mercredi 27 mars 2024

Naufrage

 
 
 
 
– Au premier abord Don Carotte semble avoir perdu l'esprit. Il balance dangereusement entre la réalité...
– ... et un monde intérieur qui fait naufrage...
– Que dit-il?
– Tendez l'oreille... et faites silence! 
 
D'une voix faible et légèrement éraillée, Don Carotte raconte:
 
– Le moindre pas est un voyage. Dans l’air il y a comme une brutalité dont je ne connais point la cause et qui ruine mon avance... En ce jour, sans hésitation j’ai fait un pas au-delà de la frontière. Dans le blanc des marges, s’inscrivent, couleur rouge sang, la longue suite de piqûres… Celles de la correction… Lentement le cours inexorable des choses nous conduit de l’annotation à l'arrestation. C'est la nouvelle position de l'Ordre: emballer, juger et punir. Supprimer la raison. Vaincre la profondeur. Emprisonner les quelques formes caractéristiques qui rendent possible. Appliquer l'enduit. Le brillant parquet craque. Le saillant se fissure. Les langue de bois polissent les arrêtes coupantes. Les profondes échardes dans la peau pénètrent. Bouche cousue… Mots gravés par les pieds. Mains liées. Dans le cœur du mot, la viande saigne. Dans la patine des répétitions: coupures, ratures, tailles et flétrissures. La source se tarit. Ce qui se dit se tait. Mémoriser le silence qui rend possible… Branches mortes au détour de pâturages. Sous l’arbre mort le feu couve… En profondeur cesse l'ordre des mots… ainsi se forme ce qui est nouveau. En ce moment décousu, en même temps que les flammes, reparaissent les sens… Au détour d’une page qui se tourne, ne subsiste plus aucune fin divergente.
En des mots, appelés à renaître encore et à s'ouvrir, des nœuds se forment. La gorge se noue. Suspendu à la ligne, le corps devient langage…Engendrements. Sans la pertinence et l’injustice d’une violence muette, l'effondrement menace. Sans bruit, les gisants s'endorment. Les mots infusent dans la noirceur de la nuit qui s'ouvre. Et le livre brûle…
 
 
 

Aucun commentaire: