu de cet étrange voyage. Où va-t-il? D'où vient-il?
Et ce paysage… ces pics acérés, lacérés de tons violets et gris, dressés comme les vestiges d'un cataclysme oublié. Et ces étendards… ces lambeaux de tissu bordeaux, flottant tristement, accrochés à des mâts solitaires. Des emblèmes d'une gloire passée? Des souvenirs d'une civilisation engloutie par la lave et le temps?
Mon esprit, formé à déchiffrer les méandres de l'âme humaine, s'emballe. Est-ce une hallucination, fruit de la solitude et de la rudesse de cet environnement ? Ou bien suis-je témoin d'une manifestation… de quoi, au juste? Un symbole ? Une allégorie projetée par mon propre inconscient sur la toile brute de cette île désolée ?
Cet enfant… représente-t-il l'innocence, l'espoir qui persiste même dans les lieux les plus arides? Son chapeau haut de forme, incongru et manifestement trop grand, tout comme ses habits, ne serait-il pas une tentative désespérée de maintenir une forme de normalité, de civilisation, au sein de cet étrange périple ? Et cette monture… cette créature hybride, entre le terrestre et l'aérien… n'est-ce pas l'incarnation de notre propre ambivalence, tiraillés entre nos instincts primaires et notre aspiration à la transcendance?
Ces drapeaux déchirés… parlent-ils de défaites, de rêves brisés, de batailles perdues contre les forces implacables de la nature ou de nos propres démons? Sont-ils les vestiges de nos idéaux fanés, flottant comme des fantômes dans le ciel de notre psyché?
Et ce ciel… cette teinte gris-vert, ces nuages tourmentés… reflètent-ils mon propre état intérieur?
Cette angoisse sourde qui m'étreint face à cet isolement, face à l'énigme de cette vision?
Je me pose tant de questions. Ce voyage… est-ce une fuite? Une quête? Une errance sans but dans un monde intérieur désolé? L'enfant est-il moi-même, perdu dans les méandres de ma propre solitude? La créature, une métaphore de mes propres forces et faiblesses, me portant vers un destin incertain?
Cette île… n'est-elle pas le miroir de mon propre paysage intérieur? Un lieu stérile en apparence, mais peut-être fertile en symboles, en émotions refoulées qui cherchent à s'exprimer à travers cette étrange scène.
Il faut que je comprenne. Il faut que je déchiffre ce langage visuel. Chaque élément semble chargé de sens, chaque détail résonne avec une intensité troublante. Cette vision… elle me confronte à quelque chose de profond, d'essentiel. Peut-être est-ce la clé pour déverrouiller une part de moi-même que j'ignorais jusqu'à présent.
Je suis seul ici, face à cette énigme. Mon esprit est à la fois rationnel et submergé par l'émotion. La logique tente de décortiquer, d'analyser, de trouver une explication plausible. Mais mon cœur… mon cœur ressent une étrange mélancolie, une fascination mêlée d'inquiétude face à cette image surréaliste.
Cette île… ce n'est plus seulement un lieu d'exil. C'est devenu le théâtre d'une introspection forcée, un laboratoire de mon propre inconscient. Et cette vision… elle est le point de départ d'un nouveau voyage, un voyage intérieur dont l'issue m'est encore inconnue.
 
 

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