mardi 21 juillet 2009


Cher Joachim

Ne soyez pas trop surpris par le fait que je vous envoie encore une lettre par la voie dont vous disais pourtant hier encore qu'elle n'était plus sûre. Le fait est que je n'en suis plus du tout certain et que je vous dois de vous communiquer ce qui est, je le crois, de la plus haute importance. Je ne voyage plus la nuit et comme vous pouvez l'imaginer cela me manque. J'étais, et je suis encore, sur la place des Ensablés, mais alors qu'hier j'étais persuadé que je l'étais à titre de prévenu, je sais aujourd'hui, de façon certaine que ce n'est qu'à titre de témoin que je suis ici. Je vous avoue que je m'en sens infiniment mieux et c'est avec le sourire que je vais reprendre ce que j'ai dû trop longuement interrompre ces derniers temps. Attablé au bureau rouge où chacun est invité à donner ses impressions par écrit avant de paraître devant le "Conseil", je vis venir à moi deux gardiens. Je ne sais pourquoi, alors même que la base même de notre éducation est notre infinie capacité au silence, qu'au moment même où je les vis se diriger vers moi j'ouvris grand la bouche et ce qui se déversa à mon insu je ne le reconnaissais pas du tout. Sous l'œil impassible des gardiens une étrange mélopée aux accent bizarres sortaient assez mélodieusement sans que je n'eus pour cela aucun effort à produire.
Inutile de vous dire que je n'y comprenais rien du tout. Cela ne ressemblait en rien à ce que je vous ai déjà conté à propos du mélange entre pensées et paroles qui leur fit penser qu'il m'arrivait, à moi aussi, de "parler en langues". C'est à peine si je pus distinguer dix ou douze mots qui ressortirent du lot et que j'aie pu reconnaître au passage. Mais le plus étonnant fut que les deux gardiens ne firent montre, en aucune façon, d'une quelconque surprise. Ils opinèrent du chef et prirent tranquillement les papiers que j'avais, selon l'usage, remplis avec application. Papiers qu'ils emportèrent en me demandant de patienter et de continuer à écrire comme s'il ne s'était rien passé de bizarre. Sur le moment c'est cela qui eut du me faire sourire, mais ce n'était pas le cas, au contraire, j'étais encore plus inquiet que précédemment. Il faut que je vous dise aussi, cher Joachim, que j'ai de gros problèmes de mémoire, il m'arrive de ne plus me souvenir de ce que je vous ai écrit et comme vous pouvez le penser je ne garde pas de double de ce que je vous écris. Quand les deux gardiens revinrent, je n'en menais pas large, mais cette fois je parvins à me maîtriser et ne prononçais aucune paroles ce qui ne le surprit pas plus que l'épisode dont je viens de vous parler. Il m'emmenèrent tranquillement. Tout cela, pouvez-vous penser, ne vous vous concerne en rien. Détrompez-vous. Je ne vous dis rien de tout cela pour vous faire part de mes lamentations à propos de la triste dégradation de ma condition. Non, il s'agit de vous Joachim. Je ne sais combien de temps il leur faudra pour me faire parler. Mais ce que je finirai presque immanquablement de dire, vous connaissez leurs capacités Joachim, vous concerne au plus haut point. Vous le savez, vous êtes le seul qui puisse être à même d'infléchir cette situation qui ne peut être indifférente qu'à ceux que le mal le plus affreux comble de joie et de bonheur. Au reste, la tristesse en serait générale, parce que la cause et les effets, immanquablement, en seront communs à tous. C'est bien pour une cause d'une si grande importance pour la communauté toute entière, que plus que tout autre vous êtes tenu à faire preuve de zèle et de courage. Je ne puis que perdre un peu de temps en espérant vous parviendrez, pendant ce temps-là à réunir en vous-même tout ce qui, autrefois, vous fit tant de bien et tant de...
Je dois vous quitter Joachim, j'entends au loin le souffle profond de l'Hélicon.
Et si l'on dit que la confiance s'accroît au milieu des épreuves, votre silence m'inquiète...

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