samedi 28 mars 2020

(28) En pleine lumière


« En avant, boiteux, cria son horrible voix, en avant paresseux, sournois, visage blême ! Que je ne te chatouille de mon talon ! Que fais-tu là entre ces tours? C’est dans la tour que tu devrais être enfermé; tu barres la route à un meilleur que toi!»
Et à chaque mot il s’approchait davantage; mais quand il ne fut plus qu’à un pas du danseur de corde, il advint cette chose terrible qui fit taire toutes les bouches et qui fixa tous les regards: le bouffon poussa un cri diabolique et sauta par-dessus celui qui lui barrait la route. Mais le danseur de corde, en voyant la victoire de son rival, perdit la tête et la corde; il jeta son balancier et, plus vite encore, s’élança dans l’abîme, comme un tourbillon de bras et de jambes. La place publique et la foule ressemblaient à la mer, quand la tempête s’élève. Tous s’enfuyaient en désordre et surtout à l’endroit où le corps allait s’abattre.
Zarathoustra cependant ne bougea pas et ce fut juste à côté de lui que tomba le corps, déchiré et brisé, mais vivant encore. Au bout d’un certain temps la conscience revint au blessé, et il vit Zarathoustra, agenouillé auprès de lui:
« Que fais-tu là, dit-il enfin, je savais depuis longtemps que le diable me mettrait le pied en travers. Maintenant il me traîne en enfer: veux-tu l’en empêcher?»
« Sur mon honneur, ami, répondit Zarathoustra, tout ce dont tu parles n’existe pas: il n’y a ni diable, ni enfer. Ton âme sera morte, plus vite encore que ton corps: ne crains donc plus rien!»»


Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra



 

Extrait des cahiers de Pinocchio, l'Autre

 
– Dans l’ombre se déploie ce qui même en pleine lumière ne peut être dévoilé...



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