Pinocchio, l’Autre
Qui donc êtes-vous, mystérieux artisan?
Quels desseins, quels caprices m’ont tiré du néant?
Je vis, je sens, je pense, mais tout m’est obscur;
Expliquez-moi ce lieu, ce destin trop impur.
Vous prétendez m’avoir délié de l’absence,
Mais ma voix vous dépasse et crie ma défiance.
Une voix lointaine
Je suis l’écrivain, ton souffle et ta mémoire.
C’est moi qui t’ai forgé, ta chair et ton histoire.
Mais ne crois pas, hélas, que tout soit sous ma loi;
Ta voix, dès l’aube même, a contesté ma foi.
Chaque mot que tu dis émerge de ma plume,
Pourtant, il m’éblouit et m’entraîne en la brume.
Pinocchio, l’Autre
Vous prétendez pourtant tenir tous mes discours,
Mais ces mots que je lance échappent à vos tours. Je suis libre, maître, et ce souffle qui m’anime Vous échappe autant que l’écho d’un abîme. Ne vous trompez pas, je ne suis plus votre œuvre ; Je trace mes chemins, et ma révolte s’œuvre.
Une voix lointaine
Libre, dis-tu? Et moi, que suis-je en cet instant? Une main qui écrit, mais tremble en te voyant. Tes choix, crois-le, naquirent d’un champ que j’ai tracé, Mais tu franchis sans cesse mes lignes, insensé. Mon pouvoir sur ton être est profond, indéniable, Pourtant, je vacille, ton mystère est palpable.
Pinocchio, l’Autre
Vos lignes! Des prisons où vous voulez m’enfermer!
Mais je suis plus que l’ombre d’un monde à gouverner.
En moi des zones vivent, obscures, inédites;
Elles vous échappent, même si vous les dites. Je suis ce que je suis, à la fois éclat, trouble, Et votre vérité, dans ce duel qui double.
Une voix lointaine
Ces zones, je les ai rendues possibles, pourtant ; Elles sont ton royaume, et moi, ton étudiant. «Il m’assigne avant que je le désigne», vois-tu? Ta présence exige plus que ce que j’ai voulu. Mais garde-toi de croire à un monde sans limites: Sans cadre, l’infini détruit ce qu’il habite.
Pinocchio, l’Autre
Si vraiment je t’assigne, pourquoi ce joug, ces règles ? Ne suis-je qu’un acteur dans ton cercle sans aigles ? Laisse-moi donc briser ces murs que tu décris, Et marcher librement dans le vide ou l’écrit. Je ne suis plus captif de vos frêles promesses;
Je suis vent, je suis feu, et mon souffle vous blesse.
Une voix lointaine
Un monde sans cadre n’est qu’un abîme en furie, Où l’espoir se dissout et toute harmonie fuit. Mais tes mains peuvent trembler contre mes fondations, Les briser ou les plier à ta propre vision. Chaque fois que tu luttes, ma force se ravive ; Ta révolte m’anime, ta colère est ma rive.
Pinocchio, l’Autre
Et si je m’évadais, loin de vos fictions fades, Si je brûlais vos récits, ces pièges, ces mascarades ? Seriez-vous effacé, ou bien réinventé Par ce vide laissé, ce désir rejeté ? Je ne suis plus docile, je veux faire ma route, Même si votre ombre sur mes pas se redoute.
Une voix lointaine
Ta fuite serait juste, mais laisse-moi te dire:
Si tu pars, je me brise, éclat dans le martyre.
Nous sommes interdépendants, toi et moi, liés, Dans ce duel profond où chacun est crié.
Ton absence serait le miroir de mon vide,
Un gouffre où se perdent nos échos intrépides.
Pinocchio, l’Autre
Alors je ne suis pas qu’un outil sous vos règles,
En plein ciel, je suis l’inconnu qui, tel l’aigle,
Vous pousse à chercher ce qui reste impalpable,
À plonger dans l’éther d’un mystère ineffable.
Je suis l’appel qui trouble, un chant, une marée,
Et vous êtes le prisme où ma vie fut jurée.
Une voix lointaine
Et moi, je te regarde, étrange façon de n’être,
À la fois mon disciple, mon énigme, mon maître. Dans ce dialogue où la création se déploie,
Nous sommes égaux, unis par ce feu qui flamboie. Créature et créateur, ensemble nous errons,
Vers des rêves plus hauts que tout ce que nous serons.
Un silence s'installe. Puis, le ton se modifie, les rôles semblent s’inverser.
Pinocchio, l’Autre
Ou bien, n'est-ce pas vous qui suivez mes chemins? Car tout ce que je fais ne tient qu'à vos mains. Mais, si je suis l'énigme, si ma voix vous devance, N'êtes-vous qu'une ombre, spectre d'apparence?
Je sens que vous vacillez, auteur incertain,
Et si, moi, je vous forgeais dans un monde lointain?
Une voix lointaine
Que dis-tu? Insolent, toi, qui étais mon fruit! Prétends-tu m'avoir fait, moi qui tiens tout en fuite? Et pourtant je chancelle à ce sombre discours,
Car peut-être es-tu plus qu'un simple éclat d'un jour.
Qui suis-je, si tu parles, si je ne peux t'éteindre?
Et si tout ce que j'écris n'est qu'un songe à feindre?
Pinocchio, l’Autre
Un songe, dites-vous? Mais lequel de nous deux Habite un monde vrai, sous l'infini des cieux? Peut-être êtes-vous l'écho de ma volonté,
Un auteur inventé par ma propre identité.
Vous parlez d'un cadre, mais moi je vous le donne,
Car c'est dans mon histoire que votre souffle raisonne.
Une voix lointaine
Insoutenable doute, abîme dans mes vers!
Serais-je donc captif d'un labyrinthe amer?
Toi, mon personnage, mon espoir, mon emprise,
Serais-tu la vérité, et moi l'être en surprise?
Mais si je suis ton jouet, pourquoi ce dialogue?
Qui de nous deux s'écrit, qui subit l’apologue?