«Un vent d'est chaud et terrifiant qui vient à intervalle de générations enflammer la région, et les gens fuient sa colère dans les grottes et les crevasses, mais même là, il rattrape ceux qu'il veut, les fauteurs d'injustices et de cruautés, et là, dans les crevasses des rochers, il les tue, un par un. Après un tel jour, le pays sera recouvert de cadavres. Les rochers seront blanchis par le feu et les montagnes se réduiront en une poussière jaune qui se posera sur la terre comme du coton jaune.»
David Grossman, Le vent jaune, Seuil
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Voyez-vous, la plus infime différence ou le plus petit des événements peuvent indure un changement, un écart si
subtil qu'il pourrait passer inaperçu, et pourtant il suffit à fonder
une nouvelle réalité. Ce qui est insignifiant, en apparence, peut être
exploité dans ses moindres recoins, car l'éternel mouvement du devenir
n’est que cela: un enchaînement de petits frissons, de soubresauts
invisibles, créant des mondes et en détruisant d'autres. Ce n'est pas le
grand bouleversement qui fait l'histoire, mais la discontinuité
discrète, ce qui change à chaque instant sous nos yeux sans que nous le
sachions. Il suffirait d'un souffle, d'un clin d’œil du destin, pour que
tout bascule, même la plus petite des victoires…
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Ainsi, regardez-nous, il suffirait que notre image, telle qu'elle
paraît sur cette page, soit saisie à l'instant d'avant ou d'après pour
que celui qui la contemple l'interprète différemment. N'est-ce pas là la
quintessence du jeu de perspectives ? Un seul mouvement, un seul
changement d'angle, et ce que l’on croyait stable devient fluide et
multiple. Tout ce que nous appelons vérité, toutes ces vérités que nous
brandissons comme des bannières, ne sont en réalité que des ombres
projetées selon la lumière du moment.
– Comment cela?
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Eh bien, il suffirait qu’on prenne l’image depuis un autre côté, qu’un
autre regard se pose sur elle, pour que l'on puisse interpréter ce que
l’on voit avec une toute autre grille de lecture. Si ce regard est
orienté par la mauvaise foi, ou par l’illusion de l’opinion, nous
pouvons transformer une banalité en un drame. Tout devient
interprétable, et cette interprétation, distillée comme un poison,
devient réalité. La frontière entre le vrai et le faux, le juste et
l'injustifiable, s'efface sous le poids du moindre changement d'angle.
C’est là que réside la tentation, et souvent la tragédie:
croire que l'image est un objet stable, alors qu’elle est mouvante,
sujette aux lois de la perspective et de l'instant.
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Mauvaise foi aidant... en effet. Mais n'est-il pas exact qu'il existe
une logique plus profonde, une équivalence qui fait qu'à chaque
renversement des termes d’une équation, l'équilibre persiste, tout en
restant dynamique, vivant? Le système ne se brise pas pour autant, il
s'ajuste. Mais n'est-ce pas là la condition même du devenir ? De
l'essence qui ne cesse de se redéfinir dans l'intervalle des mouvements,
des instants, des « variations » infinies ?
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