samedi 7 décembre 2024

 


Divine providence
 Épisode 33



" Mon passé étant de moins en moins différent de celui des autres parce que mon passé se constitue de plus en plus dans les images et les sons que les médias déversent dans ma conscience, mais aussi dans les objets et les rapports aux objets que ces images me conduisent à consommer, il perd sa singularité, c'est-à-dire que je me perds comme singularité."

De la misère symbolique, par Bernard Stiegler



Au fond du jardin, à l'abri des regards indiscrets...

– Mon cher Pinocchio, quelque soit celui que vous croyez être, sachez-le bien, L’Abysse où nous nous trouvons est une démocratie, « on » a donc le droit le droit à la liberté d’expression, mais parler ne doit pas se faire à tort et à travers... et si les opposants ne sont point emprisonnés ils ont droit à quelques « subtils aménagements » administrés, comme il se doit, avec bienveillance mais aussi avec la fermeté qui convient… de quoi vous enseigner, pour notre bien, à marcher droit…

– Plutôt que vouloir connaître notre origine, ne croyez-vous pas que nous devrions plutôt nous tourner dans l’autre sens… 
– Vers l’incertitude de notre avenir?
– Nos incertitudes viennent de notre recherche de certitudes…
– C'est bien singulier. 


"Entre nous, en tant que scientifique, je crains bien qu'il faille choisir entre
mettre le langage au service d'un discours
ou mettre les mots, presque les lancer au hasard sur la page.
Puis, dans un geste accueillant les découvrir en leur état,
en prenant grand soin  de se maintenir au-delà
de toutes les déductions logiques
qui ont la fâcheuse tendance d'apparaître en premier
puis regarder ce qu'ils veulent dire..."

Colonel Ortho 


"La vérité ne se donne point par plaisir."

Le naufrage est inévitable. S'il ne veut être consommé par ce feu qu'il a lui-même allumé, le Souriant doit se jeter à l'eau.
- Que ce feu consume tout ce que j'ai été... Dès ce moment je suis mort à moi-même.
Le Souriant ne croit pas si bien dire. La mer se forme. De profondes vagues montent à des hauteurs qui lui donnent le vertige. Au loin le bateau a cessé de brûler et s'éloigne. Vide.
- C'est à l'image de ma vie, se gargarise le Souriant.
Dans sa mémoire, une seule image flotte à laquelle il se raccroche, celle de Blondine...sa mauvaise foi...
– ..." je sais bien que je suis lâche et paresseux, mais pas tant que ça, ni exclusivement ni une fois pour toutes quand même…"
Et puis l'image se fait floue et s'en va comme une étoile filant dans le ciel de la nuit. Une dernière fois le Souriant se raccroche à la proue de ce qui fut son bateau et à ses souvenirs. Blondine n'est plus qu'un souvenir sans image. Un ange sans visage.
– Je me souviens du moment crucial de notre premier rendez-vous. Je venais de lui prendre la main. Je suis sûr qu'elle voulait être désirée. Elle n'a pas retiré sa main. Je sentais qu'elle voulait être estimée, respectée, admirée. Ainsi elle me résista longtemps. Elle ne voulait pas être corps pour autrui. Elle me donna sa main presque par distraction, inerte comme un petit objet, un élément séparable d’elle... Et puis, sans que je puisse rien faire, comme un ange elle se mit à fuir comme aujourd'hui cette étoile filante.
 

La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Lettres et nez en l'air"


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