mercredi 10 juin 2020

(10) Cela change tout


« En traçant aujourd'hui sur le papier la première de ces lignes de prose, je suis parfaitement conscient du fait que je porte un coup mortel, définitif, à ce qui, conçu au début de ma trentième année comme alternative au silence, a été pendant plus de vingt ans le projet de mon existence.
Mon intention initiale était d'accompagner la réalisation de ce Projet d'un récit, un roman qui, sous le vêtement d'une transposition dans l'imaginaire d'événements inextricablement mélangés de réel, en aurait marqué les étapes, dévoilé ou au besoin dissimulé les énigmes, éclairé la signification.
Le Grand Incendie de Londres - tel était le titre qui s'était imposé à moi depuis un rêve, peu de temps après la décision vitale qui m'avait conduit à concevoir le Projet - aurait eu une place singulière dans la construction d'ensemble, distinct du Projet quoique s'y insérant, racontant le Projet, réel, comme s'il était fictif, donnant enfin à l'édifice du Projet un toit qui, comme ceux des demeures japonaises débordant largement des façades et s'incurvant presque jusqu'au sol, lui aurait assuré l'ombre nécessaire à sa protection esthétique.
Il n'en a pas été ainsi.»

Jacques Roubaud, Le Grand Incendie de Londres. Récits, avec incises et bifurcations



– Nous ne sommes, selon certains, que des personnages fictifs...
– Mais bien réels...
– Bien malin celui qui, à partir de cette réalité, pourrait remonter et retendre les fils emmêlés distendus qui en délient  les énigmes...
– En seriez-vous capable?
– Je ne sais, mais je m'y emploie.
– À moins que...
– À moins que?
– À moins que, et cela change tout, l'on vous y emploie...

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