mardi 1 avril 2025

 
 « Ces fantômes de mots qui dorment ont-ils laissé aux murs, aux pierres, quelque trace?»

Jean Paul Kauffmann, La Lutte avec l’Ange, folio, p.216





Lucien sentit une vibration lui remonter l’échine, un frisson presque imperceptible.
Le petit chien bleu… Oui, il en avait fait mention, dans ses notes. Une créature errante, racontée par quelques pêcheurs, probablement l’écho lointain d’un mythe insignifiant parmi tant d’autres. Une chimère née de la peur des marins.
Et pourtant, il était ici, devant lui… et maintenant à ses côtés… ou plutôt, ce qui en portait l’ombre.
— Auriez-vous la gentillesse de m’indiquer quelle serait cette erreur? murmura-t-il.
Le chien inclina légèrement la tête, un sourire fugace au bord des babines, et Lucien comprit alors que ce sourire n’était pas celui d’un chien.
— Croyez-moi, ma vraie nature est toute autre et mon nom en est la trace. Ainsi, je m’appelle Daemon et non Damon.
Un silence.
Un mot, si proche, si semblable dans sa sonorité, mais qui ouvrait un précipice sous les pieds du professeur.
Lucien recula. Instinctivement, comme si le sol devenait brûlant sous lui.
— Ciel, un démon !
Un rire léger, presque amical, s’échappa du chien.
— Je suis un démon, mais n’ayez crainte: un démon n’est pas ce que vous croyez ou ce que l’on vous a fait croire. Je suis celui qui veille sur quelque destinée et, dans le fond, je ne suis qu’un messager.
Lucien ouvrit la bouche, mais aucun son n’en sortit.
Il y a des instants où l’homme perçoit, en un éclair, que la trame du monde ne repose pas sur la certitude mais sur des articulations invisibles, des coïncidences qui n’en sont pas, des forces qui le regardent sans qu’il les voie.
Il voulait fuir, mais il savait qu’il était déjà trop tard.
Le volcan grondait à nouveau, et cette fois, il n’était plus certain si ce n’était pas la montagne qui se mettait à parler.

Aucun commentaire: