Divine providence
Épisode 54
Le temps passait. Le Colonel arpentait.
Étrangement, ce qu'il prit pour une luciole virevoltait autour de lui, semblant chercher, si ce n'est le contact, du moins un certain rapprochement. Fasciné, le Colonel, comme absent, suivait du regard les imprévisibles volutes de ce petit être auréolé de sa propre lumière.

Presque instinctivement, mais d'un geste lent et mesuré, le Colonel tendit la main vers la lumière. À peine avait-il esquissé son geste que la petite Luciole, tel un astre au couchant, disparut au loin, derrière l'horizon. Le temps passait, silencieux et insidieux. Il glissait entre les doigts du Colonel comme l'eau d'un fleuve qu'on contemple sans pouvoir la retenir. Le Colonel arpentait ce territoire indéfini, un espace à la fois familier et étranger, où l'étrange pouvait, avec l'habitude, se confondre avec le quotidien. Ses pas, pourtant mesurés, semblaient se perdre dans l'infini. Le sol sous ses bottes était devenu une surface indistincte, une abstraction qu'il foulait sans y prêter attention, comme si son corps agissait indépendamment de sa pensée. Il marchait, mais il ne savait pas où il allait, ni pourquoi il y allait. Il marchait parce qu'il était là, et que c'était tout ce qu'il savait.
Et puis, soudain, il y eut ce mouvement dans l'air, une lumière pâle, fragile, qui perça l'obscurité ambiante. Le Colonel crut d'abord que ce n'était qu'une illusion, le simple produit d'une fatigue excessive ou d'une pensée trop lourde. Il secoua la tête, comme pour chasser ce phénomène. Mais non, la lumière persistait. Elle vacillait, comme une flamme qu'on ne parvient pas à éteindre, une petite lueur dansante dans le vaste noir du monde. Il la distingua alors, plus nettement, dans un frémissement fugace: une luciole. Une créature si fragile, si éphémère, qu'elle semblait appartenir à un autre monde, un monde où le temps n'était ni mesuré ni comptabilisé. Un monde où la lumière n'était qu'un instant, un souffle, une étincelle.
Fasciné, le Colonel, dans un état presque hypnotique, suivait du regard les volutes imprévisibles de ce petit être. Sa lumière oscillait entre les ombres, ondulant dans l'air comme une pensée éphémère, un désir inexpliqué qui se formait et disparaissait sans qu'on puisse en saisir l'essence. Le Colonel se sentait à la fois observateur et observé, pris dans une danse silencieuse entre lui et la lumière, entre sa conscience et ce qu’il croyait être un phénomène extérieur. L'instant, en équilibre insoutenable, semblait suspendu dans une sorte de temporalité irréelle. Chaque mouvement de la luciole marquait un temps qui n’existait plus, un instant sans passé, sans avenir.
La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Lucidus ordo"
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