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Lucien avançait sur la plage, le regard perdu dans la lumière diffuse du matin. L’aube avait laissé une brume fine suspendue sur l’eau, et le sable, humide de la marée nocturne, gardait la mémoire des vagues en stries délicates. Il marchait sans but précis, suivant les battements de la houle comme on suit une pensée errante, quand il aperçut une silhouette au loin.
Un garçon.
Non, pas un garçon. Quelque chose d’autre.
Il était grand, trop grand pour le costume fatigué qui le couvrait, et pourtant, celui-ci semblait glisser sur lui comme une enveloppe trop lâche, un vêtement emprunté à un autre temps, à un autre corps. Lucien l’avait déjà vu. Il le savait, sans savoir où, sans savoir quand.
Lorsqu’il fut à sa hauteur, il s’arrêta.
— Il semblerait que vous ayez parlé avec Damon… enfin… Daemon, puisque tel est son véritable nom.
Le garçon ne répond pas tout de suite. Il détoure légèrement le visage vers la mer, comme si la question devait s’accorder au mouvement des vagues avant de pouvoir être formulée.
— Pourriez-vous me dire ce que vous en avez pensé?
Le vent souleva imperceptiblement le tissu de son costume trop large. Il parlait enfin, mais sa voix ne ressemblait pas à celle d’un enfant. Elle était lente, profonde, comme taillée dans une matière ancienne.
— Daemon ne se définit pas, il se pressent. Il est un passage, une articulation invisible entre le visible et ce qui lui échappe. Ce n’est ni un nom ni une fonction, mais un élan, un souffle.
Il marque une pause, cherchant un mot plus précis, puis reprit:
— Il est ce qui veille. Non comme un dieu, car il ne juge pas. Non comme une ombre, car il n’effraie pas. Mais il est là, dès le début, dès le premier cri, dès le premier battement de paupières sur la lumière du monde.**
Lucien fronça légèrement les sourcils.
— Que voulez-vous dire?
Le garçon posa lentement son regard sur lui, et dans ses yeux flottait une connaissance qui n’aurait pas dû appartenir à un enfant.
— Daemon est là au berceau. Comme une fée, oui, mais sans ailes et sans enchantements. Il ne se penche pas pour donner un don ou une malédiction. Il se tient en retrait, et pourtant il suit, il accompagne. Il est ce qui murmure à l’oreille de celui qui apprend à marcher, ce qui lui fait tourner la tête au carrefour, ce qui trace des chemins sans qu’il les voie.
Lucien sentit un frisson lui remonter l’échine.
— Un gardien, alors?
Le garçon eut un sourire infime, à peine un pli sur son visage grave.
— Un guide. Mais pas un sauveur. Il n’empêche pas la chute, il ne retient pas la main avant l’erreur. Il est là pour souffler, pas pour contraindre. C’est l’homme qui choisit, toujours.
Lucien sent, en lui-même, quelque chose vaciller, une compréhension fugace, un écho d’une vérité pressentie sans jamais avoir été nommée.
— Alors, ce daemon nous accompagne… depuis toujours?
Le garçon haussa légèrement les épaules.
— Cela dépend. Certains l’écoutent. D’autres l’oublient. Mais il ne disparaît jamais tout à fait.
Le silence s’étira entre eux, ample comme l’espace entre deux vagues.
Lucien voulait répondre, mais il n’en eut pas le temps.
Le garçon s’était déjà retourné, et à travers la brume du matin, il s’éloignait, son costume trop grand flottant derrière lui comme la trace d’un passé égaré.
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