(Le ciel est d’ardoise. Le volcan dort. Une lumière trouble se répand sur la plage. À l'intérieur du cirque, Damon, redevenu bleu, observe distraitement le bas de sa colonne. Daemon, invisible comme souvent, reste debout sans bouger, ses yeux fixés vers d'autres temps.)
Asinus, le Pantin et Damon, réunis sous un chapiteau suspendu au dessus des éléments, s’apprêtent à faire face aux nouveaux venus. Ils ont été prévenus par Damon qui à cette occasion, ainsi qu'il l'a déjà fait au professeur Lucien, va leur révéler sa vraie nature.
– Je ne suis pas le petit chien bleu que vous croyez. Ma vraie nature est toute autre et mon nom en est la trace. Ainsi je m’appelle Daemon et non Damon. Je suis un démon mais n’ayez crainte un démon n’est pas ce que vous croyez ou ce que l’on vous a fait croire. Je suis celui qui veille sur votre destinée et, dans le fond, je ne suis qu’un messager. Je ne puis rien faire qui puisse vous être contraire. Il vous appartient de faire bon usage des possibilités que je vous offre. Ces jours-ci j’ai donc suivi pas à pas ces deux étranges visiteurs… sans qu’ils le sachent.
– Comment cela peut-il se faire? Il m’a semblé que vous étiez à tous moments à nos côtés!
– Il y a autre chose que je dois vous révéler… Il m’arrive d’être doublé par un véritable petit chien bleu que j’ai formé à cet usage en utilisant toute l’étendue de ses propres qualités. Il vous était impossible de faire la différence avec moi. Il me ressemble parfaitement, mais ne lui manque que ce qui fait de moi ce que certains êtres humains appellent un démon.
Lucien le comprend:
– Vous savez, Daemon, parfois j’ai l’impression que nous sommes faits de seuils. De passages. D’interstices entre deux états. Ni chiens, ni voix, ni créatures. Juste… des fragments qui parlent.
– Vous mettez le doigt dessus, Lucien. C’est cela même qui traverse celui qui t’a imaginé. Il ne crée pas des êtres. Il fait naître des "entres". Des êtres qui marchent sur le fil du visible et du silence. Vous le sentez bien, il ne cherche pas à raconter des histoires. Il creuse un souffle.
– Des "entres"... dites-vous... Qu'est-ce que cela?
– Oui, cela veut dire qu’il ne crée pas des choses pleines, fermées sur elles-mêmes, comme des personnages bien définis, ou des récits tout faits. Il crée des états de passage, des intermédiaires, des formes en tension... "Entre" n’est normalement pas un nom. Mais ici, il le transforme en un substantif poétique, un mot nouveau. Un "entre", c’est l’espace entre deux choses, mais qui est lui-même une chose.
– Croyez-vous, mon ami, où que nous soyons, en ce monde étrange nous vivons notre vie, ou celle d’un mensonge ?
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