jeudi 28 mars 2019

(28) Implacable






« Les héros irascibles des romans de chevalerie rendaient les honneurs au vaillant adversaire qu’ils tuaient en un bon ou mauvais combat et qu’ils avaient jusqu’alors combattu sans faiblir. Homme ou dragon, Maure ou chrétien, plébéien ou de haute lignée, l’ennemi valeureux était pleuré, rappelé, glorifié par les vainqueurs. Vivant, ils le traquaient implacablement et afin de le détruire recouraient à Dieu ou au diable –à la force physique, aux intrigues, aux armes, aux poisons, aux sortilèges; mort, ils défendaient son nom, l’installaient dans la mémoire comme un familier ou un ami cher et ils allaient, dans leurs aventures de par le monde, proclamant aux quatre vents ses mérites et prouesses. Cette coutume, curieuse et assez atroce, est pratiquée aussi de nos jours, quoique de façon plus dissimulée: les vainqueurs versatiles sont la bourgeoisie, les victimes réhabilitées après leur mort sont les écrivains. Humiliés, ignorés, poursuivis ou  à grand peine tolérés, certains poètes, certains romanciers sont ensuite, désormais inoffensifs dans leurs tombes, transformés en personnages historiques et en motifs d’orgueil national. Tout ce qui chez eux apparaissait comme réprouvable ou ridicule est plus tard excusé, voire célébré par les anciens censeurs.»


Mario Vargas Llosa, Contre vents et marées, p.163, Arcades, Gallimard

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